« Elizabeta Guttmann, née en Hongrie, était une jeune fille quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté. En 1943, Elizabeta, avec ses sœurs et ses frères, a été envoyée à Auschwitz-Birkenau. Ses parents et trois de ses petites sœurs ont été tués dans le camp. Elizabeta s’est cramponnée à la vie et elle a survécu. A la fin de la guerre, elle est retournée dans le village de son enfance et elle a épousé Sandor ז »ל, qui avait lui aussi perdu sa famille. Pendant vingt ans, tous ceux-là ont rêvé d’immigrer en Israël, mais cela leur a été refusé encore et encore.
Et enfin, en 1965, ils ont pu réaliser leur rêve et faire leur alyah.
Ensemble, ils ont fondé un foyer et élevé une famille, ils ont eu des enfants, puis des petits-enfants – et même des petits-enfants. A notre grand chagrin, Elizabeta a fini seule sa vie. Le coronavirus l’a tuée, sans qu’aucun de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants n’ait pu se trouver à ses côtés à ses derniers instants. Il n’y avait personne pour lui tenir la main, pour l’embrasser une dernière fois, pour lui dire Adieu.
900 survivants de la Shoah sont morts en Israël des suites directes de la pandémie. Ils avaient survécu aux ghettos, aux camps de la mort, aux bateaux d’immigrants et aux camps d’internement. Mais la dernière bataille de leur vie, ils l’ont livrée à la fois déconcertés et isolés, le visage sous un masque, des gants sur les mains, avides de contacts mais séparés de ceux qu’ils aimaient.
Ce soir, nos cœurs sont à leurs côtés et aux côtés de leurs familles. Nous nous souvenons de leur courage, de leur esprit. Nous nous souvenons de l’inspiration, de la force qu’ils nous ont insufflée et qu’ils nous insufflent encore. Que leur mémoire soit une bénédiction.
Mes compatriotes israéliens, il y a 80 ans, au mois de juin 1941, les meurtres en masse des Juifs en Union soviétique et dans les territoires annexés commençaient des mains des nazis, des mains de leurs collaborateurs locaux, ainsi que des mains de tous ceux qui leur avaient facilité la tâche. Leur objectif était de n’épargner personne, « jusqu’au tout dernier Juif ». C’était le meurtre brutal visant la destruction totale et systématique du peuple juif.
Des communautés juives qui vivaient depuis des siècles ont été éliminées de la surface de la terre. Dans les tranchées, dans les fosses et dans les vallées de la mort, à Ponar, à Babyn Yar et ailleurs. 33 771 Juifs, dont des bébés, des enfants, des femmes, des personnes âgées, ont été exécutés par balle pendant deux jours entiers, au mois de septembre 1941, juste avant Yom Kippour, dans la vallée de la mort à Babyn Yar.
Leurs noms ne sont pas connus. Mais leur souvenir est gravé dans nos cœurs.Mes chers survivants de la Shoah, citoyens israéliens, le fardeau du souvenir que nous portons dans nos cœurs est un devoir sacré.
Que nous le voulions ou non, la mémoire de la Shoah a dessiné ce qu’est aujourd’hui notre identité en tant que peuple.
La Shoah place devant nous – ses victimes, le peuple Juif et l’État d’Israël – une tâche infinie de commémoration. Porter ce fardeau du souvenir n’est pas chose facile.
Un peuple qui porte dans sa mémoire historique un néant si profond, si difficile, si impossible, n’est pas un peuple comme les autres.
Notre mémoire historique exige que nous continuions à apprendre et à enseigner la Shoah. A rechercher sans limites et sans craintes ou faveur, à connaître l’histoire en détail, en soulevant toutes les pierres. Cela exige que nous tentions de toucher du doigt et de comprendre l’inconcevable.Nous devons préserver la mémoire de la Shoah comme une mémoire sacrée. Et ne pas utiliser cette mémoire, ou la Shoah, comme un outil, un instrument en fonction des besoins du moment. Et il est impératif, en même temps, de ne pas permettre à cette blessure béante de nous arrêter d’agir ou de regarder l’avenir.
Je me tiens ici, sur les collines de la Jérusalem juive, de la capitale d’Israël, en cette veille de Yom HaShoah, la Journée de commémoration des martyrs et des Héros, de l’année 5781. Il y a seulement un peu plus d’un an, au 75e anniversaire de la libération d’ Auschwitz-Birkenau, j’avais eu le privilège d’accueillir ici des dizaines de souverains, de présidents et des Premier ministres venus du monde entier. Ensemble, nous nous étions promis de commémorer la Shoah et de combattre l’antisémitisme, le racisme, la haine et la délégitimation – ces ennemis mortels qui, ici et ailleurs, ont le pouvoir de renverser des nations, de saper la liberté et l’esprit humain. Pour moi, cela avait été l’apogée d’un voyage personnel bouleversant.
Ces dernières années, je me suis tenu aux côtés d’autres chefs d’État dans les camps de la mort, dans les vallées de la mort, sur des sites de commémoration et dans des musées de toute l’Europe. Je n’étais pas seul. Avec moi, se trouvaient six millions de nos frères et sœurs.
Vous, survivants, étiez aussi avec moi. Je n’ai pas les mots nécessaires pour décrire la force que j’ai pu puiser en vous.
Vous, survivants de la Shoah, héros de notre renaissance, qui avez trouvé le courage de vous lever de ce sol noyé de sang et de larmes pour espérer encore, pour choisir la vie, choisir d’aimer, choisir de rire, de prendre du plaisir, de croire, de construire et de créer.De construire un foyer national et un foyer pour vous. Auprès de vous, j’ai appris que nous ne sommes pas condamnés à croître et à nous développer en niant les choses, par la crainte et la menace.
En votre nom, je me suis assuré de dire à mes interlocuteurs que nous, les Juifs, nous défendrons toujours, toujours par nous-mêmes et que jamais nous ne mettrons notre destinée entre les mains des autres. En votre nom, j’ai juré de me souvenir et de rappeler que le peuple juif n’est pas né à Auschwitz et que notre caractère spirituel, religieux et politique ne s’est pas formé là-bas.
Je vous remercie pour le privilège que vous m’avez accordé de me laisser vous accompagner sur le chemin de la commémoration de la Shoah, vers la renaissance. Je m’incline devant vous. Je garderai toujours vos témoignages au fond de mon cœur.
Je vais bientôt quitter ma fonction officielle de président mais je ne vais pas prendre congé de mon engagement personnel, en tant que Juif, en tant qu’Israélien, je ne vais pas prendre congé de cet engagement de me souvenir et de rappeler, d’éduquer conformément aux valeurs que vous nous avez transmises.
Comme l’avait écrit Gabor Adash, âgé de 13 ans, un jeune Juif exécuté au mois de décembre 1944 sur les rives du Danube : « Un rayon d’espoir continue à briller en moi, comme une arche étincelante dans le noir… Quoi qu’il en soit, je ne vais pas partir ». Je ne vais pas partir. Puisse la mémoire de nos frères et sœurs rester dans le cœur de la nation de génération en génération ».