En 2020, l'élection de Miss France se joue entre Miss Provence et Miss Guadeloupe. Cette dernière gagne le concours, mais Miss Provence, dont le père, gendarme dans les bouches du Rhone est d'origine israélo-italienne. A ce titre, elle est agonie d'injures antisémites sur les réseaux sociaux, ce qui provoque des réactions dont celle de la très controversée Hourai Bouteldja dont l'antisémitisme affleure régulièrement aux coté d'un antisionisme affiché.

 

" Imaginons :
La Palestine n’a pas été colonisée par des populations se réclamant du judaïsme mais par des Tatars qui se réclament (pourquoi pas ?) du tatarisme.
Ce n’est pas Herzl qui écrit L’Etat des Juifs en 1896 mais un Tatar.
Les participants au premier congrès sioniste à Bâle qui a lieu en 1897 ne sont pas des Juifs mais des Tatars
La déclaration Balfour écrite par le Ministre des affaires étrangères anglais, le 2 novembre 1917, n’est pas adressée à Lionel Walter Rothschild en tant que principal financier du mouvement sioniste mais à un Tatar.
Les premiers colons, plus connus sous le nom des « Amants de Sion » (1880), ne sont pas Juifs mais Tatars.
Les premiers mouvements de colonisation de masse après 1905 ? Des Tatars !
Enfin, la dernière grande vague de colons qui déferle après le génocide nazi (après avoir été interdite d’entrée aux Etats-Unis) n’est pas juive mais tatare.
Bref, si le sionisme avait en théorie et en pratique, été porté et réalisé par des Tatars, les Palestiniens auraient probablement développé une forme d’anti tatarisme que feu Maxime Rodinson aurait appelé un « racisme de guerre » ou Albert Memmi un « racisme édenté » (« édenté » ne signifiant pas « inoffensif » car ce « racisme » peut blesser ou même tuer mais pas avec les moyens et la logistique fournis par un Etat). « Racisme » que les Français, oublieux, connaissent bien, eux qui avaient affublé l’ennemi allemand des injures aussi sympathiques que « Boches », « Chleuhs », « Frisés »…

Mais le fait est là : les Tatars n’ont jamais colonisé la Palestine.

Par conséquent, l’anti tatarisme des Palestiniens n’existe pas. En revanche, leur anti israélisme qui se confond parfois avec ce que l’on pourrait appeler un anti juifisme, lui existe bel et bien. Il exprime la haine ou le ressentiment du colonisé envers son colonisateur.

Et en l’occurrence, le colonisateur de la Palestine s’identifie comme juif.

Ce faisant, même s’il accapare indument le signifiant « juif » et qu’il le rend consubstantiel du projet sioniste, il reste le premier responsable de cette prise d’otage réalisée au profit d’Israël et au détriment du judaïsme (et ou) de la judéité.

A partir de là, tout est question de rapports de force.

Nous savons en effet, que les Juifs sionistes ne sont pas seuls responsables de l’existence du fait israélien (et de loin !). Les parrains impérialistes, britanniques, français, étatsuniens ou évangéliques sont à la fois plus puissants et plus nombreux que les Juifs sionistes. Il n’en demeure pas moins que la puissance occidentale, avec la complicité de ces derniers, a réussi à faire de l’amalgame entre Juifs et Israël, une réalité au grand dam des Juifs anti ou a-sionistes et de la communauté des anticolonialistes.

Maintenant que le mal est fait, s’il faut accorder un titre de victime à Miss Provence, c’est moins d’être celle d’un antisémitisme des quartiers que celle d’un amalgame entretenu par les sionistes eux-mêmes et intégré par une grande partie de l’opinion.
Il ne fait cependant pas de doute que certains tweets incriminés sont indiscutablement antisémites : « Tonton Hitler, t’as oublié d’exterminer Miss Provence » ou alors « Comment on fait pour voter contre une miss, je vote contre la juive ».
Tandis que d’autres ne sont qu’anti-israéliens (comme ils auraient été anti Afrikaners à l’époque de l’Apartheid) : « Miss Provence j’arrive pas à la saquer depuis qu’elle a dit qu’elle était israélienne » ou « Miss Provence, elle est israélienne, qu’elle dégage ! »
Tout ceci amène plusieurs remarques qui s’articulent et se complètent :

1/ Dans le prolongement de mes précédentes divagations sur l’anti tatarisme des Palestiniens, la haine ou le racisme envers les Tatars n’existe pas non plus chez les indigènes vivant dans l’hexagone. Vous pouvez toujours chercher, vous ne le trouverez pas. En revanche, vous trouverez plus probablement :
– chez les moins politisés, un anti juifisme confus, à mi-chemin entre l’antisémitisme gaulois (fruit de leur grande intégration) et l’anti israélisme (fruit de leur spontanéité anticoloniale). On comprendra ici, qu’on ne voit pas trop comment éviter l’amalgame Israélien = juif quand c’est le mouvement sioniste lui-même qui a rempli le signifiant israélien du signifiant juif et que celui-ci est entretenu par nos appareils idéologiques d’Etat et par la plupart de nos médias.
– chez les plus politisés, un antisionisme assumé qui lui relève d’une compréhension parfaite des enjeux coloniaux et qui combat l’amalgame juif = sioniste = colon.

2/ On peut toujours faire de la morale, prendre ses grands airs outragés et vilipender ces malfrats d’antisémites de banlieue mais l’antisémitisme tout comme le colonialisme ne se combattent pas avec une posture de curé mais avec de la politique. D’abord en rétablissant la vérité : Miss Provence n’est pas responsable de l’identité de son père (cela a été rappelé à juste titre) mais elle est responsable de la sienne et elle ne peut se présenter publiquement sans mesurer ce que l’identité israélienne représente pour des millions de Palestiniens expulsés et occupés comme elle ne peut pas ignorer comment Israël participe du désordre et de la déstabilisation du monde arabe depuis sa création. Oui, elle porte un fardeau dont elle n’est pas responsable mais comme Sartre le rappelle, elle jouit de sa liberté pleine et entière. Elle peut donc être la fille d’un israélien et se positionner contre le fait colonial israélien. Car on ne peut pas être Israélien innocemment. En revanche, si elle faisait le choix de la lutte anticoloniale, elle peut être certaine que le mouvement décolonial lui ouvrirait grand les bras.

3/ Si l’opinion outragée tient vraiment à maintenir une conscience forte des horreurs de l’antisémitisme, qu’elle laisse s’épanouir le mouvement antisioniste pour lequel l’amalgame juif/sioniste est un drame historique au lieu de le criminaliser (ce que Macron s’apprête à faire). Rappelons que les Juifs bundistes d’avant-guerre étaient majoritairement antisionistes (comme par exemple Marek Edelman, survivant de l’insurrection du ghetto de Varsovie). C’est cette mise à l’index qui permet à de nouvelles formes d’antisémitisme de se déployer et qui sapent les fondements d’une vraie lutte décoloniale car la vertu de l’antisionisme c’est précisément qu’il conteste et combat toute tentative de confondre une identité religieuse ou culturelle (être juif) avec une identité politique (être sioniste). Mais peut-être « l’opinion outragée » ne fait-elle que jouer un rôle dans une grande pièce de théâtre, et que, dans le script, la question juive est au mieux une question subsidiaire au pire un prétexte douteux dans un grand jeu de dupes ?

4/ Les belles âmes de droite et d’extrême droite, telles Renaud Muselier, Aurore Bergé, Christian Estrosi ou Eric Ciotti qui se sont émues des attaques antisémites à l’encontre de Miss Provence mais aussi ces autres grandes consciences du gouvernement comme Gérald Darmanin qui s’est dit « profondément choqué » de ce qui arrivait à Miss Provence et qui a affirmé que « les services de police et de gendarmerie sont mobilisés », se sont faites plutôt discrètes quand, au moment de l’exhumation, il y a quelques jours d’une vidéo diffusée deux mois plus tôt et passée complètement inaperçue jusqu’alors, Rokhaya Diallo (au moins aussi célèbre que Miss Provence) se faisait insulter sur l’antenne de Sud Radio :

« Mme Diallo se plaint de la France, elle se plaint des Blancs. Je rappelle qu’elle est journaliste, elle a des awards, elle a un master, mais ça elle le doit à l’ouverture d’esprit de notre éducation et de notre pays, parce que Mme Diallo, elle n’aurait pas bénéficié de tout ce que donne la France, il y a de fortes chances qu’elle serait en Afrique avec 30 kg de plus, 15 gosses en train de piler le mil par terre et d’attendre que Monsieur lui donne son tour entre les 4 autres épouses [1]. »
En deux temps, trois mouvements, la Ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa adressait au procureur un signalement « sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, qui impose à toute autorité publique de signaler une infraction dont elle a connaissance ». Pas en faveur de Rokhaya Diallo, je vous rassure, mais en faveur de Miss Provence. Pour Diallo, elle s’est contentée d’intervenir sur le fil de discussion de la militante (alors qu’elle aurait pu écrire son propre post) l’assurant de tout son « soutien face à ces propos racistes ». Pour être honnête, il faut reconnaître que le scandale a quand même poussé des personnalités comme Jacques Attali à exprimer sa consternation ou à Roselyne Bachelot de saisir le CSA. Il n’en reste pas moins que l’antisémitisme à la fois supposé et réel visant Miss Provence a défrayé la chronique, s’imposant ainsi dans les grandes chaines télé tandis que la négrophobie bien avérée visant Rokhaya Diallo a été largement moins commentée.

Faire de l’antisémitisme un scandale national et minimiser la négrophobie est dans les faits pire que le fameux « deux poids deux mesures » qu’on sort à toutes les occasions. C’est même pire que l’expression d’un philosémitisme douteux. C’est dans les faits, organiser la guerre entre les « racisés » juifs et indigènes, pointer et livrer les Juifs à la vindicte indigène (précisément l’expérience que vient de vivre Miss Provence) tout en rendant invisibles les causes profondes du racisme structurel dont l’antisémitisme et la négrophobie sont inséparables.

5/ En vérité, le principal n’est même pas là. Le 16 décembre dernier, une résolution était proposée aux Nations Unies [2] : « Combattre la glorification du nazisme, du néo-nazisme et autres pratiques qui contribuent à des formes contemporaines de racisme, de discriminations raciales, de xénophobie liée à l’intolérance ». La résolution a été rejetée par les Etats-Unis et l’Ukraine. Je souligne : Les Etats-Unis ont rejeté la résolution qui proposait de combattre le nazisme. Le bloc occidental s’est abstenu. Je souligne : Il s’est abstenu de soutenir une résolution pour combattre le nazisme. La liste en est stupéfiante [3]. Seuls les pays du sud ont voté pour. On est d’accord, ni vous, ni moi n’avons entendu le chœur des pleureurs assermentés ?

Ainsi, avec le conflit Ukraine/Russie en toile de fond, nous pouvons en déduire au moins deux choses : D’abord, que les puissances occidentales n’hésitent pas à sacrifier leurs grands idéaux, incluant la condamnation du néo-nazisme, quand leurs grands intérêts sont en jeu, ce qui n’est rien d’autre qu’un blanc-seing sinistre donné à son expansion. Ce n’est évidemment pas si étonnant que ça mais il est vrai que faire tomber les masques sans scrupules ni pudeur est le signe d’un délitement historique de la bonne conscience blanche. Ensuite, que la plupart des pays du Sud (Amérique Latine, Afrique et Monde arabe) que l’Occident accable de tous les vices ont massivement voté pour. Certes, l’enjeu néo-nazi ne concerne pas ces pays (ce qui dit quelque chose d’important sur eux) mais cela démontre par contraste où se situe géopolitiquement le danger fasciste. Une belle occasion de voir d’où vient réellement le risque de retour aux années trente et surtout d’identifier les milieux qui, lorsque les fachos prendront le pouvoir, auront la possibilité matérielle « d’affréter des trains » :

Les « antisémites édentés » de banlieues qui s’attaquent bêtement à Miss Provence ? Ou bien des pouvoirs d’Etat démocratiquement élus ?

Le 24 décembre 2020

Houria Bouteldja

Notes

[1Il y a quelques années, c’est Alain Soral qui m’insultait presque dans les mêmes termes :
« Je dirais à Houria Bouteldja qu’elle est la preuve de la réussite totale de la colonisation. Car sans la colonisation, cette petite algérienne serait aujourd’hui tatouée en bleu sur le front, dans un bled de moyenne montagne. Elle aurait déjà six gosses, parce qu’elle aurait été mariée de force, ce qui est normal dans une société patriarcale traditionnelle. Elle aurait déjà six gosses et elle fermerait sa gueule. C’est grâce à la colonisation et à la France si elle peut être une révolutionnaire anti-française haineuse ».

[3Allemagne, France, Belgique, Danemark, Grèce, Finlande, Australie, Autriche, Canada, Finlande, Islande, Irlande, Italie, Luxembourg, Monaco, Pays-Bas, Nouvelle Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Royaume-Uni...

 

* * *

 

Le texte est retiré du blog Médiapart au motif qu'il n'a pas respecté sa charte. Mais d'autres site le publient à nouveau. Hourai Bouteldja réagit alors au retrait de son article

 

Clavreul, Césaire et moi. De l’Innocence des uns et de la Conscience des autres. (Houria Bouteldja)

« On ne peut être Israélien innocemment ». C’est cette phrase qui a mis le feu aux poudres et qui a valu à mon article publié sur mon blog d’être dépublié par Médiapart. Sitôt censuré (parce qu’il n’y a pas d’autres mots), il était republié en signe de solidarité et de soutien par l’Union Juive Française pour la Paix, par le philosophe Alain Brossat, par des sites décoloniaux amis mais aussi diffusé et largement commenté par de nombreux internautes, certains l’interprétant comme un brûlot antisémite, d’autres comme une contribution à la lutte contre le colonialisme mais aussi contre l’antisémitisme. C’est évidemment cette dernière interprétation qui est la bonne mais comment expliquer ce mystère qui fait passer un propos résolument décolonial pour son contraire ? Bien sûr, il y a l’agenda cynique des instigateurs du bad buzz qui ne perdent aucune occasion d’empoisonner le débat. A termes, on le sait, ils cherchent à faire de l’antisionisme un délit d’opinion et de soumettre toutes les résistances à un point de vue occidentaliste. La question est : pourquoi ça marche ?

Faisons cette hypothèse: La conscience politique de ce pays est d’une part saturée par une fausse bonne conscience de soi et elle est, d’autre part, volontairement maintenue à un niveau relativement bas par l’ensemble des appareils idéologiques d’Etat, deux conditions (nécessaires mais heureusement pas suffisantes) qui empêchent de libérer les forces de la contestation et brident toute velléité critique. Il s’agit de ne pas sortir du chemin balisé par les classes dominantes. Un chemin de plus en plus étroit qui fait de tout récalcitrant, un délinquant en puissance.

Pour l’arc de cercle qui unifie les néo-conservateurs français, type « Printemps républicain » et l’extrême droite blanche ou sioniste, cette situation est du pain béni.

Gilles Clavreul qui est le grand instigateur du bad buzz est un personnage trop intelligent pour ne pas comprendre à la première lecture que mon texte est irréprochable mais fin connaisseur des failles béantes de la gauche blanche, trop imbibée de sa propre bonne conscience, il sait exactement où appuyer pour déclencher une émotion, sincère mais idiote auprès d’une opinion malléable, feinte quand elle est relayée par Valeurs Actuelles (qui en fait des tonnes), par la Licra (qui joue son rôle à la perfection) et par tous les autres « chiens de garde » : Gilles William Goldnadel, le Figaro, Marianne, la LDJ… (dont il faut rappeler qu’elle est une organisation tellement extrémiste qu’elle est interdite en Israël). Ils jouent sur du velours puisqu’il suffit de pousser des cris d’orfraie, formuler quelques phrases magiques ponctuées de oh !! et de ah !! et le tour est joué. Ils font le taf et il le font non sans un certain panache, aidé il est vrai par un contexte politique favorable : une extrême droite triomphante et une gauche qui regarde ses souliers. Nous savons d’eux qu’ils agissent la plupart du temps comme des lâches puisqu’ils le font à partir de position de pouvoir et au cœur de la machine médiatique. Nous savons aussi que lorsqu’ils s’aventurent à accepter des débats avec notre camp (ce qui arrive très rarement car ils contiennent presque tous un BHL en eux), ils ne le font pas sans avoir au préalable assuré leurs arrières. C’est ce qu’a tenté de faire Gilles Clavreul face à moi, avec la complicité de quatre journalistes du Nouvel Obs (tout seul c’était trop risqué) mais, il faut le dire, sans succès. Il suffit de lire notre confrontation ici1.

Voilà ce qu’il en est de cette bande de scélérats. Il serait inutile d’en dire plus. Leur portrait est vite dressé et leurs desseins transparents. La vraie question au fond est de comprendre pourquoi Médiapart cède si facilement ? Cette déprogrammation, si elle a donné du baume au cœur aux milieux les plus réactionnaires, a aussi suscité l’incompréhension chez bon nombre de militants décoloniaux et antiracistes2. Mon hypothèse est simple : la gauche française est globalement inconsistante quand il s’agit d’anticolonialisme. Les Algériens en savent quelque chose. Elle a globalement abandonné le combat anti-impérialiste quand elle n’y a pas totalement renoncé. Enfin, quand on aborde la question du sionisme, elle devient carrément bête et stupide. Dans tous les cas, c’est son inconsistance qui l’empêche de comprendre ses propres ornières et surtout d’être à la merci de Clavreul et du Printemps Républicain passeurs de plats pour l’extrême droite. Qu’a t-elle appris du « Discours sur le colonialisme » ? Elle ne tarit pas d’éloge pour Aimé Césaire. Et si on le lui demandait, elle prétendrait avoir tout compris de son message. Mais si on gratte un peu, on réalise qu’elle comprend que ce qui n’incommode pas sa morale.

Césaire à pourtant écrit très clairement : « Où veux-je en venir ? A cette idée : que nul ne colonise innocemment (je souligne); que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte... ».

La citation incriminée de mon texte n’est qu’une paraphrase de Césaire : « nul ne colonise innocemment » = « on ne peut pas coloniser innocemment » = « on ne peut pas être Israélien innocemment ». Israël étant un État colonial, ni lui, ni ses citoyens ou ceux qui s’en revendiquent ne sont innocents. Mais encore faut-il à la fois l’admettre et reconnaître que le colonialisme est un crime ce qui effectivement n’est pas une évidence quand on s’appelle Clavreul ou la Licra mais qui l’est quand on s’appelle Césaire et plus modestement Bouteldja. Qu’en est-il alors de Mediapart ?

De plus, cette « non innocence » n’est pas le fait des seuls Israéliens. Elle s’étend à tout État impérialiste. Ainsi, je peux tout aussi bien écrire : « aucun Français n’est innocent », à commencer par moi. Je peux tellement le faire qu’en fait, je l’ai déjà fait ! Pas en lousdé, pas en catimini, non ! Dans un certain livre qui a défrayé la chronique : « Les Blancs, les Juifs et nous » où je déclare, ouvrez bien vos yeux et vos oreilles : « Je ne suis pas innocente ». En effet, ceux qui ont opportunément trouvé dans Miss Provence une espèce de martyr idéale que j’ai – horreur ! - rappelé à ses responsabilités morales, devront se plier à un exercice délicat : expliquer à un public impatient d’attendre la suite du feuilleton, en quoi rappeler la non-innocence de Miss Provence est un crime antisémite quand, moi-même, j’ai fait mon propre procès et qui plus est un procès public prenant à témoin Dieu et ses créatures.

Plus précisément, j’écris :

« Pourquoi j’écris ce livre ? Parce que je ne suis pas innocente. Je vis en France. Je vis en Occident. Je suis blanche. Rien ne peut m’absoudre. {…}. Je ne cherche aucune échappatoire. Certes, le rendez-vous avec le grand Sud me terrifie mais je me rends. Je ne fuis pas le regard des sans-papiers et ne détourne pas le mien des crève-la-dalle de harragas qui viennent échouer sur nos rives, morts ou vivants. Je préfère cracher le morceau, je suis une criminelle3. »

Non seulement, je ne suis pas innocente – parce que Française – mais en plus je suis une criminelle.

Ainsi, si je me suis permise de juger de la non-innocence de Miss Provence, c’est que j’avais déjà procédé à mon propre jugement et que ma sentence était déjà tombée. Et depuis longtemps. Mon crime ne repose que sur un fait, mais il est tangible. Il s’agit du partage de la rente impérialiste entre les classes dirigeantes occidentales et les classes prolétaires blanches et dans une moindre mesure non blanches. Dès lors, la responsabilité de Miss Provence devant l’humanité est pleine et entière et elle ne peut pas être en deçà de la mienne. Si elle est Française, elle partage avec moi la responsabilité de l’impérialisme français : à savoir, toutes les guerres de la Françafrique, la spoliation et l’exploitation des sols et de la main d’œuvre des Africains dont des dizaines de milliers d’enfants, de la corruption organisée, et de la mort de dizaines de milliers de migrants dans ce vaste cimetière qui s’appelle « Méditerranée ».

Si elle est Israélienne, elle partage, tout comme son père, la responsabilité du colonialisme israélien : à savoir, l’expulsion des Palestiniens en 48, l’incessante colonisation des territoires palestiniens, les bombardements réguliers de Gaza (parfois au phosphore blanc) dont le dernier a eu lieu pendant la polémique qui nous occupe. De ce lien, aussi ténu soit-il avec Israël, elle peut se libérer, tout comme moi, en adhérant à un projet décolonial. Plus Israélien qu’elle, si j’ose dire, le militant (la « Conscience » devrais-je dire) Michel Warschawski est résolument engagé dans un combat anticolonialiste aux côtés des Palestiniens. Conscient de sa propre non innocence, il prend ses responsabilités pour que cesse la perpétuation du crime. En ce sens, il se sauve lui-même comme il sauve une part de sa judéité prise en otage par le sionisme. Lorsque je cesse moi-même de m’innocenter, c’est moi que je sauve. C’est ce que les bonnes volontés qui peuplent la France ont compris quand j’ai proposé à Miss Provence de rejoindre le combat décolonial : une possibilité de se sauver elle-même.

Pour finir, parce que j’en ai un peu marre de me répéter, si je m’entête, c’est parce que je ne veux pas renoncer à la beauté indigène puisque je sais qu’elle existe. Mais je sens souvent qu’elle est en danger de disparition à cause de cette foutue intégration dont «l’antisémitisme » est l’une des modalités et dont Miss Provence a effectivement été victime mais aussi à cause de nos censeurs qui interdisent notre expression ce qui, croient-ils, est un acte de vertu alors qu’ils ne font que précipiter la haine (ce qui fait la joie de Clavreul et de ses amis) et s’enfoncer dans les marécages de ceux qui finiront tôt ou tard par avoir raison d’eux. Ce jour là, les censeurs ne pourront pas dire qu’ils étaient « innocents ».

1 http://indigenes-republique.fr/debat-bouteldja-clavreul-nouvel-obs-une-mise-au-point/

2 https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/281220/adresse-mediapart-propos-dun-billet-de-houria-bouteldja?fbclid=IwAR1HSqoXWcNboBArw_UCuOPUudoeoIJXrOlBgrhrV-uTvf-gHZU28b-Zx4I

3 http://indigenes-republique.fr/test1/

* * *

Yvan Segré, philosophe et talmudiste français, écrit alors un article en réponse à Houria Bouteldja ,

LA CULPABILITÉ D’ISRAËL ET L’INNOCENCE DU PÈRE NOËL

La veille de Noël, un écrit de Houria Bouteldja intitulé « L’Anti-tatarisme palestinien (et des banlieues) n’existe pas », paru initialement sur un blog de Mediapart, a suscité un certain émoi : l’ex-porte-parole du PIR y proposait une analyse géopolitique des insultes antisémites et antisionistes dont Miss Provence avait été la cible (son papa étant israélien), ainsi que des réactions que cela avait suscité.

Le texte fut rapidement retiré par Mediapart, qui n’a manifestement pas souhaité l’abriter. Il est depuis accessible sur d’autres sites, notamment celui de l’UJFP.

Une polémique mettant aux prises Houria Bouteldja et Miss Provence, voilà qui risquait en effet de troubler certains hommes, certaines femmes. Je demande toutefois aux lecteurs et lectrices de LM de garder leur calme. Ne montons pas sur de grands chevaux. Autrement dit, contre vents et marées, ne cédons pas à l’injonction de s’indigner, analysons, d’autant que ce texte de Bouteldja - elle est coutumière du fait - juxtapose des énoncés salutaires à d’obscènes fanfaronnades, et qu’il est toujours à craindre que l’indignation consensuelle ne vise pas tant l’obscène que le salutaire.

Qu’est-ce qu’il y a de salutaire, ou de bienvenu, dans son texte ? Principalement une chose, à savoir sa remarque au sujet de la différence de traitement médiatique, politique et juridique entre Miss Provence, dont le papa est donc israélien, et Miss Dialo, dont la peau est noire, l’une et l’autre ayant pourtant été la cible d’insultes de même nature (si ce n’est que la diffusion à la radio de propos d’inspiration raciste est autrement plus scandaleuse, sinon inquiétante, que leur diffusion désorganisée sur les « réseaux sociaux »). Je souscris entièrement à ce que Bouteldja écrit à ce sujet :

« Faire de l’antisémitisme un scandale national et minimiser la négrophobie est dans les faits pire que le fameux ‘‘deux poids deux mesures’’ qu’on sort à toutes les occasions. C’est même pire que l’expression d’un philosémitisme douteux. C’est dans les faits, organiser la guerre entre les ‘‘racisés’’ juifs et indigènes, pointer et livrer les Juifs à la vindicte indigène (précisément l’expérience que vient de vivre Miss Provence) tout en rendant invisibles les causes profondes du racisme structurel dont l’antisémitisme et la négrophobie sont inséparables. »

Passons maintenant aux obscénités. Le passage qui concentre l’essentiel du propos de Miss Indigène est bien évidemment le suivant :

« On peut toujours faire de la morale, prendre ses grands airs outragés et vilipender ces malfrats d’antisémites de banlieue mais l’antisémitisme tout comme le colonialisme ne se combattent pas avec une posture de curé mais avec de la politique. D’abord en rétablissant la vérité : Miss Provence n’est pas responsable de l’identité de son père (cela a été rappelé à juste titre) mais elle est responsable de la sienne et elle ne peut se présenter publiquement sans mesurer ce que l’identité israélienne représente pour des millions de Palestiniens expulsés et occupés comme elle ne peut pas ignorer comment Israël participe du désordre et de la déstabilisation du monde arabe depuis sa création. Oui, elle porte un fardeau dont elle n’est pas responsable mais comme Sartre le rappelle, elle jouit de sa liberté pleine et entière. Elle peut donc être la fille d’un israélien et se positionner contre le fait colonial israélien. Car on ne peut pas être Israélien innocemment. En revanche, si elle faisait le choix de la lutte anticoloniale, elle peut être certaine que le mouvement décolonial lui ouvrirait grand les bras. »

L’antisionisme de Bouteldja n’a donc rien à voir avec l’antisémitisme : les jeunesses hitlériennes n’auraient pas ouvert grand les bras à un « Juif », quand bien même il n’aurait juré que par le Führer. En revanche, son idéologie prétendument « décoloniale » est bel et bien le dernier avatar d’une judéophobie multiséculaire. Et son dogme fondateur est en effet celui-là : « on ne peut pas être Israélien innocemment ».

Et comme le lecteur est censé suivre le raisonnement de Bouteldja, il en conclut aussitôt qu’on ne peut pas non plus être « innocemment » la fille d’un père israélien, ni, vraisemblablement, la petite-fille d’un grand-père israélien, etc. A vrai dire, Bouteldja n’a pas précisé quand est-ce que ça s’arrête, si du moins ça s’arrête. Cela doit relever de l’enseignement ésotérique du PIR, et donc d’un cercle d’initiés restreint. Pour l’heure, nous avons le père et la fille. On s’en contentera.

Outre la question généalogique, il y a, bien entendu, la question géographique. Car Miss Provence n’a pas candidaté en Palestine, jusqu’à nouvel ordre, mais en France, et les insultes ne provenaient pas de Palestiniens, mais de Français, si bien que la question de savoir ce que peut représenter l’identité israélienne pour des millions de Palestiniens est, ici, hors sujet. Ce qui est en cause, c’est plutôt la question de savoir ce que cette identité peut représenter pour des millions de Français. Mais à suivre Bouteldja, cela ne fait aucune différence, car l’identité israélienne reste ce qu’elle est, que ce soit aux yeux de Palestiniens, de Français, d’Inuits ou de Yéménites, et elle se résume à ça : « des millions de Palestiniens expulsés et occupés » + « désordre » et « déstabilisation du monde arabe ».

C’est donc parce que son père est israélien et qu’elle ne s’en cache pas que Miss Provence n’est pas innocente. Mais si elle n’avait décliné d’autre identité que française, alors elle n’aurait mérité nulle insulte, puisqu’en ce cas elle aurait été, comme ses rivales, innocente.

Pourtant, certains analystes géopolitiques, dont je suis, considèrent qu’historiquement la France a davantage participé au désordre et à la déstabilisation de l’Afrique, qu’Israël n’a participé au désordre et à la déstabilisation du monde arabe, pour dire le moins. Il n’empêche, Miss Aquitaine, dont le père est français, est innocente, mais pas Miss Provence, dont le père est israélien. Est-ce à dire que Miss Indigène éprouve un souverain mépris pour l’Afrique Noire ? Qu’elle a intégré le fait qu’on peut impunément y semer le chaos, en piller les richesses, en exploiter la force de travail, sans pour autant mettre en péril l’innocence de quiconque ? Disons plutôt que le mouvement indigéniste s’est réuni autour d’une représentation commune : tous les Etats, toutes les nations, tous les pays sont foncièrement innocents, à l’exception d’Israël ; d’où leur alliance avec une « gauche » qui partage en effet le même dogme, depuis la crucifixion du Christ jusqu’à nos jours. Et l’insigne mérite de Bouteldja est de l’écrire noir sur blanc la veille de Noël : « On ne peut pas être Israélien innocemment ». C’est d’une perspicacité vraiment touchante de la part d’une « berbéro-arabo-musulmane ». Mais il est vrai qu’à lire attentivement les écrits de Bouteldja, on s’aperçoit bien vite qu’elle maîtrise la rhétorique antijuive beaucoup plus sûrement que la poésie coranique.

A l’exception, à la rigueur, de la sublime Haïti, je ne vois pourtant pas quel Etat, quelle nationalité peut revendiquer une quelconque innocence. Cela dit, je ne vais pas réécrire l’histoire ici et maintenant. Je vous renvoie donc à mon livre L’Occident, les indigènes et nous (Amsterdam, 2020), pour ce qui concerne l’histoire mondiale, et à Misère de l’antisionisme (L’éclat, 2020), pour ce qui concerne une histoire plus strictement hexagonale. Cela vous permettra de situer la culpabilité d’Israël dans une perspective universelle. Quant à l’histoire des relations entre Haïti et la France, ce n’est pas en lisant les textes de Bouteldja ou des décoloniaux qui gravitent dans son giron que vous en apprendrez quelque chose, c’est davantage en lisant Thomas Piketty, par exemple. Son dernier livre, Capitalisme et idéologie, est en effet d’une grande richesse, du moins pour qui s’intéresse vraiment à la question indigène, ce qui n’est pas le cas de Bouteldja et de ses compagnons de route, lesquels s’intéressent principalement, sinon exclusivement à la culpabilité d’Israël.

Car c’est un fait : la culpabilité d’Israël a toujours été infiniment plus jouissive que n’importe quelle Miss. Celle de Provence n’avait donc qu’à s’efforcer de cacher ses origines israéliennes, ou exprimer publiquement sa honte, et seulement après exhiber ses jambes. Alors, Bouteldja aurait fermé les yeux, et les chiens leur gueule.

L’ex-porte-parole du PIR, en revanche, peut fièrement exhiber son identité arabo-musulmane sans que l’histoire millénaire des traites négrières n’entame pour autant son innocence ; de même que si Miss Alsace avait dit être de père allemand, personne n’aurait trouvé à redire ; de même qu’on peut être argentin, australien ou nord-américain sans devoir répondre sur le champ d’une histoire coloniale au regard de laquelle l’histoire de l’Etat d’Israël est pourtant un conte pour enfant ; de même qu’Alain Brossat, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’occupation chinoise d’une terre musulmane, est d’une réserve qui détone singulièrement comparée à son enthousiasme guerrier, pour ne pas dire sanguinaire, lorsqu’il est question d’Israël. Bref, dès lors que vous êtes israélien, de près ou de loin, ou bien vous professez publiquement votre antisionisme et vous baissez la tête quand Bouteldja fronce les sourcils, ou bien vous êtes coupables.

Miss Indigène, dont l’antisionisme est le « socialisme », ne m’ouvrira donc pas grand les bras, hélas. Mais elle se passera volontiers de moi. Elle a ses ouailles, auxquelles elle sait prêcher la bonne parole. Elle leur explique donc, dans son dernier cadeau de Noël : « la vertu de l’antisionisme c’est précisément qu’il conteste et combat toute tentative de confondre une identité religieuse ou culturelle (être juif) avec une identité politique (être sioniste) ».

Dans les premiers chapitres d’un livre paru en 2019 aux éditions Libertalia, La trique, le pétrole et l’opium, livre qui m’a valu les foudres d’une « gauche » intrigante et vaine, je me suis amusé à passer en revue les Constitutions des Etats contemporains, en Amérique, en Europe et dans le monde arabo-musulman, afin d’examiner la manière dont l’identité religieuse et l’identité politique y étaient confondues ou au contraire séparées. J’y renvoie le lecteur soucieux de s’instruire. Je me contenterai simplement de rappeler qu’en matière d’articulation organique de l’identité politique et de l’identité religieuse, c’est au monde arabo-musulman que revient, sans conteste, la palme. Mais il est vrai que Bouteldja s’adresse volontiers à la « gauche » antisioniste occidentale, laquelle croit encore au Père Noël. Du reste, pour se convaincre de la naïve crédulité de ses disciples « souchiens », il suffit de lire le texte que l’ex-porte-parole du PIR a rendu public lorsqu’elle a démissionné de ses fonctions : elle y évoque son rapprochement avec l’islam pratiquant.

Loin de moi de trouver à redire à la pieuse évolution de Bouteldja. Mais lorsqu’aussitôt après elle nous vante les vertus d’un antisionisme qui « conteste et combat toute tentative de confondre une identité religieuse ou culturelle (…) avec une identité politique (…) », on s’interroge : est-ce en raison d’une aspiration religieuse et culturelle qu’elle a renoncé à ses fonctions de porte-parole du PIR ? Ou est-ce qu’il s’agit de donner un nouvel élan à son ambition politique, auquel cas le serpent se mord la queue ? 

Ce qui est certain, c’est que nous autres, dont les pères ou les fils sont Israéliens, serions très heureux que Bouteldja consacre plus de temps à l’étude de ce chef-d’œuvre absolu qu’est le Coran, et qu’elle s’interroge, en passant, sur les causes, depuis 1947, ou 1917, du désastre intellectuel, civilisationnel et moral que traverse l’islam. Ça nous ferait des vacances.

En attendant, revenons à Miss Provence. Passant par la cheminée, la diva de l’indigénisme français s’est donc proposée de glisser sous le sapin de Noël de ses concitoyens une savante distinction entre « antisémitisme » et « antisionisme », dont ils sauront faire bon usage. Elle explique qu’écrire « Tonton Hitler, t’as oublié d’exterminer Miss Provence », c’est antisémite (d’où nous déduisons au passage que la blague de Dieudonné au sujet de Patrick Cohen, l’oublié des « chambres à gaz », n’est peut-être pas tout à fait innocente), tandis qu’écrire « Miss Provence, elle est israélienne, qu’elle dégage », c’est anti-israélien. La rigueur conceptuelle dont sait faire preuve Miss Indigène nous met certes à genou. Mais n’est-ce pas laisser entendre, du même coup, qu’une xénophobie assumée inspire l’antisionisme des « réseaux sociaux » ? Plutôt que de s’en offusquer, Bouteldja propose de rétablir « la vérité » : si Miss Provence a eu à subir une avalanche d’insultes antisémites et anti-israéliennes, c’est sans doute bête, mais c’est logique. En effet, Miss Provence « ne peut pas ignorer comment Israël participe du désordre et de la déstabilisation du monde arabe depuis sa création ». Et l’ex-porte-parole du PIR a absolument raison. Même une Miss Provence ne peut pas l’ignorer, tant la propagande à ce sujet est abrutissante : sans l’Etat d’Israël, le monde arabe aurait été libre, égalitaire, éclairé et en paix. C’est pourquoi, en définitive, il est légitime d’insulter Miss Provence. Quant aux citoyens bien élevés, plutôt que de l’insulter, ils n’ont qu’à la boycotter. Chacun se conformera en la matière à ses us et coutumes. L’essentiel est de ne pas se disperser. 

Tandis que les insurgés de la place Tahrir avaient pour cri de ralliement « Moubarak, dégage ! », les forces indigènes françaises entonnent donc, ici, sur l’air de la Marseillaise : « Miss Provence, dégage ! ». On a les révolutions qu’on mérite.

*

Inlassablement, Bouteldja rameute donc ses troupes avec le même refrain, son principal article de foi, ou de vente : « l’antisionisme est notre étendard ». Autrement dit, la répartition néocoloniale de la manne pétrolière, l’emprise du wahabisme sur le Coran et la Mecque, l’affrontement entre Chi’ites et Sunnites, les guerres du Golfe, Daesh, la guerre civile en Algérie, en Irak, en Syrie, au Soudan, au Yémen, la destruction de Beyrouth à l’explosif, les pouvoirs corrompus et les dictatures militaires ou religieuses à peu près partout, la coupe du monde au Qatar, les ventes d’esclaves en Libye, etc., tout ça, c’est ou bien un décor sans enjeu, ou bien l’effet d’un complot sioniste contre le monde arabe.

Miss Indigène et ses compagnons de route ne sont certes pas antisémites. Mais l’antisémitisme a puisé dans un fond fantasmatique qui le précédait de longue date et dans lequel une « gauche » prétendument décoloniale, c’est-à-dire, en fait, antisioniste, se ressource donc, aujourd’hui, en toute innocence. Et décidément, pour ce qui me concerne, je préfère ma culpabilité à leur innocence.