Les mamelouks sont les membres d'une milice formée d'esclaves entrainés dès leur plus jeune âge au maniement des armes. Leur nom signifie "les possédés". Les esclaves étaient affranchis et recevant une solde à l'issue de leur formation, au service de différents souverains musulmans. Ils ont eux-même occupé le pouvoir à de nombreuses reprises.

Les premiers mamelouks forment, au IXe siècle, la garde des califes abbassides à Bagdad. Ils sont d'abord recrutés parmi les captifs non musulmans en provenance du Turkestan actuel, du Caucase (Circassiens, Géorgiens, etc.), d'Europe orientale (Slaves orientaux) ou de Russie méridionale (plaines du Kipchak).

Au départ, la position n'est pas héréditaire. Certains mamelouks parviennent à des positions importantes de commandement. Ils sont ensuite au service de la dynastie ayyoubide.

En Égypte, ils sont issus de la garde servile du sultan ayyoubide qu'ils renversent en 1250 à l'occasion de la septième croisade. L'histoire de cette dynastie non héréditaire se divise en deux lignées, les Bahrites (1250-1382) et les Burjites (1382-1517).

 

La dynastie Mamelouke, qui s'étend géographiquement de l'Egypte à la Syrie et la péninsule arabique comptera 49 sultans de 1250 jusqu’à la prise du pouvoir par l'Ottoman Sélim 1er en 1517. Après la conquête ottomane, les mamelouks conservent un rôle important dans la province, jusqu'au massacre de leurs chefs par Méhémet Ali en 1811.

Pendant la campagne d'Égypte menée par Napoléon, une partie des mamelouks se rallie à lui et le suit en France. Ils forment un escadron de la Garde impériale, rattaché au régiment des chasseurs à cheval, et participent à la bataille d'Austerlitz

Les Mamelouks de Bagdad proclament leur indépendance au XVIIIe siècle, et la conservent jusqu'en 1830.

Dans les Régences de Tunis, d'Alger, et celle de Tripoli, au XVIIIe et au XIXe siècle, les mamelouks, qu'ils soient issus de la piraterie en Méditerranée ou des régions caucasiennes, forment un corps militaire fermé autour du souverain. Ils accaparent la haute administration, l'armée et le gouvernement local.

L'architecture Mamelouk est réputée, on la trouve notamment à Jérusalem. Elle trouve son origine dans l'interdiction de transmettre par héritage les biens de père en fils. Pour contourner la règle, les riches faisaient construire de somptueux bâtiments, richement décorés qu'il donnaient à un Waqf, une fondation pieuse musulmane dont les biens sont insaisissables. Leur fils en était le curateur, ce qui constituait une sorte d'usufruit sur les biens transmis par le Père.

 

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Les Mamelouks : des esclaves sur le trône

Article de  Julien Loiseau dans l'Histoire Mensuel n° 351 - mai 2010

Au Caire, pendant deux siècles et demi, a régné le plus étrange des régimes : les sultans mamelouks qui s'y succédèrent étaient d'anciens esclaves païens venus de la steppe asiatique ou du Caucase. Pour la plus grande gloire de l'Islam.

Y a-t-il régime plus étrange, à l'aune des catégories politiques européennes, que celui des Mamelouks qui régnèrent au Caire entre 1250 et 1517 ? La souveraineté s'y transmettait rarement de père en fils, mais revenait plutôt à celui que les plus hauts officiers de l'armée avaient choisi dans leurs propres rangs. Le sultan n'était pas égyptien, mais, né hors des limites du monde de l'Islam, c'était en Turc, autrement dit en étranger, qu'il régnait sur ses sujets. Mieux, comme pratiquement tous ses compagnons d'armes, il était encore païen lorsqu'il avait été importé en Égypte pour servir comme esclave soldat en arabe, mamluk . Converti à l'islam et affranchi, il pouvait gravir jusqu'au sommet les échelons de l'armée et de l'État.

Pendant plus de deux siècles et demi, ce régime a défendu les provinces les plus prestigieuses de l'ancien empire d'Islam - l'Égypte, la Syrie et les Lieux saints d'Arabie -, commercé avec toutes les nations du monde et rendu possible, une dernière fois avant longtemps, l'épanouissement des lettres et des arts en langue arabe.

L'esclavage militaire était l'une des pratiques les plus anciennes et les plus largement partagées par les souverains de l'Islam. Au IXe siècle déjà, les califes de Bagdad achetaient dans ce but des captifs, pour la plupart turcs. En Inde, au XIIIe, des mamelouks turcs étaient parvenus, trois générations durant, à se maintenir sur le trône du puissant sultanat de Delhi. A partir du XVe siècle, les sultans ottomans eurent recours au devshirmè , la « récolte » des jeunes garçons levés dans les Balkans et réduits en esclavage pour former les régiments de janissaires. En Irak, au XVIIIe, des mamelouks circassiens, originaires du Caucase, gouvernaient la province au nom du sultan d'Istanbul. Mais aucune de ces expériences politiques n'est comparable au règne des Mamelouks du Caire, qui ne se contentèrent pas de servir le trône mais s'y établirent eux-mêmes pour leur plus grande gloire.

DES SOLDATS AU POUVOIR

Le sultanat mamelouk est sorti tout armé des grandes confrontations qui ont manqué emporter le monde de l'Islam au milieu du XIIIe siècle et a su gagner dans les épreuves ses étranges lettres de noblesse. Les esclaves soldats n'étaient pas inconnus en Égypte mais n'avaient jamais formé un régiment entier. Pour la première fois, Al-Salih Ayyub, dernier descendant de Saladin à régner sur l'Égypte, les acheta par milliers. Les mamelouks formèrent ainsi le noyau dur de l'armée qui, en 1250, repoussa dans le delta du Nil les assauts de la septième croisade et réduisit le roi de France Louis IX en captivité à la bataille de Mansourah. Le mamelouk Aybak accéda alors au pouvoir, à la faveur de l'assassinat de l'héritier du trône.

En 1260, en Palestine cette fois, les Mamelouks parvinrent à arrêter pour la première fois à la bataille d'Ayn Jalut la menace autrement plus terrible des hordes mongoles païennes, qui, deux ans plus tôt, avaient abattu le califat des Abbassides en s'emparant de leur capitale historique, Bagdad. L'héritage de l'Islam en fut sauvé aux yeux de bon nombre de lettrés qui trouvèrent alors refuge en Égypte et en Syrie. L'arrivée au Caire, en 1261, d'un membre de la dynastie abbasside réchappé du massacre perpétré par les Mongols, et venu restaurer en Égypte l'autorité légale et religieuse du califat1, donna un lustre et une légitimité inespérés à la junte militaire. Baybars en turc, le « chef panthère », monté sur le trône en 1260 à l'issue d'une nouvelle révolution de palais, reçut officiellement, avec l'habit noir des Abbassides, le titre de sultan2.

La poursuite du jihad, vocation professionnelle de ces soldats de métier fraîchement convertis à l'islam, fut pour le régime le premier moyen de se maintenir dans la durée. Les Mamelouks s'attaquèrent aux dernières possessions des Latins en Orient et de leurs alliés arméniens Antioche était ravagée en 1268, Saint-Jean-d'Acre prise en 1291, achevant ainsi l'oeuvre commencée un siècle plus tôt par Saladin, et poursuivirent la guerre contre les Mongols, malgré la conversion de ces derniers à l'islam une paix fut conclue en 1321 avec les Ilkhans, souverains mongols de l'Iran.

Mais les Mamelouks tirèrent également une légitimité supplémentaire de la protection des Lieux saints de l'islam les sanctuaires de La Mecque et de Médine, ainsi que ceux de Jérusalem et d'Hébron dont le maître du Caire était traditionnellement le serviteur et protecteur attitré. En 1266, le sultan Baybars envoyait pour la première fois à La Mecque, à la tête de la caravane des pèlerins du Caire, un palanquin vide, symbole de la protection qu'il entendait exercer sur le pèlerinage, rendez-vous des musulmans du monde entier - une coutume encore perpétuée au début du XXe siècle par les vice-rois d'Égypte.

La défense de l'islam, seule légitimité initiale d'un régime établi au tranchant du sabre par d'anciens esclaves, s'étendait enfin à « l'armée de la nuit », bataillons d'hommes de loi formés dans les écoles de droit et de soufis pensionnés dans les couvents des grandes villes d'Égypte et de Syrie. Ce n'est pas le moindre mérite des Mamelouks, dont bien peu pourtant savaient l'arabe, que d'avoir fait du Caire, par leurs innombrables fondations pieuses perpétuelles, la capitale intellectuelle et spirituelle du monde de l'Islam pendant plus de deux siècles.

ITINÉRAIRE DES CAPTIFS TURCS

Les premières générations de mamelouks furent importées depuis les steppes où nomadisaient, au nord de la mer Noire et de la mer Caspienne, des pasteurs turcs païens, les Qipchaq, jetés sur les marchés aux esclaves par l'avancée des hordes mongoles des fils de Gengis Khan. Les sultans du Caire entretinrent par la suite d'excellentes relations avec les khans de la Horde d'Or, les souverains mongols qui dominèrent la région, de la Russie à l'Ukraine, jusqu'au XVIe siècle. L'approvisionnement de l'Égypte supposait également une bonne entente avec l'empereur byzantin de Constantinople, afin de laisser passer librement les marchands d'esclaves par les détroits du Bosphore et des Dardanelles. Ces marchands sur qui reposait l'existence même du régime étaient, pour la plupart, des négociants génois établis dans les comptoirs que la cité ligure entretenait en mer Noire.

Importés de préférence dans leur jeune âge, les captifs turcs recevaient au Caire une éducation particulière dans la maison de leur maître. Ils étaient tous formés aux arts de la guerre, instruits de quelques rudiments d'arabe et des principes de la religion musulmane, avant d'être affranchis et d'intégrer l'armée. Les plus doués d'entre eux, ou simplement les plus beaux, entraient au service personnel d'un officier de l'armée un émir ou du sultan lui-même. Les mamelouks naissaient alors à une nouvelle identité forgée dans leur patrie d'adoption forcée, marquée par l'attachement à leur ancien maître et à leurs frères en esclavage, jusque dans le nom qu'ils portaient désormais : ainsi, les très nombreux hommes du grand émir Ylbugha portaient tous le qualificatif de Ylbughawi. Turcs d'origine, ils devenaient turcs de profession, se distinguant du reste de la population civile par la langue, l'habit le haut bonnet de fourrure rouge, en particulier, les armes lance, arc, sabre, que, dans les villes, ils étaient seuls autorisés à porter et plus encore par le cheval qu'ils avaient reçu au jour de leur affranchissement, symbole de cette culture équestre furusiyya où ils excellaient tant et où ils reconnaissaient la meilleure part d'eux-mêmes cf. p. 76 .

Du reste, des mamelouks venus d'autres parties du monde se mêlaient sans difficulté à cette société militaire. On trouvait ainsi, en nombre non négligeable, des Mongols venus d'au-delà de l'Euphrate, captifs de guerre ou transfuges arrivés libres au Caire - à l'image de l'émir Qawsun, venu dans la suite d'une princesse mongole, et que le sultan Al-Nasir Muhammad 1311-1341 trouva si beau qu'il lui proposa de l'acheter pour en faire son mamelouk. Le même souverain se vit offrir par le khan mongol d'Iran un mamelouk d'origine chinoise qui devait faire une belle carrière en Syrie.

UN PERPÉTUEL RENOUVELLEMENT

Les premiers Mamelouks acquirent à leur tour des esclaves soldats, élevés à leur service avant d'entrer dans la carrière des armes. Ils s'essayèrent tout aussi naturellement à rendre leur pouvoir héréditaire. Si deux fils de Baybars 1260-1277 se succédèrent rapidement sur le trône sans parvenir à s'imposer, le sultan Qalawun 1280-1290 eut une meilleure fortune : son lignage devait se maintenir un siècle durant sur le trône du Caire. Comme un retour à la norme dynastique, les sultans du XIVe siècle exaltaient leur généalogie et, nés musulmans en terre d'Islam à la différence de leur aïeul, portaient un nom arabe et non plus turc. Quant aux cadres de l'armée, tous ou presque encore d'origine servile, leur fidélité à la dynastie régnante était fondée rituellement lors du banquet célébrant leur accession au rang d'émir, consommé auprès du tombeau même de Qalawun.

Mais des résistances au principe dynastique s'exprimèrent rapidement au sein de l'aristocratie militaire. En 1309, un ancien mamelouk de Qalawun écartait temporairement la dynastie régnante et faisait solennellement rappeler, lors de sa propre investiture, que « le pouvoir ne peut engendrer, et ne doit pas être transmis d'un prédécesseur à son successeur par voie d'héritage, ni par ordre d'aînesse » . A partir des années 1340, la réalité du pouvoir échappa aux descendants de Qalawun, dont la souveraineté nominale devint le jouet des ambitions rivales de leurs principaux officiers, tous d'anciens esclaves soldats. La puissance des grands émirs se mesurait au nombre de mamelouks élevés dans leur maison. Il fallut cependant attendre 1382 pour que l'un d'entre eux, l'émir Barquq « l'Abricot », ainsi nommé par son ancien maître en raison de ses yeux protubérants, renversât la dynastie de Qalawun et montât sur le trône.

Le règne de Barquq 1382-1399 marque un tournant fondamental dans l'histoire du sultanat. Contre l'hégémonie des grands émirs, forts de leurs nombreux mamelouks, Barquq reprit en main les ressources de l'État pour financer l'achat d'un grand nombre d'esclaves soldats près de 5 000 au total. A compter de son règne, les recrues du sultan furent désormais majoritaires dans l'armée du Caire, ce qui devait donner une autorité sans partage à la plupart des souverains du XVe siècle.

A la différence de Qalawun, le projet dynastique de Barquq tourna court sous le règne de son fils, abandonné et finalement vaincu et tué par les anciens mamelouks de son père, parmi lesquels furent choisis tous les sultans jusque dans les années 1450. Désormais, et jusqu'à la chute du régime en 1517, le fils du sultan défunt n'était plus hissé sur le trône que pour quelques mois, le temps que se dessine, souvent au prix d'un bref affrontement entre factions rivales, le choix de son successeur parmi les officiers les plus hauts gradés de l'armée, tous anciens mamelouks d'un précédent souverain. On ne peut donc plus parler au xve siècle de « dynastie mamelouke ». Aux dangers de la succession dynastique, l'aristocratie mamelouke préférait désormais le principe du séniorat : la primauté était reconnue aux officiers dans l'ordre de l'ancienneté, ce qui limita paradoxalement l'instabilité du régime. Certes, de 1382 à 1517, 25 sultans se succédèrent sur le trône, mais 5 d'entre eux régnèrent au total pendant neuf décennies.

Le renouvellement permanent de la société militaire, entraîné par l'importation continuelle de nouvelles générations d'esclaves soldats, interdisait aux Mamelouks de léguer tout ou partie de leur statut à leurs propres enfants. Là résidait sans doute la tragédie de leur état, plus que dans le drame de l'esclavage, condition fondatrice de leur cursus, des hautes charges qu'on leur avait confiées et de la fortune qu'elles leur avaient assurée. Nés libres et musulmans, à la différence de leur aïeul, les descendants des Mamelouks formaient pourtant un groupe influent les awlad al-nas , littéralement « les fils des gens » et se maintenaient pendant deux ou trois générations à la charnière de la société militaire et de la société civile. S'ils pouvaient intégrer la carrière des armes, c'était dans les corps les moins prestigieux de l'armée comme celui des artilleurs à la fin du XVe siècle et rares étaient ceux qui parvenaient aux rangs les plus élevés. Il leur fallait donc s'intégrer et oublier à leur tour leur origine.

LE TEMPS DES CIRCASSIENS

Passé le milieu du XIVe siècle, les sultans mamelouks furent confrontés à l'épuisement progressif de leur source traditionnelle d'approvisionnement, sous l'effet de la peste qui atteignit la mer Noire en 1346, de l'avancée des Ottomans qui prirent le contrôle du détroit des Dardanelles en 1354, et sans doute aussi du progrès de la conversion des pasteurs qipchaq à l'islam, qui empêchait légalement de les réduire en esclavage.

L'avènement, en 1382, de Barquq, un Circassien, révéla l'importance prise par les mamelouks originaires des montagnes du Caucase, qui allaient donner au sultanat la plupart de ses souverains jusqu'en 1517. Importés par voie de terre par des marchands d'esclaves souvent iraniens, ces nouveaux mamelouks, païens et parfois chrétiens, étaient éduqués au Caire dans la culture arabe et musulmane, mais également dans la langue turque de leurs prestigieux aînés. Les Circassiens formaient au XVe siècle le « peuple » le mieux représenté dans l'armée mamelouke.

Leur recrutement affecta profondément la société militaire par les liens qu'ils conservaient avec leur patrie et leur famille, malgré le deuil de l'esclavage. Barquq, à la veille de monter sur le trône, fit ainsi venir son père en Égypte par l'intermédiaire du même marchand d'esclaves qui l'avait importé jadis. A son image, les grands émirs circassiens invitaient leur parentèle, femmes et hommes, à goûter à la fortune qu'ils avaient bâtie en ce pays de cocagne. De véritables lignages se reformaient ainsi au Caire, dont on cherchait à épouser les filles pour leur noblesse d'ethnie. A la famille mamelouke recomposée qui rassemblait les anciens frères en esclavage, les Circassiens substituèrent en partie les liens plus traditionnels de la parenté naturelle.

Cependant, l'identité collective des Circassiens n'était pas plus naturelle que celle des Turcs, un siècle plus tôt. Leur origine géographique unique, comme celle des autres groupes ethniques représentés dans l'armée à l'exemple des Rumis, originaires d'Anatolie, recouvrait des réalités humaines très diverses, fruits des aléas de la guerre et des opportunités du commerce des esclaves. Les guerres ottomanes, qui avaient repris après 1420, jetèrent sur les marchés aux esclaves un nombre croissant de captifs turkmènes, grecs, serbes, bosniaques, hongrois, allemands... En 1482, le pèlerin flamand Joos Van Ghistele eut pour guide, au Caire, un mamelouk originaire de Dantzig et rencontra même à Jérusalem trois mamelouks natifs de Bordeaux.

À LA BATAILLE DES PYRAMIDES

Il n'en fallait pas plus pour que se répande, dans la plupart des témoignages européens, la conviction que le sultan du Caire et ses mamelouks étaient peu ou prou, tous, des chrétiens renégats. La fable était séduisante pour maintenir vivace l'espoir d'une reconquête de la Terre sainte, une fois stoppée cette désastreuse hémorragie des âmes gagnées à la religion de Mahomet. Elle n'était certes pas dénuée de tout fondement : établi à la cour du roi Lusignan de Chypre, le frère du sultan Qaytbay 1468-1496 se rendit en Égypte et abjura la foi chrétienne. Mais, dans l'effroi que suscitait chez eux l'apostasie, pèlerins et ambassadeurs européens manquaient sans doute l'essentiel : outre la fascination pour la civilisation matérielle de l'Islam, la formidable capacité d'intégration de sa culture politique, qui réservait à ses propres barbares importés d'un étranger plus ou moins lointain le privilège de la défendre.

En 1517, le sultan ottoman Selim s'empara du Caire et fit exécuter la plupart des hauts dignitaires du régime déchu. Avec la chute des Mamelouks, la Syrie et l'Égypte se soumettaient pour trois siècles à la Sublime Porte. Néanmoins, Selim intégra dans ses troupes bon nombre d'anciens esclaves soldats. Ceux-ci se sont maintenus en Égypte, continuant d'acheter des mamelouks circassiens jusqu'à la fin de l'époque ottomane, tout en s'intégrant aux élites égyptiennes, gagnant même une véritable autonomie politique au XVIIIe siècle. Le « ramassis d'esclaves » qui, aux yeux du général Bonaparte, « tyrannisaient depuis trop longtemps la plus belle partie du monde » et furent dispersés, un jour de juillet 1798, à la bataille des Pyramides, étaient bien les derniers héritiers des Mamelouks, ceux qui, entre le XIIIe et le XVIe siècle, avaient relevé au Caire l'empire d'Islam.

 

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L'origine des Mamelouks

Pourquoi, au IXe siècle, les califes abbassides ont-ils importé des prisonniers de guerre pour en faire des troupes de choc ? On a voulu y voir une réticence des musulmans à servir le pouvoir. Il n'en est rien.

La fuite du roi était bien préparée, et le trajet, vertigineux : du centre de l'Irak, il aurait fallu remonter le Tigre, passer le Caucase, puis le nord de la Caspienne, par les Khazars, pour enfin rejoindre son royaume montagneux d'Ustrushana, en Asie centrale, et là reprendre son indépendance. Las, pendant la nuit un fidèle mécontent alla raconter tout le projet au calife. Ce dernier fit saisir le roi déchu, le fit juger secrètement et le condamna à périr de faim enfermé dans une tour. Tel fut le sort de l'Afshin, roi d'Ustrushana, dernier souverain puissant d'une Asie centrale qui au milieu de ce IXe siècle est en train de basculer définitivement du côté de la culture musulmane.

En condamnant ainsi l'Afshin, le calife Al-Mutasim (833-842) condamnait aussi son principal général. Depuis un quart de siècle, il s'était entouré de soldats et généraux venus d'Asie centrale, qu'ils soient iraniens ou turcs. Plusieurs milliers de soldats étaient venus former un corps d'élite autour de lui et avaient été progressivement complétés par des achats d'esclaves sur le marché de Samarcande pour constituer les troupes de choc de l'empire. Al-Mutasim avait fait bâtir pour eux à partir de 836 une nouvelle capitale, Samarra, loin de Bagdad et des troubles que ces étrangers occasionnaient avec les habitants.

TOUT COMMENCE DANS LES CONFINS

Pourquoi aller chercher si loin des troupes, dans ce qui était alors l'extrémité ultime du monde musulman ? Pourquoi ces frontaliers, dont rien ne dit même qu'ils étaient tous musulmans ? Lors de son procès, l'Afshin est ainsi accusé d'être un infidèle : il n'est pas même circoncis. Aussi absconse et loin du temps présent qu'elle puisse paraître, cette question a donné lieu depuis quarante ans à toute une polémique parmi les historiens du monde islamique. Un débat dont les répercussions sont très contemporaines. Plusieurs ouvrages des années 1970 et 1980, faisant autorité sur la période, comme celui de Patricia Crone Slaves on Horses. The Evolution of the Islamic Polity (Cambridge University Press, 1980), au titre évocateur, ont en effet considéré que ces recrutements signaient, deux siècles après le Prophète, l'échec final de la vie politique musulmane, que ses citoyens ne souhaitaient plus défendre, la considérant, savants religieux en tête, comme illégitime, au point que l'on doive aller chercher des étrangers pour le faire.

On a vu dans la présence de ces soldats des frontières à Samarra la naissance du phénomène des mamelouks (en arabe mamluk, « possédés »), si important dans la longue durée de l'histoire politique et militaire du Proche-Orient. Ces troupes auraient en effet été recrutées parmi des esclaves achetés enfants en dehors des frontières et systématiquement entraînés militairement, et non parmi les habitants. On aurait donc importé des « robots » étrangers à la société qu'ils étaient chargés de défendre et cela témoignerait du « gouffre moral » dans lequel était plongée la civilisation musulmane, formules que l'on trouve dans l'ouvrage de Patricia Crone. Aussi simpliste soit-elle, cette idée continue d'informer nombre d'ouvrages parus sur le sujet. Pourtant, depuis les années 1990, le développement des recherches sur l'Asie centrale l'a totalement infirmée.

A l'époque, les habitants de Bagdad ne voyaient dans ces cavaliers fonçant à travers la foule au travers des rues étroites de la ville que de purs barbares. Tel est le point de vue repris par les sources arabes, trop benoîtement suivi par ces historiens. Si les travaux antérieurs ne pouvaient tenir compte que des textes écrits en Irak, on connaît également aujourd'hui le point de vue de ces « automates militaires ».

Plusieurs décennies de fouilles et de recherches sur les textes ont révélé l'existence en Asie centrale d'une civilisation particulière, une fusion économique et sociale partielle entre nomades et populations des oasis sédentaires, dans ce qui correspond actuellement au nord de l'Afghanistan, à l'Ouzbékistan, au Tadjikistan, au Kirghizistan et au Kazakhstan, c'est-à-dire la Bactriane et la Sogdiane de l'Antiquité. Des mariages entre les aristocraties turque et sogdienne ont lieu, des titulatures mixtes sont attestées, des échanges économiques extrêmement importants aussi - ce qu'on appelle communément la route de la soie est, du VIe au VIIIe siècle, largement le fait de la coopération entre les élites militaires de la steppe et les marchands des oasis1.

L'exemple de l'Afshin est à cet égard parlant. Sa dynastie prend le pouvoir en Ustrushana à l'occasion des troubles liés à l'invasion arabe durant les années 710-720. De son ancêtre, condottiere au nom parfaitement turc de Qara Bughra (« chameau noir »), à son père Qawus, s'est produit une iranisation marquée. Leur palais de Bunjikat, au nord du Tadjikistan, a été retrouvé et fouillé : il dévoile de superbes peintures murales représentant non seulement les divinités aux multiples bras de la Sogdiane préislamique, mais aussi Romulus et Remus. L'Afshin continue toutefois à se marier en milieu turc et à être à cheval sur les deux mondes. De son point de vue, c'est bien le transfert en monde musulman qui correspond à l'entrée chez les barbares, et il s'en plaint amèrement lors de son procès. Il raconte : « J'ai dû suivre ces gens, faire tout ce que je déteste, jusqu'à, pour eux, manger de l'huile, monter des dromadaires, porter des sandales... »

ASHINAS, LE PRINCE-ESCLAVE

Un autre très grand personnage de la cour d'Al-Mutasim est également significatif. Il s'agit d'Ashinas, qui devient le principal général du calife après la mort de l'Afshin. Acheté esclave, Ashinas avait été placé par Al-Mutasim à la tête de ses troupes turques, soit sans doute environ de 8 000 hommes à la fin des années 830. Les archéologues qui ont identifié le quartier qu'il occupait avec ses soldats à Samarra n'y ont trouvé qu'une seule mosquée.

Ashinas a été considéré comme le paradigme du mamelouk, leur premier grand représentant, par sa trajectoire qui mène cet ancien esclave à la tête du corps d'élite de l'Empire abbasside. Mais c'est uniquement en décentrant le regard à partir de l'Asie centrale que les historiens ont pu comprendre qui il était véritablement. Ashinas porte en effet un nom tout à fait particulier, celui de la grande dynastie sacrée des premiers Turcs, qui a régné pendant plus de deux siècles sur l'ensemble de la steppe et dont alors une branche se prolonge encore chez les Khazars au nord du Caucase. Seuls les princes de la dynastie portent ce nom et, jusqu'à Samarra, un roi tel que l'Afshin considère comme un extrême honneur que son fils puisse épouser la fille d'Ashinas. Le mariage fut d'ailleurs somptueusement célébré par le calife lui-même. Comment le fait d'épouser la fille d'un esclave pourrait-il passer pour un honneur ? Uniquement dans un cadre centre-asiatique : là, donner son fils à l'héritière du clan sacré des Turcs est effectivement très prestigieux. Le condottiere à l'origine de la dynastie de l'Afshin était bien au-dessous du clan Ashinas et ce mariage correspond du point de vue centre-asiatique à l'apogée de l'ascension sociale des Afshin. Cela ne signifie pas qu'Ashinas n'ait pas été vendu. Mais sa condition d'esclave n'était que transitoire, liée à sa capture sur le front militaire de l'Islam, et seul son statut princier dans les hiérarchies centre-asiatiques explique qu'Al-Mutasim, dont la mère était d'ailleurs sogdienne, l'ait placé à la tête de ses troupes.

On pourrait multiplier les exemples. Bugha (un guerrier chevronné capturé en Asie centrale et racheté par Al-Mutasim) ou Sul Er-tigin (prince des Turcs de la Caspienne, arrivé dans les fers) deviennent tous deux d'importants généraux et gouverneurs. En fait, on ne possède pas un seul exemple d'enfant ou de jeune adolescent enlevé dans la steppe et formé militairement à Samarra. Tous les esclaves devenus soldats sur lesquels on possède des données sont des prisonniers de guerre, arrivés à Samarra avec tout leur bagage culturel et technique. De même, les archéologues ne trouvent pas dans le plan très détaillé de la ville de Samarra trace de grandes casernes qui permettraient d'enseigner l'art militaire à des adolescents esclaves, comme c'est le cas plus tard dans l'Égypte mamelouke.

Ce qu'Al-Mutasim transfère à Samarra, c'est toute une société nobiliaire et militaire faite d'échanges croisés entre iranophones et Turcs, élaborée depuis des générations en Asie centrale. Ce transfert a lieu à la fois sous la forme de volontaires arrivant en Irak avec leurs troupes, et de prisonniers de guerre achetés sur les marchés en Asie centrale et envoyés en Irak.

UNE TRADITION BYZANTINE

Mais la question demeure : pourquoi avoir procédé ainsi ? Pourquoi avoir systématiquement recherché ces troupes lointaines ? La réponse est complexe. Il faut tout d'abord souligner qu'Al-Mutasim n'est nullement le premier a avoir procédé ainsi, c'est-à-dire à avoir utilisé systématiquement des prisonniers de guerre comme troupe de choc. C'est très exactement comme cela que l'empereur Constantin était parvenu au pouvoir au IVe siècle, utilisant les captifs de ses guerres en Grande-Bretagne et en Allemagne contre ses rivaux pour le trône impérial. Tous ses successeurs font de même. Les Vandales capturés en Afrique du Nord par Bélisaire en 535 sont mis en esclavage puis organisés en cinq escadrons et envoyés combattre les Perses. L'utilisation massive de prisonniers de guerre réduits en esclavage comme troupe n'est nullement une caractéristique intrinsèque du monde musulman, encore moins, donc, la preuve d'un « gouffre moral » en son coeur politique. A bien des égards, les pratiques musulmanes s'inscrivent dans la longue durée de l'Antiquité tardive.

Bien au contraire, certaines causes sont immédiates et étroitement politiques, liées à des guerres de succession difficiles entre trois fils du calife Haroun al-Rachid : Al-Mutasim, comme son frère Al-Mamun avant lui, est un calife arrivé par la force au pouvoir, en écartant et tuant le fils d'Al-Mamun. Al-Mamun lui-même avait battu militairement son frère et prédécesseur Al-Amin. Or, pour ce faire, Al-Mamun, alors gouverneur de l'orient de l'Empire abbasside, résidant à Merv, au Turkménistan actuel, s'était déjà appuyé sur des troupes locales, venues du nord-est de l'Iran, de Bactriane et de Sogdiane pour prendre Bagdad. Tout le réseau militaire d'Al-Mamun est constitué d'un personnel venu des confins entre l'Iran et l'Asie centrale, qui avait apporté les pratiques militaires de la région.

C'est en particulier vrai d'une forme unique de fidélisation des soldats, les tchakars. Ceux-ci, spécifiques de la Sogdiane et de la Bactriane, ont visiblement impressionné les chroniqueurs militaires aussi bien arabes que chinois. C'est une source chinoise qui les décrit le plus précisément à l'occasion des grands troubles qui ravagent la Chine au milieu du VIIIe siècle, causés par An Lushan, un général sogdo-turc - autre exemple de cette fusion - et ses troupes formées à la sogdienne. Les Tchakars d'An Lushan sont décrits comme ses fils adoptifs (il en a plusieurs milliers, au grand étonnement du narrateur chinois) et reçoivent une éducation militaire spécifique dans un lieu dédié. Tous les grands généraux d'Al-Mamun et son vizir ont des tchakars - ce sont eux qui capturent et exécutent Al-Amin à Bagdad. Si le procédé de l'adoption ne survit sans doute pas explicitement en contexte musulman - elle est interdite en Islam - les tchakars forment à Samarra, aux côtés des troupes turques comme dans tout l'empire, un corps militaire extrêmement important.

Héritier de ce corps représentatif des réseaux de son frère, dont il a évincé le fils, Al-Mutasim doit se forger ses propres réseaux militaires. Si Al-Mamun s'était appuyé sur le sud de l'Asie centrale, Al-Mutasim se tourne vers le nord, vers la zone de fusion sogdo-turque. En cela, Al-Mutasim s'appuie sur toute une pensée qui, du monde arabo-persan à la Chine, considère les Turcs comme des soldats exceptionnels. Et à Samarra, Al-Mutasim fournit à ses guerriers turcs des femmes turques pour préserver les qualités militaires intrinsèques de ces archers à cheval, sans les affaiblir en les mêlant aux populations locales. Mais il le fait, comme nous l'avons vu, non pas en les considérant comme des robots barbares et dépourvus de hiérarchie propre, mais en cooptant leurs élites pour les diriger.

Sur la plus longue durée, l'utilisation de ces troupes lointaines a pu également être liée à plusieurs déstructurations successives des réseaux militaires au Proche-Orient. La première a eu lieu dès avant la conquête musulmane du VIIe siècle : dans l'Iran préislamique, les derniers souverains se sont montrés soucieux d'abaisser la grande noblesse, traditionnellement pourvoyeuse de troupes. Cette désorganisation a été redoublée par la conquête arabe qui a privé de légitimité le cadre militaire existant, cantonnant les nobles dans leurs châteaux, avec une intégration au monde musulman que l'on saisit fort mal. Or ces réformes n'avaient justement jamais concerné la périphérie nord-est du monde iranien, restée en dehors des frontières de l'Iran préislamique. La noblesse y avait conservé, et conservera jusqu'au XIe siècle au moins, son contrôle sur les hommes. C'est à ce contrôle maintenu que font appel les califes.

Si dans un premier temps, après la conquête arabe du VIIe siècle, ces troupes iraniennes avaient été remplacées par les groupes tribaux arabes, rapidement épaulés voire dépassés en nombre par les recrues locales, cette organisation est elle-même bousculée par la révolution abbasside en 750 : parties de Merv - déjà ! - des troupes arabo-persanes avaient mis sur le trône les Abbassides de la famille du Prophète aux dépens des Omeyyades, représentant un autre groupe des anciennes élites arabes. Mais ce faisant, c'est aussi le coeur des troupes musulmanes, encore tribales et soutenant les Omeyyades, notamment en Syrie, qui avait été délégitimé, conduisant de facto à l'exclusion progressive des Arabes du pouvoir militaire dans le califat.

Le recours à ces troupes frontalières s'explique donc par une succession de crises politiques et militaires. Le recours aux soldats étrangers n'est pas une maladie génétique de l'islam, mais un effet des circonstances et le reflet d'un affaiblissement des structures militaires proche-orientales compensé par l'intégration récente d'une région abondamment pourvue en troupes notoirement efficaces.

LA VRAIE NAISSANCE DES MAMELOUKS

Le phénomène mamelouk quant à lui nait plus tard, non pas à Samarra mais contre Samarra. La création d'un huis clos à Samarra se révèle en effet délétère pour le pouvoir califal. Entourés de troupes soigneusement coupées de la société irakienne, les califes en deviennent, une génération plus tard, les prisonniers. Quatre califes sont assassinés par les troupes turques durant la décennie 860, un cauchemar politique dont se fait écho toute la littérature arabe du temps.

Loin de leurs bases centre-asiatiques et de la source de leur légitimité, les grands nobles recrutés par Al-Mutasim ont progressivement perdu le contrôle de leurs soldats au profit d'officiers montés par le rang. Le système de Samarra mis en place par Al-Mutasim ne peut fonctionner sur la longue durée dans un empire trop vaste. Pourtant, les troupes centre-asiatiques ont prouvé leur efficacité sur le champ de bataille, que ce soit à l'occasion de la guerre civile - les Turcs de Samarra, peut-être une quinzaine de milliers d'hommes, prennent Bagdad quasiment seuls en 865 - ou dans les guerres extérieures contre les Byzantins - l'empereur Théophile avait manqué être capturé par les Turcs lors de la bataille d'Anzen en 838, seules la nuit et la pluie, détendant les arcs, lui ayant permis de s'échapper.

Le phénomène mamelouk nait ainsi durant les années 870, à toute petite échelle une fois le califat retourné à Bagdad, comme une expérience combinant plusieurs éléments de la période antérieure : on continue à rechercher les Turcs, considérés comme intrinsèquement efficaces pour la guerre, tout en les achetant, cette fois jeunes, sur les marchés d'esclaves, afin de mieux les modeler et leur inculquer la fidélité. Il semble que le modèle des tchakars soit ici utilisé en le combinant aux achats d'esclaves, avec des écoles spécifiques et un vocabulaire au moins symbolique de la parenté, même si, en l'absence de source précise sur ce point, on ne peut le prouver.

Élaboré au centre du califat, le modèle ainsi créé se diffuse assez modestement à la fin du IXe siècle et au Xe siècle : il ne faut nullement imaginer alors un modèle mamelouk dominant. En Asie centrale, la dynastie des Samanides y a ainsi recours. Mais si des écoles de soldats professionnels sont attestées, si des biographies de mamelouks sont connues, ces troupes extrêmement coûteuses ne constituent qu'une partie de l'armée samanide. Si certains de leurs mamelouks s'enfuient et fondent dans les montagnes d'Afghanistan la dynastie des Ghaznévides, célèbre pour sa conquête de l'Inde du Nord, l'armée de ceux-ci n'était pas non plus constituée principalement de mamelouks, contrairement à ce que l'on a cru.

Ce n'est que beaucoup plus tard et par imitation, avec les Mamelouks d'Égypte, ou encore avec une partie des troupes ottomanes, que le phénomène mamelouk vient au premier plan des pratiques militaires de l'islam. Mais rien ne permet à l'historien d'essentialiser ce dernier en un modèle théologique figé hors du temps de l'histoire et de ses soubresauts.

1. Cf. É. de la Vaissière, « Les maîtres de la route de la soie », L'Histoire no 294, pp. 70-75 ; Histoire des marchands sogdiens, De Boccard, 2002.

 

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 Article de Omar Saghi in site Tambour.agoraafricaine.info,du 1er mars 2020

1er mars 1811 : Mehmet-Ali massacre les chefs Mamelouks

En 1811, Mehmet-Ali créa la première armée nationale du monde musulman. D’abord garante de l’indépendance et de la modernisation de la patrie, l’armée arabe devint son cauchemar politique. Deux siècles plus tard, une nouvelle page institutionnelle s’écrit.

 

Le premier mars 1811, Mehmet-Ali, gouverneur ottoman de l’Egypte, invita les Mamelouks, la caste militaire égyptienne, à un festin dans la Citadelle du Caire. Il fit fermer les portes de l’allée centrale et massacra les guerriers. Rares s’en échappèrent.

 

De tels banquets étaient courants dans l’ancien monde. C’est ainsi par exemple que les Abbassides se débarrassèrent des derniers Omeyyades d’Orient. En somme, cela correspondait à une dissolution biologique d’assemblée, avec moins de complications et un effet immédiat. Pourtant, le massacre de 1811 fit date. Mehmet-Ali s’attaqua et déracina un système millénaire, ouvrant une nouvelle page dans l’histoire institutionnelle du monde oriental.

 

Les esclaves de l’Etat

Très tôt dans son histoire, l’Etat musulman eut à se confronter à un problème central : gouvernant des populations massivement tribales, il ne pouvait fidéliser une caste de fonctionnaires et de militaires à la seule raison d’Etat. Derrière chaque soldat, chaque conseiller, chaque fonctionnaire, étaient tapis la famille, le clan, la communauté régionale ou religieuse. Le prince se savait à la merci de ces fidélités parasites. Le calife abbasside Al Mu‘tassim (833-847) inventa une solution, ou plutôt il améliora et systématisa une pratique qui émergea avant lui et qu’on retrouvait également chez les Byzantins : il établit une armée d’esclaves, des jeunes turcs importés d’Asie central et formés à la guerre et au pouvoir. Arraché aux siens, le Mamelouk vouait à son maître et à la raison d’Etat qu’il incarne la fidélité du chien à son maître. Le problème public central sembla résolu. L’efficacité, la rationalité, la fidélité des Mamelouks à la chose publique étaient indéniables.

 

Cette « solution » se répandit dans tout le monde musulman. L’Iran eut ses Ghilman géorgien, l’Empire ottoman ses Janissaires balkaniques, le Maroc ses ‘Abid el-Bokhari. On aboutit à ce suprême paradoxe : une communauté de croyants libres gérée par des Etats de serfs, à l’inverse des sociétés européennes, composées de serfs gérés par des aristocrates libres.

 

Le système avait cependant des défauts. Caste autonome, l’armée finit par se comporter comme une colonie étrangère : elle ne partageait avec la société ni langue commune, ni ethnie d’origine, ni culture ni mœurs. Seule la religion cimentait l’Etat et son armée à sa société.

 

Deux siècles d’armées nationales

Le massacre de 1811 n’avait pas de ressorts idéologiques. Mehmet-Ali cherchait l’efficacité et crut la trouver dans l’armée des citoyens, plutôt que dans celle des mamelouks. L’armée nationale devint le pilier de l’Etat arabe moderne. Au cours du XXème siècle, ce sont ces armées, tour à tour « nationales », « populaires », « démocratiques », qui firent la révolution et la politique. Au cours des années 1970, il devint évident pour tous que de libératrices, elles devinrent prédatrices. Des observateurs n’hésitèrent pas à appeler les élites alaouites en Syrie et la nomenklatura militaire en Egypte, des « nouveaux mamelouks »…

 

Ironiquement, c’est dans les pays où l’ancien système subsista quasi-inchangé que l’armée fut la moins prédatrice, la plus « nationale » en somme : au Maroc, où l’armée est « royale » avant d’être « nationale », et où elle resta longtemps constituées de montagnards imperméables à la politisation venue des villes, en Jordanie où elle est tribale, dans les pays du Golfe où elle est constituée de tribus et de recrus étrangères…

 

Que le printemps arabe de 2011 renverse le résultat monstrueux et inattendu de la transformation de 1811 nous interroge sur le futur des armées arabes. Institutionnellement, 2011 risque d’être aussi décisive que 1811 : la chute du colonel Kadhafi et du général Ben Ali, le procès du général Moubarak… proclament la fin de l’armée nationale comme pilier central de l’Etat arabe moderne. Dès les années 1970, beaucoup pensèrent remplacer l’armée par la mobilisation religieuse comme fondement de l’espace public. Les développements en cours dans le monde arabe, malgré des apparences trompeuses, laissent penser que c’est aux institutions civiles qu’on demandera désormais, plutôt qu’à la caserne ou à la mosquée, le fondement du vivre-ensemble.

 

Omar Saghi

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