Le maire de Jérusalem (1870-1879) né à Jérusalem en 1829, Al-Khalidi, écrit sur le sionisme :

" L'idée en elle-même n'est que toute naturelle, belle et juste. Qui peut contester les droits des Juifs sur la Palestine ? Mon Dieu, historiquement, c'est bien votre pays ! Et quel spectacle merveilleux si les Juifs, si doués étaient de nouveau reconstitués en une nation indépendante, respectée, heureuse pouvant rendre à la pauvre humanité des services dans le domaine comme autrefois ! "

Après le rêve, Al-Khalidi revient à la réalité :

" Il faut compter avec la réalité, avec les faits acquis, avec la force brutale des circonstances. Or la réalité c'est que la Palestine fait maintenant partie intégrale de l'empire Ottoman et ce qui est plus grave, elle est habitée par d'autres que des Israélites.

Cette réalité, ces faits acquis, cette force brutale des circonstances ne laissent au Zionisme (sic), géographiquement, aucun espoir de réalisation et ce qui est surtout important, menace d'un vrai danger la situation des Juifs en Turquie."

Al-Khalidi écrit alors à Herzl via le grand rabbin de France Zadoc Kahn pour lui demander de trouver une autre terre.

 

" Il y a lieu de craindre un mouvement populaire contre vos coreligionnaires, malheureux depuis tant de siècles, qui leur serait fatal, et que le gouvernement turc, avec les meilleures dispositions du monde, ne pourra étouffer facilement. C'est cette éventualité très possible qui me met la plume dans la main pour vous écrire.

Il faut donc, pour la tranquilité des Juifs en Turquie, que le mouvement sioniste, dans le sens géographique du mot, cesse. Que l'on cherche un endroit pour la malheureuse nation juive, rien de plus juste et équitable. Mon Dieu, la terre est assez vaste, il y a encore des pays inhabités où l'on pourrait placer des millions d'israélites pauvres, qui y deviendront peut-être heureux et un jour constitueraient une nation. Ça serait peut-être la meilleure, la plus rationnelle solution de la question juive. Mais, au nom de Dieu, qu'on laisse tranquille la Palestine."1

 

Herzl lui répond que

"  les Juifs n'ont pas l'intention de nuire mais que, « en faisant immigrer une quantité de juifs apportant leur intelligence, leur esprit financier et leurs moyens d'entreprise au pays, il ne peut pas faire de doute que le bien-être du pays tout entier en serait l'heureuse conséquence. »"2

 

Voir aussi la réponse complète de Theodor Herzl

 

Le sionisme n'est pas accepté, loin de là par tous, même juifs. Ainsi Albert Antébi, directeur français et juif de l'alliance universelle à Jérusalem écrit le 8 janvier 1900 :

" Vous savez que je ne suis pas sioniste. Placé à Jérusalem depuis plus de trois ans […] je puis mesurer l'étendue du mal fait par cette campagne néfaste au judaïsme. Elle a indisposé les autorités ottomanes contre nous, rendu la population musulmane méfiante de tout progrès accompli par nous [… ]. J'estime Jérusalem pour son passé historique, mais je ne crois pas à son avenir pour notre nation."3

 

Il renchérit le 29 octobre 1901

" Jérusalem devient depuis plusieurs mois le centre de luttes de nationalités. Nous vivions jusqu'alors paisiblement. Les Orientaux étaient reconnaissant à leurs coreligionnaires d'Europe pour le soulagement qu'ils apportaient à leur misère morale et matérielle. On a créé le sionisme soit-disant pour resserrer les liens du Judaïsme ; on n'a réussi qu'à faire naître les luttes de nationalités."4

 

Le député Français Joseph Reinach ne dira pas autre chose mars 1919 (cf. infra)

Du coté des communautés chrétiennes et musulmanes, ce n'est pas encore le rejet unanime. Il pointe parfois un sentiment d'admiration devant le projet et l'organisation sioniste :

" Il faut souligner qu'à cette époque, l'installation de migrants juifs en Palestine n'est pas systématiquement considérée comme une menace par les populations locales, loin de là.

Même si cela peut paraître étrange aujourd'hui, les commentaires bienveillants voire admiratifs sur les premières colonies sionistes sont nombreux dans les grands organes de presse arabes dans les années 1890-1900.

Dans Al-Manar, revue de tendance islamique et réformatrice imprimée au Caire dans laquelle de nombreux intellectuels palestiniens publient leur point de vue, l'intellectuel syrien Rachid Rida souligne par exemple à plusieurs reprises que les nationalistes arabes devraient s'inspirer du modèle sioniste : « il s'agit d'éveiller un peuple engourdi dans sa torpeur, de lui faire prendre conscience des liens solides qui unissent les Juifs, malgré leur dispersion à travers les contrées et les royaumes et de lui faire observer leur façon de s'entraider et de porter assistance à leur peuple (…) Ah, si nous avions examiné le chemin que suivent aujourd'hui les Juifs..seul le pouvoir leur fait défaut pour devenir la nation la plus puissante, ce bien sûr à quoi ils aspirent."

 

1 Henry Laurens, la question de Palestine, T.I l'invention de la terre sainte, 1999, p.204

2 L'histoire occultée des Palestiniens 1947-1953, Sandrine Mansour-Mérien, Ed. Privat

3 In Vincent Lemire, Jérusalem-Histoire ...p.344

***

 

4 Vincent Lemire, jérusalem 1900, p.225