Il est plutôt rare qu’un moine devienne un symbole de violence et de discrimination. C’est pourtant ce que réussit celui qui est parfois surnommé le Ben Laden bouddhiste, le moine Wirathu. Le magazine Time lui a réservé une couverture avec ce titre : « Le visage de la terreur bouddhiste. »1 Le moine qui attise dans ses prêches la haine des musulmans anime le mouvement 969, qualifié par beaucoup de néo-nazi.

«  Diffusée le 27 juin, une longue dépêche de l’agence Reuters souligne les liens qui existent entre différents éléments de la société et du gouvernement et le mouvement extrémiste visant à protéger la « pureté » de la nation birmane, perçue comme intimement liée au bouddhisme, d’une minorité musulmane soupçonnée de chercher à s’imposer par la démographie et le commerce.

Le mouvement 969, qui renvoie à la tradition des 24 (9+6+9) attributs des trois joyaux du bouddhisme2, se présente comme étant issu des profondeurs de la société birmane et son leader le plus en vue, le désormais célèbre moine Wirathu, dont les prêches empreints d’une idéologie xénophobe sont diffusés sur Facebook, YouTube et par DVD, ne fait pas mystère de son arrestation et sa condamnation en 2003 à vingt-cinq ans de prison pour incitation à la haine envers les musulmans (peine dont il ne fera que sept ans, ayant été libéré en 2011 à la faveur des amnisties de prisonniers politiques décidées par le nouveau gouvernement civil).

Interrogé par Reuters, un des ministres de l’actuel gouvernement en place ne cache pas son estime pour le Vénérable Wirathu. Sann Sint, ministre des Affaires religieuses – un portefeuille sensible dans le contexte des tensions actuelles – est un ancien général ayant revêtu l’habit civil – à l’image de la majorité des membres de l’actuel gouvernement. Selon lui, « Wirathu prêche l’amour et la compréhension entre les religions » et n’incite en aucune façon « à la violence interreligieuse 3 ».

C'est pourtant Wirathu qui a appelé le gouvernement à mettre les Rohingya en camps de concentration4.

Quant aux appels de Wirathu au boycott par les bouddhistes des commerces tenus par des musulmans, le ministre n’y voit rien à redire. « Nous sommes dans une économie de marché. Personne ne peut aller contre cela et c’est aux consommateurs de décider », affirme-t-il. Des propos qui sont loin d’être démentis par le bureau de la présidence, pour qui le groupe 969 est « un symbole qui renvoie seulement à la paix » et le moine Wirathu « un fils du Seigneur Bouddha ».5

Pour le journaliste de Reuter, le groupe 969 n’est pas une initiative issue de la société civile mais du pouvoir , plus précisément du « Bureau pour la promotion et la propagation du Sasana »6 (le DPPS) placé sous la tutelle du ministère des affaires religieuses.

Les déplacements de population constituent un problème récurent en Birmanie. La rapporteur des droits l’homme pour les Nations Unies7 estime à 613 600 personnes déplacées.

« jusqu’à 140 000 dans l’État d’Arakan, 100 000 dans l’État Kachin. On compte également environ 200 000 personnes déplacées dans le Sud-Est du Myanmar, principalement dans les États Mon, Kayin et Kayah et dans la région de Taninthayri. En outre,120 000 réfugiés vivent dans des camps temporaires le long de la frontière thaïlandaise –certains depuis plus de 20 ans.

Dans une interview publiée par Libération8, Wai Wai Nu, une jeune Rohingya de 28 ans s’interroge sur la condition de la femme Rohingya. Après avoir rappelé que les Rohingya n’ont pas accès à la nationalité depuis 1982, elle énumère les obstacles insurmontables auxquelles sont confrontés les femmes : Restriction de l’accès à l’éducation et au travail, violence domestique, harcèlement sexuel, y compris au foyer ou par la police, domination masculine, et souvent famine et exil au risque de tomber sur des trafiquants et de disparaître. « On estime qu’un million de Rohingya, hommes, femmes et enfants, a quitté le pays ces dernières années. La moitié de notre population est dehors. » 

A propos des Rohingya, InfoBirmanie précise dans son communiqué du 21 décembre 2013 que "environ mille Rohingya ont aussi été détenus illégalement dans l'État d'Arakan après les violences de juin 2012. La plupart restent en prison, et au moins 68 sont morts en détention avant le mois décembre 2012. Les centaines de détenus Rohingya qui ont été accusés et condamnés ont été discriminés et  privés de leurs droits à une représentation juridique et au droit d’être jugé de façon équitable."

L'ONU s'interroge en 2014 sur un possible génocide :

S’exprimant lors d’une Conférence à Londres sur la situation des  Rohingya le 28 avril,  le Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme en Birmanie, Tomás Ojea Quintana a ajouté: « Il s’agit de crimes contre l’humanité. La possibilité d’un génocide doit être discutée ». La conférence a réuni des juristes, des universitaires et des militants à la London School of Economics & Political Science (LSE) dans le but d’établir si la persécution des Rohingya en Birmanie pouvait être considérée comme un génocide selon le droit international.  La conférence s’est conclue par un appel commun à mettre fin immédiatement à la persécution des Rohingya en Birmanie.

Tomas Ojea Quintana écrit aussi que «… la privation de soins de santé vise délibérément la population Rohingya, la ségrégation constante de cette population se met de plus en plus en place. En outre, les violations des Droits de l’Homme semblent être en lien avec les politiques discriminantes et persécutrices contre la population musulmane Rohingya, qui comprennent, notamment, des pratiques officielles et officieuses, de la part des autorités locales et centrales, des restrictions à l’encontre des droits à la nationalité, au déplacement, au mariage, à la santé et à la vie privée. »

«Notre peuple a fait l’objet d’une politique nationale de discrimination, de persécution et de destruction sur le long terme par les forces de sécurité et les extrémistes locaux ces  40 dernières années. Je lance un appel au monde pour qu’il ne laisse pas se répéter un autre  Rwanda », a déclaré Khin Tun, président de Burmese Rohingya Organisation UK.

 

Le 28 mai 2015, la NLD après un long silence déclare que les Rohingya « sont des êtres humains. On ne peut pas juste les envoyer en mer. Ils ont aussi des droits ». On ne saurait s'engager moins.

Pour Phil Robertson, représentant de Human Rights Watch en Asie, Aung San suu Kyi est une déception. C'est d'autant plus décevant de la part du Aung San Suu Kyi et son parti que chaque jour des centaines de Rohingya prennent la mer pour la Malaisie ou la Thaïlande et que les morts en mer s'accumulent. La situation est telle que l'image des boat-people de 1975 est rappelée chaque jour. Des charniers sont aussi découverts en Thaïlande.

La Birmanie, après s'être récriée finit pas secourir le 22 mai 2015 un premier bateau. « Nous leur fournissons une assistance humanitaire. Après cela, nous les renverrons dans leur pays », le Bangladesh selon Zaw Htay, porte-parole de la présidence birmane9

tandis que le Bangladesh envisage de parquer les réfugiés Rohingya persécutés sur l'île d'Hatyia dans le golfe du Bengale.Cette île possède la particularité d'être isolée et située dans une zone à haut risque cyclonique au point que chaque année elle est balayée par des tempêtes destructrices et des inondations. Mais le Bangladesh n'en a cure, la première ministre Sheikh Hasina qualifiant, ce qui n'excuserai rien, les Rohingya de malade mentaux qui ternissent l'image du Bangladesh.

 

Le 1er juin 2015 Barack Obama déclare10 « Je pense que si j’étais Rohingya, je resterais là où je suis né. Je voudrais rester dans le pays où mes parents ont vécu. Mais je voudrais m’assurer que mon gouvernement me protège » . Il précise, sans les détours d'Aung San Suu Kyi que « Les Rohingya sont fortement discriminés » rappelant aux acteurs politiques birmans qu’il était « important » de « prendre au sérieux ce problème des Rohingya », révélateur du « processus de transition démocratique »

 

1 La parution de ce numéro n’a pas été autorisée en Birmanie afin de « prévenir tout nouveau conflit racial ou religieux » , d’autant plus que le magazine créait avec ce titre un « malentendu sur le Bouddhisme »

2 9 attributs spéciaux de Bouddha, 6 du Dharma, représentant les enseignements spécifiques du bouddhisme et 9 de la Sangha, les attributs spéciaux de l’ordre bouddhiste. 969 s'oppose aussi à la symbolique musulmane du nombre 786, addition des valeurs des lettres de la formule Bismil-lâhi Rahmâni Rahîm , au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux qui figure au début de chaque sourate.

3 Il suffit de voir la vidéo de l'express publiée sur internet ou Wirathu tout sourire explique à ses fidèles que s'ils doivent choisir entre un bouddhiste alcoolique et un musulman sobre, c'est le bouddhiste alcoolique qu'elle doivent épouser pour se convaincre de ses intentions totalement dirigées par l'amour et la compréhension.

4L'Asie du Sud-Est 2015, p110. Sophie Boisseau du Rocher

5 Site Eglises d’Asie 28 juin 2013 , http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/Birmanie-myanmar/2013-06-28-le-groupe-969-initiative-de-la-societe-civile-ou-manoeuvre-politique

6 En pali, la langue sacrée du bouddhisme theravada, sasana signifie religion mais est synonyme du bouddhisme.

7 Rapport 2014

8 Laurence DEFRANOUX, Libération du 9/12/2014

9AFP 23 mai 2015

10Le Monde.fr avec AFP | 02.06.2015. Barack Obama n'a pas utilisé le terme Bangladais, dénomination officielle des Rohingya en Birmanie.