Le quartier des Maghrébins, Harat al Maghariba, dit aussi quartier des Marocains était situé quasiment contre le mur occidental. Avant sa destruction, seule une ruelle de 2,50 m de large le séparait du mur.

Suite au départ des forces britanniques et à la guerre de 1948-1949, il faisait parti du territoire conquis et contrôlé par la Transjordanie.

La Transjordanie occupait, outre la Judée-Samarie qu'elle a renommé Cisjordanie,  les quartiers de Jérusalem-Est (territoire international selon le plan de partage) qu'elle avait annexé.

Contrairement à ses engagements signés lors de l'armistice avec Israël, la Transjordanie devenue Jordanie , avait totalement détruit les synagogues de la vieille ville et  interdit l'accès au mur occidental aux Juifs qu'elle avait expulsé des territoires qu'elle contrôlait.

 

Le quartier des Maghrébins avant 1967

Les choses changent en 1967 avec la victoire israélienne lors de la Guerre des six jours.

Le 7 juin 1967, l’armée entre à Jérusalem-Est et dans la Vieille ville (qui en fait partie ).

Le général Motta Gur annonce : « Le mont dû Temple est entre nos mains. ».

Moshe Dayan, proclame à la radio :

 Ce matin, Tsahal a libéré Jérusalem, la capitale divisée d’Israël. Nous sommes revenus au plus saint de nos lieux saints et nous ne nous en séparerons jamais.

 L'aumonier israélien Schlomo Goren fait hisser le drapeau israélien sur l'esplanade. Mais les dirigeants israéliens comme Moshé Dayan et le Premier ministre Levi Eshkol le font immédiatement retirer.

 

 >> Lire aussi Juin 1967 : la guerre des six jours

 

Quatre jours plus tard, le 11 juin, les 135 maisons arabes du Quartier des Maghrébins sont rasées. Les habitants, 138 foyers, sont évacués en deux heures, pour créer ce qui est aujourd’hui l’esplanade du mur.1

"Les Israéliens sont entrés dans la vieille ville le mercredi 7 juin au matin. Le samedi soir, après shabbat, les 700 habitants, du quartier des ­Maghrébins ont été sommés d’évacuer en quelques heures....

Il faut mettre cette destruction en perspective avec ce qui se passe au-dessus, sur l’esplanade des Mosquées – le mont du Temple pour les juifs.

Après la conquête de la vieille ville, le général Moshe Dayan ordonne de retirer le drapeau israélien et les soldats israéliens de ce lieu saint. Il dit aux Jordaniens : vous gardez la gestion pleine et entière de l’esplanade. Mais pendant ce temps, en contrebas, on crée un lieu saint pour les juifs, devant le mur des Lamentations. Or le passage est trop étroit pour les croyants, il faut donc raser le quartier qui se dresse là."3

Le 14 juin, des milliers d'Israéliens convergent vers la nouvelle esplanade du mur pour fêter Chavouot. L'esplanade devient le coeur spirituel de Jérusalem et c'est aujourd'hui l'endroit où les jeunes soldats prêtent serment.

Le décret du ministre israélien de la défense du 13 août 1967 laisse l’administration des lieux saints musulmans de Jérusalem à la Jordanie, qui l’exerce par l’intermédiaire du Waqf islamique de Jérusalem et de la Fondation d’Al-Aqsa pour la dotation et le patrimoine.

Depuis, il est interdit aux non-musulmans de prier à voix haute sur l’esplanade du Temple. Le « rôle particulier » de la Jordanie sur les lieux saints musulmans de Jérusalem est inscrit au traité de paix entre Israël et la Jordanie (art 9) de 1994, ce qui, bien sûr, agace les autorités palestiniennes.

 

L'Origine du quartier des maghrébins

 

« Le retour de Jérusalem dans la demeure de l'islam [ en 1187 ] eut également pour conséquence de rétablir une autre source de peuplement pérenne : la venue de pèlerins dans la Ville sainte

...de nombreux pèlerins originaires du Maghreb choisirent-ils de s'établir à Jérusalem après 1187, où ils se regroupèrent dans un quartier situé en limite sud-ouest du Noble sanctuaire, près d'un accès de l'esplanade qui fut désormais connu sous le non de Bab al-Maghariba (porte des Maghrébins).

Au milieu des années 1190, al-Afdal Ali, le fils de Saladin, fit construire pour eux l'oratoire des Maghrébins sur le Haram, ainsi qu'une madrassa pour l'enseignement du droit malilkite (l'école juridique dominante au Maghreb), en ville cette-fois-ci, au sein de leur quartier. »1

 

Le quartier existe depuis la prise de Jérusalem par Saladin, à la fin du 13e siècle. C'est alors une ville avec relativement peu de constructions.

 

"Saladin distribue à ses généraux et lieutenants des terres dans les villages aux alentours et des quartiers de la ville. L’un de ses compagnons est Abou Madyan.

D’origine andalouse, il sera enterré en Algérie. Mystique extrêmement renommé, il fonde un quartier entièrement dévolu à l’accueil des ­pèlerins du Maghreb, de retour de La Mecque et de Médine. Il met en place une fondation pieuse musulmane classique (un waqf) avec deux pôles : un pôle de service public pour les habitants, un autre pôle rapportant de l’argent grâce aux terres du village d’Ein Kerem, à l’ouest de Jérusalem.

C’est comme ça que, pendant huit siècles, des Algériens, des Tunisiens et des Marocains vont faire souche à ­Jérusalem, tout en faisant des allers-retours vers leur pays d’origine.... Depuis le XIIe siècle, c’est un quartier pour les pauvres plutôt qu’un quartier pauvre. On peut parler de logements sociaux, subventionnés par une fondation pieuse.

Un quartier pour les pauvres ­longtemps placé sous protection étrangère…

En 1949, après la guerre contre les pays arabes, le village d’Ein Kerem se ­retrouve en Israël. Les paysans palestiniens sont évacués, les terres saisies. Les revenus qui en étaient tirés n’existent plus. Le waqf, d’origine algérienne, se retrouve donc dans une crise financière profonde. Entre 1949 et 1962, année de l’indépendance ­algérienne, la France se substitue aux revenus perdus.

Il existe des boîtes entières d’archives montrant comment le consul de France, en tant que puissance souveraine en Algérie, prend à sa charge, dans le quartier des Maghrébins, les ­dépenses de santé, la nourriture pendant le ramadan, les vêtements gratuits pour les enfants et les veuves, ­conformément aux textes d’origine de la fondation. Beaucoup de rénovations sont aussi lancées dans les années 1950. En Algérie, des actions de sensibilisation du public sont organisées, on fait des quêtes à la sortie des mosquées. Le roi du Maroc puis la Tunisie indépendante donnent aussi de l’argent.

Quelles conséquences a eu, pour les habitants du quartier, l’indépendance de l’Algérie en 1962 ?

A partir de 1962, le consulat de France ne peut plus intervenir en leur faveur, politiquement et juridiquement. Or, l’Algérie et la Tunisie n’ont rien fait pour reprendre la protection qu’avait assurée la France. Le Maroc, de son côté, a continué à accorder quelques subsides, mais en se gardant d’intervenir sur le plan juridique et politique. Le cas algérien est particulièrement bien documenté grâce aux archives de l’ambassade de France. Pendant des mois, à cette époque, les Français transmettent les clés de la souveraineté aux Algériens : impôts, police, postes, cadastre, etc.

Jean-Marcel Jeanneney, qui était alors l’ambassadeur à Alger, a demandé des notes au consulat à Jérusalem sur le quartier des Maghrébins et surtout sur les terres d’Ein Kerem, vers novembre-décembre 1962. Il y a alors dix-neuf années de loyers non perçus, qui font l’objet d’une procédure judiciaire depuis 1951. Les Israéliens sont prêts à payer des indemnités forfaitaires, dès lors que leur ­souveraineté serait reconnue. A plusieurs reprises, le procès est reporté parce que la France n’a plus légitimité à s’y présenter.

L’Algérie, elle, est dans une autre ­séquence historique. C’est un Etat neuf, socialiste, nationaliste, en décalage total avec le sort de ces musulmans pieux exilés à Jérusalem. Les ­Israéliens le savent parfaitement. Ils constatent qu’il n’y a plus personne en face d’eux, au procès. Ainsi, pendant cinq ans [1962-1967], le quartier se dégrade sur le plan matériel et ­s’affaiblit sur le plan juridique et économique, il n’est plus soutenu par aucune puissance étrangère.

Qu’arrive-t-il aux habitants expulsés après la guerre des Six-Jours ?

Il y a plusieurs scénarios. Une partie des habitants se réfugie dans les bâtiments de la fondation Abou Madyan, en bordure du quartier, qui ont été épargnés, et ils s’y trouvent encore. La plus grosse partie s’installe dans des quartiers comme Silwan ou Shuafat, chez de la famille proche ou éloignée, encouragée par les Israéliens. Des procédures de compensation sont mises en place. J’ai trouvé un gros classeur à la mairie de Jérusalem avec des ­demandes en ce sens. Il est difficile de mesurer dans quelle mesure elles étaient justes et si elles ont été menées à leur terme."3

 La madrassa fut détruite en même temps que le quartier des maghrébins en juin 1967.

Certaines structures du quartier, notamment une mosquée sont laissées debout, suite à une intervention du roi du Maroc Hassan II selon l'historien palestinien Albert Algazerian, mais sont finalement rasées en 1969.

 

 

Qui a pris la décision de détruire ce quartier ?

Le sort du quartier des Maghrébin est en discussion bien avant la guerre d'indépendance. Ainsi, Arthur Rupin, directeur du bureau palestinien de l'organisation sioniste, adresse le 17 novembre 1915 à sa tutelle à Berlin un courrier dans lequel il fait états des avancées des négociations avec Djemal Pacha.

Son Exc. Djemal Pacha se montre intéressé pour rendre plus digne le parvis situé devant le Mur des Lamentations , qui aujourd'hui est un endroit lugubre. À ce jour, il y a sur ce périmètre environ 30 maisons musulmanes occupées par des Marocains [...]. Son Exc. Djemal Pacha a expliqué à M. Antébi qu'il serait possible de démanteler ces 30 maisons marocaines et, sur la totalité du nouvel espace — qui serait aussi long que le Mur du Temple (environ 50 mètres) et profond de 30 à 40 mètres — 10 à 12 mètres devant le Mur pourraient être réservés exclusivement pour les prières des Juifs, et le reste de l'esplanade pourrait être transformé en jardin public. Comment cela pourrait être établi légalement sur le long terme, ce n'est pas encore très clair. Peut-être avec un décret du sultan pour autoriser l'enregistrement de tout le périmètre comme un Waqf des Juifs placé sous l'autorité du grand rabbin de Constantinople. Selon l'estimation de Son Exc., l'affaire coûterait, pour indemniser les propriétaires des maisons et aménager le parvis et le jardin, environ 20 000 livres turques, dont 2 000 devraient être payées maintenant, et le reste après la guerre. La démolition des maisons commencerait immédiatement après le premier versement de 2 000 livres turques'.4

Djemal Pacha est le proconsul ottoman dans les territoires arabes de l’Empire Ottoman. Il  est gouverneur du Bilad as-Cham, la grande Syrie. C'est l'un des trois membres du triumvirat qui dirige l'empire depuis 1913.

L'état de la recherche sur la décision de la destruction de 1967 a évolué depuis la publication par l'historien Vincent Lemire du livre intitulé, "Au pied du mur, vie et mort du quartier maghrébin (2022)".

Il était admis que l'ordre de destruction ne provenait pas directement du gouvernement. L'historien pouvait ainsi affirmer il y a quelques années que :

Les Israéliens avaient une échéance, la fête de Chavouot, mercredi 14, qui était l’occasion de prier au mur des Lamentations, tout juste repris. Il n’y a pas de documents écrits sur les ordres donnés

La décision de détruire le quartier est prise par le maire de Jérusalem, Teddy Kollek, et le général Uzi Narkiss, sans ordre politique explicite du gouvernement.

L’association des ingénieurs et des architectes de Jérusalem-Ouest joue un rôle majeur : elle fournit le matériel et les ouvriers, elle supervise les opérations. La décision sera ainsi présentée comme technique, et non militaire. Officiellement, il s’agit de ­raser des taudis.

Ses conclusions sont toutes différentes après l'exploitation des archives disponibles actuellement sur le sujet. La destruction aurait été planifiée et organisée par le gouvernement de l'époque. Un article du Figaro retrace ses propos :

«Comment peut-on imaginer que 15 entrepreneurs privés rasent un quartier historique sans autorisation au plus haut niveau de l'État? Personne n'a jamais cru à cette histoire, mais mon livre apporte des preuves écrites définitives de la préméditation, de la planification et de la coordination de cette opération. Il y a des documents incontestables."   Il cite à cet effet un compte-rendu d'une réunion entre le maire de Jérusalem et le commandant de l'armée en charge de Jérusalem, le vendredi 9 juin 1967, «36 heures avant la destruction». ..le même jour, «une note interne du ministère israélien des Affaires étrangères prépare des éléments de langage pour la destruction programmée du quartier, visant à faire croire qu'il s'agissait de taudis, de bâtiments dangereux».5

 

«Dans un premeir temps, certaines structures alentours du quartier furent toutefois conservées, notamment une mosquée près du Bab Maghribeh et la Zawiyya Fakhriyya. Dans un second temps, on les rasa en 1969. L’historien palestinien Albert Algazerian considère que ces sites religieux avaient été laissés debout, grâce à l’intervention de Hassan II, un souverain avec qui Israël souhaitait faire évoluer ses relations, et avec qui beaucoup de Marocains de confession juive gardaient des liens.»

...Suite : https://www.yabiladi.com/articles/details/60039/harat-al-maghariba-quand-marocains-vecu.html
«Dans un premeir temps, certaines structures alentours du quartier furent toutefois conservées, notamment une mosquée près du Bab Maghribeh et la Zawiyya Fakhriyya. Dans un second temps, on les rasa en 1969. L’historien palestinien Albert Algazerian considère que ces sites religieux avaient été laissés debout, grâce à l’intervention de Hassan II, un souverain avec qui Israël souhaitait faire évoluer ses relations, et avec qui beaucoup de Marocains de confession juive gardaient des liens.»

...Suite : https://www.yabiladi.com/articles/details/60039/harat-al-maghariba-quand-marocains-vecu.html
«Dans un premeir temps, certaines structures alentours du quartier furent toutefois conservées, notamment une mosquée près du Bab Maghribeh et la Zawiyya Fakhriyya. Dans un second temps, on les rasa en 1969. L’historien palestinien Albert Algazerian considère que ces sites religieux avaient été laissés debout, grâce à l’intervention de Hassan II, un souverain avec qui Israël souhaitait faire évoluer ses relations, et avec qui beaucoup de Marocains de confession juive gardaient des liens.»

...Suite : https://www.yabiladi.com/articles/details/60039/harat-al-maghariba-quand-marocains-vecu.html

1 Vincent Lemire, Jérusalem ville-monde p. 259.

2 La destruction de ce quartier fait aujourd'hui encore l'objet d'articles. Ce n'est pas le cas du quartier juif de la vieille ville totalement rasé avec ses 56 synagogues, par les Jordaniens en 1948, en dépit de leurs engagements.

3 LeMonde 30 juin 2016, Piotr Smolar interviewant Vincent Lemire,

4 Vincent Lemire, Au pied du mur, vie et mort du quartier maghrébin, p90

5 Le Figaro 26/01/2022