Accès au quartier chrétien

En longeant la muraille vers le nord, on arrive à la porte Neuve, la plus récente, en arabe Bâb al-Jadîd

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La porte neuve a été percée en 1889 à la demande d'un ambassadeur français à Constantinople. Il souhaitait que la vieille ville soit directement reliée aux institutions françaises du secteur, notamment le centre Notre-Dame de France, où les pèlerins français logeaient.

À cette époque, les chrétiens d'Europe avaient fait l'acquisition de plusieurs terrains à proximité de la ville sainte où ils avaient fondé diverses institutions dont l'hôpital Saint-Louis de France et l'École biblique et archéologique française. La porte Neuve, trouée dans la muraille nord, donne directement sur le quartier chrétien de la vieille ville.

Le percement de la muraille  et son ouverture est perçue en France comme une conquête française :

 « Nous venons de prendre Jérusalem ! », s’exclament les Échos, comme pour rappeler l’entrée des croisés dans la Ville sainte, le 14 juillet 1099. Cette ouverture, qui, d’un point de vue très pratique, réduit sensiblement le temps d’accès au St Sépulcre à partir du « quartier français », donne une porte de la ville aux Français : elle est une victoire sur l’« Orient immobile », « le triomphe du catholicisme sur la barbarie musulmane et sur l’envahissement des Russes schismatiques. »1

La porte est donc plus qu'une modalité pratique un symbole fort de la présence française en Terre Sainte. Comme le sera pour les Allemands le percement de la muraille à la porte de Jaffa pour permettre à Guillaume II d'entrer à cheval dans la vieille ville en 1898. Une analyse de Dominique Timbur2 revient sur ce  sujet :

"Pour la France, le catholicisme est le cœur même du dispositif, .. En ce qui concerne l’Allemagne, on a ici un aspect en apparence marginal, en vertu de ce que Berlin incarne le protestantisme ; dans les faits, à partir de la fin du xixe siècle, le catholicisme est pleinement intégré dans la politique étrangère allemande, notamment pour faire pièce aux prétentions monopolistiques françaises, .. comme pour démontrer les aspirations universelles, géographiques et spirituelles, de la Weltpolitik de Guillaume II. 

Que représente la Terre Sainte pour les deux pays ? La France et l’Allemagne participent de l’intérêt, du renouveau de l’intérêt pour cette région ... Cela se traduit par une exploration scientifique, une forte prise en considération religieuse, un vif intérêt politique, qui dérivent in fine sur des aspirations territoriales, non réalisées et qui demeurent en règle général cantonnées à l’établissement de sphères d’influences. Sur le terrain, après l’établissement de représentations consulaires à Jérusalem et Jaffa, cela passe par le développement de réseaux d’établissements religieux à caractère notamment caritatif, à partir du milieu du xixe siècle. Pour la France c’est la reprise de l’idée communément admise : « fille aînée de l’Église », elle est la puissance catholique, avec une responsabilité particulière envers la Terre Sainte1. On s’inscrit en effet, et de manière tout à fait affichée et décomplexée, dans la droite ligne de l’époque des Croisades et d’une politique étrangère séculaire, depuis François 1er et son arrangement avec la Sublime Porte sur la protection des chrétiens établis dans l’Empire ottoman. Au fil des siècles, l’option catholique s’impose comme l’expression de la politique officielle. En ce qui concerne l’Allemagne, cette option catholique est d’abord l’émanation d’une initiative privée, des catholiques allemands, qui ne sont pas majoritaires au sein du Reich, lui-même principalement protestant et dirigé par la dynastie éminemment protestante que sont les Hohenzollern.

Quelles sont les motivations, et les moyens d’agir ? Du côté français, il en va du respect d’une tradition pluri-centenaire, dans le but de propager l’influence française par le biais de la charité. Du côté de l’Allemagne, il s’agit également de la reprise d’une certaine coutume, remontant également aux Croisades, mais surtout de la volonté de s’émanciper du protectorat français sur les Latins (catholiques) d’Orient, qui, dans la pratique, place les catholiques allemands de l’Empire ottoman dans la dépendance des diplomates français dans tout contact avec les autorités ottomanes ; d’un point de vue de politique intérieure, l’activisme catholique allemand se veut une illustration supplémentaire de la fin du Kulturkampf, avec pleine intégration des catholiques allemands dans leur société, ce qui est hautement affirmé lors du « pèlerinage » de Guillaume II en Orient, en octobre-novembre 1898. Ces motivations respectives trouvent leur aboutissement dans l’élaboration des réseaux d’établissements religieux, en Palestine en particulier, dans l’intégralité de l’Empire ottoman en général. En ce qui concerne la France, la constitution de ce réseau est toute progressive, sans réelle idée de base quant à la logique qui doit présider à l’installation d’un établissement ou d’une communauté religieuse ; au bout du compte toutefois, le réseau qui se met en place est raisonné, avec une série d’établissements « utiles ». Ce réseau cumule une France officielle et officieuse, une France explicite et implicite, puisque si les établissements français bénéficient d’allocations du ministère des Affaires étrangères, ils ne dépendent pas directement de celui-ci et ne représentant pas officiellement la France. Dans le cas de l’Allemagne, la mise en place du réseau semble s’effectuer de manière plus systématique : on utilise le moyen le plus efficace, à savoir la mise en place d’institutions religieuses, ce qui est aussi une manière de dissimuler quelque peu des intentions politiques ouvertement affichées par ailleurs."

 1.   Dominique Timbur, Une présence française en Palestine-Notre Dame de France

2. Dominique Timbur, Catholiques français et allemands en Palestine XIXe-XXe siècles, BCRF 18/2007 p.92-106

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