Les Omeyyades, ou Umayyades,  sont une dynastie arabe de califes qui gouvernent le monde musulman de 661 à 750, et jusqu'en 1031 en Al-Andalus, l'Espagne actuelle.  Leur nom est dû à leur ancêtre  ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet.

Ils sont originaires de la tribu de Qurayš, qui domine La Mecque au temps de Mahomet.

À la suite de la guerre civile qui oppose le gouverneur de Syrie Muawiyah  au calife  Ali , et après l'assassinat de ce dernier, Muawiyah fonde le Califat omeyyade en prenant Damas comme capitale. Il succède ainsi aux "Califes biens guidés", les quatre premiers successeurs de Mahomet.

Établi en Syrie, le Califat s'étend avec les successeurs de Muawiyah de l'Indus à l'Espagne, où il remplace le royaume Wisigoth . Il guerroie à plusieurs reprises contre l'Empire byzantin et l'Empire khazar.

Ce sont les troupes Omeyyades qui remontent vers le Duché d'Aquitaine où elle sont arrêtées à la bataille de Toulouse (721), puis vers Poitiers (732) lors de la fameuse bataille où s'illustre Charles Martel.

Le Califat Omeyyade a notamment laissé à la postérité le Dôme du Rocher à Jérusalem (691) et la Grande mosquée des Ommeyades à Damas.

 

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LES OMEYYADES ( 661 - 750 )

Extrait du site Qantara, patrimoine méditerranéen

En 632, la mort du prophète Muhammad, chef spirituel et temporel, devait laisser la jeune communauté musulmane dans un certain désarroi. L’absence d’indication quant au choix de son successeur donne naissance aux premières scissions politiques entre les partisans d’une succession au sein de la famille du Prophète[1] et ceux d’une succession au mérite[2]. À la suite du règne des quatre premiers califes dits les « biens guidés » (rashidûn), le général Mu‘awiya s’impose et instaure en 661 le premier califat héréditaire du monde islamique. Alors que les dirigeants antérieurs, lancés dans les conquêtes, n’avaient guère eut le temps de faire œuvre de mécène, cette première dynastie califale constitue une véritable phase de genèse pour les arts du monde islamique et sa civilisation.

Les Omeyyades mènent tout d’abord une conquête symbolique du territoire à travers un programme architectural savamment orchestré. Le déplacement du centre de pouvoir en Syrie à Damas, dès les premières années du califat omeyyade, atteste d’une volonté de rupture avec les communautés du Hedjaz, encore animées de ressentiment après la prise du pouvoir par famille omeyyade. L’implantation du califat dans l’espace syrien, anciennement byzantin et majoritairement chrétien, détermine l’orientation du premier art islamique et sa société. Les premiers califes omeyyades utilisent dans un premier temps les structures administratives antérieures et locales, ainsi que les édifices préexistants : la prière du vendredi se fait dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Damas. Alors que l’arabe se répand dans le Dâr al-islam à travers le Coran[3] et les troupes, ce sont le grec et le persan qui sont employés dans la gestion de l’empire et les coutumes sassanides et byzantines qui rentrent progressivement dans les mœurs des califes. Il faut attendre l’année 694/695 pour que le calife ‘Abd al-Malik (r. 685-705) impose par une réforme la langue arabe dans l’administration. Cette rupture est perceptible à travers les monnaies conservées. Alors que les premiers dinars imitent les monnaies byzantines en reproduisant à l’avers un personnage en pied, vêtu à la grecque et cerné d’une inscription en arabe, les dinars post-réforme sont aniconiques et s’ornent de la profession de foi en arabe. On doit certainement voir derrière cet acte une volonté forte d’affirmer une identité islamique en rupture avec les populations locales. Il s’agissait sans doute également de régler les problèmes posés par la similitude des monnaies islamiques et byzantines, car certaines chroniques rapportent que les Byzantins étaient allés jusqu’à menacer le calife de saisir les dinars et d’y placer des images chrétiennes.

L’arrivée des Omeyyades ne met pas un terme aux conquêtes qui s’intensifient sous le règne du calife al-Walîd (r. 705-715). La totalité de l’Afrique du Nord est prise et dès 711 le détroit de Gibraltar est franchi, ouvrant une brèche jusqu’à la France mérovingienne. À l’est, l’Iran oriental et le Sind sont progressivement conquis. Ces vastes territoires fournissent aux Arabes des richesses et des matières premières mais aussi de nombreux esclaves, force de travail qui contribue à l’épanouissement d’une opulente classe dirigeante et d’une société hétérogène au sein de laquelle les nouveaux convertis non arabes sont considérés comme inférieurs, situation à l’origine du renversement de la dynastie.

Par leurs programmes architectural et iconographique, les Omeyyades ont affirmé leur emprise sur la terre, mais aussi sur les esprits. C’est à ‘Abd al-Malik que l’on doit l’un des premiers monuments religieux de l’Islam, le Dôme du Rocher, érigé en 691 sur la terrasse du temple de Jérusalem, lieu du sacrifice d’Isaac et du voyage nocturne de Muhammad[4]. Cet édifice à plan centré octogonal surmonté d’une coupole est muni d’un double déambulatoire magnifiant le rocher du mi‘râj. Ce plan place cet édifice commémoratif dans la lignée des martyria et des baptistères chrétiens. L’intérieur s’orne de placages de marbre et de mosaïques à fond d’or, techniques byzantines dont la maîtrise atteste certainement du travail d’artisans chrétiens locaux. Son iconographie est elle aussi une affirmation de domination de la nouvelle religion : des vases jaillissants surmontés de couronnes ailées (motifs royaux sassanides) jouxtent des pendilia byzantins (couronnes desquelles coulent des joyaux). Dans la partie supérieure se déploie la première inscription monumentale de l’Islam en proto-kufique, réalisée en tesselles dorées et comportant des versets rappelant l’unicité divine et la place de Jésus en Islam, prophète et messager, certainement destinée à affermir la foi des nouveaux convertis. Il semble que cet édifice faisait partie d’un plan global conçu par ‘Abd al-Malik pour la ville sainte englobant l’esplanade du temple, le palais et la mosquée al-Aqsa, dont le mihrâb se trouvait dans l’axe du Dôme du Rocher avant les modifications des VIIIe et XIe siècles.

La Grande Mosquée de Damas témoigne de la poursuite de cette politique d’appropriation symbolique de l’espace sous le califat d’al-Walîd, construite sur la principale église de la ville dédiée à saint Jean-Baptiste, elle-même sur l’emplacement d’un ancien temple de Jupiter. Son plan de type arabe, ses dimensions et certaines de ses caractéristiques morphologiques sont en lien avec le temenos du temple romain dans lequel elle s’inscrit. Dotée d’une cour bordée de portiques, la salle de prière se compose de trois nefs parallèles au mur de la qibla, coupées d’une nef axiale dans l’axe du mihrâb. La façade de la salle de prière donnant sur la cour dont la double élévation n’est pas sans évoquer des aqueducs romains, s’orne de magnifiques mosaïques à fond d’or. Des édicules, des palais ornés de coquilles se développent dans un paysage luxuriant, où le volume des feuillages et les reliefs sont délicatement rendus par des dégradés de couleurs. Ce décor étonnant dont le sens fait encore question[5] s’inscrit dans la tradition de l’Antiquité tardive. Là encore, la maîtrise de la technique de la mosaïque témoigne peut-être de la collaboration d’artisans chrétiens au chantier.

Enfin, c’est certainement l’architecture civile qui témoigne le mieux de l’essence de l’art omeyyade et de ses sources. On connaît peu de chose des palais citadins de cette époque, mais un groupe d’édifices extra urbains disposés le long des voies d’échanges ponctue l’actuel désert syro-jordanien[6]. Leur fonction n’est pas toujours comprise, enceintes agricoles ou lieux de villégiature, ils témoignent peut-être de l’itinérance de la cour omeyyade et de leur volonté de marquer ce territoire fraîchement conquis d’une empreinte visible de leur autorité. Le décor des bains de Qusayr Amra édifiés par al-Walid, renforce ce type d’interprétation : dans son abside, un souverain musulman trônant à la manière byzantine fait face aux souverains vaincus, identifiés par des inscriptions grecques et arabes (l’empereur byzantin, le roi wisigoth, l’empereur sassanide, le négus d’Éthiopie, l’empereur de Chine et le Khaqan turc). Filiation symbolique ou représentation fantasmée de la grandeur de l’Islam, il n’en reste pas moins que les modes de représentations et les techniques de réalisation de ce décor sont sans rupture avec les périodes antérieures. Il en va de même des mosaïques et des nombreux stucs de Khirbat al-Mafjar[7], où se mêlent représentations figuratives et végétales parfois proches des productions palmyréniennes. Ici aussi les diverses influences attestent de la participation d’artisans venus de différentes régions. Seul l’arabe qui ponctue de plus en plus fréquemment les décors et une certaine stylisation qui s’amorce contribue à distinguer l’art omeyyade de l’art de l’Antiquité tardive[8].

En 750, une révolution menée par des descendants de l’oncle du prophète ‘Abbas (les Abbassides) met fin au califat Omeyyade dans le sang. Seul un membre de la famille échappe au massacre et parvient, grâce au soutien de tribus alliées de sa mère, à se réfugier en Espagne où ses descendants ressusciteront plus tard le califat omeyyade.

 

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LES OMEYYADES D'AL ANDALUS (756 - 1031)

Extrait du site Qantara, patrimoine méditerranéen

Au début du VIIIe siècle, les contingents arabo-berbères atteignirent les terres situées en bordure de « l’Océan environnant » (l’Atlantique) et tuèrent sur le champ de bataille le dernier roi wisigoth d’Hispania : une nouvelle ère s’ouvrait dans l’histoire de la péninsule Ibérique, désormais connue sous le nom d’al-Andalus. Ce qui fut l’une des dernières provinces annexées par le califat de Damas allait devenir au cours des siècles suivants l’État le plus puissant de la Méditerranée occidentale, capable d’affronter successivement les Carolingiens et les Fatimides et de maintenir des relations diplomatiques privilégiées avec Byzance. La famille omeyyade ne pouvait pas imaginer non plus que ce lointain territoire deviendrait son ultime refuge après avoir été exterminée dans les terres orientales. En effet, le triomphe de la révolution abbasside en 750 mit un terme brutal à cette dynastie avec le massacre de ses principaux membres. Un des survivants, ‘Abd al-Rahmân b. Mu‘âwiya, petit-fils du calife Hishâm b. al-Malik, parvint à s’imposer comme émir d’al-Andalus en 756 après un long périple jalonné d’alliances et de conflits. Dès lors, al-Andalus échappa au contrôle du très récent califat abbasside installé en Irak.

Les premiers siècles du pouvoir omeyyade dans la péninsule furent marqués par de nombreuses révoltes remettant en question sa légitimité et qui culminèrent dans la seconde moitié du IXe siècle (870-880) avec une période d’anarchie (fitna). La consolidation définitive de l’état islamique d’al-Andalus se matérialisa en 929 quand ‘Abd al-Rahmân III adopta le titre de calife. Bien plus qu’une simple déclaration de prestige face à Baghdad, il s’agissait surtout d’une arme politique pour affronter les califes fatimides chiites établis depuis le début du Xe siècle en Ifrîqiya (actuelle Tunisie). Sous son règne et celui de son fils, al-Hakam II, ce nouveau califat, dit « de Cordoue », connut sa plus grande splendeur. Mais, en 976, le chambellan al-Mansûr s’arrogea le pouvoir, instaura un gouvernement militaire et prétendit perpétuer sa propre dynastie. L’éclatement s’avéra irrémédiable en 1009 : la guerre civile qui embrasa le pays, et dans laquelle s’opposèrent berbères, eslavons, arabes et mercenaires chrétiens, aboutit finalement à l’abolition du califat en 1031. Le territoire d’al-Andalus se fragmenta alors en de nombreuses principautés dirigées par des roitelets locaux (mulûk al-tawâ’if).

Tout au long de cette période le siège de la capitale fut Cordoue (Qurtuba), ancienne fondation romaine installée au milieu de plaines fertiles irriguées par le Guadalquivir. Cette ville déborda vite des limites de la madîna emmuraillée où se concentraient les principaux organes administratifs et religieux (grande mosquée, complexe résidentiel des émirs, souks, etc.) ainsi que des édifices publics (bains, funduk) et privés, pour s’étendre en périphérie en une vingtaine de faubourgs densément urbanisés et, en partie, planifiés. À son apogée, au Xe siècle, elle est le centre politique, économique et culturel le plus important d’al-Andalus, mais aussi la plus grande cité de toute l’Europe occidentale. Surnommée « la mère des villes », elle provoqua l’admiration de ses contemporains, musulmans comme chrétiens.

Qurtuba fait donc à la fois figure d’exception et de modèle dans le paysage urbain d’al-Andalus. Elle reflète, d’une part, le processus de récupération du rôle de la ville, cadre et vecteur d’acculturation par ses éléments emblématiques de la nouvelle religion : mosquée, bains. D’autre part, elle concentre le contrôle administratif, fiscal et militaire mais centralise aussi l’activité commerciale pour laquelle furent créés ou réactivés des circuits de distribution qui vinrent compléter un système monétaire centralisé. Néanmoins, la prospérité économique fut troublée, surtout durant l’émirat, par des désastres naturels et une situation politique instable, dont les émissions fluctuantes de monnaies se font écho.

Cependant, son statut de centre idéologique directement lié au pouvoir fait d’elle un cas exceptionnel. Les productions architecturales et artistiques émanant de Cordoue jouent sur l’ostentation comme partie intégrante d’un discours de propagande dynastique. Les preuves les plus patentes en sont les projets emblématiques de la dynastie que furent la Grande Mosquée et la cité palatiale de Madinat al-Zahra dont la grandeur et la magnificence furent à la hauteur des investissements humains et matériels.

La fondation de la Grande Mosquée par ‘Abd al-Rahmân I en 786 remplaça le lieu de culte primitif qui occupait en partie une église. Ses successeurs ne cesseront de l’agrandir, tant pour accueillir une population en expansion que par désir de prestige. Dès sa première phase de construction, cet édifice se caractérisa par une combinaison originale d’éléments orientaux et locaux, d’empreints au répertoire antique et d’innovations. Sa salle de prière hypostyle, aux nefs perpendiculaires au mur de qibla, se distinguait par l’introduction d’une formule sans précédent d’arcades superposées, combinant arcs outrepassés et plein cintre, qui sera respectée dans les interventions ultérieures. Le luxueux décor épigraphique et végétal de mosaïques à fond d’or qui orne le mihrâb date du règne d’al-Hakam II, pour lequel il nécessita une main-d’œuvre byzantine. Il est l’aboutissement d’une mise en scène hiérarchisée de l’espace à laquelle participent les matériaux de remploi, les jeux de polychromie et les volumes.

Cette manipulation de l’espace et de l’ornementation architecturale trouve son expression maximale à Madinat al-Zahra (littéralement « la brillante »), parfaitement intégrée à un protocole palatial complexe destiné à affirmer le pouvoir de l’État omeyyade. Son édification débuta sur ordre de ‘Abd al-Rahmân III vers 936 ou 940 au prix d’un investissement considérable qui nécessita la mise en place de voies de communication, d’un système hydraulique et de carrières de pierre. Ses 112 hectares, enserrés dans une enceinte rectangulaire, s’étendent sur les contreforts de la Sierra Morena, à environ 8 km à l’ouest de Cordoue. Ils sont divisés en trois grandes terrasses occupées par des jardins, des résidences privées, des bâtiments publics et des quartiers militaires. La topographie, envisagée comme un élément supplémentaire de la scénographie, est pour beaucoup dans l’originalité de cette ville, conçue pour recevoir la cour et les services administratifs de l’État. Le salon de réception (le salon rico) concentre l’essentiel du programme iconographique avec une symbolique basée essentiellement sur l’arbre de vie et la palmette.

Enfin, les arts mineurs furent également porteurs de l’idéologie califale : tout particulièrement les coffrets et pyxides en ivoire, destinés à des personnes directement associées au cercle califal, et dont le décor très élaboré et raffiné renferme les signes distinctifs de la souveraineté. Plus encore explicite est le message épigraphique qui orne les céramiques à décor vert et manganèse avec la formule al-mulk (le pouvoir), devise générale de l’ordre califal.