Peu de temps avant son élection, le futur président Trump évoquait un plan en 16 points1 pour régler le conflit Israélo-arabe. Il évoquait dans son point 15 le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Sur ce dernier point, Mahmoud Abbas parti à la rencontre du roi de Jordanie Abdallah II qui déclare que le transfert de l’ambassade constituerait le franchissement d’une ligne rouge. Ils se sont mis d’accord sur une série de mesures2 qu’ils adopteraient en cas de transfert effectif. Ces mesures n’ont pas été communiquées.
Pour mémoire, seuls le Costa-Rica et le Salvador ont accepté durant quelques années d’avoir leur ambassade à Jérusalem. l’ambassadeur des États-Unis envisageait le transfert à Jérusalem dès 1950, ce que son administration refuse.
En 1976, ce déplacement est revendiqué par les démocrates (au pouvoir avec Jimmy Carter). Un premier projet de loi voit le jour en 1984. émanant du Congrès, il est rejeté dans un contexte de guerre du Liban et de tensions au Moyen-Orient. Suite aux accords d’Oslo, un deuxième projet voit le jour en 1995, réservant au président un "droit de report" en cas de "danger" pour le pays. La loi du 23 octobre 1995, dite ’Embassy Act’3 est votée à une forte majorité par le Congrès mais n’a jamais été appliquée, le président utilisant la "sûreté nationale" pour en retarder son application.4 Le Jerusalem Embassy Act prévoyait avant le 31 mai 1999 le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Au 7 décembre, cela faisait 18 ans que, deux fois par an, le président bloquait le transfert en suspendant la mesure pour six mois supplémentaire...
L’ambassade américaine à Tel-Aviv. Trump prévoit de la déplacer à Jérusalem fin 2019. |
Après quelques hésitations, Donald Trump une fois élu recule et annonce le 11 juin 2017 qu’afin de maximiser les chances de négocier avec succès un accord entre Israël et les Palestiniens, l’ambassade des USA ne sera pas transférée à Jérusalem, ajoutant la question n’est pas de savoir si cela se produira, mais seulement quand. Netanyahu accuse réception :
bien qu’Israël soit déçu que l’ambassade ne soit pas déménagée cette fois, nous apprécions l’expression de l’amitié du président Trump envers Israël, et son engagement à déménager l’ambassade à l’avenir.
Mais le 6 décembre 2017, lors du traditionnel renouvellement blocage du vote de 1995, le président des États-Unis ne bloque pas le Jerusalem Embassy Act.
Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes en faisant les mêmes suppositions ratées et en répétant les mêmes stratégies échouées du passé. Les vieux défis exigent de nouvelles approches.
Mon annonce d’aujourd’hui marque le début d’une nouvelle approche des conflits entre Israël et les Palestiniens (...)
Les présidents ont émis ces dérogations sous la croyance que retarder la reconnaissance de Jérusalem ferait avancer la cause de la paix. Certains disent qu’ils manquaient de courage, mais ils ont fait leurs meilleurs jugements sur la base des faits tels qu’ils les comprenaient à l’époque. Néanmoins, le bilan est là. Après plus de deux décennies de dérogations, nous ne sommes pas plus proches d’un accord de paix durable entre Israël et les Palestiniens. Il serait folie de supposer que répéter exactement la même formule produirait maintenant un résultat différent ou meilleur.
Par conséquent, j’ai déterminé qu’il est temps de reconnaître officiellement Jérusalem comme la capitale d’Israël (…)
Israël est une nation souveraine avec le droit comme toute autre nation souveraine de déterminer sa propre capitale. Reconnaître cela comme un fait est une condition nécessaire pour parvenir à la paix.
Il y a 70 ans, les États-Unis, sous le président Truman, ont reconnu l’État d’Israël. Depuis lors, Israël a fait sa capitale dans la ville de Jérusalem - la capitale que le peuple juif a établie dans les temps anciens.
Aujourd’hui, Jérusalem est le siège du gouvernement israélien moderne. C’est la maison du Parlement israélien, la Knesset, ainsi que la Cour suprême israélienne. C’est l’emplacement de la résidence officielle du Premier ministre et du président. C’est le siège de nombreux ministères du gouvernement.
Pendant des décennies, des présidents américains, des secrétaires d’État et des chefs militaires américains ont rencontré leurs homologues israéliens à Jérusalem, comme je l’ai fait lors de mon voyage en Israël plus tôt cette année.
Jérusalem n’est pas seulement le cœur de trois grandes religions, mais c’est aussi le cœur de l’une des démocraties les plus réussies au monde. Au cours des sept dernières décennies, le peuple israélien a construit un pays où les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens, ainsi que les croyants, sont libres de vivre et d’adorer selon leur conscience et selon leurs croyances.
Jérusalem est aujourd’hui et doit rester un lieu où les Juifs prient au Mur des Lamentations, où les Chrétiens marchent sur le Chemin de la Croix et où les Musulmans vénèrent à la Mosquée Al-Aqsa.
Cependant, durant toutes ces années, les présidents représentant les États-Unis ont refusé de reconnaître officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël.
En fait, nous avons refusé de reconnaître la moindre capitale israélienne.
Mais aujourd’hui, nous reconnaissons enfin l’évidence: que Jérusalem est la capitale d’Israël.
Ce n’est rien de plus, ou moins, qu’une reconnaissance de la réalité. C’est aussi la bonne chose à faire. C’est quelque chose qui doit être fait (…)
...Cette décision ne vise en aucune façon à rompre avec notre ferme engagement à faciliter un accord de paix durable. Nous voulons un accord qui soit beaucoup pour les Israéliens et beaucoup pour les Palestiniens.
Nous ne prenons pas position sur les questions de statut final, y compris les limites spécifiques de la souveraineté israélienne à Jérusalem ou la résolution des frontières contestées. Ces questions sont laissées aux parties impliquées. 5
Pour Trump,
[Son] annonce aujourd’hui marque le début d’une nouvelle approche face au conflit entre Israël et les Palestiniens.
Jérusalem, [est reconnue comme ] capitale ancienne du peuple juif, comme capitale de l’État d’Israël.
En prenant cette mesure, le président Trump a rempli une grande promesse de campagne, partagée par de nombreux anciens candidats à la présidence américaine.
Le président Trump a demandé au département d’État d’élaborer un plan afin de relocaliser l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem….
Le président Trump reconnaît que les limites spécifiques de la souveraineté israélienne à Jérusalem sont sujettes à des négociations sur le statut final entre les différentes parties.
Le président Trump réaffirme le soutien des États-Unis au statu quo concernant le mont dû Temple, également connu sous le nom de Haram al-Charif...
Retarder la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël n’a pas aidé à parvenir à la paix au cours des deux dernières décennies...
Le président Trump est prêt à soutenir une solution à deux États dans le conflit qui oppose Israéliens et palestiniens, si les deux parties en conviennent.
Aucune précision n’est apportée sur les frontières de cette capitale reconnue : Jérusalem réunifiée ou seule Jérusalem-Ouest. Il renvoie les détails, dans lesquels se niche évidemment le diable, à de futures négociations.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, succède en 2017 à Ban Ki-Moon (2007-2016). |
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres regrette la décision6 :
Ville sainte pour les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, Jérusalem est revendiquée comme capitale à la fois par les Israéliens et les Palestiniens. À de nombreuses occasions, le Conseil de sécurité a déclaré nulles et non avenues les mesures prises par Israël pour changer le statut de Jérusalem… En ce moment de grande anxiété, je tiens à préciser : il n’y a pas d’alternative à la solution à deux États. Il n’y a pas de plan B.
Pour Jean-pierre Filu, Trump par ses propos, insiste sur la dimension religieuse de Jérusalem. Il réduit le débat sur Jérusalem à la nécessaire liberté de culte. Par là, il islamise encore plus la question palestinienne qui devrait rester posé en termes nationaux. Il est pour lui significatif que le mot arabe n’apparaissent nulle part dans la déclaration de Trump. Le mot palestinien n’apparait que dans l’expression paix entre israéliens et palestiniens, à deux reprises, et à à titre incantatoire : « Dieu bénisse... ».
l’historien du Moyen-Orient conclut ainsi :
[la déclaration de Trump] constitue une formidable aubaine pour les extrémistes de tous bords qui veulent travestir ce conflit entre deux nationalismes en inexpiable guerre de religion. Une islamisation tellement perverse n’est pas seulement un coup sévère porté aux nationalistes palestiniens, ainsi qu’à la Jordanie et à l’Egypte, signataires d’un traité de paix avec Israël. Elle frappe aussi de plein fouet le camp de la paix en Israël, déjà confronté à la surenchère multiforme des colons et de leurs relais. Elle sape également la position des Chrétiens d’Orient sur leur terre d’origine. Trump offre enfin un cadeau inespéré à Daech qui, en recul sur tant de fronts, pourra renouveler sa propagande et son recrutement au nom de la défense supposée d’un lieu saint de l’Islam.
Trump n’est pas le premier président américain à reconnaître Jérusalem comme capitale. Obama avait affirmé le 4 juin 2008 : Jérusalem «est la capitale d’Israël et doit rester indivisible
et George Bush Jr (2000-2008) avait affirmé avant son élection que «dès [qu’il prendra ses] fonctions, [il lancera] le processus de transfert de l’ambassadeur américain dans la ville qu’Israël a choisie comme capitale».
Ils avaient cependant bloqué régulièrement l’Embassy Act.
De son côté, Netanyahu est évidemment ravi, mais peut-être un peu optimiste sur les évolutions à venir,
C’est un jour historique. Jérusalem est la capitale d’Israël depuis près de 70 ans. Jérusalem a été le centre de nos espoirs, de nos rêves, de nos prières pendant trois millénaires. Jérusalem est la capitale du peuple juif depuis 3 000 ans.7
C’est ici que nos temples se tenaient, nos rois régnaient, nos prophètes prêchaient…
Nous sommes profondément reconnaissants au Président pour sa décision courageuse et juste...
La décision du Président est un pas important vers la paix...
...il n’y aura aucun changement au statu quo dans les lieux saints...Israël garantira toujours la liberté de culte aux Juifs, aux Chrétiens et aux Musulmans.
***
Jérusalem- Ouest , Jérusalem-Est1
la distinction entre « Jérusalem-ouest » et « Jérusalem-est » ne découle pas de l’époque ottomane ni de celle du mandat britannique, mais du rapport de force entre les troupes de la Haganah et celles de la Légion arabe du royaume de Transjordanie au moment de la guerre de 1948.
Si la Convention d’armistice du 3 avril 1949 officialise cette situation, elle ne fait pas de la démarcation entre ces deux zones une frontière internationale.
Par ailleurs, la Convention précise « qu’aucune clause de la présente convention ne préjugera en aucune manière des droits, revendications et position de l’une ou l’autre des parties à ladite convention lors du règlement pacifique définitif de la question palestinienne, les clauses de la présente convention étant exclusivement dictées par des considérations d’ordre militaire ».
Il s’agit donc d’une ligne de séparation temporaire qui doit faire l’objet de négociation au moment des pourparlers sur le statut définitif de Jérusalem.
Contrairement aux usages diplomatiques habituels, la Convention d’armistice a été conclue sans indication de durée et elle a de ce fait un caractère perpétuel sans accord modifiant ou supplantant ses dispositions sur Jérusalem.2
1 Guy Feueur, le statut des zones de Jérusalem cité par Olivier Danino, « Le statut de Jérusalem de 1949 à 1967 », Cahiers de la Méditerranée, 86 | 2013, 207-218.
2 Les clauses de l’accord de paix de 1994 ont pu modifier cet état des choses entre Israël et la Jordanie.
***
1 Cf Supra
2 Déclaration Mahmoud Abbas.
3 Cf supra 23 octobre 1995
4 La question du transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, Muriel Termine, Puf, 2001/1 n°201.
5 https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/statement-president-trump-jerusalem/
6 Dépèche du centre d’information de l’ONU.
7 Ce qui mélange allègrement toutes les notions de citoyenneté, de religion, d’appartenance culturelle...
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Mais les réactions dans le monde sont unanimement opposées à cette démarche.
Pour Mahmoud Abbas dont la popularité au sein des territoires est au plus bas1, c’est une claque, la claque du siècle, qui disqualifie les États-Unis comme médiateur dans d’éventuelles négociations ou plan de paix à venir,
par ces décisions déplorables, les États-Unis sapent délibérément tous les efforts de paix et proclament qu’ils abandonnent le rôle de sponsor du processus de paix qu’ils ont joué au cours des dernières décennies.. l’annonce de M. Trump ne changera rien à la situation de la ville de Jérusalem, la capitale éternelle de l’État de Palestine.
Quoique ’éternelle’ pour Mahmoud Abbas, l’idée d’une capitale palestinienne à Jérusalem n’est pas si ancienne que cela pour les dirigeants palestiniens car ni la charte de l’OLP écrite en 1964, ni celle de 1968 ne mentionnant le nom même de Jérusalem qui apparaît le 15 novembre 1988 lorsque le Conseil national palestinien proclame l’indépendance de l’État de Palestine.
Le secrétaire général de l’OLP, Saëb Erakat, déclare
Malheureusement, le président Trump vient tout juste de détruire la perspective de deux États, palestinien et israélien,..Il a aussi disqualifié les États-Unis d’Amérique de tout rôle dans un quelconque processus de paix.
Ismaïl Redouane, haut responsable du Hamas
appelle à couper les liens économiques et politiques avec les ambassades américaines et à expulser les ambassadeurs
Mohammed Dahlan, éternel rival de Mahmoud Abbas,
appelle au retrait des négociations absurdes et sans fin avec Israël, après la violation du principe d’inviolabilité du statut de Jérusalem...[Il] appelle à la fin de toutes les formes de coopération, surtout de la coordination sécuritaire, avec Israël et les États-Unis.
Le chef du Hamas, Ismaël Haniyeh pour sa part appelle le 7 décembre à une nouvelle intifada dès le vendredi 8 décembre :
On ne peut faire face à la politique sioniste soutenue par les États-Unis qu’en lançant une nouvelle Intifada...Faisons en sorte que le 8 décembre soit le premier jour de l’Intifada contre l’occupant
Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah appelle les dirigeants palestiniens à arrêter les négociations de paix2 et ajoute que
la décision de Trump est le début de la fin d’Israël. Lorsque nous vaincrons, les Musulmans pourront prier dans la mosquée Al-Aqsa et les Chrétiens pourront prier en l’église du Saint-Sépulcre...les États-Unis sont les créateurs d’Israël, du terrorisme, de l’exil, de la sédition, de Daech et des organisations takfiristes (jihadistes).
Mohammad Dahlan, ancien chef de la sécurité du Fatah, très critique envers Abbas appelle à l’arrêt des « négociations absurdes et sans fin » avec Israël |
Le président du Liban, le général Michel Aoun, accuse Israël de vouloir effacer le christianisme et l’islam de Jérusalem, où
les Israéliens pratiquaient les pires épurations ethniques sur la terre de Palestine….C’est un blessure à la civilisation et à l’humanité qui conduira à ..un nouveau nettoyage ethnique...Peut-on imaginer les Chrétiens et le christianisme sans Jérusalem, Bethléem, l’église de la Nativité et l’Église de la Résurrection? Peut-on imaginer l’islam et les Musulmans sans la mosquée Al-Aqsa et les sites sacrés de la Palestine?3
Gebran Bassil, ministre libanais des affaires étrangères affirme le 14 novembre dans un tweet4, avoir parlé à Mahmoud Abbas, de « l’établissement d’une ambassade à Jérusalem, la capitale de la Palestine » et a déclaré que les deux gouvernements ont discuté de l’échange de territoires. Or le territoire c’est précisément ce qu’il manque à l’Autorité palestinienne. La surenchère vise donc une mise en pratique impossible sauf accord improbable des Israéliens après près de quarante années de réunification forcée de la ville sainte.
En France, le président Macron trouve cette décision regrettable, tandis que France-info, méconnaissant visiblement les ravages pourtant récents de la guerre en Syrie, en Irak ou au Yemen titre : « Donald Trump met le feu au Proche-Orient ».
l’Arabie Saoudite condamne officiellement la reconnaissance et s’émeut des répercussions dangereuses sur la stabilité et la sécurité de la région ».
Toujours le 8 décembre, des roquettes sont tirées de Gaza vers Sdérot. En représailles, les Israéliens bombardent quatre sites du Hamas.
Tandis que les Israéliens détruisent le 10 décembre un tunnel Gazaoui construit par le Hamas qui pénètre en Israël sur plusieurs centaines de mètres5, les organisations et conseils internationaux se mettent alors en branle :
- Les missions de Bolivie, d’Égypte, de France, d’Italie, du Sénégal, de Suède, du Royaume-Uni et d’Uruguay demandent à la présidence japonaise du Conseil de sécurité d’organiser une réunion d’urgence du Conseil, avec un exposé du secrétaire général, avant la fin de la semaine6. Une résolution est présentée par l’Égypte le 16 décembre, mais le vote est bloqué le 18 par les États-Unis.
Usine à Sdérot, détruite par une roquette tirée de Gaza le 29 juin 2014 |
Présenté par l’Égypte, le texte affirmait que « toute décision et action qui visent à modifier le caractère, le statut ou la composition démographique de la Ville sainte de Jérusalem n’ont aucun effet juridique, sont nulles et non avenues et doivent être rapportées en application des résolutions » du Conseil de sécurité sur la question.
Le projet de résolution demandait également à tous les États de s’abstenir d’établir des missions diplomatiques à Jérusalem, en application de la résolution 478 (1980). Le texte exigeait des États qu’ils respectent les résolutions du Conseil concernant la Ville sainte et s’abstiennent de reconnaître les actions et les mesures qui y sont contraires.7
Avant le vote, la représentante des États-Unis à l’ONU, Nikki Haley fait un discours assez incisif :
A l’occasion de cette réunion, je ne vais pas gaspiller le temps du Conseil pour dire où une nation souveraine donnée doit décider de placer son ambassade, ni pourquoi nous avons le droit de le faire… Si l’occasion était donnée de revoter sur la Résolution8 2334, je peux affirmer avec une totale certitude que les États-Unis voteraient « non ». Nous exercerions notre droit de veto.
En plaçant pleinement et à mauvais escient la responsabilité de l’échec des efforts de paix sur les implantations israéliennes, la Résolution a donné un laissez-passer aux leaders palestiniens qui, depuis de nombreuses années, rejettent une proposition de paix après l’autre. Cela les a également encouragés à éviter les négociations à l’avenir.
Si l’histoire des Nations unies dans les efforts de paix prouve quelque chose, c’est que discuter ici, à New York, ne peut pas remplacer des négociations en face à face entre les parties régionales impliquées.
la Résolution 2334 a fait ce que l’annonce du président Trump sur Jérusalem ne faisait pas : Elle a préjugé des questions qui devaient être gérées dans les négociations de statut final.
...Elle a donné vie à la création affreuse du Conseil des droits de l’Homme : les bases de données des entreprises opérant au sein des communautés juives. C’est un effort visant à créer une liste noire, purement et simplement. C’est également un autre obstacle à la paix négociée. C’est une tache sur la conscience américaine d’avoir donné un élan au mouvement dit du BDS en permettant le passage de la Résolution 2334.
...Pendant des décennies, Israël a supporté, vague après vague, la partialité au sein de l’ONU et de ses agences. Les États-Unis se sont souvent placés aux côtés d’Israël. Nous ne l’avons pas fait le 23 décembre 2016. Nous ne referons pas cette erreur.
Bien qu’ayant recueilli 14 votes (sur 15) dont la France, la Grande-Bretagne, la Chine et la Russie, en sa faveur, le texte est rejeté suite au veto des États-Unis – l’un des cinq membres permanents du Conseil –. Nikki Haley, représentante des États-Unis avertit : « C’est une insulte et un camouflet que nous n’oublierons pas. Nous ne nous attendons pas à ce que ceux que nous avons aidés nous ciblent ».
Pont suspendu à Jérusalem construit par l’architecte espagnol Calavatra en 2008. |
Nikki Haley explique ensuite les raisons du veto
le président a pris un soin minutieux à ne pas préjuger des négociations de statut final, notamment des frontières spécifiques de la souveraineté israélienne sur Jérusalem. Cela reste un sujet qui ne pourra être négocié qu’entre les deux parties. Ce positionnement est pleinement conforme aux résolutions antérieures du Conseil de sécurité.
(…) Le président a également pris soin d’établir que nous soutenons le statu-quo en ce qui concerne les lieux saints de Jérusalem et que nous soutenons une solution à deux États si c’est cette dernière auxquelles souscrivent les parties. Une fois encore, ces positionnements sont parfaitement cohérents avec les résolutions antérieures votées par le Conseil de sécurité.
Ce qui est ennuyeux pour certains, ce n’est pas que les États-Unis aient nui au processus de paix – nous n’avons, en fin de compte, rien fait de tel. Ce qui est plutôt ennuyeux pour certains, c’est que les États-Unis ont eu le courage et l’honnêteté de reconnaître une réalité fondamentale. Jérusalem est le foyer politique, culturel et spirituel du peuple juif depuis des milliers d’années. Il n’a aucune autre capitale. Mais la reconnaissance par les États-Unis de l’évidence – que Jérusalem est la capitale et le siège du gouvernement israélien contemporain – c’est déjà trop pour certains.
Pour commencer, certains ont menacé de violences dans les rues, comme si la violence allait aider à améliorer d’une manière ou d’une autre les perspectives de paix.
Aujourd’hui, englués dans le jargon diplomatique, certains veulent dire à l’Amérique où installer son ambassade. Les États-Unis jouissent du droit souverain de déterminer où et si établir une ambassade. Je soupçonne que certains États-membres accueilleraient avec satisfaction des déclarations du Conseil de sécurité qui concerneraient leurs décisions souveraines. Et je pense à certains, qui devraient le redouter.
(…) L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine de l’ONU fait fonctionner des écoles et des établissements médicaux à travers toute la région. Il est financé presque entièrement par des contributions volontaires. L’année dernière, les États-Unis ont financé presque 30 % du budget de l’UNWRA. Cela représente davantage que les deux plus importants donateurs réunis. Et c’est très largement plus que certains des membres de ce conseil qui ont pourtant des ressources financières considérables qui leur appartiennent.
La cinémathèque de Jérusalem est située entre la nouvelle et la vieille ville, proche de la piscine du Sultan |
Je vais être directe : Lorsque les Américains voient un groupe de pays dont les contributions totales versées aux Palestiniens représentent moins d’un pour cent du budget de l’UNWRA – Lorsqu’ils voient ces pays accuser les États-Unis de ne pas être suffisamment engagé à la paix – les Américains perdent patience.
A la demande de la Turquie, très en pointe sur le statut de Jérusalem dans sa quête du leadership du monde arabo-musulman et du Yémen pourtant à l’agonie9, la question va ensuite être posée aux 193 membres de l’Assemblée générale, où le droit de veto n’existe pas. Nikki Haley prévient à nouveau:
A l’ONU, on nous demande toujours d’en faire plus et de donner plus », a relevé dans un tweet l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley. Avant d’ajouter: « Alors, quand nous prenons une décision, suivant la volonté du peuple américain, sur où mettre NOTRE ambassade, nous ne nous attendons pas à ce que ceux que nous avons aidés nous ciblent. Jeudi, il y aura un vote critiquant notre choix. Les États-Unis noteront les noms .
Allant jusqu’à l’écrire à plusieurs ambassadeurs en poste à l’ONU,
Nous prendrons note de chacun des votes sur cette question
Le lendemain c’est Trump qui tonne :
Nous prenons note de ces votes, [dénonçant] tous ces pays qui prennent notre argent et ensuite votent contre nous au Conseil de sécurité… ils prennent des centaines de millions de dollars et même des milliards de dollars et, ensuite, ils votent contre nous... laissez-les voter contre nous, nous économiserons beaucoup, cela nous est égal.
- Les délégations palestiniennes et jordaniennes à la Ligue arabe demandent elle-aussi une réunion d’urgence des ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe.
- De son côté, le président turc Erdogan déclare :
Le destin de Jérusalem ne peut pas être laissé aux mains d’un pays qui s’abreuve de sang, élargit ses frontières en tuant sauvagement des enfants, des civils et des femmes,10
Le moulin de Montefiore a été construit à Jérusalem en 1857 par le philanthrope Moses Montefiore pour permettre aux habitants de cette enclave juive isolée dans un quartier arabe de faire leur propre pain, les minotiers arabes refusant de le faire mais il a peu servi. C’est maintenant un des emblèmes de la ville. |
Puis Erdogan désigne Trump comme un évangéliste à la mentalité sioniste et convoque les représentants de 57 pays musulmans de l’Organisation de la Conférence islamique à Istanbul pour « agir face aux nouveaux développements ». Dans un communiqué du 13 décembre l’OCI écrit :
Nous proclamons Jérusalem-Est capitale de l’État de Palestine11 et appelons les autres pays à reconnaître l’État de Palestine et Jérusalem-Est occupée comme sa capitale.
La Turquie dont les relations avec Israël, rompues à la suite de l’abordage de la flottille pour la paix en 2010 commençaient à peine à se réchauffer12, s’éloigne de plus en plus de son ancien allié, comme du monde occidental d’ailleurs.
Pour le président Guatémaltèque Morales, "Le Guatemala est historiquement pro-Israël..en 70 ans de relations, Israël a été notre allié. Il annonce le 25 décembre le transfert de l’ambassade du Guatemala à Jérusalem.
Le ministère des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne a vu dans la décision du Guatemala «un acte honteux et illégal», «un acte flagrant d’hostilité envers les droits inaliénables du peuple palestinien». 13
La Tchéquie semble reconnaître Jérusalem comme capitale. Mais rapidement le ministre des affaires étrangères Lubomír Zaorálek précise qu’il s’agit d’une reconnaissance ’dans les faits’ et qui ne concerne que Jérusalem-Ouest.
Il est pourtant vrai que plusieurs pays avaient installé dans les années 60 leur ambassade à Jérusalem :
Au mois de mai 1961, seules quatre ambassades y sont installées. En février 1963, il y en a quinze. En mars 1965, seize. Le Chili et le Congo-Léopoldville viennent s’ajouter à ce chiffre à l’été 1965. En 1967, près de « 23 délégations diplomatiques » sont établies à Jérusalem14.
Ce mouvement s’était rapidement inversé après l’annexion de Jérusalem-Est et la résolution 478 du conseil de sécurité du 20 août 1980. jusqu’au départ du Costa-Rica et du Salvador en 2006.
Le Figaro titre que Trump a déclenché une onde de choc mondiale. Tout est prêt pour un embrasement…
Mais cet unanimisme est trompeur. Les bons connaisseurs de la région s’attendent à ce que la réunion d’urgence de la Ligue arabe, convoquée pour samedi, n’accouche d’aucune décision concrète. « Ce ne sont que des mots, un show pour apaiser l’opinion publique arabe, décrypte Mehran Kamrava, professeur d’histoire du Moyen-Orient à la branche qatarie de l’université Georgetown, à Doha15
1 Selon une étude du Palestinien Center for Policy and Survey Research (PSR) menée après l’annonce de Trump, 70 % des Palestiniens souhaitent la démission d’Abbas.
2 l’Orient le jour
3 Pour mémoire, nul n’a jamais évoqué, sauf du temps de l’occupation jordanienne des restrictions pour l’accès au lieux saints. Seuls les Juifs n’ont pas droit de prier (à voix haute) sur le mont dû Temple. Les Chrétiens et les Musulmans peuvent venir et prier où ils veulent, à Al-Aqsa, au Kotel ou à l’église de la nativité à Bethléem.
4 Site l’orient le jour et Times of Israël
5 Le tunnel comporte un système sophistiqué de ventilation, l’électricité et des parois renforcées en béton.
6 Soit 8 des 15 membres du conseil de sécurité
7 Dépèche du Centre d’actualité de l’ONU
8 Dernière résolution sur les territoires occupés votée sous l’administration Obama qui n’a pas usé de son droit de veto. (cf supra)
9 Le Yémen se débat dans une guerre civile qui a fait au moins 10000 morts en 3 ans , et l’ONU indique que plus de 8 millions de personnes sont à deux doigts de la famine et 1 million atteintes de choléra.
10 Le pays qui s’abreuve de sang, le propos raisonne avec les accusations de meurtre rituel qui ont encore cours au XXIe siècle, comme l’a fait Abbas le 23 juin 2016 devant le Parlement européen.
11 Cas unique d’un pays qui proclame la capitale d’un autre pays.
12 La Turquie a nommé en novembre 2016 son premier ambassadeur en Israël depuis la rupture de 2010
13 Libération 30/12/2017
14 Meron Benvenisti, Jérusalem, une histoire politique, Arles, Solin, 1996, p. 54. cité in le statut de Jérusalem de 1949 à 1967, Olivier Danino p.207-208 des cahiers de la méditerranée.
15 Le Monde 7/12/2017, Benjamin Barthe
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Organisation de la conférence islamique
l’OCI a été créée en 1969, en réaction à l’incendie criminel de la mosquée d’Al-Aqsa (cf. supra) dans le contexte du succès du mouvement des pays non-alignés (créé en 1961) C’est la seule organisation interétatique construite sur un mode confessionnel.
Elle est notamment focalisée sur la préservation des lieux saints et le sort des Palestiniens. Ainsi l’OCI n’a pas profité de la session du 13 décembre pour s’alarmer de l’expulsion de 646 000 musulmans Rohingya et du massacre de 6 700 d’entre eux en Birmanie dont 69,4 % abattus à bout portant et 8,8 % ont été brûles vifs depuis septembre selon le bilan de MSF publié le même jour.1
l’OCI est à l’origine de la déclaration des droits de l’homme en islam adoptée au Caire le 5 août 1990. Cette déclaration des droits de l’homme en pays musulman est assez calquée sur la déclaration universelle des droits de l’homme tout en précisant dans ses deux derniers articles que « tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration sont soumis aux dispositions de la Charia » et que « La Charia est l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de l’un quelconque des articles contenus dans la présente Déclaration. »
1 Le monde 14/12/2017 , plus de 6 700 rohingya tués en Birmanie selon msf
Des voix discordantes se font entendre aussi à Riyad où la lutte contre contre l’ennemi chiite iranien semble prendre le pas sur la solidarité avec les Palestiniens, avec lesquels Riyad n’a finalement pas particulièrement d’atomes crochus. Selon le magazine Le Point1 qui reprend une info du New-York Times,
Situation d’Abu Dis, la capitale palestinienne que propose Ryad |
Le mois dernier, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS), a rencontré le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et lui a fait une proposition pour le moins inattendue : renoncer à faire de Jérusalem-Est la capitale du futur État palestinien au profit d’Abu Dis, localité située au sud-est de la ville sainte.
La proposition ébouriffante de MBS s’inscrit dans ce contexte inédit. Lever l’obstacle représenté par Jérusalem-Est, c’est s’assurer une certaine reconnaissance de la part d’Israël mais aussi de Donald Trump, qui a décidé de faire de Jérusalem la capitale du seul État hébreu. Bref, c’est se ménager des alliés dans le grand jeu qui l’oppose à cette autre théocratie qu’est l’Iran.
Il est peu probable que Mahmoud Abbas ait son mot à dire dans cette partie de billard alors qu’il est concerné au premier chef. MBS ne fait pas mystère de vouloir mettre à la retraite l’octogénaire président de l’Autorité palestinienne pour lui substituer Mohammed Dahlan, autre compagnon de route de Yasser Arafat.
Reste à savoir si la méthode MBS, qui ignore les tabous et la diplomatie traditionnelle, fonctionnera.
Le même prince héritier saoudite jugera dans un entretien publié le 2 avril 2018 que « Israël a droit à un territoire » dessinant un rapprochement possible avec Israël face à l’ennemi commun qu’est l’Iran. Plus exactement il a déclaré :
« Je pense que les Palestiniens et les Israéliens ont droit à leur propre terre. Mais nous devons obtenir un accord de paix pour garantir la stabilité de chacun et entretenir des relations normales. »
L’Égypte qui condamne la reconnaissance américaine de Jérusalem, dépêche un officier de renseignements Achraf-al-Kholi qui joint quatre animateurs de talk-shows télévisés egyptiens. Il leur demande de préparer l’opinion publique à un revirement sur la question de Jérusalem. Il leur explique ainsi,
«Comme tous nos frères arabes», l’Égypte dénoncerait la décision en public, explique l’officier Achraf al-Kholi à chacun des quatre animateurs joints par téléphone, mais les conflits avec Israël ne sont pas dans l’intérêt national de l’Égypte, ajoutait-il.
Pour cette raison justement, il recommande à ses interlocuteurs de travailler à persuader les téléspectateurs d’accepter la décision américaine plutôt que de la condamner. Au cours de ses conversations, il suggère également que les Palestiniens eux-mêmes devraient se contenter de Ramallah, «la triste ville de Cisjordanie qui abrite actuellement l’Autorité palestinienne», écrit le journal.
«En quoi Jérusalem est-elle différente de Ramallah, vraiment?», interroge à plusieurs reprises al-Kholi dans les quatre enregistrements audio des appels, obtenus par le New York Times.2
De fait même si des manifestations sont organisées dans nombre de pays musulmans, jusqu’en Indonésie et en Malaisie l’embrasement n’a pas lieu.
Elie Barnavie, ancien ambassadeur d’Israël en France est historien. Il a écrit notamment une Histoire universelle des Juifs et Les religions meurtrières. |
C’est peut-être à Elie Barnavie, ancien ambassadeur d’Israël (2000-2002) en France et historien et partisan de la reconnaissance de l’État de Palestine, qu’il revient de faire l’analyse la plus complète :
Rien ne se fera sans [la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale]. Mettre le doigt sur la couture du pantalon en récitant "Jérusalem, capitale des Juifs depuis le roi David" ne fait que repousser le problème.
300 000 arabes vivent à Jérusalem, et aucune des manipulations pour redessiner les frontières de la municipalité et en changer la démographie n’y changera quoi que ce soit. Le Premier ministre Ehud Barak, au début des années 2000, avait admis la partition de Jérusalem. Les Palestiniens l’ont refusée. Ils ont aussi une responsabilité écrasante dans la situation actuelle, même si nous, en tant que puissance occupante, portons le chapeau, ce qui est normal. Dès que vous touchez à Jérusalem, les Palestiniens parlent d’Al-Aqsa comme si on allait dynamiter la mosquée, alors que même le gouvernement actuel, le plus à droite possible, n’y songera jamais.»
En bref, pour l’ancien diplomate : «Jérusalem interdit la pensée rationnelle des deux côtés de la barricade. 3
1 Le point 6/12/2017, Isabelle Cornu
2 Alain Chemali, Franceinfo.tv du 09/01/2018 citant David Kirkpatrick du NYT le 6/01/2018
3 In Libération 12/12/2017, Guillaume Gendron, Jérusalem, consensus tabou pour les Israéliens.
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Quel statut pour Jérusalem ?
« Les résolutions 2253 (ES-V) et 2254 (ES-V) de l’Assemblée générale stipulent clairement leur opposition à toute modification du « statut de Jérusalem » mais sans préciser à quel statut elles font exactement référence.
Or, l’ONU n’a jamais adopté de statut juridique pour Jérusalem et tous les documents élaborés au sein de ses instances sont restés à l’état de projet.
Pire, et c’est ce qui complexifie encore un peu plus le sujet, les résolutions votées par le Conseil de sécurité après 1967, et notamment les résolutions 267 et 271 en 1969, 298 en 1971, 465 et 476 en 1980, évoquent toutes l’obligation pour Israël de ne pas « modifier le statut de Jérusalem », en se basant directement, ou indirectement, sur les résolutions 2253 (ES-V) et 2254 (ES-V) votées par l’Assemblée générale.
En d’autres termes, aucune des résolutions adoptées par les Nations unies après la guerre des Six Jours n’apporte de réponses précises sur la solution alternative à une administration israélienne.
Ce flou, sur ce qui est donc entendu exactement par « statut de Jérusalem », n’a pas que des conséquences locales puisque contrairement aux résolutions de l’Assemblée générale, celles du Conseil de sécurité ont une valeur coercitive.
Trois hypothèses peuvent néanmoins être formulées pour tenter de comprendre à quel « statut de Jérusalem » l’ONU fait référence. Cependant, aucune de ces trois possibilités ne s’impose d’elle-même. Chacune a en effet ses propres limites.
La première hypothèse consiste à supposer que l’expression « statut de Jérusalem » employée dans les résolutions 2253 (ES-V) et 2254 (ES-V) est une référence à la situation qui prévalait avant la guerre des Six Jours. Surtout que le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité adopte la résolution 242 qui demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ». Au profit de qui ce retrait doit-il s’opérer à Jérusalem ? Le texte n’apporte aucune précision sur ce point mais nous pouvons supposer que cela soit en faveur de la Jordanie, vu que le royaume hachémite administrait la ville avant 1967. Or, cette recommandation est en opposition totale avec la position officielle des Nations unies puisque l’Organisation n’a jamais reconnu la souveraineté jordanienne dans le secteur oriental de Jérusalem et encore moins son annexion par la Jordanie. Le Conseil de sécurité a seulement entériné la responsabilité du royaume hachémite sur ce territoire en approuvant l’accord d’armistice israélo-transjordanien du 3 avril 1949.
La deuxième possibilité c’est qu’en exigeant d’Israël d’éviter « toute action qui changerait le statut de Jérusalem », l’ONU demande en réalité à l’État hébreu de ne pas agir davantage sur le terrain. Ce qui reviendrait à demander le maintien de la situation d’après-guerre et donc à reconnaître de facto l’unification de la ville par Israël. Mais dans ce cas, les résolutions 2253 (ES-V) et 2254 (ES-V) seraient en totale contradiction avec la résolution 242 votée par le Conseil de sécurité quelques semaines plus tard.
Enfin, le dernier cas possible serait que la notion de « statut de Jérusalem » soit une référence implicite au régime prôné par les résolutions 181 (II), 194 (III) et 303 (IV) et donc à l’internationalisation de la ville.
Si c’est le cas, deux problèmes se posent.
En effet, ces trois documents ne sont mentionnés par aucune des résolutions votées par les Nations unies après la guerre des Six Jours, résolutions qui n’évoquent d’ailleurs même pas l’idée d’un statut international pour la Ville sainte.
Mais surtout, selon le droit international, les résolutions de l’Assemblée générale « ne constituent que des propositions concernant le statut légal d’un territoire ». Elles n’ont donc jamais été édictées comme des dispositions obligatoires. Au regard de cette situation particulièrement imprécise, Israël dispose-t-il d’une légitimité pour administrer seul Jérusalem ?
Si la réponse est oui, comment les Palestiniens, qui au début du xixe siècle étaient associés aux pachas dans l’administration de la ville et qui ont été écartés après 1947 du débat sur le statut de Jérusalem aux Nations unies, peuvent-ils réaliser leur souhait de faire de cette ville la capitale de leur futur État ?
Si la réponse est non, sur quel texte s’appuyer pour refuser à Israël le droit d’administrer la Ville sainte et sur quel élément se baser pour définir clairement le statut juridique de celle-ci vu que la guerre des Six Jours a rendu caduc le seul document à régir en droit le statut de Jérusalem, à savoir l’armistice israélo-transjordanien du 3 avril 1949 ?
L’ONU n’a jamais apporté de réponses à ces questions.
Le vide juridique concernant le statut de Jérusalem n’a jamais été comblé. La Jordanie a continué après 1967 de revendiquer la Cisjordanie et la partie est de Jérusalem, et ce n’est qu’en 1988 que le roi Hussein y a officiellement renoncé au profit de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Par la suite, Jérusalem a fait l’objet de négociations entre Israël et les Palestiniens sur la base d’un partage de Jérusalem. Ces discussions, entamées au sommet de Camp David II en juillet 2000, ont servi de pierre angulaire à tous les pourparlers suivants et notamment à ceux de Taba en janvier 2001.
En d’autres termes, non seulement la solution envisagée aujourd’hui par les belligérants est en complète contradiction avec les résolutions 181 (II), 194 (III) et 303 (IV), mais elle repose sur un principe auquel l’ONU n’a jamais voulu adhérer. (...).
La difficulté, depuis le début, reste que les enjeux du statut de Jérusalem dépassent largement ceux du conflit israélo-palestinien. »1
1 Extrait d’un article des cahiers de la Méditerranée,2003, le statut de Jérusalem 1949-1967, Olivier Danino
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En 1955, Roger Garreau, ambassadeur de France écrivait à propos du statut de Jérusalem :
Le salut de la Ville sainte et aussi le prestige de l’Organisation des Nations unies méritaient bien que fût tenté malgré tout un ultime effort d’imagination et de réalisme ( …)
je suggérai au Conseil de circonscrire la zone internationalisée de Jérusalem à la partie occidentale de la vieille ville et à quelques quartiers adjacents situés au nord, à l’ouest et au sud de celle-ci, ce qui aurait laissé sous l’administration d’Israël toute la moitié orientale du « corpus separatum » prévu par l’Assemblée générale avec la quasi-totalité de la nouvelle ville, et sous l’administration de la Jordanie toute sa moitié orientale, avec les quartiers musulmans de la vieille ville et la Mosquée d’Omar, le Mur des lamentations se trouvant situé à la limite même de la zone internationalisée et inclus dans cette zone.
Ces propositions soulevèrent immédiatement une vigoureuse opposition du délégué de l’Irak, M. Jamali, appuyé par son collègue d’Égypte, tous deux déniant au Conseil le droit d’apporter à la résolution de l’Assemblée générale, dont les termes étaient exempts de toute ambiguïté, une prétendue interprétation qui visait selon eux à en modifier fondamentalement la structure.
L’ensemble de mes collègues, ... estimèrent raisonnable de ne pas s’exposer à des complications supplémentaires et de s’en tenir purement et simplement à la révision du projet de statut de 1948.
Celui-ci fut finalement adopté le 4 avril 1950. Le Conseil décida, au cours de la même séance, d’inviter son président à communiquer le statut aux deux gouvernements d’Israël et à leur demander de bien vouloir apporter leur coopération à la mise en œuvre de cet instrument.
J’ai rendu compte au Conseil de tutelle, au début de la septième session ouverte le 1er juin 1950, de la nouvelle mission dont il m’avait chargé : le résultat en était négatif. Le gouvernement d’Amman n’avait pas même répondu à mes démarches réitérées pour prendre contact avec lui. (…)
Jérusalem est situé à 750 mètres d’altitude. Les précipitations annuelles sont les mêmes que celles de Paris mais réparties sur huit mois seulement |
Je m’étais donc arrêté à Rome où le ministre d’Israël auprès du gouvernement italien, M. Ginossar, et un émissaire officiel du gouvernement d’Israël, M. Gideon Rafaël, venu de Tel-Aviv, eurent avec moi plusieurs entretiens qui aboutirent à l’envoi au président du Conseil de tutelle par le gouvernement d’Israël d’un mémorandum en date du 26 mai 1950 dans lequel ce dernier réaffirmait sa position bien connue mais consentait toutefois, dans son extrême désir de conciliation, à envisager, sous réserve d’une égale concession de la part du royaume hachémite de Jordanie, la possibilité de collaborer à la création d’un régime international dont l’application territoriale serait limitée à une zone réduite, de 3 ou 4 kilomètres carrés, dans la ville fortifiée et ses environs immédiats, où se trouvent réunis la plupart des Lieux Saints.
Cette marque de bonne volonté n’a pas été retenue par le Conseil de tutelle qui s’est borné à renvoyer une fois de plus toute l’affaire du statut de Jérusalem à l’Assemblée générale le 14 mai 1950. Depuis cette date la question de l’internationalisation de la Ville sainte est tombée en sommeil.
Jérusalem et le monde musulman : Le réveil de 1967
La perte de Jérusalem qui était annexée par les jordaniens depuis 1950 et gérée dans la plus grande indifférence a réveillé un attachement passionnel pour la ville qui ne s’était pas manifesté depuis la conquête Ayyoubide de 1187. Selon Daniel Pipes1, suite à la guerre de 1967,
Les slogans sur Jérusalem proliférèrent et la cité devint bientôt la question la plus brûlante du conflit israélo-arabe. l’OLP rattrapa son omission de 1964 en mentionnant expressément Jérusalem dans sa constitution de 1968 comme étant «le siège de l’Organisation de libération de la Palestine».
« .. les leaders musulmans «mirent à nouveau en exergue la sacralité de la tradition islamique de Jérusalem.» … Jérusalem était mentionnée régulièrement dans les résolutions de la Ligue des États arabes et des Nations unies. Les gouvernements jordanien et saoudien se montrèrent alors aussi généreux envers les administrateurs religieux de Jérusalem qu’ils avaient été pingres avant 1967.
Les Palestiniens ne furent pas non plus les seuls à manifester un tel engouement pour Jérusalem: la cité servait dès lors à nouveau d’instrument de mobilisation de l’opinion musulmane internationale. Cet effort devint manifeste en septembre 1969, lorsque le roi Faysal prétexta un incendie à la Mosquée Al-Aqsa pour réunir vingt-cinq chefs d’État et établir l’Organisation de la Conférence islamique, une institution pour les Musulmans inspirée de celle des Nations unies. Au Liban, le groupe fondamentaliste Hezbollah apposait des images du Dôme du Rocher partout où c’était possible, .. Le principal dirigeant chiite libanais, Muhammad Husayn Fadlallah, évoquait régulièrement la libération de Jérusalem du contrôle israélien pour inspirer ses gens; ...
La République islamique d’Iran fit alors de Jérusalem un problème essentiel, .. l’ayatollah Khomeiny… affirmait que «Jérusalem est la propriété des Musulmans et doit leur revenir»... Les soldats iraniens en guerre contre les forces de Saddam Hussein dans les années 1980 recevaient des cartes grossières montrant leur attaque menant jusqu’à Jérusalem, à travers l’Irak… Khomeiny décréta que le dernier vendredi du Ramadan serait la Journée de Jérusalem, et cette commémoration fut une occasion majeure de harangues anti-israéliennes dans de nombreux pays, dont la Turquie, la Tunisie et le Maroc.
.. En janvier 1997, une foule de 300 000 personnes fêta à Téhéran la Journée de Jérusalem en présence de dignitaires tels que le président Hachémi Rafsandjani. ... au niveau politique, Jérusalem est devenue un thème unificateur sans égal pour les Arabophones. «Jérusalem est le seul thème qui semble unifier les Arabes. C’est leur cri de ralliement», relevait un diplomate arabe de haut rang à la fin de l’an 2000.
Khomeiny, Le facétieux « guide suprême » de la révolution iranienne instaure en 1979 une journée annuelle mondiale d’Al-Quods, reprise en France en 2007 par le Parti des Musulmans de France proche à l’occasion des milieux d’extrême-droite. |
Par moments, la ferveur envers Jérusalem concurrence même l’importance de La Mecque...Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, va plus loin encore et annonce, dans un discours majeur: «Nous ne renoncerons pas à la Palestine, à l’entier de la Palestine, et Jérusalem restera le lieu vers lequel tous les guerriers djihadistes dirigeront leurs prières».
Si la passion de Jérusalem est relativement récente dans l’imaginaire musulman et particulièrement Palestinien cela n’en fait pas forcément à l’époque ottomane la ville morte, provinciale et vide, qui est parfois décrite, récits de voyageurs à l’appui. Ceux-ci sont souvent des nostalgiques d’une image biblique de la ville sainte, d’une Jérusalem qui n’existe plus depuis des siècles et leur regard ne souhaite pas s’arrêter sur la ville moderne, dont la création remonte avant les années 1967 ou 1948.
Ainsi, la municipalité de Jérusalem est l’une des toutes premières à voir le jour à l’échelle de l’empire, si ce n’est la première. Ceci peut-être interprété comme le signe d’un certain dynamisme, d’une importance accordée à cette ville par le pouvoir. On sait aussi que le poste du représentant Ottoman dans la ville est ordinairement tenu par un personnage jeune, qui compte faire carrière. Le poste n’est donc pas un enterrement de première classe dans une ville morte dont le nom refléterait uniquement son ancienne gloire déchue.