(la traduction et les notes sont issues de la Digithèque de l'université de Perpignan)

Les constitutions de Clarendon, procédures juridiques découpées en 16 points statuent sur les rapports de l'Église et de l'État que Henri II, roi d'Angleterre présenta à Clarendon Park en 1164. Thomas Becket, archevêque de Canterbury s'y opposa violemment mais fut néanmoins obligé de les signer. C'est le début de la fin pour l'ancien ami du roi, qui doit partir en exil et finira exécuté dans sa cathédrale en 1170.

En l'année 1164 de l'Incarnation de notre Seigneur, la quatrième année du pontificat d'Alexandre, la dixième du règne du très illustre Henry, en présence de ce roi, il a été fait rapport et reconnaissance d'une certaine partie des coutumes, libertés et dignités de ses prédécesseurs - à savoir du roi Henry, son grand-père et des autres - qui doivent être observées et tenues dans le royaume. Et à cause des dissensions et des discordes qui ont surgi entre le clergé et d'autre part les juges du seigneur roi et les barons de ce royaume concernant ces coutumes et ces dignités, cette reconnaissance a été faite devant les archevêques, les évêques et le clergé et les comtes, les barons et les grands du royaume.

 

Et ces mêmes coutumes ont été énoncées par les archevêques, évêques, comtes et barons et par les plus nobles et anciens du royaume, Thomas archevêque de Cantorbéry, Roger archevêque de York, Gilbert, évêque de Londres, Henry évêque de Winchester, Nigel évêque d'Ely, Guillaume évêque de Norwich, Robert évêque de Lincoln, Hilaire évêque de Chichester, Jocelyn évêque de Salisbury, Richard évêque de Chester, Bartholomé évêque d'Exeter, Robert évêque de Hereford, David évêque de St David, et Roger évêque élu de Worcester, elles ont été accordées, et véritablement et fermement promises oralement pour être observées et tenues par le seigneur roi et ses héritiers de bonne foi et ouvertement ; en présence de :

Robert comte de Leicester, Réginald comte de Cornouailles, Conan comte de Bretagne, Jean comte d'Eu, Roger comte de Clare, Geoffroi de Mandeville, Hugues comte de Chester, Guillaume comte d'Arundel, Guillaume comte de Ferrers, Richard de Luci, Réginald de Mowbray, Simon de Beauchamp, Honfroy de Bohon, Mathieu de Hereford, Gautier de Mayenne, Manser Biset l'intendant, Guillaume Malet, Guillaume de Courcy, Robert de Dunstaville, Jocelyn de Baillol, Guillaume de Lanvallei, Guillaume de Caisnet, Geoffroi de Vere, Guillaume de Hastings, Hugues de Moreville, Alain de Neville, Simon Fitz Peter, William Maudit le chambellan, Jean Maudit, Jean le Maréchal, Pierre de Mara, et maints autres nobles et grands du royaume, clercs et laïcs.

 

Une certaine partie des coutumes et dignités qui furent reconnues est contenue dans le présent procès-verbal.

En voici les articles :

1. Si un différend survient entre laïcs, ou entre laïcs et clercs, ou entre clercs concernant le patronage ou la présentation des églises, il doit être traité et terminé à la cour du roi.

2. Les églises du fief du seigneur roi ne peuvent être attribuées à perpétuité sans son accord et son consentement.

3. Les clercs inculpés et accusés de quelque chose,  étant semons par le juge royal, doivent se présenter devant son tribunal pour y répondre de ce dont il paraîtra au tribunal du roi qu'ils doivent y répondre ; et devant le tribunal ecclésiastique pour y répondre de ce dont ils doivent y répondre. Toutefois, le juge royal enverra voir au tribunal de la sainte Église comment l'affaire y est traitée. Et si le clerc est convaincu ou a avoué, l'Église ne doit plus le protéger.

4. Il n'est pas permis aux archevêques, évêques et prêtres du royaume de quitter le royaume sans la permission du seigneur roi. Et s'ils ont la permission, ils donneront caution, s'il plaît au roi, qu'ils ne chercheront aucun mal ou préjudice au roi ou au royaume au cours de leur voyage.

 

5. Pour être absoutes, les personnes excommuniées ne doivent pas donner caution pour une durée illimitée ni prêter serment, mais seulement garantie et promesse de se soumettre au jugement de l'Église.

6. Les laïcs ne doivent être accusés que par des témoins et accusateurs fiables et loyaux, en présence de l'évêque, de façon que l'archidiacre ne perde pas son droit et tout ce qui en dépend. Et si les coupables devaient être tels que personne ne veut ou n'ose les accuser, le shérif, à la requête de l'évêque, désignera douze hommes loyaux du voisinage qui prêteront serment devant l'évêque de dire la vérité, selon leur conscience.

7. Aucun des tenanciers en chef du roi ni aucun des agents de son domaine, ne peut être excommunié ni ses terres mises en interdit si le roi, s'il est dans le pays, ou son Justicier, s'il est en dehors du royaume, n'a pas d'abord donné son accord, afin que justice soit faite ; de telle sorte que ce qui appartient au tribunal royal y soit jugé et que ce qui regarde le tribunal ecclésiastique  y soit envoyé pour y être jugé.

8. Les appels, s'il y a lieu, doivent être transmis de l'archidiacre à l'évêque et de l'évêque à l'archevêque. Et si l'archevêque manque à rendre justice, il faut aller finalement devant le roi, pour que sur son ordre, le litige soit jugé par le tribunal de l'archevêque ; et on n'ira pas plus loin sans l'accord du roi.

9. Si un litige survient entre un clerc, concernant une tenure que le clerc prétend en franche aumône, et un laïc qui prétend que c'est un fief laïque, la décision sera prise par le Grand Justicier du roi sur la reconnaissance par douze hommes loyaux, en présence du Grand Justicier lui-même, que la tenure est en franche aumône ou en fief laïque. Et s'il est reconnu qu'il s'agit d'une tenure en franche aumône, l'affaire sera jugée par le tribunal ecclésiastique, mais s'il s'agit d'un fief laïque, le litige sera réglé par la justice royale, sauf si les deux parties relèvent du même évêque ou du même baron. Mais si les deux parties tiennent leur fief du même évêque ou du même baron, il sera jugé dans leur tribunal ; de telle sorte que celui qui possédait la terre n'en perde pas la saisine à cause de la reconnaissance, jusqu'à ce que l'affaire soit tranchée par le tribunal.

10. Si quelqu'un d'une ville, d'un château, d'un bourg ou d'un manoir du domaine royal, est cité par l'archidiacre ou l'évêque pour quelque infraction dont il doit être tenu responsable devant lui et qu'en dépit des semonces il refuse de faire ce qui est juste, il est tout à fait permis de le mettre en interdit, mais il ne doit pas être excommunié avant l'accord du principal représentant du roi dans ce lieu, afin de pouvoir le contraindre de façon autoritaire à venir à son procès. Mais si le représentant du roi fait défaut, il sera lui-même à la merci du roi ; et alors l'évêque sera compétent pour contraindre l'accusé par le pouvoir ecclésiastique.

11. Les archevêques, évêques, et tous les ecclésiastiques du royaume qui sont tenanciers en chef du roi tiennent leurs possessions du roi comme des baronnies et en répondent devant les juges et les agents du roi, et ils se conforment à toutes les coutumes et aux droits du roi et les observent. Et ils doivent, tout comme les autres barons, assister aux jugements de la cour du roi à côté des barons, y compris aux condamnations à mort ou à la mutilation.

12. Quand un archevêché, un évêché, ou une abbaye ou un prieuré appartenant au domaine du roi est vacant, il doit être entre les mains du roi qui en perçoit les revenus et en assume les dépenses comme appartenant à son domaine. Et s'il convient d'attribuer l'église, le seigneur roi doit aviser les principaux dignitaires de cette église et l'élection doit avoir lieu dans la propre chapelle du seigneur roi avec l'assentiment du seigneur roi et le conseil du clergé du royaume qui a été semons pour la question. Et là,  avant d'être consacré, l'élu rendra l'hommage et fera allégeance au seigneur roi comme à son seigneur lige de sa vie, de ses membres et de son honneur terrestre, sauf son ordre.

13. Si quelque grand du royaume devait empêcher par la force l'archevêque, l'évêque, ou l'archidiacre de rendre la justice dans le cas où lui ou ses hommes seraient concernés, alors le seigneur roi doit traduire une telle personne en justice. Et s'il devait arriver que quelqu'un prive le roi de son droit, les archevêques, évêques et archidiacres devraient le contraindre à donner satisfaction au seigneur roi.

14. Les biens qui ont été confisqués par le roi ne seront pas retenus dans les églises ou les cimetières contre la justice royale, car ils appartiennent au roi qu'ils aient été trouvés à l'intérieur des églises ou à l'extérieur.

15. Les procès concernant les dettes, qui sont dues sur la base d'un serment prêté ou non prêté, iront à la justice royale.

16. Les fils de vilains ne doivent pas être ordonnés sans le consentement du seigneur à qui appartient la terre où ils sont nés.

 

Source:
Henderson, Ernest F.
Select Historical Documents of the Middle Ages
London : George Bell and Sons, 1896.

La déclaration ci-dessus mentionnée des coutumes et dignités royales a été faite par les archevêques, évêques, comtes, barons, et les nobles et anciens du royaume, à Clarendon le quatrième jour avant la Purification de la Sainte Vierge Marie, le seigneur Henry étant présent avec le seigneur roi son père.
Il y a d'ailleurs beaucoup d'autres importantes coutumes et dignités de la Sainte Église et du seigneur roi et des barons du royaume, qui n'ont pas été incluses dans ce procès-verbal, mais qui ont été préservées par la Sainte Église, le seigneur roi et ses héritiers et les barons du royaume, et restent inviolables, à perpétuité.

 

Note de Henderson


La liste des articles déposés devant Thomas Becket en 1164, pour avoir finalement refusé de signer que ce prélat s'était exilé dans son long exil.


La coutume de faire appel à Rome - coutume qui avait commencé sous Henri Ier, dont le frère était légat papal pour l'Angleterre - avait pris des dimensions alarmantes sous Henri II. Le roi n'avait presque aucune juridiction sur ses sujets cléricaux. Et, pour empirer les choses, le clergé ne s'est pas abstenu de commettre des crimes qui exigeaient la plus grande sévérité de la loi. En dix ans, nous avons entendu parler de plus d'une centaine de cas de meurtre impunis parmi eux. C'est pour mettre un terme à une telle anarchie qu'Henri fit rédiger les constitutions de Clarendon par deux de ses justiciables. Elles ne contiennent rien de nouveau, aucun droit qui n'appartenait pas par précédent à la Couronne. C'est la manière dont s'est déroulée la lutte avec Becket, et non la faiblesse du point de vue du roi qui a fait échouer ce dernier dans ses efforts. La sympathie de l'opinion publique se tourne contre lui et, en 1174, il est obligé d'autoriser expressément les appels à Rome. L'influence papale allait s'accroître en Angleterre jusqu'à ce qu'elle atteigne son apogée sous Innocent III.seigneur liege et collectionneur d'hommage.


Source :
Henderson, Ernest F.
Sélection de documents historiques du Moyen Âge
Londres : George Bell and Sons, 1896.

Notes :
Alexandre : Il s'agit d'Alexandre III (1159-1181), l'un des grands papes de la période, dont le pontificat fut marqué par la lutte avec l'empereur Frédéric Barberousse, et la réunion du IIIe concile du Latran, qui anathématisa les Cathares.
art. 1 : Les vacances de biens ecclésiastiques étaient l'occasion de nombreux conflits, concernant notamment la perception des revenus durant la vacance et la présentation du successeur. Le roi affirme ici, comme à l'article 12, son autorité. On retrouve la question à l'article 18 de la Magna Carta et, différemment, à l'article 13 de la charte de 1225.
Cour du roi : sous Henri II, une partie de la curia regis se spécialise pour former le Banc du roi, dont les juges accompagnent le roi dans ses pérégrinations, et dont la cour des plaids communs, fixée à Westminster, se séparera sous Jean sans terre (art. 17 de la Magna Carta). En même temps sont institués les juges itinérants qui viennent présider les sessions des cours de comtés, assistés pour l'occasion de douze hommes du voisinage. Ce système sera précisé et modifié par les chartes de 1217 et de 1225.
art. 3 : la célèbre clause des clercs coupables, principal grief de Thomas Becket, qui dénonça la double peine en citant le prophète Nahoum : « Dieu ne punit pas deux fois ». Les tribunaux ecclésiastiques condamnaient trop légèrement les clercs coupables, notamment les meurtriers. L'article donne le dernier mot à la justice royale.
semondre = appeler, convoquer ; et semonce (summons) = appel.
art. 4 : le roi veut éviter que les membres du clergé manifestent leur indépendance politique en contestant son autorité auprès du pape ou en se concertant avec ses adversaires sur le continent. Voir a contrario l'article 42 de la Magna Carta.
art. 5 : les articles 5 et suivants visent à régler les conflits de juridictions et à éviter les abus des tribunaux ecclésiastiques qui convoquaient les laïcs et les soumettaient à l'amende ou à des cautions abusives sous menace d'excommunication ou d'interdit.
art. 6 : cet article permet de préserver les droits de l'archidiacre en soumettant l'affaire à un jury d'accusation, si l'accusé se dérobe.
art. 7 : de même, compétence du jury pour éviter les accusations abusives des autorités ecclésiastiques, qui infligeaient des amendes à tort et à travers.
art. 9 : en matière de tenures, les conflits étaient fréquents et donnaient lieu à des empiétements de l'Église auxquels le roi veut mettre fin. Ici encore on aura recours au jury pour établir les faits. Et celui qui est en possession de la terre n'en sera pas expulsé avant le verdict. Cette question fera l'objet de l'ordonnance de nouvelle dessaisine de 1166, et encore de l'article 18 de la Magna Carta.
tenure en franche aumône : les biens de l'Église étaient dispensés de tout service temporel et payés en prières. Ces tenures dépendaient du for ecclésiastique, c'est-à-dire des tribunaux de l'Église.
art. 10 : comme à l'article 6, et à l'article 13, le roi est le garant d'une bonne administration de la justice.
art. 11. Le roi réaffirme que les seigneurs ecclésiastiques tiennent de lui comme les barons et sont soumis aux mêmes obligations.
art. 12 : affirmation de l'autorité du roi durant les vacances de biens ecclésiastiques. Pas de consécration avant que le roi ait donné son accord et que l'élu ait fait allégeance. Le roi reste maître des élections ecclésiastiques jusqu'à l'époque de la Magna Carta.
art. 13 : article favorable à l'Église. Les barons se dérobaient aux convocations devant la justice ecclésiastiques, ainsi que leurs hommes.
art. 15. sous prétexte de serment, la justice ecclésiastique affirmait sa compétence. Le roi veut mettre fin à une prétention jugée abusive.
art. 16 : l'Église enlevait des paysans à leurs seigneurs en leur conférant l'ordination.
La
Purification de la Sainte Vierge - commémoration de la venue de Marie au temple pour se purifier, selon la loi mosaïque, des impuretés de l'accouchement - est célébrée, comme la Chandeleur, c'est-à-dire la présentation de Jésus au temple, le 2 février. La déclaration a donc eu lieu le 29 janvier