Flavius Josèphe

La conquête romaine repose le problème déjà rencontré un siècle plus tôt et qui avait provoqué la révolte maccabéenne : celui de la spécificité du peuple juif au sein d’un monde très vaste qui tend à s’harmoniser de plus en plus. Elle fait ainsi resurgir les divisions anciennes entre juifs « traditionalistes » et juifs « hellénisés », d’autant que le pouvoir juif maintenu n’est confié qu’à cette dernière catégorie : la haine suscitée par le très hellénisé Hérode, qui fait construire des hippodromes, des aqueducs, des stades, des amphithéâtres, et va jusqu’à changer le nom de certaines villes – la Tour de Straton devient ainsi Césarée – en est un témoignage révélateur.

Les Juifs judéens, porteurs d’une histoire spécifique qui a forgé l’unité d’un peuple, pour qui la religion est aussi un fondement identitaire, sont profondément attachés au maintien de leurs traditions, de leur culte et de leurs institutions. Ils craignent de se voir « avalés » au sein d’un Empire romain immensément vaste et à vocation universelle, présent physiquement en Judée à travers la personne du procurateur et les garnisons stationnées dans les grandes villes.

Cette hostilité latente est connue des Romains. C'est d'ailleurs pour prévenir les émeutes que le procurateur, résidant habituellement à Césarée, se rend à Jérusalem avec ses troupes les jours de fêtes juives.

Elle s’amplifie à partir du début du premier siècle sous l’influence du parti zélote. Ce dernier est fondé par Juda le Galiléen en 6 après J.-C. lorsqu’il orchestre une première révolte à l’occasion du recensement ordonné par le procurateur Coponius. Juda promeut l’idée que Dieu étant « le seul chef et le seul maître », obéir à des maîtres mortels et qui plus est, païens, est une infamie à la limite du blasphème. Il est crucifié par les Romains mais ses fils font perdurer ses idées et développent un vaste réseau à travers tout le pays. Ainsi, ils encouragent la résistance et l’hostilité à Rome sous toutes ses formes. Le but affiché est la conquête de l’indépendance nationale.

Une insurrection nationaliste contre Rome qui tourne à la guerre civile entre juifs

L’agitation anti-romaine devient endémique en Judée dans les années 50 ap. J.-C., sous le double effet de l’activisme zélote et du renforcement de l’autorité romaine suite aux nombreux soulèvements armés.

Elle prend de l’ampleur en 66, sous le gouvernement du procurateur Gestius Florus, en raison de deux éléments : d’une part, la mort de juifs dans des affrontements entre populations juive et non juive à Césarée sans que les Romains n’interviennent ; d’autre part, la décision du procurateur de prélever sur le trésor du Temple une somme correspondant au montant des impôts dus par les Juifs.

Une émeute éclate à Jérusalem et, pour la première fois, s’étend à l’ensemble du pays : la révolte, avec à sa tête Simeon Bar Yoraï (ou Bar Ghiora) devient alors un soulèvement populaire général, qui prend de court les autorités romaines présentes sur place. Celles-ci sont vaincues à la bataille de Beth-Horon1 en 66.

Dès lors, le pays entre officiellement en guerre.

Quelques tentatives de médiation, notamment de la part du roi de Chalcis2 Hérode Agrippa II soutenu par les notables et les pharisiens, échouent : il s’agit véritablement d’une insurrection populaire.

Les révoltés proclament à Jérusalem l’indépendance de l’État juif, tuent le grand prêtre3 pro-romain Ananias4, suppriment les sacrifices à l’empereur (institués par Hérode) et frappent des monnaies portant l’inscription « An I de la Liberté ».

Toutefois, très vite, des dissensions refont surface au sein du peuple juif révolté : au nouveau gouvernement de Jérusalem, à dominante pharisienne et modérée, s’opposent rapidement des chefs charismatiques qui poursuivent la lutte armée dans le reste du pays – notamment Jean de Giscala, en Galilée, et Siméon bar Ghiora, proche des zélotes. Ils refusent un quelconque apaisement, craignant de redevenir un « faux État » contrôlé en réalité par l’occupant, comme sous Hérode, et cherchent par la même occasion à ré-instituer un strict respect des obligations religieuses. Siméon bar Ghiora est même, d’après Flavius Josèphe, « obéi comme un roi » par ses soldats, probablement en raison de prétentions messianiques qu’il aurait eues.

Ces différentes factions s’affrontent à plusieurs reprises, transformant la révolte nationaliste en une guerre civile : d’abord en 68, lorsque, la Galilée ayant été reconquise par Vespasien, les Galiléens de Jean de Giscala et leurs compagnons zélotes prennent le pouvoir à Jérusalem, renversant les pharisiens et multipliant les provocations à l’encontre du Sanhédrin.

En avril 69, la faction sacerdotale de Jérusalem rappelle donc Siméon bar Ghiora – évincé au début de la révolte – pour lutter contre les zélotes et la faction de Giscala. Entre rivalités personnelles et désaccords politiques, les Juifs de Palestine parviennent cependant à trouver un accord sur la défense de Jérusalem au printemps 70, alors que les légions romaines menées par Titus, le fils du nouvel empereur, assiègent déjà la Ville Sainte.

 

1 C'est déjà à Beth-Horon que Josué avait arrêté la course du soleil et de la lune selon la Bible.

2 Possiblement la ville actuelle de Anjar au Liban dans la plaine de la Bekaa

3 La fonction est alors devenue risquée. Trois des cinq derniers grands prêtres sont morts assassinés.

4 Ananias, a laissé des souvenirs aux Chrétiens. Il est connu pour avoir frappé Paul sur la bouche pour l'humilier et mis à mort Jacques, le frère du Christ. Les pharisiens auraient alors obtenu de Rome qu'il soit déposé avant d'être assassiné en 66.