Réunies à l’initiative de Bill Clinton en fin de mandat, les délégations israéliennes menées par Ehud Barak et palestiniennes sous la houlette de Mahmmoud Abbas négocient laborieusement pendant 15 jours.

" Il s’agissait pour les américains de changer de méthode en créant « une rupture radicale avec l’approche graduelle prônée par les Accords d’Oslo de septembre 1993 ».1

Le Premier ministre israélien vient d’être mis en minorité à la Knesset et Ariel Sharon lui succédera en mars 2001. Clinton finit son deuxième mandat les élections américaines ayant lieu en novembre 2000

Les négociations commencent le 11 juillet, dans un climat marqué par le retard des israéliens à appliquer le calendrier de retrait d’Oslo et les attentats et actes de violences depuis 1995.

 

Voir aussi les déclarations de Ehud Barak au début et à l'issue de Camp David

 

En outre la déclaration de l’État palestinien, fixée au 13 septembre 2000 selon l’accord intérimaire de Charm al-Sheikh du 3 septembre 1999, nécessitait en effet un accord préalable sur le tracé permanent des frontières et le statut définitif de la ville de Jérusalem, revendiquée comme capitale à la fois par les Israéliens et les Palestiniens.

Yasser Arafat a par ailleurs demandé deux semaines pour préparer les sommets, ce qui lui fut refusé. De son côté, Ehud Barak ayant refusé la demande des partis religieux de composer un gouvernement d’union nationale aux fins de représenter toute la société israélienne à ces négociations est mis en minorité par ces mêmes partis religieux qui quittent sa coalition.

Mais Barak considère qu’il a l’opinion israélienne pour lui et qu’une réussite pourrait le remettre en selle.

" Dans un sondage effectué en Israël en janvier-février 2000, seul un tiers des personnes interrogées refuse d’accepter le principe de « la paix contre la terre » et seul un quart d’entre elles exprime le désir que les négociations de paix soient arrêtées. Enfin 55 % des interviewés pensent qu’un État palestinien devrait être créé et 74 % d’entre eux estiment que, quelle que soit leur opinion, un État palestinien sera créé dans les prochaines cinq années. 2

 

Barak, Clinton et Arafat à Camp David

 

Par ailleurs, durant toute la négociation, il refuse le contact avec Arafat, même aux repas organisés par la présidence américaine. Tandis qu’Arafat figé dans sa position initiale est parfois grandiloquent :

" Je ne peux pas trahir mon peuple. Voulez- vous assister à mes funérailles ? Je préfère la mort plutôt qu’accepter la souveraineté israélienne sur le Haram al-Sharif.

Il s’agit donc d’aborder le statut final, c’est à dire la question des frontières, des territoires occupés, de Jérusalem et des réfugiés. Ce sont les sujets constamment repoussés car les parties ont des positions à la fois inflexibles et très éloignées l’une de l’autre.

Les Palestiniens s’accrochent aux résolutions 194 (sur le retour des réfugiés) et 242 (retour aux frontières d’avant la guerre de 1967) tandis que israéliens proposent des échanges pour indemniser les Palestiniens des territoires peuplés et urbanisés.

Arafat est inflexible, Clinton s’énerve :

" vous n’avez pas la force d’obtenir ce que vous demandez, soyez réalistes et acceptez ce qu’on vous propose !

Et Barak propose ce qui risque de ne pas être avalisé par la Knesset, ni mis en œuvre pas son successeur, à savoir Jérusalem-Est.

Jérusalem deviendrait la capitale des deux États.

La Cisjordanie, amputée de 8 % de sa superficie (initialement 27 %!) serait coupée en trois, Israël gardant un couloir allant de Jérusalem à la Jordanie.

Et un fonds d’indemnisation serait créé pour parer au refus de recevoir tous les réfugiés palestiniens (dont une écrasante majorité ne sont d’ailleurs pas né en Palestine) dont Israël considère qu’ils ont quitté la Palestine de leur plein gré.

Clinton promet la reconnaissance de l’État palestinien ainsi défini, mais menace de suspendre l’aide américaine (aux Palestiniens) en cas d’échec.

Dans la délégation palestinienne même, les plus jeunes regrettent d’avoir à leur tête un Arafat, plutôt qu’un Ben Gourion.3

Alors que Clinton avait qualifié ces propositions de généreuses, Arafat refuse de s’en satisfaire et rentre chez lui, acclamé comme un héros pour avoir selon ses mots refusé de trahir les idéaux de la Palestine4.

La tactique habituelle du tout rien a tenu, ramenant toujours au même résultat côté palestinien. Il est vrai que les Palestiniens considèrent qu’ils ont déjà cédé 78 % de la Palestine historique lors de la déclaration d’indépendance de 1988 au XIXe congrès à Alger5. Les tensions sont à leur comble et l’intifada Al-Aqsa commence deux mois plus tard.

" d’après un sondage effectué du 27 au 28 juillet 2000, si une majorité de palestiniens approuvaient globalement l’attitude de Yasser Arafat à Camp David, ils étaient une majorité à penser qu’il avait fait trop de concessions sur Jérusalem (57 %, probablement au sujet de l’inclusion des nouveaux quartiers israéliens de Jérusalem-Est à l’intérieur d’Israël), sur les frontières (51 %) et sur les implantations israéliennes (57 %).

En août 2000, seuls 30 % des Israéliens approuvent l’action de Barak.6

Pour le négociateur Shlomo Ben-Ami,

" Camp David n’avait rien, contrairement à ce qu’ont prétendu certaines personnalités de gauche, d’un ultimatum.

Ce sont les Palestiniens qui ont en permanence refusé de soumettre un contre-projet. Nous ne nous attendions pas à les rencontrer à mi-chemin, ni même aux deux tiers du chemin, mais à les rencontrer quelque part.

Notre impression a été qu’ils essayaient de nous entraîner vers un gouffre de concessions sans fond.7

Pour Ariel Sharon,

" Barak a donné à Arafat presque tout ce qu’il voulait. Plus personne ne lui fera une pareille offre à l’avenir.8

 

Voir aussi : 2001 : Fictions sur l'échec de Camp David, article du négociateur américain Robert Malley dans le NY Times

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 Echecs de plans de paix : Qui est responsable ?

La réponse est évidemment complexe. le professeur Elie Podeh du Département d’Islam et d’Etudes du Moyen-Orient de l’Université hébraïque aborde ces questions et considère qu’une « occasion de paix » est caractérisée par quatre facteurs :

1. la légitimité des dirigeants ;

2. la volonté des dirigeants à prendre une mesure audacieuse et à changer le cours des événements ;

3. l’étendue de la confiance qui existe entre les parties

4. et l’implication d’un tiers

à défaut, l’échec est inéluctable et il ne peut donc être considéré comme une occasion manquée suite à la mauvaise volonté d’une des parties. Podeh a examiné trente propositions d’accord ou initiatives diplomatiques, situées entre l’accord Fayçal Weizzmann (1919) et l’accord de Londres, accord secret Shimon Pérès Hussein (1987). Pour Podeh, dans 20 cas, les conditions n’étaient pas réunies pour permettre une conclusion positive suivie d’une application. Il ne s’agit donc pas d’occasions ratées, les parties n’étant soit pas légitimes à signer ou faire appliquer un accord, soient non motivées à le faire.

Les véritables opportunités, toujours selon lui, sont notamment :

- Le plan de partition de 1947 (quoique les territoires tels qu’ils étaient définis ne permettaient pas la construction viable de deux États et l’une au moins des parties n’était pas motivée par une négociation)

- Le rejet des paramètres Clinton (ci-dessous)

- Les rencontres Abbas Olmert de 2008, même si Olmert commençait à perdre sa légitimité.

Podeh souligne quelques occasions ratées comme celle de Nasser qui propose à Golda Meïr l’échange de la Paix contre le Sinaï, ce qui fut fait finalement par Begin et Sadate.1

1 Le mythe de l’opportunité ratée d’une paix entre Israël et les Arabes. Akiva Eldar, 4 mars 2013, Reuter/ Jason Reed in Al-monitor.com

 

 


Idées d’un règlement de paix :  Les paramètres Clinton

A l’issue des négociations de paix menées par les deux délégations du 19 au 23 décembre 2000, les parties en présence acceptèrent d’examiner les "idées" d’un règlement de paix que leur avait soumises le Président américain. Si elles n’ont pas permis d’aboutir à un accord, les propositions de l’ex-Président américain gardent néanmoins une importance certaine car elles marquent un point de rapprochement jusqu’alors jamais atteint. En effet, elles ont fait l’objet d’une acceptation conditionnelle par chacune des parties et ont servi de base aux négociations israélo-palestiniennes d’Erez puis de Taba en janvier 2001. Aussi, il devrait être difficile, lors de négociations ultérieures, de n’en tenir aucun compte.

 


Bill Clinton (1993 - 2001)

 

Les propositions américaines concernaient le territoire du futur État palestinien, la question de Jérusalem, celle des réfugiés, dont la notion des retour est précisée, et les garanties de sécurité.

 

Le territoire

Le futur État palestinien comprendrait quelque 95 % de la Cisjordanie (entre 94 % et 96 %).

En compensation des terres annexées par Israël, ce dernier céderait 1 % à 3 % de son territoire actuel. Des territoires pourraient aussi être loués pour une longue durée. 80 % des colons seraient rassemblés dans des blocs de colonies.

Un "passage protégé permanent" relierait la bande de Gaza à la Cisjordanie et la continuité territoriale devrait être assurée à l’intérieur de l’État palestinien.

 

Jérusalem

Les parties arabes reviendraient aux Palestiniens, les parties juives aux Israéliens, y compris pour la vieille ville.

S’agissant de l’esplanade des Mosquées-mont dû Temple, deux possibilités sont avancées :

- souveraineté palestinienne sur l’esplanade des Mosquées et souveraineté israélienne sur le Mur occidental ainsi que a) sur l’espace sacré pour les Juifs dont il fait partie ou b) sur le Saint des Saints dont il fait partie ;

- souveraineté palestinienne sur l’esplanade des Mosquées et souveraineté israélienne sur le Mur occidental, ainsi qu’une souveraineté fonctionnelle sur la question des excavations sous l’Esplanade des Mosquées ou derrière le Mur. Tout travail éventuel d’excavation nécessiterait donc un consentement mutuel. Un contrôle international veillerait à l’application des accords.

 

Esplanade des Mosquées – mont dû Temple

 

Les réfugiés

Israël reconnaîtrait les souffrances morales et matérielles subies par les Palestiniens du fait de la guerre de 1948 et participerait à l’effort de la communauté internationale pour aider les réfugiés.

Le droit au retour des Palestiniens s’entendrait comme le droit pour eux de revenir dans l’État de Palestine. Israël pourrait accueillir quelques-uns de ces réfugiés, mais il n’y aurait cependant pas un droit au retour à l’intérieur des frontières de l’ État d’Israël. Cinq possibilités existeraient pour les réfugiés : installation à l’intérieur de l’État palestinien, installation sur les terres israéliennes transférées à l’État palestinien dans le cadre des échanges de territoires, aide à une installation dans les pays d’accueil, réinstallation dans des pays tiers, admission en Israël.

Le retour à Gaza ou en Cisjordanie serait un droit pour tous les réfugiés palestiniens, tandis que les autres possibilités dépendraient des politiques décidées par les pays concernés. Israël pourrait mentionner dans l’accord conclu son intention de permettre à un certain nombre de réfugiés de venir s’établir en Israël conformément à sa décision souveraine. La priorité devrait être donnée aux réfugiés du Liban et les deux parties conviendraient que la mise en œuvre de ces solutions équivaudrait à l’application de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies.

 

Les garanties de sécurité

Une force internationale garantirait par sa présence l’application des accords, et son retrait ne serait possible que par consentement mutuel. Cette force se déploierait progressivement dans la région, le retrait israélien devant s’échelonner sur trente-six mois.

Israël maintiendrait une présence militaire réduite dans la vallée du Jourdain, sous l’autorité de la force internationale, pendant une autre période de trente-six mois, délai pouvant être raccourci en fonction d’un contexte régional favorable pour la sécurité d’Israël.

Israël maintiendrait également trois stations d’alerte avancées en Cisjordanie pendant une durée de dix ans à l’issue de laquelle ce maintien pourrait être revu, le changement de statut devant faire l’objet d’un accord mutuel.

En cas de menace militaire imminente et manifeste contre Israël, des zones de déploiement d’urgence seraient prévues. La force internationale en serait avertie.

L’État palestinien exercerait sa souveraineté dans son espace aérien, mais des arrangements satisferaient aux besoins opérationnels et d’entraînement d’Israël.

L’État palestinien serait un "État non militarisé" : à la force internationale s’ajouterait une importante force de sécurité palestinienne chargée de la sécurité des frontières et de la dissuasion.

 

Fin du conflit

L’accord signé marquerait la fin du conflit, son application mettant fin à toutes les revendications, les résolutions 242 et 338 des Nations unies étant alors considérées comme appliquées. L’État palestinien aurait pour capitale (Jérusalem).

1 Les négociations Israëlo-palestiniennes de juillet 2000 à Camp David : Reflet du processus d’Oslo, Jala Al husseini (chercheur , IFPO, amman) , Ricardo Bocco (professeur IHEID Geneve), PUF, relations internationales 2008/4 n°136

2 Voir Arian Asher,Israeli Public Opinion on National Security 2000, Tel Aviv University, Jaffee Center for Strategic Studies, Memorandum no 56, July 2000, p. 20-21. cité in les négociation Israëlo-palestiniennes...

3Charles Enderlin.le rêve brisé.

4 Déclaration de Arafat à Téhéran, AFP ,août 2000 cité par Marius Schatnner, de la paix manquée d’Oslo à la marche vers l’abîme, politique étrangère, 2002, vol. 97, p.587-600

5 Encore une fois la vision israélienne est toute différente. Elle estime que la Palestine mandataire de San Remo a été amputée d’une terre donnée aux Arabes majoritairement palestiniens, la Jordanie et que pour le reste ils ont accepté un partage en 1947 que seule l’agression des pays arabes et leur défaite ensuite a modifié.

6 Les négociations israélo-palestiniennes de juillet 2000 à Camp David : reflet du processus d’Oslo, Jalal Al Husseini et Riccardo Bocco, relations internationales 2008/4 n°136 p.51-72

7 Shlomo Ben-Ami, quand les Palestiniens refusaient la paix, revue outre-terre 2004/4 n°9 p93 à 103

8 Marius Schattner, 2002

9 Le mythe de l’opportunité ratée d’une paix entre Israël et les Arabes. Akiva Eldar, 4 mars 2013, Reuter/ Jason Reed in Al-monitor.com