En janvier 1996, l'Autorité palestinienne tient ses premières élections présidentielle et législatives. Cette entité gouvernementale qui a vu le jour après les Accords d'Oslo, en 1993, est toujours engagée dans un processus de négociations avec Israël afin d'assurer une paix durable dans la région. En octobre 1996, le président français Jacques Chirac devient le premier chef d'État à prononcer un discours devant la nouvelle Assemblée élue qui siège à Ramallah.

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Monsieur le Président de l'Organisation de Libération de la Palestine et de l'Autorité Palestinienne, Cher Yasser Arafat,


Monsieur le Président du Conseil législatif national palestinien, que je remercie particulièrement pour son accueil,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Diplomates,

Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil législatif,

Je ressens, Monsieur le Président, comme un grand honneur d'être le premier Chef d'Etat étranger invité à s'exprimer devant la première Assemblée librement élue par le peuple palestinien, sur sa terre.

Hier à Jérusalem, aujourd'hui à Ramallah, j'ai mesuré combien chaque homme, chaque femme de cette terre de Palestine est heureux d'accueillir, chez lui, le représentant d'un pays ami. J'ai lu de l'émotion dans les regards et aussi dans les gestes. Une émotion que je partage pleinement. Emotion de vivre avec vous la construction d'institutions nationales tant désirées, dont ce Conseil législatif constitue l'un des piliers. Emotion d'accompagner un peuple digne et courageux sur le chemin de la paix. Emotion, enfin, de retrouver dans sa patrie, celui qui incarne ce choix, le Président Yasser Arafat.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Les relations franco-palestiniennes sont anciennes. Aux heures les plus sombres, la France se tint à vos côtés, appuyant votre volonté d'autodétermination. Monsieur le Président Arafat, vous me rappeliez récemment que la France vous sauva en quelque sorte la vie par deux fois. Depuis, vous êtes devenu un familier de Paris. Et vous avez tenu à vous y arrêter, à votre retour du Sommet de Washington. Quelques semaines auparavant, c'est vous, Monsieur le Président du Conseil législatif, qui lanciez à Paris la coopération entre nos Parlements et je vous adresse aujourd'hui aussi l'amitié de votre homologue français, le Président Philippe Seguin.

En m'adressant à votre institution aujourd'hui, j'ai voulu, Monsieur le Président, marquer solennellement l'importance que la France attache à votre Assemblée, expression de la démocratie palestinienne. Vous êtes l'un des acquis tangibles du processus de paix. Et je tiens à rendre hommage au travail exemplaire que vous accomplissez et à votre rôle dans la construction d'un Etat palestinien démocratique. Je sais aussi votre attachement à cette liberté et à ces droits de l'homme qui vous ont été si longtemps refusés.

Mesdames et Messieurs, en votre qualité d'élus, vous détenez désormais une part indivise de la souveraineté nationale palestinienne. Votre responsabilité, devant votre peuple et devant l'Histoire, est capitale. Comme nous-mêmes l'avons fait, vous faites l'apprentissage de la démocratie. Votre tâche est d'autant plus importante que tout est à créer.

Comme le font les peuples démocratiques, vous vous attachez à délibérer avec dignité. Comme eux, vous cherchez à élaborer les meilleures lois. Comme eux, vous tentez de dégager des choix politiques et de les exprimer clairement. Telles sont les missions que toute nation assigne à ses représentants. Je souhaite que vous trouviez les règles qui assureront l'équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Telles sont, Monsieur le Président de l'Autorité palestinienne et Monsieur le Président du Conseil législatif, si j'ose dire, vos obligations morales à l'égard du peuple palestinien. Et je sais que vous vous êtes engagés sur cette voie.

Ceci vous honore et force le respect. Le respect des principes démocratiques est l'un des atouts qui vous assurent un large soutien international et qui renforcent la confiance de vos partenaires.

L'Europe, qui a beaucoup aidé à la tenue des élections législatives en janvier 1996, continuera à vous appuyer dans l'instauration d'un Etat de droit. La route demeure parsemée de difficultés mais nous mesurons le chemin parcouru et nous connaissons à la fois la ténacité et le génie des Palestiniens.

Votre passé a été marqué par l'exil et la douleur. Hélas, ces dernières semaines ont été, elles aussi, lourdes de crises et de deuils. Une fois encore, des femmes, des hommes, des enfants sont morts. Des Palestiniens mais aussi des Israéliens. Pour ces morts, pour vous, pour nous tous qui vous soutenons, ne pliez pas devant les difficultés ! Combattez la tentation du repli et de la haine ! Gardez l'espoir chevillé au coeur ! Que d'obstacles franchis depuis le temps -c'était hier- où l'existence même d'un peuple palestinien était niée par beaucoup ! Comme les autres, votre peuple a une histoire, il a une culture enracinée dans sa terre, une unité profonde et une aspiration naturelle à décider librement de son destin, à obtenir un Etat. C'est dans la nature des choses. Tout peuple a cette légitime aspiration.

Victimes d'une histoire qui n'était pas la leur, les Palestiniens sont devenus un peuple sans terre. Vous avez connu les épreuves et l'exode, et pourtant vous avez tenu bon. Restez fermes sur les principes ! C'est un ami qui vous parle. Continuez à brandir le rameau d'olivier, comme je l'ai vu dans tant de mains de jeunes en particulier, entre l'aérodrome et le Parlement. Comme vous le disiez il y a quinze ans déjà, Cher Yasser Arafat - et je vous cite- : " ce ne sont pas les armes qui assurent la victoire, mais la foi, la volonté, l'abnégation, la justesse d'une cause ". L'Organisation de Libération de la Palestine a acquis dans l'épreuve une légitimité, puis une reconnaissance internationale. En admettant le droit d'Israël à l'existence, c'est à un partage de la terre que le peuple palestinien a consenti. De Madrid à Oslo et Taba, Israël a alors accepté l'exercice progressif de votre souveraineté.

Je l'ai dit hier chez vos voisins et partenaires israéliens, je le répète aujourd'hui : le processus de paix est encore très fragile. Des étapes déterminantes ont certes été franchies vers cette "paix des braves" à laquelle a appelé le Président Arafat, se référant, comme il l'a dit tout à l'heure, au Général de Gaulle. Mais nous ne sommes qu'au milieu du gué. Le temps joue contre la paix, donc contre les deux peuples, palestinien et israélien, qui désirent pareillement la paix. Chaque nouvel affrontement montre le danger mortel de l'immobilisme. Et je suis venu, ici, avec le sentiment de l'urgence.

Je suis conscient des frustrations et des humiliations qui peuvent être les vôtres. Je sais les souffrances quotidiennes que vous endurez. Mais il faut agir avec calme et sang froid. Savoir raison garder malgré les déceptions. Ensemble, nous devons combattre la tentation de la violence, une tentation qui peut toujours, à chaque instant, réapparaître. Repousser les extrémismes. Faire reculer les forces de la haine qui sont condamnées par toutes les religions, par toutes les démocraties. En rejetant ainsi la violence comme moyen d'expression de vos revendications, vous avez été fidèles à l'action conduite inlassablement par le Président Yasser Arafat. Vous serez fidèles aussi à ces promoteurs de la paix que furent le Président Sadate puis Itzhak Rabin, morts tous les deux pour avoir, avec vision et conviction, voulu la réconciliation et la paix entre les hommes.

Certains pensent que le passé pèse trop lourd. Il peut être aussi la source d'une connaissance mutuelle qui doit se muer en compréhension et en coopération. Cette coopération sera rendue tout à la fois nécessaire et difficile par la relative rareté des ressources naturelles, notamment la terre et l'eau. Il y faudra, de part et d'autre, beaucoup de courage politique. Mais si la paix a un prix, la paix est sans prix. Aujourd'hui, pour progresser, il convient d'abord que les accords signés soient respectés, et ceci dans leur lettre comme dans leur esprit.

La période d'autonomie doit permettre aux deux parties de prendre la mesure de ce qui a été accompli par les uns et par les autres, d'apprendre à vivre côte à côte et de démontrer que la paix et le bon voisinage ne sont pas des utopies.

Transitoire, ce statut ne doit pas être abusivement prolongé, ce ne serait pas sage. Dès à présent, il faut que s'arrête la colonisation, dont la poursuite pèse gravement sur les chances d'une coexistence harmonieuse entre Israéliens et Palestiniens. Les modifications du statu quo à Jérusalem, les destructions de maisons, les expulsions, la construction et l'usage de routes réservées doivent cesser si l'on veut la paix.

L'unité des Territoires palestiniens doit être préservée. Conformément aux accords conclus, le libre passage doit être assuré à l'intérieur de la Cisjordanie et entre celle-ci et la bande de Gaza. Il faut enfin que soit assuré aux Palestiniens l'exercice de leur droit au développement économique, un droit sans lequel la paix serait une illusion. Ceci implique la fin du bouclage, mais aussi le libre développement des échanges extérieurs des Territoires palestiniens. La construction d'un port à Gaza, que la France a décidé de soutenir avec ses partenaires européens, est aussi une nécessité économique et politique.

Vous savez que l'Europe est le premier donneur d'aide à l'économie palestinienne. Et cette assistance, vous pouvez en être assuré, sera maintenue. Notre objectif est politique. L'Union européenne tout entière souhaite que les Palestiniens puissent, à travers le développement, toucher enfin les dividendes de la paix.

Cette action déterminée s'inscrit dans une perspective constante : depuis Venise, que citait tout à l'heure le Président Arafat, en 1980, jusqu'à Florence cette année, puis Dublin, l'Union européenne unanime, dans les quinze pays qui la composent, s'est prononcée fermement en faveur du droit du peuple palestinien à l'autodétermination. Nous continuerons à mobiliser l'Union pour que son rôle politique corresponde à son engagement économique. Pour qu'elle puisse co-parrainer le processus de paix qui a besoin, aujourd'hui, d'un surplus de confiance. Notre message demeurera fondé sur les principes qu'il y a quelques mois, j'énonçais au Caire et que je rappelle : un règlement de la question palestinienne est la clé, le coeur d'une paix juste et globale dans le Proche-Orient.

Pour parvenir à cette paix globale, il faut que l'aspiration légitime d'Israël à la sécurité soit partout comprise et admise dans cette région. Israël, assuré des intentions pacifiques de ses voisins arabes, se convaincra que l'existence d'un Etat palestinien, loin d'être une menace, constitue au contraire un élément essentiel de sa sécurité. Alors, comme l'a dit le Président Arafat, puissent les valeurs de tolérance servir de base à une nouvelle "culture de la paix" qui saura "submerger toute la région" !


La France est prête à contribuer au règlement définitif en favorisant le dialogue politique, en encourageant la construction des institutions et en aidant au développement économique. Elle n'oublie pas les fragments dispersés de votre nation, qui en forment la majorité et qui aspirent aussi à revoir - et pour beaucoup maintenant à découvrir - leur patrie. Il faut prendre en compte les droits des réfugiés, affirmés, il y a près d'un demi-siècle, par la communauté internationale mais jamais exercés. Enfin, il ne pourra pas y avoir de paix excluant la "Ville de la paix", Jérusalem. De tragiques événements l'ont encore récemment prouvé.

Vers Jérusalem, ville trois fois sainte, l'humanité entière tourne ses regards. Je comprends la passion qu'elle suscite. Sa sainteté, pour les Musulmans et les Chrétiens comme pour les Juifs, est indissociable de son existence en tant que cité. Il convient donc de préserver sa pluralité pour qu'elle conserve son identité unique. La solution à Jérusalem ne saurait être uniquement religieuse, ni nationale. Il est nécessaire que la liberté d'accès des croyants, de tous les croyants, soit partout garantie. Mais il convient aussi que toute idée de souveraineté, d'où qu'elle vienne, soit aménagée dans le cadre du compromis négocié prévu par les accords d'Oslo. Ce compromis devra tenir compte des aspirations et des droits de toutes les parties concernées.

Monsieur le Président de l'Organisation de Libération de la Palestine et de l'Autorité Palestinienne,
Monsieur le Président du Conseil législatif national palestinien,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Diplomates,

Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil législatif,

Consolider et étendre l'autonomie. Régler la question des réfugiés. Imaginer le statut de Jérusalem en fonction des légitimes ambitions de chacun. Créer votre Etat. Autant d'objectifs à atteindre, autant de problèmes non résolus dont la difficulté ne doit pas nous effrayer. Mesurons plutôt le chemin parcouru. Constatons que le plus dur a été fait : la reconnaissance mutuelle et un accord sur les étapes pour parvenir à la paix.

Ces résultats, vous avez pu les obtenir grâce au soutien de la communauté internationale, au courage et à la vision de véritables hommes d'Etat, mais aussi à l'unité dont vous avez su faire preuve, en dépit de votre dispersion. L'Unité fait la force. Plus que jamais, sachez la préserver !

Dans cette longue quête, la France se tient à vos côtés pour que, dans la concorde retrouvée, tous les peuples de cette terre d'histoire, si ancienne et si belle, vivent en paix, comme ils le souhaitent.

Je vous remercie.

 

 

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