Massada est une forteresse construite dans le désert de Judée, au IIe siècle av J.-C. Elle est située à une centaine de kilomètres de Jérusalem. L'excursion peut sans problème se faire dans la journée, voire en un jour et demi en ajoutant une nuit près de la mer morte.

 

Le site

Massada est située sur un éperon rocheux domine le désert alentour. Il n'était accessible que par un chemin étroit et escarpé, le chemin du serpent, en référence à son aspect vu de haut. Un téléphérique ayant été installé dans les années 2000, l'accès est maintenant beaucoup plus aisé. La contrepartie étant évidemment la perte d'une certaine tranquilité sur le plateau, qui heureusement est assez grand, 600 mètres de long sur 300 mètres de large.

L'idée d'installer sur ce lieu une forteresse, signification du mot Massada, paraît folle, tant la nature parait ici hostile. Le site est loin de tout sauf de la mer morte, non navigable et sans vie, en plein désert, sans ressources d'eau. Sur ce point il faudra des trésors d'imagination pour alimenter le site.

 

La première forteresse

La forteresse a été édifiée du temps des Hasmonéens, peut-être au temps d' Alexandre Jannée (-104 ; -78)

Cette dynastie descend des révoltés appelés Maccabés, qui luttèrent contre le pouvoir d'Antiochius IV, un séleucide (grec). Antiochus IV avait imposé la suppression de rites religieux comme la circoncision ou  le shabbath.  Mattathias et ses fils s'étaient révoltés vers -168. Leur révolte les avait conduit à récupérer l'usage du temple en -164, ce que célèbre encore aujourd'hui la fête de Hanouccah chez les Juifs.

A la mort d’Alexandre Jannée en -73, le royaume est repris par sa jeune veuve Salomé. Mais la rivalité entre ses deux fils Hyrcan et Aristobulle  divise le royaume en – 67.  Pompée, général en chef romain placé  en Orient pour chasser les pirates, est alors sollicité par les protagonistes et intervient comme arbitre du conflit fraternel. Il prend Jérusalem à l’automne – 63 et confie le pouvoir à Hyrcan. La Judée tombe alors sous le contrôle de Rome.

La dynastie sous tutelle perdure néanmoins, avec notamment comme successeur le roi Hérode le Grand (-37 ; -4) qui prend le pouvoir suite à une invasion parthe en -40. Le dernier roi de Judée est Hérode Agrippa (41-44), petit-fils d'Hérode, qui règne jusqu'en 44 de notre ère.

La forteresse à cette époque hébergeait sans doute une garnison. Hérode l'agrandit et la fortifie entre -37 et -15. 

Notre seule source sur le sujet provient de l'historien Judeo-Romain Flavius Josèphe (37 - 100), qui n'était pas sur place. Il relate qu'il tient l'histoire de témoins survivants du drame qui s'y est joué.

Flavius Josèphe est un juif d'une famille de prêtres né Joseph ben Matityahou. Il est nommé gouverneur de Galilée lors de la grande rébellion contre Rome, en 66 de notre ère. Il réussit à survivre au pacte collectif de suicide des derniers défenseurs de Jodfat et se rendit à Vespasien, qui allait peu après être proclamé empereur. Se faisant appeler Flavius Josèphe, il devint citoyen romain, historien de renom, et relata en détails tous ces événements. Son récit s'est révélé exact pour l'essentiel.

Hérode est un roi, un tyran détesté de ses sujets juifs. Il est aussi le meurtrier de quasiment toute sa famille. Il a fait tuer deux de ses fils, ainsi que son épouse et la mère de celle-ci. Le massacre des innocents, scène biblique et non historique, lui est attribué par les Évangiles, ce qui en dit long sur sa réputation.

Il est aussi connu pour avoir agrandi le second temple qui avait été construit vers -516 par le gouverneur Zorobabel. La surface actuelle du mont du Temple est le double de ce  qu'elle devait être avant l'agrandissement et l'embellissement qui lui est du. Ce temple sera détruit en 70 par le général Titus.

Hérode avait eu plusieurs fois l'occasion de passer par le site de Massada, lors de sa vie plutôt tumultueuse. Il l'avait pris d'assaut une première fois lorsqu'il voulait venger son père. Il s'y était réfugié alors qu'il était poursuivi par Antigone, fils d'Aristobule qui le poursuivait. C'est encore là qu'il avait laissé des proches, dont sa mère et sa soeur, alors qu'il partait à Rome se faire confirmer comme roi de Judée.

C'est donc là, en plein désert,  qu'il fait construire son refuge, dont il reste toujours des vestiges visitables.

 

La forteresse sous Hérode

Hérode entreprend des travaux de fortification et d'aménagement.

Il fait construire une double muraille, d'une hauteur de six mètres, gardée par 37 tours de 27 mètres de hauteur. Quatre portes percent la murailles, dont deux d'entre elles conduisent à des citernes d'eau.

Hérode fait aussi construire un palais dont l'architecture est audacieuse. Il utilise le dénivelé, assez abrupte de la corniche sud, celle dont le surplomb est le plus haut, pour élever une construction sur trois niveaux, reliés par des escaliers. Le palais est richement décoré en mosaïques, en peintures pariétales mais aussi tous les batiments nécessaires au logement, à l'administration, au stockage de nourriture et d'eau pour selon Flavius Joseph contenir 10 000 hommes.

"Les bâtiments sont en majorité groupés dans la partie nord du terrain, où se trouve aussi le palais d'habitation principal ; la partie ouest abritait les services administratifs et les habitations du personnel de la cour. Le palais du Nord, construit en trois niveaux, sur la pente du rocher, surplombe l'abîme. L'installation, luxueuse, comprend au premier niveau une cour entourée de colonnes corinthiennes et de murs décorés de fresques, avec un bain contigu, chauffé sous le sol. Le second niveau, décoré également de fresques, abrite une piscine et les escaliers menant aux logements situés au troisième niveau. Le palais de l'Ouest, destiné aux cérémonies et aux réceptions, abrite la salle du trône, la salle à manger et un bain dont le pavement en mosaïque est en partie conservé. Ce bâtiment est entouré des services de l'administration et d'un réseau imposant de magasins. Un peu à l'écart se trouve la synagogue" (in EU, Gabrielle Sed-Rajna)

"Le palais résidentiel d'Hérode s'élevait sur le bord septentrional de la falaise. Dotée d'une vue splendide, cette élégante villa était séparée de la forteresse par une muraille, offrant ainsi une intimité et une sécurité maximales. Le palais consiste en trois niveaux luxueusement construits, et reliés par un étroit escalier taillé dans le roc. Sur la terrasse supérieure, plusieurs salles servaient d'appartements, précédés d'un balcon semi-circulaire aux deux rangées concentriques de colonnes. Des mosaïques aux motifs géométriques blancs et noirs pavaient les chambres.

Les deux terrasses inférieures étaient des lieux de loisirs et de détente. Le niveau moyen possédait deux murs concentriques à colonnade couverte, formant un portique autour d'une cour centrale.

La terrasse la plus basse, de forme carrée, s'étendait autour d'une cour centrale à ciel ouvert entourée de portiques. Ses colonnes aux chapiteaux corinthiens étaient enduites de plâtre cannelé. Des peintures à fresque, aux motifs géométriques multicolores ou imitant le marbre, agrémentaient la partie inférieure des murs. On trouvait également à ce niveau des bains privés de modestes dimensions. C'est là, sous une épaisse couche de débris, que furent découverts les restes de trois squelettes : un homme, une femme et un enfant. La magnifique chevelure tressée de la femme était bien conservée, et ses sandales intactes se trouvaient près d'elle, ainsi que des centaines d'écailles de bronze de l'armure de l'homme, sans doute un butin pris aux Romains." (notice archéologique, MFA.IL 23 novembre 1999)

Les citernes permettent d'avoir de l'eau en permanence. Un système ingénieux récolte lors de forts orages de l'eau dans les collines environnantes qui sont acheminés via un conduit ouvert vers un point assez bas de la forteresse. L'eau est ensuite remontée à dos d'homme ou d'animal.

 

La révolte

La révolte juive de 66 a conduit un groupe de juifs à s'éloigner de Jérusalem. Ils partent à l'assaut de la forteresse, qui 75 ans après Hérode, ne contient plus qu'une faible garnison, et emportent la place forte. Après la chute de Jérusalem en 70, vaincue par Titus, un groupe de zélotes juifs les rejoignent et s'installent à Massada.

Massada est alors devenu le dernier refuge des zélotes juifs.

Ces derniers, aussi appelés sicaires (du sica le petit couteau utilisé pour tuer les Romains) font régner la terreur parmi leurs compatriotes, lorsqu'ils les suspectent de collaborer avec l'occupant Romain. Massada compte environ 900 zélotes, dont les femmes et les enfants quand ils sont assiégés par le nouveau gouverneur de Judée, Lucius Flavius Silva. Celui-ci veut reprendre la dernière place forte juive.

Les 15 000 soldats romains de la légion X Fretensis font donc le siège de la forteresse. Ils l'isolent en établissant un mur reliant onze tours et huit camps empêchant toute fuite des retranchés. N'arrivant pas à accéder au sommet, Silva fait construire une rampe en terre battue qui permet l'approche d'une tour bélier du point le plus bas du piton rocheux.

Les assiégés érigent de leur coté un terre-plein soutenu par une assise en bois.

Mais les assaillants romains utilisent leur rampe pour se mettre au niveau du terre-plein qu'ils incendient grâce à des flèches incendiaires, ouvrant le chemin vers la forteresse en 73.

Lorsque les romains entrent, ils ne trouvent que des morts. Les sicaires ont préféré se suicider à la suite de leur chef Eleazar Ben Yair plutôt que de se rendre. Massada a résisté trois ans.

L'unique source écrite est le témoignage de Flavius Josèphe. Il n'était pas sur place mais, il a pu rencontrer deux femmes qui ont survécu au massacre en se cachant dans une conduite d'eau.

"... Ensemble, ils embrassèrent, étreignirent leurs femmes, serrèrent dans leurs bras leurs enfants, s'attachant avec des larmes à ces derniers baisers ; ensemble, comme si des bras étrangers les eussent assistés dans cette œuvre, ils exécutèrent leurs résolutions, et la pensée des maux que ces malheureux devaient souffrir, s'ils tombaient aux mains des ennemis, était pour les meurtriers, dans cette nécessité de donner la mort, une consolation. Enfin, nul ne se trouva inférieur à un si grand dessein ; tous percèrent les êtres les plus chéris. Malheureuses victimes du sort, pour qui le meurtre de leurs femmes et de leurs enfants, exécuté de leur main, paraissait le plus léger de leurs maux !

Aussi, ne pouvant plus supporter l'angoisse dont ces actes une fois accomplis les accablait, et croyant que ce serait faire injure aux victimes de leur survivre même un court instant, ils entassèrent promptement au même endroit tous leurs biens et y mirent le feu ;

puis ils tirèrent au sort1 dix d'entre eux pour être les meurtriers de tous ; chacun s'étendit auprès de sa femme et de ses enfants qui gisaient à terre, les entourant de ses bras, et tous offrirent leur gorge toute prête à ceux qui accomplissaient ce sinistre office.

Quand ceux-ci eurent tué sans faiblesse tous les autres, ils s'appliquèrent les uns aux autres la même loi du sort : l'un d'eux, ainsi désigné, devait tuer ses neuf compagnons et se tuer lui-même après tous ; de cette manière, ils étaient assurés qu'il y aurait égalité pour tous dans la façon de porter le coup et de le recevoir. Enfin, les neuf juifs souffrirent la mort et le dernier survivant, après avoir contemplé autour de lui la multitude des cadavres étendus, craignant qu'au milieu de ce vaste carnage il ne restât quelqu'un pour réclamer le secours de sa main et ayant reconnu que tous avaient péri, mit le feu au palais, s'enfonça d'un bras vigoureux son épée tout entière dans le corps, et tomba près de ceux de sa famille.. 2

" Le plateau est parsemé de grosses pierres rondes comme en lançaient les balistes romaines. Une partie du mur casematé manquait là où sans doute le bélier avait été mise en œuvre...dans une grotte de l'escarpement sud, en contrebas du mur casematé, on trouva vingt-cinq cadavres..mais la découverte la plus frappante, de l'avis de Yadin3 fut celle de douze tessons de poterie ou ostraca de la même écriture, chacun marqué d'un nom différent..sur l'un deux on pouvait lire clairement « Ben Yaïr »4  .Parmi les nombreux objets découverts, il faut mentionner aussi  des fragments de quatorze rouleaux de textes apocryphes ou bibliques dont un de l'Ecclésiastique et une collection de monnaies,  ainsi que des mosaïques de pavement d'époque byzantine.

 

 

La forteresse,  qui a ensuite été habitée à d'autres périodes, garde les traces de l'incendie.

Le palais hérodien a subi un tremblement de terre au IVe siècle qui a ébranlé toute la région. Des moines l'ont habité jusqu'à la conquête arabe de 638.

Depuis, Massada est une référence, parfois ambigue. D'abord symbole pour Israël de la résistance quoiqu'il en coute d'un peuple qui plus jamais ne veut être vaincu, puis questionné actuellement par les historiens et politiques. Le suicide collectif est-il la meilleure manière de finir le combat. N'est pas un symbole d'abandon, plutôt que de se battre jusqu'au dernier ?

Les Juifs du ghetto de Varsovie qui ont préféré prendre les armes, sans aucune chance de survie, suite à la décision de Hitler de liquider le ghetto en avril-mai 1943 ont souvent été comparés aux assiégés de Massada.

1 Des cartes portant des noms, ayant pu servir à tel tirage au sort ont été trouvées sur le site.

2 Flavius Josèphe, la guerre des Juifs.

3 Ygal Yadin, ancien chef d’état-major pendant la guerre d'indépendance est l'archéologue qui entreprit les premières fouilles de Masssada entre 1963 et 1965.

4 Massada, Histoire et symbole, Mireille Hadas-Lebel, présence du judaïsme, Albin Michel.

Comments powered by CComment