"Marc Boegner, né le à Épinal, mort le à Paris, est un pasteur et théologien protestant, responsable d'Église et essayiste français.

Le 26 mars 1941, il écrit deux lettres au nom de l'Église réformée de France, l’une à l’amiral Darlan, vice-président du Conseil national, l’autre au grand rabbin de France Isaïe Schwartz, dans laquelle il déplore la mise en place d’une législation raciste : « Notre Église, qui a jadis connu les souffrances de la persécution, ressent une ardente sympathie pour vos communautés dont en certains endroits la liberté du culte est déjà compromise et dont les fidèles viennent d’être si brusquement jetés dans le malheur. Elle a déjà entrepris et ne cessera pas de poursuivre des démarches en vue d’une refonte indispensable de la loi. » Première manifestation publique de solidarité des chrétiens français envers les Juifs, cette lettre connaît un retentissement extraordinaire, notamment grâce au journal collaborationniste Au Pilori qui a cru bon de la publier sous le titre « Une lettre inadmissible du chef des protestants de France »8.

À partir de juin 1941, confronté à l'échec de ses interventions auprès de l'amiral François Darlan, il prend contact avec le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, afin que ce dernier aborde la question raciale avec le maréchal Pétain. Après avoir reçu ces protestations conjointes des églises chrétiennes, Pétain demande davantage de modération au secrétaire d’État aux questions juives, protestation qui reste sans effet tandis que la situation des Juifs empire dès juin 19419.

Le 20 août 1942, après de nouvelles mesures antijuives en zone occupée et la rafle du Vélodrome d'Hiver, il écrit une lettre au maréchal Pétain. Cette lettre connait à nouveau une très large diffusion, cette fois grâce à la presse et à la radio internationales. Elle présente un caractère tout nouveau par rapport à ses précédentes interventions, en ce sens qu’elle porte sur les opérations de livraison à l’Allemagne de Juifs étrangers, déjà internés dans les camps : « La vérité est que viennent d’être livrés à l’Allemagne des hommes et des femmes réfugiés en France pour des motifs politiques et religieux, dont plusieurs savent d’avance le sort terrible qui les attend […]. Je suis obligé d’ajouter, Monsieur le Maréchal, que la livraison de ces malheureux étrangers s’est effectuée, en maints endroits, dans des conditions d’inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies et arraché des larmes aux témoins de ces mesures. »10. Simultanément Marc Boegner obtient du cardinal Gerlier une lettre de protestation auprès du maréchal Pétain sur les mêmes questions.

Ces protestations prennent aussi la forme de lettres pastorales, souvent lues en chaire au cours des cultes dominicaux. Le dimanche , à l'issue de l'assemblée du désert à Mialet, Marc Boegner réunit les nombreux pasteurs présents pour leur faire partager sa vision sur le fait que le gouvernement de Vichy s'est désormais résolument placé du côté de l'occupant et de son idéologie11.

En 1943, il condamne l'envoi forcé des travailleurs en Allemagne au titre du STO." (notice wikipedia)

 

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cité par Gilles Legroux | Déc 23, 2018 | clio-texte

 

Texte de la lettre

Nîmes, le 20 août 1942

 

Monsieur le Maréchal,

Lorsque vous m’avez fait l’honneur de me recevoir le 27 juin dernier, j’ai remis entre vos mains la lettre par laquelle le Conseil de la Fédération Protestante de France confiait à votre coeur de chrétien et de soldat la douleur et l’émotion éprouvées par les Eglises protestantes devant les nouvelles mesures prises en zone occupée à l’égard des Juifs et des chrétiens maintenus Juifs par la loi. Je me vois contraint, hélas ! de vous écrire aujourd’hui au nom de ce même Conseil, pour vous exprimer l’indicible tristesse que ressentent nos Eglises à la nouvelle des décisions prises par le Gouvernement français à l’encontre des Juifs étrangers (convertis ou non au christianisme) et de la manière dont elles ont été exécutées.

 

Aucun Français ne peut demeurer insensible à ce qui se passe depuis le 2 août dans les camps d’hébergement et d’internement. On répondra, on le sait, que la France ne fait que rendre à l’Allemagne des Juifs, que celle-ci a renvoyé en automne 1940. La vérité est que viennent d’être livrés à l’Allemagne des hommes et des femmes réfugiés en France pour des motifs politiques ou religieux dont plusieurs savent d’avance le sort terrible qui les attend.

 

Le christianisme avait, jusqu’à présent, inspiré aux nations en France, en particulier, le respect du droit d’asile. Les Eglises chrétiennes, quelles que soient les diversités de leur confession, seraient infidèles à leur vocation première si elles n’élevaient devant l’abandon de leurs principes, leurs douloureuses protestations.

Je suis obligé d’ajouter, Monsieur le Maréchal, que la « livraison » de ces malheureux étrangers s’est effectuée en maints endroits, dans des conditions d’inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies et arraché des larmes aux témoins de ces mesures. Parqués dans des wagons de marchandises sans aucun souci d’hygiène, les étrangers désignés pour partir ont été traités comme du bétail. Les Quakers, qui font tant pour ceux qui souffrent sur notre sol, se sont vu refuser l’autorisation de les ravitailler à Lyon. Le Consistoire israélite n’aurait pas été autorisé à leur distribuer des vivres. Le respect de la personne humaine que vous avez tenu à insérer dans la constitution dont vous voulez doter la France, a été maintes fois foulé aux pieds. Ici encore les Eglises sont tenues de s’élever contre une si grave méconnaissance par l’Etat de ses indéniables responsabilités.

 

Le Conseil de la Fédération Protestante en appelle à votre haute autorité pour que des méthodes entièrement différentes soient introduites dans le traitement des étrangers juifs de race, chrétiens ou non de religion, dont la livraison a été consentie. Aucune défaite, vous nous l’avez rappelé vous-même, ne peut contraindre la France à laisser porter atteinte à son honneur.

 

La fidélité obstinée de la France, même et surtout dans les journées tragiques qu’elle vit depuis deux ans, à ses traditions de générosité humaine, de noblesse spirituelle, reste l’une des causes essentielles du respect que continuent à lui vouer certaines nations.

 

Vice-Président du Conseil oecuménique des Eglises chrétiennes qui groupe toutes les grandes Eglises en dehors de l’Eglise catholique romaine, je ne puis pas ne pas vous faire part de l’émotion profonde éprouvée par les Eglises de Suisse, de Suède, des Etats-Unis, à la nouvelle connue déjà dans le monde entier, de ce qui s’accomplit en ce même en France.

 

Je vous supplie, Monsieur le Maréchal, d’imposer des mesures indispensables pour que la France ne s’inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable.

Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l’assurance de ma profonde tristesse et de mon entier dévouement.

 

Marc BOEGNER

Président du Conseil de la Fédération Protestante de France, vice-président du Conseil Oecuménique.

 

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