On l'a un peu oublié, mais en 2011, une frange de la population considérait que Charlie était responsable des agressions qu'il subissait (un incendie à l'époque). Les 20 signataires du texte limitent la liberté d'expression à ce qui peut heurter les croyants. Ils affirment contre toute évidence  que les unes de Charlie s'acharnent sur les Musulmans. Le journal est donc raciste et c'est donc une cible légitime.

Mais, Charlie ne vise pas les musulmans mais la religion et ses notables ainsi que la violence qui en dérive, qui va d'ailleurs s'amplifier fortement dans les années qui suivent.

Et une analyse des unes de Charlie de deux sociologues publiée dans le journal Le Monde du 23 février 2015 ( Le Monde, Non Charlie n'est pas obsédé par l'Islam) a montré que l'Islamisme n'est pas une des préoccupations majeures du journal. Entre 2005 et 2015, sur 523 unes, 38 soit 7% concernent la religion. 7 ont visé l'Islam, 10 plusieurs religions et 21 le Christianisme. "Ce qu'il faut expliquer, ce n'est donc pas pourquoi Charlie Hebdo était islamophobe, mais pourquoi, de nos jours, seuls des extrémistes se revendiquant de l'islam cherchent à museler un journal qui se moque – entre beaucoup d'autres choses – de leur religion."

 

 

Il convient de souligner que les chiffres des sociologues sont contestés par d'autres sociolgues Damien Boone, docteur en sociologie politique, et Lucile Ruault, doctorante en sociologie politique Dans le même journal  ( 23 février 2015, "l'analyse statistique n'explique pas tout") qui sur la période 2009- 2014 trouvent 24 unes relatives à l'Islam (9%). Ils écrivent au surplus que la une correspond plus à un fait saillant qu'à la pensée profonde des journalistes et qu'elle ne reflète donc pas leur esprit.

Reste que les reproches faits par ceux qui critiquent Charlie se font généralement sur leurs unes.

En 2015, la même Rokhaya Diallo sera signataire d'un court texte de soutien à Charlie qui vient d'être décimé par les frères Kouachi. Le soutien total est cependant contrebalancé dans la même phrase par l'islamophobie ainsi exprimé :

Carnage meurtrier à Charlie Hebdo, notre condamnation est totale

Publié le 7 janvier 2015 par PIR

Le PIR exprime toutes ses condoléances aux familles endeuillées et dénonce de façon ferme et définitive le massacre épouvantable qui vient d’être commis à Charlie Hebdo. Un attentat odieux qui s’inscrit dans un contexte d’islamophobie extrême mais que rien ne saurait justifier, quels qu’en soient les motifs, les commanditaires et les exécutants. Par ailleurs le PIR dénonce les apprentis sorciers qui d’ores et déjà cherchent à instrumentaliser cette tragédie dans le sens de plus de répression et de violence contre les musulmans ou pour faire avancer leur agenda dans le cadre d’une stratégie de la tension de sinistre mémoire.

Paris, le 7 janvier 2015

 

 

 Tribune de 2011

 

Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo !

"La liberté d’expression n’est pas à défendre, elle est à conquérir

par Vingt signataires
5 novembre 2011

Le collectif signataire de ce texte est composé de : Saïd Bouamama, Youssef Boussoumah, Houria Bouteldja, Henri Braun, Abdelaziz Chaambi, Ismahane Chouder, Olivier Cyran, Christine Delphy, Thomas Deltombe, Rokhaya Diallo, Sébastien Fontenelle, Nawel Gafsia, Laurent Lévy, Hassina Mechaï, Ndella Paye, Faysal Riad, Arielle Saint Lazare, Karim Tbaili, Pierre Tevanian, Sylvie Tissot, et Najate Zouggari

 

Parce que la liberté d’expression est pour nous un principe précieux, nous refusons catégoriquement l’instrumentalisation bouffonne et intéressée qui en est actuellement faite par le couple Guéant-Charb, par la classe politique et par les grands médias.

Nous affirmons :

 qu’un cocktail molotov lancé la nuit dans des locaux vides et n’occasionnant que des dégats matériels ne mérite pas une mobilisation médiatique et politique supérieure à celle, pour le moins discrète, qu’occasionne l’incendie ou la mise à sac d’une mosquée ou d’un cimetiere musulman.

 que la disproportion entre les unes alarmistes sur l’incendie de Charlie Hebdo et les brèves de dix lignes sur les saccages de lieux de culte musulmans entretient une vision du monde raciste : si un saccage est plus grave qu’un autre, c’est que les biens des uns sont plus précieux que les biens des autres, et c’est en définitive que les uns valent plus que les autres.

 que le climat d’état d’urgence et d’union sacrée qui s’instaure aujourd’hui autour de Charlie Hebdo est d’autant plus odieux qu’il tombe au même moment qu’un silence et une indifférence quasi générale face à un autre incendie, lui aussi parisien, lui aussi d’origine criminelle, à ceci près qu’il visait un bâtiment occupé par des Roms et qu’il a entraîné une mort d’homme : Ion Salagean.

 que Charlie Hebdo, en acceptant la visite intéressée de Claude Guéant, qui incrimine avec empressement des "extrémistes musulmans", en l’absence du moindre élément de preuve, participe, comme il l’a déjà fait dans le passé en publiant des articles ou des dessins antimusulmans, à la confusion générale, à la sarkozisation et à la lepénisation des esprits.

 qu’il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les journalistes de Charlie Hebdo, que les dégats matériels seront pris en charge par leur assurance, que le buzz médiatique et l’islamophobie ambiante assureront certainement à l’hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes décuplées, comme cela s’était produit à l’occasion de la première "affaire des caricatures" - bref : que ce fameux cocktail molotov risque plutôt de relancer pour un tour un hebdomadaire qui, ces derniers mois, s’enlisait en silence dans la mévente et les difficultés financières.

 que, contrairement à ce qui se dit et se répète jusqu’à la nausée à la faveur de ce nouveau buzz antimusulman, la liberté de critiquer l’islam est tout sauf menacée, et que toute personne dotée d’un minimum de bon sens peut même constater, en inspectant semaine après semaine la devanture de son kiosque ou les programmes de télévision, que concernant l’islam, non seulement la critique mais aussi la caricature et l’injure prospèrent en toute tranquillité et en toute bonhomie depuis au moins une décennie.

 qu’en revanche, il est une liberté d’expression qui est bel et bien menacée, et même plus d’une : celle pour commencer des femmes qui voudraient s’habiller comme bon leur semble, sans qu’un Etat national-laïque leur impose par la loi un dress-code de bonne musulmane cheveux aux vents ; celle de ces mêmes femmes lorsqu’elles voudraient faire entendre leur ras-le-bol des regards, injures et discriminations qu’elles subissent quotidiennement au motif qu’elles portent un foulard ; celle des sans-papiers qui aimeraient avoir la parole et informer le public sur la réalité de leurs conditions de vie ; celle des SDF, des chômeurs, des précaires, qui sont les perpétuels recalés de l’espace public officiel - cet espace de "libre expression" qu’il s’agirait aujourd’hui de défendre, main dans la main avec Charb, Luz, Riss et leurs supporteurs Claude Guéant, Ivan Rioufol et Marine Le Pen.

 que les leçons de tolérance adressées par l’élite blanche aux musulmans, présumés coupables de l’incendie, sont pour le moins malvenues puisque, contrairement à ce qui se dit et se répète, le délit de blasphème existe en France : depuis les lois Sarkozy de 2003, de très lourdes amendes et peines de prison sont prévues contre toute "offense au drapeau ou à l’hymne national".

 que la liberté d’expression consiste à donner la parole aussi à la masse de celles et ceux, musulmans ou pas, qui n’éprouvent absolument aucune sympathie pour Charlie Hebdo, y compris "dans ce moment difficile", à toutes celles et ceux qui n’ont, depuis des années, aucun espace dans les grands médias pour dire leur écoeurement face à la nouvelle marque de fabrique de cet hebdomadaire : un anticléricalisme primaire doublé d’une obsession islamophobe.

 que, pour commencer, la liberté d’expression consisterait, pour que les amis de Charlie Hebdo retrouvent une once d’honneur, à donner abondamment la parole aux proches de Ion Salagean, à ses amis résidents du 163 rue des Pyrénées, et plus largement aux Roms qui subissent depuis de nombreux mois, et depuis bien plus longtemps en fait, le plus brutal et le plus assumé des racismes d’Etat.

P.-S.

Saïd Bouamama est sociologue et militant antiraciste ; Youssef Boussoumah et Houria Bouteldja sont membres du Parti des Indigènes de la République ; Abdelaziz Chaambi est porte parole du Collectif contre le racisme et l’islamophobie ; Ismahane Chouder et Ndella Paye sont membres du Collectif des Féministes Pour l’Egalité, de Mamans Toutes égales et de Participation et Spiritualité musulmanes ; Christine Delphy et Sylvie Tissot sont sociologues et militantes féministes ; Olivier Cyran, Thomas Deltombe, Rokhaya Diallo, Sébastien Fontenelle et Hassina Mechaï sont journalistes ; Henri Braun et Nawel Gafsia sont avocats ; Arielle Saint Lazare est militante féministe ; Laurent Lévy, Faysal Riad, Karim Tbaili, Pierre Tevanian et Najate Zouggari sont militants antiracistes."

 

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