Il en conclut que les Juifs doivent quitter l'Europe et créer leur propre État. Il propose l'achat de terrains pouvant contenir plusieurs millions d'hommes, en Amérique du Nord, ou en Turquie d'Asie, Palestine ou Syrie.
Les Juifs forment, en fait, un élément hétérogène au sein des peuples parmi lesquels ils vivent. Aucune nation ne saurait les assimiler. En conséquence, aucune ne saurait aisément les supporter..Le peuple juif, ne possède pas de pays-père, de patrie. Il n'a ni point de convergence, ni centre de gravité, ni gouvernement propre, ni nulle part, ni chez lui. Toujours les nations ont affaire à des Juifs, et non à une nation juive...tout souvenir de l'ancienne patrie commune paraît anéanti chez les Juifs.
..du moment que nous ne sommes nulle part chez nous, il nous faut enfin posséder un foyer, sinon une patrie...soucieux de nous assurer un foyer stable, d'édifier une nation qui soit nôtre, à nos propres yeux et aux yeux du monde, gardons-nous tout d'abord d'une illusion : celle de croire restaurer l'antique Judée. Il ne faut pas renouer là où, jadis, l'existence de notre État fut brusquement interrompue et morcelée...ce n'est pas la Terre sainte qui doit être le but actuel de nos efforts mais une terre à nous…
Nous avons le sentiment d'être non seulement des Juifs, mais des hommes désireux de vivre comme tels, d'être une Nation comme les autres…
Quel est le pays qui autorisera notre constitution en Nation à l'intérieur de ses frontières ?
...Nous allons même jusqu'à la supposition paradoxale que les peuples inhospitaliers favoriseraient notre évasion. Nos « amis » éprouveraient le même plaisir à nous voir partir, que nous à leur tourner le dos......Maintenant ou jamais, tel doit être notre mot de passe !
Sous peine d'errer d'exil en exil, il nous faut un lieu de refuge, pourvu d'un vaste potentiel, un point de rassemblement entièrement à nous.
La question juive qui est internationale doit trouver une solution nationale.
En parallèle, des organisations commencent à apparaître. Des jeunes gens et des étudiants fondent en janvier 1882 le groupe « Bilou » (Beith Israël Lekhou Vena'ale) sous l'impulsion d'Ïsraël Belkind. On parlera souvent des pionniers de la première alya comme étant les Bilouïm.
Très rapidement, Léon Pinsker prend la direction de la Ahavat zion, ou Ahavat sion. Il s'agit d'un réseau, d'ailleurs peu structuré, de sociétés qui regroupent « tout fils d’Israël qui admet qu'il n'y a pas de salut pour Israël tant qu'un gouvernement juif ne sera pas installé en terre d'Israël ».
Le premier groupe a été créé en 1881 par des étudiants de Saint-Pétersbourg, avant la parution du livre de Pinsker. Il y aura rapidement une centaine de sociétés, surtout dans l'empire russe, mais aussi en Roumanie. Les membres sont appelés « Amants de Sion » (Hovevei Sion ou Hovevei Tzion). Leur but est d'organiser l'émigration de Juifs vers la Palestine (alors partie intégrante de l'empire ottoman).
L'émigration des « Amants de Sion » et celle des Bilouïm se déroule surtout dans les années 1880, dans le traumatisme suivant les pogroms de 1881. On l'appelle la « première aliyah» (mot signifiant « montée » en hébreu, au sens de « montée vers Israël »). Elle ne touche qu'environ 10 000 personnes. Elle fait face à une administration ottomane assez hostile, qui la freine.
Ses militants, peu organisés, forment la base de ce qu'on appellera le « Nouveau Yichouv » (Yichouv signifie « communauté juive en Israël »). Ils rencontrent en Palestine les membres de « l'ancien Yichouv », soit environ 25 000 Juifs très religieux, plutôt séfarades (avec une minorité ashkénaze). Ces Juifs pieux sont essentiellement concentrés dans les quatre villes de Jérusalem, Tibériade, Safed et Hébron.
Cette première vague d'immigrants historiquement importante, crée des villages sur la côte de Palestine (Rishon LeZion en 1882, Rosh Pina, Petah Tikva, Zihron Yaakov, Gedera…), qui deviendront pour beaucoup des villes, et qui expliquent encore aujourd'hui une partie de la géographie urbaine d'Israël.
Elle rend crédible l'idée de l'émigration vers Eretz Israël.
À travers l'un de ses membres, Eliezer Ben-Yehuda, elle crée l'hébreu moderne.
Les colonies juives agricoles de la première Aliyah seront fortement aidées, à compter de 1883, par les financements du baron Edmond de Rothschild, qui apparaît ainsi comme l'un des hommes clefs de ce premier sionisme. Après 1899, la Jewish Colonization Association, fondée par le baron Maurice de Hirsch en 1891, prendra le relais financier, et participera aussi à l'achat de terre en Palestine et à l'aide aux colonies agricoles.
1 Autoémancipation, avertissement d'un juif russe à ses frères, ed mille et une nuits, 2006