Paix de San-Stefano, 1878.

signé le 19 février/3mars 1878 ; à San-Stefano

Russie, Turquie


Ratifications échangées à Saint-Pétersbourg, le 5/17 mars 1878.

    En juillet 1875, une insurrection éclate en Herzégovine. Les troupes ottomanes ne parvenant pas à rétablir l'ordre, les trois empires d'Allemagne, d'Autriche et de Russie se concertent pour éviter l'extension de la crise à la Serbie et au Monténégro, et ils proposent aux puissances occidentales d'appuyer un programme de réformes présenté au Sultan. Mais au printemps 1876, les troubles s'étendent en Bulgarie où des chrétiens sont massacrés, ce qui amène la Serbie le 22 juin, puis le Monténégro le 2 juillet à entrer en guerre. La Serbie vaincue demande l'aide de la Russie, et à la suite d'un ultimatum russe, le 19/31 octobre, le gouvernement ottoman accepte un cessez-le-feu, le 1er novembre, et la tenue d'une conférence générale réunissant les Six Puissances et la Turquie, à Constantinople, tant pour rétablir la paix que pour discuter des réformes de l'Empire, et notamment des règlements organiques qui seraient appliqués en Bosnie-Herzégovine et en Bulgarie. Le nouveau sultan, Abd-ul-Hamid II proclame une Constitution le 23 décembre 1876, grâce à laquelle il pense se soustraire aux réformes proposées par les puissances. Le 20 janvier 1877, la Conférence est rompue. Cependant la paix est signée avec la Serbie le 28 février 1877.
    Les Six Puissances, le 31 mars, exigent alors la conclusion de la paix avec le Monténégro et l'application réelle des réformes promises par le gouvernement ottoman. Celui-ci le 10 avril, pour préserver l'intégrité de l'Empire, rejette les projets de statuts relatifs à la Bosnie-Herzégovine et à la Bulgarie. Après avoir obtenu le passage de ses troupes par la Roumanie (convention du 16 avril), la Russie déclare la guerre le 12/24 avril. Cependant La Grande-Bretagne, qui avait tenté de refaire contre la Russie l'alliance de 1853 (guerre de Crimée), afin de maintenir le statut quo dans les Balkans et dans le Caucase, proteste contre la décision russe, mais tandis que les autres puissances déclarent leur neutralité, hésite à s'engager seule contre la Russie.
    Le 9/21 mai 1877, la Roumanie proclame son indépendance. Le 2/14 décembre, la Serbie entre en guerre à nouveau. Les troupes russes occupant Andrinople le 20 janvier 1878 et s'approchant de Constantinople, la Turquie obtient l'armistice le 31 janvier 1878 et les préliminaires de paix sont signés à San Stefano le 3 mars. Cependant la Grande-Bretagne et l'Autriche expriment leur mécontentement et rejettent l'accord de San Stefano, jugé trop favorable à la Russie. La Grande-Bretagne conclut, le 4 juin 1878, un traité d'alliance avec la Turquie, qui lui confie l'administration de Chypre.
    Pour éviter une guerre européenne, l'Allemagne propose la réunion d'un congrès à Berlin, qui s'ouvre le 13 juin et se termine le 13 juillet.

Sources : Le texte du traité a été publié initialement par le Journal de St. Pétersbourg (organe en français du ministère russe des affaires étrangères) du 9/21  mars 1878. Voir le Nouveau recueil général de traités, Continuation du Grand Recueil de Martens, par Charles Samwer et Jules Hopf, Deuxième série, tome III, Librairie de Dieterich, Gottingue, 1878, p. 246. Les protocoles de la conférence de Constantinople sont dans le même volume, p. 34 à 168.


 

S. M. l'Empereur de Russie et S. M. l'Empereur des Ottomans, animés du désir de rendre et d'assurer à leurs pays et à leurs peuples les bienfaits de la paix, ainsi que de prévenir toute nouvelle complication qui pourrait la menacer, ont nommé pour leurs plénipotentiaires à l'effet d'arrêter, conclure et signer les préliminaires de la paix :

S. M. l'Empereur de Russie d'une part :
le comte Nicolas Ignatiew, aide de camp général de Sa Majesté Impériale, lieutenant-général, membre du conseil de l'Empire, décoré de l'ordre de St-Alexandre Nevsky en diamants et de plusieurs autres ordres russes et étrangers, et le sieur Alexandre Nélidow, chambellan de la cour impériale, conseiller d'État actuel, décoré de l'ordre de Ste-Anne de 1re classe avec les glaives et de plusieurs autres ordres russes et étrangers,

Et S. M. l'Empereur des Ottomans de l'autre :
Savfet-Pacha, ministre des affaires étrangères, décoré de l'ordre de l'Osmanié en brillants, de celui du Medjidié de 1re classe et de plusieurs ordres étrangers, et Sadoullah-Bey, ambassadeur de Sa Majesté près la cour impériale d'Allemagne, décoré de l'ordre du Medjidié de 1re classe, de celui de l'Osmanié de 2e classe et de plusieurs ordres étrangers,

Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

Article premier.

Afin de mettre un terme aux conflits perpétuels entre la Turquie et le Monténégro, la frontière qui sépare les deux pays sera rectifiée conformément à la carte ci-annexée, sauf la réserve ci-après, de la manière suivante :

De la montagne de Dobrostitza, la frontière suivra la ligne indiquée par la conférence de Constantinople, jusqu'à Korito, par Bilek. De là, la nouvelle frontière ira à Gatzko (Métochia-Gatzko appartiendra au Monténégro) et vers le confluent de la Piva et de la Tara, en remontant au Nord par la Drina, jusqu'à son confluent avec le Lim. La frontière orientale de la principauté suivra cette dernière rivière jusqu'à Prijepoljé et se dirigera par Rostraj à Sukha-Planina (laissant Bihor et Rostraj au Monténégro), en englobant Rugovo, Plava et Gusinje ; la ligne frontière suivra la chaîne des montagnes par Shlieb, Paklen et le long de la frontière de l'Albani du Nord par la crête des monts Koprivnik, Baba-vrh, Bor-vrh jusqu'au sommet le plus élevé de Prokleti. De ce point la frontière se dirigera par le sommet de Biskaschik et ira en ligne droite au lac de Ijiceni-Hoti. Partageant Ijiceni-Hoti et Ijiceni-Kastrati, elle traversera le lac de Scutari pour aboutir à la Boyana, dont elle suivra le thalweg jusqu'à la mer. Niksitch, Gatzko, Spouje, Podgoritza, Zabliak et Antivari resteront au Monténégro.

Une commission européenne, dans laquelle seront représentés la Sublime Porte et le gouvernement du Monténégro, sera chargée de fixer les limites définitives de la principauté, en apportant sur les lieux, au tracé général, les modifications qu'elle croirait nécessaires et équitables au point de vue des intérêts respectifs et de la tranquillité des deux pays, auxquels elle accordera de ce fait les équivalents reconnus nécessaires.

La navigation de la Boyana ayant toujours donné lieu à des contestations entre la Sublime-Porte et le Monténégro, fera l'objet d'un règlement spécial qui sera élaboré par la même commission européenne.

Article 2.

La Sublime-Porte reconnaît définitivement l'indépendance de la principauté de Monténégro.

Une entente entre le gouvernement impérial de Russie, le gouvernement ottoman et la principauté de Monténégro, déterminera ultérieurement le caractère et la forme des rapports entre la Sublime-Porte et la principauté en ce qui touche notamment l'institution d'agents monténégrins à Constantinople et dans certaines localités de l'Empire ottoman, où la nécessité en sera reconnue, l'extradition des criminels réfugiés sur l'un ou l'autre territoire et la soumission des Monténégrins, voyageant ou séjournant dans l'Empire ottoman, aux lois et aux autorités ottomanes suivant les principes du droit international et les usages établis concernant les Monténégrins.

Une convention sera conclue entre la Sublime-Porte et le Monténégro pour régler les questions se rattachant aux rapports entre les habitants des confins des deux pays et aux ouvrages militaires sur ces mêmes confins. Les points sur lesquels une entente ne pourrait être établie, seront résolus par l'arbitrage de la Russie et de l'Autriche-Hongrie.
Dorénavant, s'il y a discussion ou conflit, sauf les cas de nouvelles réclamations territoriales, — la Turquie et le Monténégro abandonneront le règlement de leurs différends à la Russie et à l'Autriche-Hongrie, qui devront statuer en commun, arbitralement.

Les troupes du Monténégro seront tenues d'évacuer le territoire non compris dans la circonscription indiquée plus haut, dans le délai de dix jours à partir de la signature des préliminaires de paix.

Article 3.

La Serbie est reconnue indépendante.

Sa frontière, marquée sur la carte ci-jointe, suivra le thalweg de la Drina, en laissant le Petit-Zvornik et Zaker à la principauté et en longeant l'ancienne limite jusqu'aux sources du ruisseau Dezevo près de Stoïlac. De là, le nouveau tracé suivra le cours de ce ruisseau jusqu'à la rivière Raska, et puis le cours de celle-ci-jusqu'à Novi-Bazar. De Novi-Bazar, remontant le ruisseau qui passe près des villages Mekinje et Trgoviste jusqu'à sa source, la ligne frontière se dirigera par Bosur - Planina dans la vallée de l'Ibar et descendra le ruisseau qui se jette dans cette rivière près du village Ribanic. Ensuite, elle suivra le cours des rivières Ibar, Sitnitza, Lab, et du ruisseau Batintze jusqu'à sa source (sur la Grapachnitza-Planina). De là, la frontière suivra les hauteurs qui séparent les eaux de la Kriva et de la Veternitza, et rejoindra, par la ligne la plus courte, cette dernière rivière à l'embouchure du ruisseau Miovatzka pour remonter celui-ci, traverser la Miovatzka-Planina et redescendre vers la Morava près du village de Kalimanci. A partir de ce point la frontière descendra la Morava jusqu'à la rivière Vlossina, près du village Staïkovtzi, — en remontant cette dernière ainsi que la Linberazda et le ruisseau Koukavitze, passera par la Sukha-Planina, longera le ruisseau de Vrylo jusqu'à la Nisava et descendra ladite rivière jusqu'au village de Kroupatz, d'où elle ira rejoindre, par la ligne la plus courte, l'ancienne frontière serbe au sud-est de Karaoul-Baré pour ne plus la quitter jusqu'au Danube.

Ada-Kalé sera évacué et rasé.

Une commission turco-serbe établira sur les lieux, avec l'assistance d'un commissaire russe, le tracé définitif de la frontière, dans l'espace de trois mois, et réglera définitivement les questions relatives aux îles de la Drina. Un délégué bulgare sera admis à participer aux travaux de la commission lorsqu'elle s'occupera de la frontière entre la Serbie et la Bulgarie.

Article 4.

Les musulmans qui possèdent des propriétés dans les territoires annexés à la Serbie, et qui voudraient fixer leur résidence hors de la principauté, pourront y conserver leurs immeubles en les faisant affermer ou administrer par d'autres. Une commission turco-serbe, assistée d'un commissaire russe, sera chargée de statuer souverainement, dans le courant de deux années, sur toutes les questions relatives à la constatation des propriétés immobilières, où des intérêts musulmans seraient engagés. Cette commission sera également appelée à régler, dans le terme de trois années, le mode d'aliénation des biens appartenant à l'État ou aux fondations pieuses (vacouf) et les questions relatives aux intérêts des particuliers qui pourraient s'y trouver engagés. Jusqu'à la conclusion d'un traité direct entre la Turquie et la Serbie, déterminant le caractère et la forme des relations entre la Sublime-Porte et la principauté, les sujets serbes, voyageant ou séjournant dans l'empire ottoman, seront traités suivant les principes généraux du droit international.

Les troupes serbes seront tenues d'évacuer le territoire non compris dans la circonscription indiquée plus haut dans le délai de quinze jours à partir de la signature des préliminaires de paix.

Article 5.

La Sublime - Porte reconnaît l'indépendance de la Roumanie, qui fera valoir ses droits à une indemnité à débattre entre les deux parties.

Jusqu'à la conclusion d'un traité direct entre la Turquie et la Roumanie, les sujets roumains jouiront en Turquie de tous les droits garantis aux sujets des autres puissances européennes.

Article 6.

La Bulgarie est constituée en principauté autonome, tributaire, avec un gouvernement chrétien et une milice nationale.

Les frontières définitives de la principauté bulgare seront tracées par une commission spéciale russo-turque avant l'évacuation de la Roumélie par l'armée impériale russe. Cette commission tiendra compte dans ses travaux, pour les modifications à introduire sur les lieux au tracé général, du principe de la nationalité de la majorité des habitants des confins, conformément aux bases de la paix, ainsi que des nécessités topographiques et des intérêts pratiques de circulation pour les populations locales.

L'étendue de la principauté de Bulgarie est fixée, en traits généraux, sur la carte ci-jointe, qui devra servir de base à la délimitation définitive. En quittant la nouvelle frontière de la principauté serbe, le tracé suivra la limite occidentale du caza de Vrania jusqu'à la chaîne du Karadagh. Tournant vers l'Ouest, la ligne suivra les limites occidentales des cazas de Kaumanovo, Kotchani, Kalkandelen, jusqu'au mont Korab ; de là, par la rivière Velestchitza jusqu'à sa jonction avec le Drine Noir. Se dirigeant vers le Sud par le Drine et après par la limite occidentale du caza d'Ochride vers le mont Linas, la frontière suivra les limites occidentales des cazas de Gortcha et Starovo jusqu'au mont Grammos. Ensuite, par le lac de Kastoria, la ligne frontière rejoindra la rivière Moglénitza et, après avoir suivi son cours et passé au sud de Yanitza (Wardar-Yenidjé), se dirigera par l'embouchure du Wardar et par le Galliko vers les villages de Parga et de Sarai-Keui ; de là par le milieu du lac Bechik-guel à l'embouchure des rivières Strouma et Karassou, et par la côte maritime jusqu'au Buruguel ; plus loin, partant dans la direction nord-ouest vers le mont Tchaltépé par la chaîne du Rhodope jusqu'au mont Krouschovo, par les Balkans Noirs (Kara-Balkan), par les monts Eschekkoulatchi, Tchépelion, Karakolas et Ischiklar, jusqu'à la rivière Arda. De là, la ligne frontière sera tracée dans la direction de la ville de Tchirmen et, laissant la ville d'Andrinople au midi, par les villages de Sugutliou, Kara-hamza, Arnaoutkeuï, Akardji et Enidjé, jusqu'à la rivière Tékédéressi. En suivant le cours du Tékédéressi et du Thorloudéressi jusqu'à Loulé-Bourgas, et de là, par la rivière Soudjakdéré jusqu'au village de Serguen, la ligne frontière ira par les hauteurs directement vers Hakim-Tablassi, où elle aboutira à la mer Noire. Elle quittera la côte maritime près de Mangalia, en longeant les limites méridionales du sandjak de Toultcha, et aboutira au Danube au dessus de Rassova.

Article 7.

Le prince de la Bulgarie sera librement élu par la population et confirmé par la Sublime-Porte avec l'assentiment des puissances. Aucun membre des dynasties régnantes des grandes puissances européennes ne pourra être élu prince de la Bulgarie.

En cas de vacance de la dignité de prince de la Bulgarie, l'élection du nouveau prince se fera dans les mêmes conditions et dans les mêmes formes.

Une assemblée de notables de la Bulgarie, convoquée à Philippopoli (Plovdiv) ou Tirnovo élaborera, avant l'élection du prince, sous la surveillance d'un commissaire impérial russe et en présence d'un commissaire ottoman, l'organisation de l'administration future conformément aux précédents établis en 1830, après la paix d'Andrinople, dans les principautés danubiennes.

Dans les localités où les Bulgares sont mêlés aux Grecs, aux Valaques (Koutzo-Vlachs) ou autres, il sera tenu un juste compte des droits et intérêts de ces populations dans les élections et l'élaboration du règlement organique.

L'introduction du nouveau régime en Bulgarie et la surveillance de son fonctionnement seront confiées pendant deux années à un commissaire impérial russe. A l'expiration de la première année après l'introduction du nouveau régime, et si une entente à ce sujet s'établit entre la Russie, la Sublime-Porte et les cabinets européens, ils pourront, s'il est jugé nécessaire, adjoindre au commissaire impérial de Russie des délégués spéciaux.

Article 8.

L'armée ottomane ne séjournera plus en Bulgarie, et toutes les anciennes forteresses seront rasées aux frais du gouvernement local. La Sublime-Porte aura le droit de disposer à sa guise du matériel de guerre et autres objets appartenant au gouvernement ottoman, et qui seraient restés dans les forteresses du Danube déjà évacuées en vertu de l'armistice du 19/31 janvier, ainsi que de ceux qui se trouveraient dans les places fortes de Schoumla et de Varna.

Jusqu'à la formation complète d'une milice indigène suffisante pour le maintien de l'ordre, de la sécurité et de la tranquillité, et dont le chiffre sera fixé plus tard, par une entente entre le gouvernement ottoman et le cabinet impérial de Russie, des troupes russes occuperont le pays et prêteront main-forte au commissaire en cas de besoin. Cette occupation sera limitée également à un terme approximatif de deux années.

L'effectif du corps d'occupation russe, composé de six divisions d'infanterie et de deux de cavalerie, qui séjournera en Bulgarie après l'évacuation de la Turquie par l'armée impériale, n'excédera pas cinquante mille hommes. Il sera entretenu aux frais du pais occupé. Les troupes d'occupation russes en Bulgarie conserveront leurs communications avec la Russie non-seulement par la Roumanie, mais aussi par les ports de la mer Noire, Varna et Bourgas, où elles pourront organiser, pour la durée de l'occupation, les dépôts nécessaires.

Article 9.

Le montant du tribut annuel que la Bulgarie paiera à la cour suzeraine, en le versant à la Banque que la Sublime- Porte désignera ultérieurement, sera déterminé par un accord entre la Russie, le gouvernement ottoman et les autres cabinets à la fin de la première année du fonctionnement de la nouvelle organisation. Ce tribut sera établi sur le revenu moyen de tout le territoire qui fera partie de la principauté.

La Bulgarie sera substituée au gouvernement impérial ottoman dans ses charges et obligations envers la Compagnie du chemin de fer de Roustchouk-Varna, après entente entre la Sublime-Porte, le gouvernement de la principauté et l'administration de cette Compagnie. Le règlement relatif aux autres voies ferrées qui traversent la principauté est également réservé à un accord entre la Sublime- Porte, le gouvernement institué en Bulgarie et l'administration des compagnies intéressées.

Article 10.

La Sublime - Porte aura le droit de se servir de la voie de la Bulgarie pour le transport, par des routes déterminées, de ses troupes, munitions et approvisionnements, dans les provinces situées au delà de la principauté et vice -versa. Afin d'éviter les difficultés et les malentendus dans l'application de ce droit, tout en garantissant les nécessités militaires de la Sublime - Porte, un règlement spécial en établira les conditions dans l'espace de trois mois après la ratification du présent acte, par une entente entre la Sublime-Porte et l'administration de la Bulgarie.

Il est bien entendu que ce droit ne s'étendra qu'aux troupes ottomanes régulières et que les irréguliers, les bachi-bouzouks et les Circassiens, en seront absolument exclus.

La Sublime-Porte se réserve aussi le droit de faire passer à travers la principauté sa poste et d'y entretenir une ligne télégraphique. Ces deux §points seront également réglés de la façon et dans le laps de temps sus indiqués.

Article 11.

Les propriétaires musulmans ou autres, qui fixeraient leur résidence personnelle hors de la principauté, pourront y conserver leurs immeubles en les faisant affermer ou administrer par d'autres. Des commissions turco- bulgares siégeront dans les principaux centres de population, sous la surveillance de commissaires russes, pour statuer souverainement, dans le courant de deux années, sur toutes les questions relatives à la constatation des propriétés immobilières où des intérêts musulmans ou autres seraient engagés.

Des commissions analogues seront chargées de régler, dans le courant de deux années, toutes les affaires relatives au mode d'aliénation, d'exploitation ou d'usage pour le compte de la Sublime - Porte, des propriétés de l'État et des fondations pieuses (vacouf).

A l'expiration du terme de deux années, mentionné plus haut, toutes les propriétés qui n'auront pas été réclamées seront vendues aux enchères publiques et le produit en sera consacré à l'entretien des veuves et des orphelins, tant musulmans que chrétiens, victimes des derniers événements.

Article 12.

Toutes les forteresses du Danube seront rasées. Il n'y aura plus dorénavant de places fortes sur les rives de ce fleuve, ni de bâtiments de guerre dans les eaux des principautés de Roumanie, de Serbie et de Bulgarie, sauf les stationnaires usités et les bâtiments légers destinés à la police fluviale et au service des douanes.

Les droits, obligations et prérogatives de la commission internationale du Bas-Danube sont maintenus intacts.

Article 13.

La Sublime-Porte prend à sa charge le rétablissement de la navigabilité du passage de Soulina et le dédommagement des particuliers dont les biens auraient souffert du fait de la guerre et de l'interruption de la navigation sur le Danube, en affectant à cette double dépense une somme de cinq cent mille francs sur celles qui lui sont dues par la commission danubienne.

Article 14.

Seront immédiatement introduites en Bosnie et en Herzégovine les propositions européennes communiquées aux plénipotentiaires ottomans dans la première séance de la conférence de Constantinople, avec les modifications qui seront arrêtées d'un commun accord entre la Sublime- Porte, le gouvernement de Russie et celui d'Autriche- Hongrie. Le paiement des arriérés ne sera pas exigé, et les revenus courants de ces provinces jusqu'au premier mars mil -huit cent quatre-vingt seront exclusivement employés à indemniser les familles des réfugiés et des habitants, victimes des derniers événements, sans distinction de race et de religion, ainsi qu'aux besoins locaux du pays. La somme qui devra revenir annuellement après ce terme au gouvernement central sera fixée ultérieurement par une entente spéciale entre la Turquie, la Russie et l'Autriche-Hongrie.

Article 15.

La Sublime-Porte s'engage à appliquer scrupuleusement dans l'île de Crète le règlement organique de 1868, en tenant compte des voeux déjà exprimés par la population indigène.

Un règlement analogue, adapté aux besoins locaux, sera également introduit dans l'Epire, la Thessalie et les autres parties de la Turquie d'Europe pour lesquelles une organisation spéciale n'est pas prévue par le présent acte.

Des commissions spéciales, dans lesquelles l'élément indigène aura une large participation, seront chargées dans chaque province d'élaborer les détails du nouveau règlement. Le résultat de ces travaux sera soumis à l'examen de la Sublime-Porte, qui consultera le gouvernement impérial de Russie avant de les mettre à exécution.

Article 16.

Comme l'évacuation par les troupes russes, des territoires qu'elles occupent en Arménie et qui doivent être restitués à la Turquie, pourrait y donner lieu à des conflits et à des complications préjudiciables aux bonnes relations des deux pays, la Sublime -Porte s'engage à réaliser sans plus de retard les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens.

Article 17.

Une amnistie pleine et entière est accordée par la Sublime-Porte à tous les sujets ottomans compromis dans les derniers événements et toutes les personnes détenues de ce fait, ou envoyées en exil, seront immédiatement mises en liberté.

Article 18.

La Sublime-Porte prendra en sérieuse considération l'opinion émise par les commissaires des puissances médiatrices au sujet de la possession de la ville de Khotour, et s'engage à faire exécuter les travaux de délimitation définitive de la frontière turco-persane.

Article 19.

Les indemnités de guerre et les pertes imposées à la Russie, que S. M. l'Empereur de Russie réclame et que la Sublime-Porte s'est engagée à lui rembourser, se composent de :
a. Neuf cents millions de roubles de frais de guerre (entretien de l'armée, remplacement du matériel, commandes de guerre) ;
b. Quatre cents millions de roubles de dommages infligés au littoral méridional du pays, au commerce d'exportation, à l'industrie et aux chemins de fer ;
c. Cent millions de roubles de dommages causés en Caucase par l'invasion ;
d. Dix millions de roubles de dommages et intérêts aux sujets et institutions russes en Turquie.
Total — mille quatre cent dix millions de roubles.

Prenant en considération les embarras financiers de la Turquie, et d'accord avec le désir de S. M. le sultan, l'Empereur de Russie consent à remplacer le paiement de la plus grande partie des sommes énumérées dans le paragraphe précédent, par les cessions territoriales suivantes ;

a. Le sandjak de Toultcha, c'est-à-dire les districts (cazas) de Kilia, Soulina, Mahmoudié, Isaktcha, Toultcha, Matchine, Babadagh, Hirsovo, Kustendjé et Medjidié, ainsi que les îles du Delta et l'île des Serpents.
Ne désirant pas s'annexer ce territoire et les îles du Delta, la Russie se réserve la faculté de les échanger contre la partie de la Bessarabie détachée par le traité de 1856 et limitée au Midi par le thalweg du bras de Kilia et l'embouchure du Stary-Stamboul. La question du partage des eaux et des pêcheries devra être réglée par une commission russo-roumaine dans l'espace d'une année après la ratification du traité de paix.

b. Ardahan, Kars, Batoum, Bayazet et le territoire jusqu'au Saganlough. En traits généraux la ligne frontière, en quittant la côte de la mer Noire, suivra la crête des montagnes qui séparent les affluents de la rivière Hopa de ceux de la rivière Tcharokh et la chaîne de montagnes au sud de la ville d'Artvin jusqu'à la rivière Tcharokh près des villages Alat et Béchaget ; puis la frontière se dirigera par les sommets des monts Dervénikgheki, Hortchezor et Bedjiguin-Dagh, par la crête qui sépare les affluents des rivières Tortoum-Tchaï et Tcharokh, et par les hauteurs près de Vaïly-Vihine, pour aboutir au village Vihine-Kilissa, sur la rivière Tortoum-Tchaï ; de là elle suivra la chaîne Sivridagh, jusqu'au col de ce nom, en passant au sud du village Noriman ; elle tournera ensuite vers le Sud-Est, ira à Zivine, d'où la frontière, passant à l'ouest de la route qui mène de Zivine aux villages Ardost et Horassan, se dirigera au Sud par la chaîne de Saganlough jusqu'au village Gilitchman ; puis par la crête du Charian-Dagh elle arrivera à dix verstes au sud de Hamour au défilé de Mourad-Tchaï ; la frontière longera ensuite la crête de l'Alla-Dagh et les sommets du Hori et du Tandouret, et, passant au sud de la vallée de Bayazet, ira rejoindre l'ancienne frontière turco - persane au sud du lac de Kazli-Gueul.
Les limites définitives du territoire annexé à la Russie, indiquées sur la carte ci-jointe, seront fixées par une commission composée de délégués russes et ottomans. Cette commission tiendra compte dans ses travaux tant de la topographie des localités, que des considérations de bonne administration et des conditions propres à assurer la tranquillité du pays.

c. Les territoires mentionnés dans les paragraphes a et b sont cédés à la Russie comme équivalent de la somme d'un milliard cent millions de roubles. Quant au reste de l'indemnité, sauf les dix millions de roubles dus aux intérêts et institutions russes en Turquie, soit trois cent millions de roubles, le mode de paiement de cette somme et la garantie à y affecter seront réglés par une entente entre le gouvernement impérial de Russie et celui de Sa Majesté le Sultan.

d. Les dix millions de roubles réclamés comme indemnité pour les sujets et institutions russes en Turquie seront payés à mesure que les réclamations des intéressés seront examinées par l'ambassade de Russie à Constantinople et transmises à la Sublime-Porte.

Article 20.

La Sublime - Porte prendra des mesures efficaces pour terminer à l'amiable toutes les affaires litigieuses des sujets russes pendantes depuis plusieurs années, dédommager ces derniers, s'il y a lieu, et faire exécuter sans délai les sentences rendues.

Article 21.

Les habitants des localités cédées à la Russie, qui voudraient fixer leur résidence hors de ces territoires, seront libres de se retirer, en vendant leurs propriétés immobilières. Un délai de trois ans leur est accordé à cet effet à partir de la ratification du présent acte. Passé ce délai les habitants qui n'auront pas quitté le pays et vendu leurs immeubles, resteront sujets russes.

Les biens immeubles appartenant à l'État ou aux fondations pieuses sises en dehors des localités précitées, devront être vendus dans le même délai de trois années, suivant le mode qui sera réglé par une commission spéciale russo-turque. La même commission sera chargée de déterminer le mode de retrait, par le gouvernement ottoman, du matériel de guerre, des munitions, des approvisionnements et autres objets appartenant à l'État, et qui existeraient dans les places, villes et localités cédées à la Russie et non occupées actuellement par les troupes russes.

Article 22.

Les ecclésiastiques, les pèlerins et les moines russes voyageant ou séjournant dans la Turquie d'Europe et d'Asie, jouiront des mêmes droits, avantages et privilèges que les ecclésiastiques étrangers appartenant à d'autres nationalités. Le droit de protection officielle est reconnu à l'ambassade impériale et aux consulats russes en Turquie, tant à l'égard des personnes sus indiquées, que de leurs possessions, établissements religieux, de bienfaisance et autres dans les Lieux-Saints et ailleurs.

Les moines du mont Athos d'origine russe seront maintenus dans leurs possessions et avantages antérieurs et continueront à jouir, dans les trois couvents qui leur appartiennent et dans les dépendances de ces derniers, des mêmes droits et prérogatives que ceux qui sont assurés aux autres établissements religieux et couvents du mont Athos.

Article 23.

Tous les traités, conventions et engagements, antérieurement conclus entre les deux hautes parties contractantes relativement au commerce, à la juridiction et à la position des sujets russes en Turquie, et qui avaient été supprimés par l'état de guerre, seront remis en vigueur, sauf les clauses auxquelles il serait dérogé par le présent acte. Les deux gouvernements seront replacés, l'un vis-à-vis de l'autre, pour tous les engagements et rapports commerciaux et autres, dans la situation même où ils se trouvaient avant la déclaration de guerre.

Article 24.

Le Bosphore et les Dardanelles resteront ouverts, en temps de guerre comme en temps de paix, aux navires marchands des États neutres, arrivant des ports russes ou en destination de ces ports. La Sublime-Porte s'engage en conséquence à ne plus établir dorénavant, devant les ports de la mer Noire et de celle d'Azow, de blocus fictif qui s'écarterait de l'esprit de la déclaration signée à Paris le 4/16 avril 1856.

Article 25.

L'évacuation complète, par l'armée russe, de la Turquie d'Europe, à l'exception de la Bulgarie, aura lieu dans l'espace de trois mois après la conclusion de la paix définitive entre S. M. l'Empereur de Russie et S. M. le sultan.

Afin de gagner du temps et d'éviter le maintien prolongé des troupes russes en Turquie et en Roumanie, une partie de l'armée impériale pourra être dirigée vers des ports de la mer Noire et de celle de Marmara pour y être embarquée sur des bâtiments appartenant au gouvernement russe ou frétés pour la circonstance.

L'évacuation de la Turquie d'Asie s'opérera dans l'espace de six mois à dater de la conclusion de la paix définitive, et les troupes russes auront la faculté de s'embarquer à Trébizonde pour retourner par le Caucase ou par la Crimée.

Les opérations de l'évacuation devront commencer immédiatement après l'échange des ratifications.

Article 26.

Tant que les troupes impériales russes séjourneront dans les localités qui, conformément au présent acte, seront restituées à la Sublime-Porte, l'administration et l'ordre des choses resteront dans le même état que depuis l'occupation. La Sublime-Porte ne devra y prendre aucune part durant tout ce temps et jusqu'à l'entière sortie de toutes les troupes.

Les troupes ottomanes ne devront entrer dans les localités qui seront restituées à la Sublime-Porte, et cette dernière ne pourra commencer à y exercer son autorité, que lorsque, pour chaque place et province qui aura été évacuée par les troupes russes, le commandant de ces troupes en aura donné connaissance à l'officier désigné à cet effet de la part de la Sublime- Porte.

Article 27.

La Sublime-Porte prend l'engagement de ne sévir d'aucune manière, ni laisser sévir contre les sujets ottomans qui auraient été compromis par leurs relations avec l'armée russe pendant la guerre. Dans le cas où quelques personnes voudraient se retirer avec leurs familles à la suite des troupes russes, les autorités ottomanes ne s'opposeront pas à
leur départ.

Article 28.

Immédiatement après la ratification des préliminaires de paix, les prisonniers de guerre seront rendus réciproquement par les soins de commissaires spéciaux nommés de part et d'autre, et qui se rendront à cet effet à Odessa et à Sévastopol. Le gouvernement ottoman payera tous les frais de l'entretien des prisonniers qui lui seront restitués, en dix-huit termes égaux, dans l'espace de six années, d'après les comptes qui seront établis par les commissaires susmentionnés.

L'échange des prisonniers entre le gouvernement ottoman et ceux de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro, aura lieu sur les mêmes bases, en déduisant, toutefois, dans le décompte à établir, le nombre des prisonniers restitués par le gouvernement ottoman du nombre des prisonniers qui lui seront restitués.

Article 29.

Le présent acte sera ratifié par Leurs Majestés Impériales l'Empereur de Russie et l'empereur des Ottomans, et les ratifications échangées, dans quinze jours ou plus tôt, si faire se peut, à St-Pétersbourg, où l'on conviendra également du lieu et de l'époque à laquelle les stipulations du présent acte seront revêtues des formes solennelles usitées dans les traités de paix. Il demeure, toutefois, bien entendu que les Hautes Parties contractantes se considèrent comme formellement liées par le présent acte depuis le moment de sa ratification.

En foi de quoi, les Plénipotentiaires respectifs ont revêtu le présent acte de leurs signatures et y ont apposé leurs cachets.

Fait à San Stefano, le dix-neuf février (trois mars) mil huit cent soixante-dix-huit.

Comte N. Ignatiew.          Savfet.
Nélidow.                           Sadoullah.

Paragraphe final de l'art. 11 de l'acte des préliminaires de paix, signé aujourd'hui le 19 février (3 mars) 1878, qui a été omis et qui doit faire partie intégrante du dit article.

Les habitants de la principauté de Bulgarie qui voyageront ou séjourneront dans les autres parties de l'empire ottoman seront soumis aux lois et aux autorités ottomanes.

San Stefano, le 19 février (3 mars) 1878.
Comte N. Ignatiew.           Savfet.
Nélidow.                            Sadoullah.