« J’ai le regret de vous rendre compte de ce que la politique actuellement suivie par notre gouvernement n’étant pas conforme à mon idéal,

je ne saurais désormais servir avec fidélité.

Je refuse – et sous mon entière responsabilité – de persécuter des israélites qui, à mon avis, ont droit au bonheur et à la vie, aussi bien que M. Laval lui-même.

Je refuse d’arracher, par la force, des ouvriers français à leur famille : j’estime qu’il ne nous appartient pas de déporter nos compatriotes et que tout Français qui se rend complice de cette infamie, se nommerait-il Philippe Pétain, agit en traître.

Je connais l’exacte signification des mots que j’emploie.

En conséquence, Monsieur le Commissaire Central, j’ai l’honneur de vous informer de ce que, par le même courrier, ma démission est transmise à Monsieur l’Intendant Régional de Police.

Permettez-moi de vous exprimer ma gratitude pour l’extrême bienveillance dont vous fîtes toujours preuve à mon égard et veuillez agréer l’expression de mon respectueux dévouement.

Signé : Philippe, ex-commissaire du 7e arrondissement ».

 

Le document ci-dessus est le texte de la lettre de démission datée du 15 janvier 1943 écrite par le commissaire de police Jean Philippe et dont l’original est conservé aux archives départementales de La Haute -Garonne à Toulouse. « Empreinte d’une grande dignité et d’un vrai patriotisme, elle fait état d’un profond esprit de résistance au mépris du danger» selon les mots employés par l’historien Thomas Ferrer. Ce document mérite d’être connu, diffusé et étudié en classe pour aborder la question somme toute complexe de la Résistance et de la collaboration.

Né à Lyon en 1905, Jean Philippe est commissaire de police à Lourdes de 1940 à la fin de 1942. Selon Thomas Ferrer, le commissaire Philippe se serait rapproché de l’organisation belge « le sabot » dès 1940 et aurait également transmis des informations au 2ème bureau de la France libre (l’ancêtre du BCRA) dès 1940. A partir de 1941, il est membre actif du réseau clandestin Alliance qui remplit des missions de renseignement pour l‘Intelligence service britannique et assure de nombreuses évasions vers l’Espagne via les Pyrénées.

Le commissaire Philippe illustre donc cette catégorie de résistant qui, fonctionnaire de l’État vichyste, exerce un certain noyautage des administrations publiques au service de la résistance, en fournissant des renseignements, en ralentissant les enquêtes diligentées par l’autorité centrale ou bien encore en fournissant des faux papiers.

Muté à Toulouse en décembre 1942, la démission du commissaire Philippe un mois plus tard est motivée par l’obligation qui lui est faite de ficher les juifs de son arrondissement afin d’en transmettre la liste aux allemands. Le réquisitoire sur la politique de Vichy est court mais sans appel. On peut donc en conclure que de 1940 à janvier 1943, le commissaire considérait qu’il n’avait ,dans le cadre de ses fonctions, commis aucun acte contraire à ses convictions éthiques et que sans doute, à la place qu’il occupait dans les rouages de l’État vichyste, il avait été utile à la résistance.

La lettre de démission sans ambiguïté sur les convictions et l’engagement patriotique de leur auteur est donc une lettre de rupture, celle d’un homme qui choisit désormais la vie clandestine « à plein temps » du résistant (au sein du réseau Alliance).

Activement recherché par les services de police de Toulouse dès la réception de sa lettre de démission, Jean Philippe est arrêté par la Gestapo le 28 janvier 1943 à Beaumont-de-Lomagne dans le Tarn-et-Garonne. Torturé, déporté en Allemagne, il est fusillé le 1er avril 1944 à Karlsruhe.

En 1995, Jean Philippe a été reconnu « juste parmi les nations » par le mémorial Yad Vashem.

https://yadvashem-france.org/les-justes-parmi-les-nations/les-justes-de-france/dossier-6426/

 

Notice yad vashem

Vers la fin de l'année 1942, Jean Philippe, qui avait alors 37 ans, fut nommé commissaire de police du second arrondissement de Toulouse (Haute-Garonne) après de nombreuses années de service dans l'armée et dans la police. L'officier, qui faisait de la Résistance au sein du réseau « Alliance », put ainsi éviter l'arrestation à de nombreux résistants. En janvier 1943, il reçut l'ordre de remettre aux Allemands la liste de tous les Juifs de son arrondissement. Jean Philippe refusa tout net et présenta sa démission dans une lettre où il condamnait vigoureusement le gouvernement de Vichy et sa politique de collaboration. Il écrivait notamment ne pouvoir continuer à servir un régime qui ne répondait plus aux idéaux de la France à laquelle il avait prêté serment. Il soulignait aussi que les Juifs avaient tout autant le droit à la vie que les autres, le premier ministre Pierre Laval compris. Jean Philippe passa dans la clandestinité après l'envoi de cette lettre. Il continua à se battre contre l'occupant à partir de son nouveau quartier-général de Beaumont-de-Lomagne. Une imprudence de ses collègues le perdit : arrêté par la Gestapo le 28 janvier 1943, il fut torturé pendant son interrogatoire, puis incarcéré à Karlsruhe, en Allemagne, où il fut exécuté le 1er mars 1944. Lucien David Fayman, un résistant membre du réseau clandestin juif « La Sixième », témoigna après la guerre que le commissaire Jean Philippe l'avait aidé à obtenir de faux papiers avec d'authentiques cachets pour des jeunes Juifs que la Sixième s'apprêtait à faire passer en Suisse ou à cacher en France.

Le 2 janvier 1995, l'institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné à Jean Philippe le titre de Juste parmi les Nations.