Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,  inhumains ou dégradants

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN VERTU DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION
Troisièmes rapports périodiques des États devant être soumis en 2000
Additif

Israël1*
[15 mars 2001]

TABLE DES MATIÈRES
    Paragraphes    Page
Introduction        1 – 3    3
I.    RENSEIGNEMENTS SUR LES NOUVELLES MESURES ET LES FAITS NOUVEAUX TOUCHANT L’APPLICATION DE LA CONVENTION        4 – 44    3
II.    COMPLÉMENT D’INFORMATION DEMANDÉ PAR LE COMITÉ        45    12
III.    RESPECT DES CONCLUSIONS ET
RECOMMANDATIONS DU COMITÉ        46 – 54    12

Annexes2*
A.    Arrêt de la Cour suprême: Comité public contre la torture en Israël c. L’État d’Israël
B.    Loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaines

Introduction
1. Le présent rapport est soumis en application de l’article 19 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

2 .Israël a signé la Convention le 22 octobre 1986 et a déposé son instrument de ratification auprès du Secrétaire général de l’ONU le 3 octobre 1991. Conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 27 de la Convention, l’instrument est donc entré en vigueur pour Israël le 2 novembre 1991.

3. Israël a soumis son rapport initial en 1994 (CAT/C/16/Add.4), un rapport spécial en 1996 (CAT/C/33/Add.2/Rev.1) et son deuxième rapport périodique en 1998 (CAT/C/33/Add.3).

PREMIÈRE PARTIE: RENSEIGNEMENTS SUR LES NOUVELLES MESURES ET LES FAITS NOUVEAUX TOUCHANT L’APPLICATION DE LA CONVENTION

4.Le fait nouveau le plus important depuis la soumission du deuxième rapport périodique d’Israël au Comité contre la torture est l’arrêt rendu en septembre 1999 par la Cour suprême d’Israël concernant les méthodes d’enquête de l’Agence israélienne de sécurité3; l’arrêt a été rendu par la Cour suprême siégeant en formation de jugement dans l’affaire Commission publique contre la torture en Israël c. L’État d’Israël (HCJ 5100/94). On en trouvera une traduction en anglais à l’annexe A du présent rapport.

5.Siégeant en formation de jugement, la Cour suprême était saisie de sept requêtes distinctes contestant les méthodes utilisées par le Service général de sécurité (ainsi appelé à l’époque) lors des interrogatoires de personnes soupçonnées de terrorisme. La décision a d’autant plus de poids que l’affaire a été jugée par une formation élargie composée de neuf magistrats de la Cour suprême.

6. Dans leur mémoire, les demandeurs faisaient valoir que certaines méthodes d’interrogatoire utilisées par les enquêteurs du Service général de sécurité (SGS) au cours des enquêtes étaient illégales. L’État réfutait les arguments des demandeurs qui qualifiaient les méthodes d’interrogatoire d’illégales ou de constitutives d’actes de torture.

7. Dans sa décision, rendue à l’unanimité, la Cour suprême a statué que les méthodes d’interrogatoire dénoncées ne participaient pas de la torture, telle qu’elle est définie dans la Convention, mais que le SGS n’était pas autorisé à user de certaines méthodes d’investigation (énoncées dans le rapport de la Commission Landau) faisant appel à l’exercice de pressions physiques modérées, considérant que ces méthodes étaient contraires à la loi israélienne.

8. Il faut rappeler que le Gouvernement israélien avait nommé, en application de la loi sur les commissions d’enquête, la Commission Landau, présidée par le juge Moshe Landau, ancien Président de la Cour suprême. La Commission avait examiné le statut légal du SGS, ainsi que la légalité du recours à des moyens de pression physique modérée par ses enquêteurs. L’enquête conclue, elle avait publié en 1987 un rapport dans lequel elle déclarait qu’en présence de dangereux terroristes constituant une grave menace pour l’État d’Israël et ses citoyens, il pouvait être inévitable dans certaines circonstances d’exercer une pression, y compris physique, raisonnable en vue d’obtenir des renseignements décisifs pour la protection de la vie humaine4.

9. La Cour suprême devait se prononcer sur trois questions: tout d’abord l’autorité légale des enquêteurs du SGS pour ce qui était d’interroger des suspects; ensuite, si elle établissait qu’ils avaient effectivement autorité pour conduire des interrogatoires, leur légitimité à user de moyens physiques tels que ceux décrits par les demandeurs; et enfin, si le recours à de tels moyens était nécessaire pour sauver des vies humaines, la question de savoir si cet état de choses pouvait justifier l’octroi aux enquêteurs du SGS de la faculté de recourir à de telles méthodes.

10. À la première question – les enquêteurs du SGS sontils habilités par la loi à mener des interrogatoire? – la Cour suprême a répondu qu’aucune disposition légale spécifique n’autorisait les enquêteurs de ce service à mener des interrogatoires5 mais qu’ils avaient bien de fait autorité légale pour ce faire. Elle a considéré que ce pouvoir leur était donné par les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 de l’Ordonnance sur les moyens de preuve, qui confère une faculté légale générale aux agents de la force publique pour mener des enquêtes criminelles. De plus, le Ministre de la justice et le Ministre de la sécurité publique sont habilités à déléguer à d’autres agents de l’État le pouvoir de mener des enquêtes criminelles. Le Ministre de la justice a ainsi autorisé les enquêteurs du SGS à procéder à des enquêtes sur les activités terroristes. La Cour a donc estimé qu’au vu de l’autorisation que le Ministre de la justice leur avait accordée en application de la disposition, les enquêteurs du SGS avaient autorité pour la réalisation d’enquêtes sur des activités terroristes, au même titre que les agents de la force publique pour les infractions pénales.

11. Dans la droite ligne de cette conclusion, la Cour a jugé que les restrictions imposées aux agents de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions d’enquête pénale étaient également applicables aux enquêteurs du SGS. Le Président de la Cour suprême, Aharon Barak, qui a rédigé l’arrêt, a ainsi établi le principe suivant:
«La faculté donnée aux enquêteurs du SGS de mener des interrogatoires est de même nature que celle que confère la loi aux enquêteurs des forces de police ordinaires. Il s’ensuit que les restrictions applicables dans le cas des enquêtes de police sont également applicables dans le cas des enquêtes du SGS. Aucune disposition légale ne confère aux enquêteurs du SGS des pouvoirs spéciaux en matière d’interrogatoire différents ou élargis par rapport à ceux conférés aux enquêteurs de police. Nous en concluons que les enquêteurs du SGS, dont le devoir est de mener des interrogatoires dans le respect de la loi, sont soumis aux mêmes restrictions que celles qui valent pour les interrogatoires de police.»6

12. Ayant conclu, comme il est indiqué plus haut, que les enquêteurs du SGS avaient autorité pour mener des enquêtes, la Cour suprême a ensuite examiné la question de savoir s’ils étaient autorisés à exercer des pressions physiques au cours des interrogatoires. Au cours de ses délibérations sur ce point, la Cour a relevé que, dans un régime démocratique, il y avait conflit entre deux valeurs ou intérêts contradictoires:
«Une société démocratique, éprise de liberté, n’accepte pas que toute latitude soit laissée aux enquêteurs aux fins de la manifestation de la vérité. “Les pratiques d’interrogatoire de la police d’un régime donné sont le reflet du caractère même du régime”, a déclaré le juge Landau. Il arrive parfois que le prix de la vérité soit si élevé qu’une société démocratique n’est pas prête à le payer. (…) Les règles relatives au déroulement des enquêtes sont importantes pour un État démocratique. Elles révèlent sa vraie nature. Toute forme illégale d’investigation porte atteinte à la dignité du suspect; elle porte une atteinte égale à l’image de la société.»7

13.  La Cour suprême a ensuite arrêté un certain nombre de principes directeurs fondamentaux applicables aux interrogatoires. Ainsi:
«Pour être légitime, un interrogatoire exclut nécessairement la torture, les traitements cruels ou inhumains et quelque forme que ce soit de traitement dégradant. L’utilisation de “moyens brutaux ou inhumains” au cours des enquêtes est strictement prohibée. Le suspect doit être interrogé d’une façon qui respecte sa dignité. (…) Ces interdictions sont “absolues”: elles ne souffrent aucune exception et aucune circonstance ne peut permettre d’y déroger. De fait, la violence physique ou morale à l’encontre d’un suspect ne constitue pas une méthode d’interrogatoire légitime.»8

14. Après avoir ainsi défini les principes généraux, applicables aux interrogatoires, la Cour a examiné l’une après l’autre les méthodes d’interrogatoire dénoncées dans la plainte. Elle a statué catégoriquement et sans la moindre ambiguïté que ces pratiques devaient être interdites.
 

   i) La pratique consistant à secouer violemment les personnes interrogées est interdite: «Cette pratique est nuisible pour l’intégrité physique. Elle porte atteinte à la dignité. Il s’agit d’une méthode violente qui ne fait pas partie des méthodes légales.»9
 

   ii) La pratique consistant à obliger le suspect à rester accroupi sur la pointe des pieds pendant longtemps (la «grenouille») est interdite. «Cette méthode ne sert aucun objectif inhérent aux enquêtes. Elle est dégradante et porte atteinte à la dignité humaine.»10

    iii) Les menottes doivent être passées de manière à ne pas causer de douleurs11.

    iv) La Cour a également interdit la pratique consistant à attacher les suspects sur une petite chaise dans la position du «Shabach». Elle a considéré que ces méthodes «n’ont pas leur place dans le cadre d’un interrogatoire “équitable”. Elles ne sont pas légitimes. Elles dépassent les limites de ce qui est nécessaire et portent atteinte à la dignité, à l’intégrité physique et aux droits fondamentaux des suspects. Elles ne relèvent donc pas des pouvoirs généraux dont sont investis ceux qui procèdent à des interrogatoires.»12
    v) De même, la Cour a statué qu’il était interdit de couvrir la tête du suspect d’un sac opaque pendant l’interrogatoire car cette pratique ne relève pas des procédures d’interrogatoire. «Cette pratique n’a pas sa place dans un interrogatoire équitable. Elle est douloureuse pour le suspect et porte atteinte à son image. Elle est dégradante. (…) Toutes ces méthodes sortent du cadre du pouvoir général d’enquête. Couvrir la tête du suspect avec un sac dans les circonstances décrites (…) est interdit.»13
 

   vi) La Cour a ensuite examiné la pratique consistant à exposer le suspect à une musique assourdissante pendant qu’il est dans la «position du Shabach» et l’a interdite14.
  

  vii) La Cour a également prohibé la combinaison de ces différentes méthodes, la qualifiant d’inacceptable et rappelant que «l’obligation de préserver la dignité des personnes en détention comporte le devoir de ne pas les soumettre à un traitement dégradant et à des conditions inhumaines, de nature à nuire à leur santé et risquant de porter atteinte à leur dignité»15.

    viii) Enfin, la Cour a examiné la pratique de la privation de sommeil pendant la période d’interrogatoire. Elle a noté qu’un interrogatoire pouvait être long et avoir pour «effet secondaire» de priver l’intéressé de sommeil pendant un certain temps. Toutefois, la situation est différente si «la privation de sommeil n’est pas un “effet secondaire” inhérent à l’interrogatoire mais devient une fin en soi. Si le suspect est délibérément empêché de dormir pendant une période prolongée afin de l’épuiser pour qu’il parle ou de le “briser”, cela n’entre plus dans le cadre d’un interrogatoire équitable et légitime. De telles méthodes sont contraires aux droits et à la dignité des suspects et dépassent les limites de ce qui est nécessaire»16.

15. La Cour suprême est ensuite passée à la troisième question qu’elle avait à trancher: le Service général de sécurité pouvaitil exercer des pressions physiques au cours des interrogatoires lorsque des vies humaines étaient en jeu («état de nécessité»). Sur ce point, l’État avait fondé ses arguments sur le texte du paragraphes 34K de la loi pénale, qui dispose:
  

 «34K – État de nécessité
    N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte qui était immédiatement nécessaire à la sauvegarde de la vie, de la liberté, de l’intégrité corporelle ou d’un bien, face à un danger réel qui menace ellemême ou un tiers si, dans les circonstances où l’acte a été commis, il n’y avait pas d’autre moyen d’éviter ce danger.»

16.L’État faisait valoir que les enquêteurs étaient habilités à exercer des pressions physiques modérées comme mesure de dernier recours pour sauver des vies humaines. Le Président de la Cour suprême, au premier paragraphe du jugement, a décrit dans les termes ciaprès le contexte de menace permanente que faisaient peser les terroristes et les actes terroristes sur la sécurité et la population civile d’Israël:


    «L’État d’Israël est engagé dans un combat inlassable, pour défendre aussi bien son existence que sa sécurité, depuis le jour même de sa création. Des organisations terroristes ont fait de l’anéantissement d’Israël leur but. Les actes terroristes et la déstabilisation sont les moyens d’actions qu’ils ont choisis. En appliquant de telles méthodes, ils ne font pas de distinction entre cibles civiles et militaires. Ils se livrent à des attentats terroristes, qui font d’innombrables victimes, tuées dans des lieux publics, des transports publics, des jardins publics, des théâtres, des cafés, et au cœur des villes. Les terroristes s’en prennent indifféremment aux hommes, aux femmes, aux enfants. Ils agissent par la cruauté et sont impitoyables.»17

17. La Cour a relevé que bon nombre d’attentats terroristes prévus avaient pu être déjoués grâce aux enquêtes menées par les autorités responsables de la lutte contre le terroriste, et la principale est le Service général de sécurité. L’État avait fait valoir que les moyens d’enquête incriminés n’étaient employés que lorsqu’ils étaient nécessaires pour sauver des vies humaines et que par conséquent, en vertu de l’article cité de la loi pénale, ils ne constituaient pas des infractions pénales. L’État considérait donc que dans la mesure où de tels actes, dans de telles circonstances, ne constituaient pas une infraction pénale, il n’y avait pas lieu de les interdire ab initio18.

18. Dans sa décision, la Cour a estimé que, s’il y avait des divergences d’opinion sur ce point, elle était prête à tenir pour acquit que l’enquêteur qui recourait à des pressions physiques au cours d’un interrogatoire dans les circonstances définies dans la loi et qui était ensuite poursuivi pour avoir recouru à ces méthodes pourrait avancer l’argument de l’état de nécessité pour sa défense; en revanche, le fait que cet argument puisse être invoqué dans un procès pénal comme moyen de défense pour un enquêteur qui répond de l’acte ne signifie pas qu’il puisse servir de base légale pour donner à l’avance une autorisation générale d’user de tels moyens. Le fait qu’un acte déterminé ne constitue pas une infraction pénale n’autorise pas pour autant les enquêteurs à le commettre en procédant aux interrogatoires. La Cour a ainsi déclaré:
    «La clause de nécessité ne constitue pas une source de droit autorisant les enquêteurs du SGS à user de pressions physiques pendant les interrogatoires (…). La clause de nécessité a pour effet de soustraire quiconque agit en état de nécessité à la responsabilité pénale (…). Elle n’autorise pas le recours aux pressions physiques aux fins de permettre aux enquêteurs de s’acquitter de leurs fonctions dans des circonstances d’état de nécessité. Le simple fait qu’un acte donné ne constitue pas une infraction pénale (par application de la clause de nécessité) n’autorise pas en soi les représentants de l’administration à le commettre et, ce faisant, à violer les droits de l’homme. La primauté du droit suppose que toute violation des droits de l’homme soit interdite par la loi et que l’administration se donne les moyens de veiller au respect de cette interdiction. La déclaration de nonresponsabilité pénale n’implique pas une autorisation de violer les droits fondamentaux.»19

19. En conclusion, la Cour suprême a annulé les instructions générales qui autorisaient l’emploi au cours d’un interrogatoire de pressions physiques incompatibles avec la liberté des suspects20.

20 .Pour prendre toute la mesure de l’importance et de la complexité de l’arrêt de la Cour suprême, il faut la replace dans son contexte, en ayant à l’esprit la menace constante d’attaques terroristes meurtrières que font peser sur les citoyens et résidents israéliens des individus qui n’ont pas le moindre respect pour l’état de droit. Cela a bien été souligné par les juges dans leur décision. Après avoir rappelé (premier paragraphe) la situation difficile d’Israël en termes de sécurité, ils ont reconnu que la décision qu’ils avaient prise ne faciliterait pas la tâche des forces de sécurité. Ils ont cependant relevé:
«Telle est la démocratie: tous les moyens ne sont pas acceptables pour une démocratie, qui ne peut pas non plus recourir à toutes les pratiques employées par l’ennemi (…). Il a été très difficile pour la Cour de statuer sur ces plaintes. Du point de vue de l’interprétation de la loi, les choses étaient certes claires. Mais nous sommes membres de la société israélienne. Ses problèmes nous sont connus et son histoire est la nôtre. Nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire: nous partageons la vie de ce pays, nous sommes conscients de la dure réalité du terrorisme dans laquelle nous sommes parfois plongés. Nous craignons que la présente décision ne limite la capacité de prendre les mesures qui s’imposent face aux terroristes et au terrorisme. Mais nous sommes juges. Nos pairs attendent de nous que nous agissions conformément à la loi, et c’est également la ligne de conduite que nous nous sommes fixée. Lorsque nous jugeons, nous sommes nous-mêmes jugés. C’est pourquoi, lorsque nous disons le droit, nous devons agir en notre âme et conscience.»21

Répercussions de la décision de la Cour suprême
Conséquences au sein de l’AIS

21.La décision de la Cour suprême résumée plus haut a eu un effet immédiat et profond sur la conduite de toutes les enquêtes par les membres de l’Agence israélienne de sécurité (AIS).

22. L’AIS a toujours mené ses enquêtes en suivant les directives qu’elle avait reçues. Dès le 6 septembre 1999, jour de l’annonce de la décision de la Cour suprême, les responsables de l’AIS ont fait distribuer à l’ensemble du personnel, notamment aux enquêteurs, une directive appelant l’attention sur le fait que les dispositions de l’arrêt devaient être strictement respectées dans toutes les investigations.

23.Bien qu’Israël connaisse actuellement une période particulièrement difficile, marquée par le terrorisme et les attentats terroristes visant les citoyens et résidents israéliens, les enquêteurs de l’AIS doivent donc observer strictement les principes énoncés par la Cour suprême. S’il est établi qu’un enquêteur a exercé des pressions physiques sur la personne d’un suspect au cours d’un interrogatoire, il fera l’objet de mesures disciplinaires et si nécessaire sera démis de ses fonctions.

24. Les principes énoncés par la Cour suprême et les règles désormais applicables aux activités de l’AIS, par suite de ladite décision, sont enseignés pendant les stages, séminaires et programmes de sensibilisation et de formation destinés à tous les niveaux de personnel de l’AIS.

Plaintes pour faute commise par un policier ou par un enquêteur de l’Agence israélienne de sécurité dans l’exercice de ses fonctions

25 .Les personnes retenues par la police ou par l’AIS dans le cadre d’une enquête peuvent déposer plainte si elles se considèrent victimes de mauvais traitements. Toute plainte donne lieu à une enquête approfondie. La procédure applicable diffère selon que les faits dénoncés relèvent d’une action disciplinaire ou constituent une infraction pénale.

26.Si l’enquête laisse à penser qu’il peut y avoir eu infraction pénale, la plainte est transmise au département d’enquête sur les fautes du personnel de police (DIPM), département spécial du Ministère de la justice directement responsable devant le Procureur de l’État. Tout recours à la violence physique sur la personne d’un détenu est toujours traité comme une infraction pénale et fait l’objet d’une enquête pénale. Le personnel du DIPM entend le plaignant, les témoins et le suspect. Si l’enquête fait apparaître qu’une infraction pénale a été commise l’affaire est renvoyée au Procureur du district compétent, qui détermine s’il y a lieu d’engager des poursuites. Le DIPM peut aussi décider de soumettre le policier ou l’enquêteur de l’AIS à une action disciplinaire, à la place ou en plus de l’action pénale.

27. Pour le personnel des forces de police, si la mesure encourue est d’ordre disciplinaire, la plainte est renvoyée au département disciplinaire de la police israélienne, au siège de la police nationale.

28. Pour les enquêteurs de l’AIS, les enquêtes pour des actes passibles de sanctions disciplinaires sont effectuées par le procureur responsable de l’unité spéciale créée à cette fin au bureau du Procureur général, au Ministère de la justice. D’après ce procureur, depuis que la Cour suprême a rendu son arrêt, en septembre 1999, la stricte politique de l’AIS est d’interdire à son personnel d’employer pendant les enquêtes les méthodes d’interrogatoire que la Cour a qualifiées d’illégales. Du reste, depuis lors, l’unité n’a pas reçu une seule plainte dénonçant ce genre de pratique.

29. De plus, avec l’aide du procureur responsable de l’unité spéciale au Ministère de la justice, l’AIS a pris des mesures pour améliorer notablement les conditions carcérales en particulier pour les prisonniers incarcérés pour des atteintes à la sécurité.

30. Il peut être intéressant de présenter une affaire qui fait actuellement l’objet d’une enquête par le DIPM. En octobre 2000, deux soldats réservistes israéliens s’étant trompés de chemin, ont pénétré par erreur en voiture dans un territoire placé sous le contrôle de l’Autorité palestinienne. Interpellés par la police palestinienne à un point de contrôle, ils ont été conduits à un poste de police dans la ville palestinienne de Ramallah, où une foule incontrôlée, à laquelle se mêlaient des éléments de la police palestinienne, a sauvagement pris à partie les deux réservistes, les lynchant à mort.

Les corps des deux hommes ont été jetés à l’extérieur, et la foule qui se trouvait là les a mutilés. Ces scènes ont été diffusées en direct par les télévisions du monde entier.

Les forces de sécurité israéliennes sont parvenues à arrêter certains des responsables de ces actes barbares. L’un d’eux s’est plaint d’avoir été physiquement maltraité au cours de son interrogatoire dans un poste de police de Jérusalem. L’État d’Israël affirme que les droits fondamentaux de toutes les personnes placées sous sa juridiction doivent être respectés en toute circonstance, indépendamment des crimes que le ou les intéressés sont soupçonnés d’avoir commis. La plainte fait donc actuellement l’objet d’une enquête minutieuse du DIPM et, si les allégations se révèlent fondées, une action disciplinaire ou pénale sera engagée.

Requêtes auprès de la High Court of Justice

31. Les plaintes pour mauvais traitements de la part de membres de l’AIS au cours d’une enquête peuvent être jugées par la Cour suprême, en qualité de juridiction de jugement (High Court of Justice). Tout détenu, un membre de sa famille ou un tiers – particulier ou association qui s’intéresse aux questions juridiques ou humanitaires – peut adresser une requête auprès de la High Court of Justice pour solliciter une injonction visant à interdire à l’AIS de faire un usage abusif de la force ou d’exercer des pressions physiques excessives au cours de l’enquête. Un certain nombre de requêtes de ce type ont effectivement été reçues et examinées par la High Court of Justice dans le passé.

32 .Depuis l’arrêt de la Cour suprême de septembre 1999 (voir plus haut), deux requêtes ont ainsi été déposées pour mauvais traitement physique de la part de membres de l’AIS au cours d’un interrogatoire. L’enquête ouverte par les autorités a permis d’établir que les plaintes étaient dénuées de fondement et elles ont donc été retirées.

Évolution dans le domaine législatif depuis la soumission du deuxième rapport périodique

Dispositions applicables

33 .Les actes de torture constituent une infraction pénale en droit israélien. La loi pénale interdit en effet strictement toute forme de torture ou d’autre mauvais traitement.

34 .L’article 277 de la loi pénale de 1977 porte spécifiquement sur l’interdiction des actes de torture et des mauvais traitements de la part d’agents de l’État. Il dispose ainsi:
    «277.  Acte de répression commis par un agent de la fonction publique

Est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans l’agent de l’État qui:

1) Use ou ordonne d’user de la force ou de la violence à l’égard d’une personne pour obtenir d’elle ou de quelqu’un à qui elle est liée, l’aveu d’une infraction ou des renseignements relatifs à une infraction;

2) Menace ou ordonne de menacer une personne de porter atteinte à son intégrité physique ou à ses biens, ou à l’intégrité physique ou aux biens de quelqu’un à qui elle est liée, pour obtenir d’elle l’aveu d’une infraction ou des renseignements relatifs à une infraction.»

35. Les articles 427 et 428 de la loi pénale de 1977 érigent par ailleurs en infraction pénale le fait d’user illégalement de la force ou de menacer illégalement pour contraindre quelqu’un à accomplir un acte. Ces articles visent les actes illégaux quelle que soit la personne qui les réalise, y compris, évidemment les agents de l’État.

36. L’article 427 dispose:
«427.  Chantage avec usage de la force

a) Quiconque use illégalement de la force pour conduire une personne à accomplir un acte ou à ne pas accomplir un acte qu’elle est autorisée à faire, encourt un emprisonnement de 7 ans, ou de 9 ans si l’usage de la force aboutit à l’accomplissement ou à l’empêchement de l’acte (…)»

37.L’article 428 dispose:«428.  Chantage avec menaces
a) Quiconque, par écrit ou verbalement, menace un individu d’attenter illégalement à son intégrité corporelle, à sa liberté, à ses biens, à sa réputation ou à ses moyens de subsistance ou à ceux d’un tiers s’il n’accomplit pas un acte ou ne s’abstient pas d’accomplir un acte qu’il est autorisé à faire, encourt un emprisonnement de 3 ans, ou de 9 ans si la menace aboutit à l’accomplissement ou à l’empêchement de l’acte ( … )»

38. Les dispositions cidessus garantissent que tous les actes de torture, tels qu’ils sont définis à l’article premier de la Convention, constituent des infractions pénales.

39. Parallèlement aux dispositions de la loi pénale, l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est consacrée dans la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaines, adoptée par la Knesset en 1992, après la ratification de la Convention contre la torture par Israël. On trouvera une traduction en anglais de cette loi fondamentale à l’annexe B du présent document.

Dispositions législatives relatives à l’Agence israélienne de sécurité

 40. Après un examen complet de la portée de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Commission publique contre la torture en Israël c. L’État d’Israël (HCJ 5100/94) et nonobstant les limites réelles qu’elle entraîne pour ce qui est des pouvoirs et de l’efficacité du service de sécurité dans sa lutte contre les attaques terroristes incessantes, le Gouvernement israélien a décidé de ne pas proposer de texte législatif tendant à autoriser le recours à des pressions physiques dans les enquêtes menées par l’AIS. Au contraire, il a choisi de faire porter l’effort sur l’amélioration et le renforcement des capacités générales de l’AIS en augmentant les effectifs, modernisant les équipements techniques entre autres mesures. On a créé un groupe de travail spécial, dirigé par le Ministre de la justice et le ViceMinistre de la défense, chargé d’étudier les moyens de mettre efficacement en œuvre cette décision gouvernementale.
 

41. Une proposition de loi avait été présentée à la Knesset par un groupe de parlementaires, qui souhaitait que le recours à des pressions physiques modérées soit autorisé au cours des enquêtes dans certaines circonstances bien précises. Le Comité ministériel, dirigé par le Ministre de la justice, s’est opposé à la proposition; elle doit encore être examinée à titre préliminaire par la Knesset, mais le Premier Ministre en a publiquement rejeté les dispositions pendant une séance plénière de la Knesset.

42. Comme il était signalé dans le précédent rapport périodique, le Gouvernement a présenté à la Knesset, en février 1998, un projet de loi sur la structure et les activités de l’Agence israélienne de sécurité. Le texte prévoit notamment de nouveaux mécanismes pour le contrôle des activités de l’AIS, qui viendraient s’ajouter aux mécanismes de contrôle actuels, lesquels comprennent par exemple la possibilité pour le contrôleur d’État d’engager des actions en justice ou d’ouvrir des enquêtes. Ce projet de loi ne contient en revanche aucune disposition sur les méthodes d’interrogatoire autorisées. Le texte a été adopté en première lecture par la Knesset et a été renvoyé à un Comité spécial de la Knesset, associant la Commission parlementaire sur la Constitution, la loi et la justice et la Commission parlementaire sur la sécurité et les affaires étrangères.

43. Si le projet de loi est adopté, l’AIS sera placée sous l’autorité du Gouvernement, qui en nommera le directeur sur recommandation du Premier Ministre. Un comité ministériel spécial serait également créé et chargé de la supervision ministérielle de l’AIS. Les activités de l’Agence feront également l’objet d’un contrôle parlementaire, assuré par un comité spécial de la Knesset. Dans le projet de loi sont également définis les attributions et les pouvoirs de l’AIS. Ses objectifs comprennent ainsi la protection de la sécurité de l’État et la protection des autorités et institutions publiques à l’égard du terrorisme, de l’espionnage et d’autres menaces analogues. L’AIS sera habilitée par la loi à mener des enquêtes. Le directeur de l’Agence devra faire périodiquement rapport au comité ministériel ainsi qu’au comité de la Knesset.

44.Le projet de loi est actuellement en attente d’examen par le comité spécial de la Knesset mentionné plus haut.

DEUXIÈME PARTIE: COMPLÉMENT D’INFORMATION DEMANDÉ PAR LE COMITÉ

45. Dans les conclusions qu’il a adoptées à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique d’Israël (A/53/44, par. 232 à 242), le Comité n’a demandé aucun complément d’information à l’État d’Israël.

 

TROISIÈME PARTIE: RESPECT DES CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS DU COMITÉ

46. Dans ses conclusions concernant le deuxième rapport périodique d’Israël (A/53/44, par. 232 à 242), le Comité a formulé les conclusions et recommandations suivantes (par. 240 et 241):
Paragraphe 240 a)  «Procéder à des interrogatoires en utilisant les méthodes mentionnées plus haut est incompatible avec l’article premier et avec les articles 2 et 16 de la Convention et il faut mettre immédiatement fin à ces interrogatoires.»

47. Comme dans ses précédents rapports au Comité, l’État d’Israël maintient que les méthodes d’interrogatoires utilisées par le Service de sécurité d’Israël (appelées «règles de la Commission Landau») ne constituent pas une torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant et ne violent pas les dispositions de la Convention.

48. Dans un arrêt rendu en septembre 1999 (Commission publique contre la torture en Israël c. L’État d’Israël), la Cour suprême a statué que ces méthodes d’interrogatoire étaient illégales au regard du droit israélien, car elles portaient atteinte à la dignité de la personne interrogée. Dans son arrêt, la Cour ne rejette pas les arguments de l’État qui affirme que ces méthodes d’interrogatoire ne constituent pas une torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant et ne violent pas la Convention. On trouvera dans la première partie du présent rapport un résumé de l’arrêt de la Cour suprême. On trouvera également une traduction en anglais de cet arrêt dans l’annexe A du présent rapport.
Paragraphe 240 b)  «Les dispositions de la Convention devraient être incorporées dans le droit interne par une loi, en particulier la définition de la torture donnée à l’article premier de la Convention.»

49. Comme il est indiqué dans la première partie du présent rapport, les articles 277, 427 et 428 de la loi pénale de 1977 (ces articles sont cités dans la première partie du présent rapport) interdisent rigoureusement toute forme de torture ou de mauvais traitement. En conséquence, tous les actes de torture tels qu’ils sont définis à l’article premier de la Convention sont des infractions à la loi pénale israélienne. En outre, toutes les formes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdits par la Loi fondamentale d’Israël sur la dignité et la liberté humaines, dont on trouvera le texte intégral dans l’annexe B du présent rapport. Cette loi a rang constitutionnel.

L’article 2 interdit toute atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou à la dignité de chacun. L’article 4 garantit à chacun le droit d’être protégé contre toute atteinte de ce type. Ces dispositions de la Loi fondamentale constituent une interdiction des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris des actes de torture. C’est en 1992 que la Knesset a adopté la Loi fondamentale, après qu’Israël eut ratifié la Convention contre la torture.

50.L’arrêt rendu à l’unanimité par la Cour suprême israélienne dans l’affaire Commission publique contre la torture en Israël c. L’État d’Israël (résumé dans la première partie) montre bien que toutes les dispositions de la Convention sont en fait partie intégrante du droit israélien. Il ne fait aucun doute que tout acte constituant une violation de la Convention constitue aussi une violation de la législation israélienne et est de ce fait interdit par la loi israélienne.
Paragraphe 240 c)  «Israël devrait envisager de retirer les réserves qu’il a émises à l’article 20 et de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22.»

51. Lorsqu’il a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’État d’Israël a déclaré que, conformément à l’article 28 de la Convention, il ne reconnaissait pas la compétence accordée au Comité en vertu de l’article 20. En outre, l’État d’Israël n’a pas fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention par lesquelles un État partie reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner les communications émanant d’autres États parties ou de particuliers.

52. Ayant examiné la teneur des déclarations qu’il lui est demandé de faire à la lumière des recommandations du Comité, le Gouvernement israélien maintient qu’il est improbable que dans un avenir proche les circonstances lui permettent de modifier sa position. Il continuera toutefois de revoir régulièrement sa position.
Paragraphe 240 d)  «Les procédures d’interrogatoire énoncées dans les “règles de la Commission Landau” devraient être rendues publiques dans leur intégralité.»

53. Dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Commission publique contre la torture en Israël c. L’État d’Israël (voir plus haut), la Cour suprême a statué que les procédures d’interrogatoire énoncées dans les règles de la Commission Landau étaient contraires à la législation israélienne. Le service de sécurité d’Israël a cessé de recourir à ces méthodes dès septembre 1999. C’est pourquoi la publication de ces règles ne présente plus d’intérêt.
Paragraphe 241  «Les conditions de l’internement administratif dans les territoires occupés devraient être examinées de façon à assurer le respect de l’article 16.»

54. Le Gouvernement israélien fait savoir que le nombre de personnes placées en internement administratif a considérablement diminué ces derniers temps et qu’il n’y a actuellement que 11 personnes frappées de cette mesure pour des raisons de sécurité. En outre, il n’y en a aucune dans les territoires occupés. Les conditions dans lesquelles ces personnes sont détenues sont rigoureusement conformes à l’article 16. Les détenus peuvent adresser des requêtes aux tribunaux en vue d’obtenir l’examen de la légalité de leur détention, y compris la légalité des conditions de détention.