Septembre 1947
La commission d'enquête de l'ONU sur la Palestine rend son rapport le 1er septembre préconisant le partage. Elle annonce que
des représentants de huit des onze nations membres soutiennent la partition du pays en deux États arabe et juif, et la création d'une zone internationale à Jérusalem. Les trois membres d'avis divergents -l'Inde, l'Iran et la Yougoslavie -, qui comptaient tous d'importantes populations musulmanes, préféraient un État fédéral unifié.
Le Conseil de la ligue des États arabes adopte le 20 septembre au Liban des résolutions
qui rejettent l'injustice flagrante à l'égard des droits naturels des Arabes de Palestine à l'indépendance que sont les recommandations de la commission d'enquête.
Leur exécution constituerait un danger réel pour la sécurité en Palestine ainsi que pour la sécurité et la paix de tous les pays arabes : Les gouvernements des États arabes ont déjà eu l'occasion de mettre en garde la commission d'enquête précitée contre les inconvénients de la formation d'un État juif en Palestine et lui ont laissé pressentir les troubles inévitables qui s'étendraient à tout le Moyen-Orient si pareille initiative était suivie d’exécution.
Les Arabes de Palestine, en effet, n'accepteront aucune atteinte à l'unité de leur pays. Au contraire, ils déclencheront une guerre sans merci pour réduire une agression de ce genre contre leur pays, d'autant plus qu'ils savent que tous les pays arabes se rangeront à leurs côtés, en leur apportant appui en hommes, en argent et en matériel.1
Le gouvernement britannique avait soumis le problème de la Palestine à l'ONU le 18 février 1947. A l'époque Bevin y croyait encore. Il déclarait à ses ministres : Nous devons encore trouver un moyen de conserver le Moyen-Orient. Son secrétaire d’État aux colonies, Creech Jones affirmait : Nous n'allons pas aux Nations unies pour abandonner le mandat mais pour exposer le problème et leur demander leur conseil sur la manière dont le mandat peut-être administré. Terrible aveu d'échec après 25 ans de mandat.
Mais le 26 septembre 1947, Bevin annonce qu'il se retirera unilatéralement le 14 mai 1948. Jamais depuis 1776, l’Angleterre n'avait renoncé volontairement à une partie de son empire2. Pour Bevin, la nature pourrait imposer la partition de la Palestine.
Pour David Ben Gourion3, le président de l'Agence juive, la fin du mandat est inéluctable. Il souhaite qu'après une période de transition garantissant la venue d'un million de juifs en Palestine, un État indépendant voit le jour sur l'ensemble du territoire. Il précise à la demande des enquêteurs :
Nous sommes prêts à considérer la question d'un État juif sur une partie significative de la Palestine [tout] en réaffirmant notre droit sur toute la Palestine.4
En 1934, il déclarait pourtant :
Nous n'accepterons pas maintenant ni dans le futur, le pouvoir d'un groupe national sur un autre. Pas plus que nous n'acceptons l'idée d'un État juif, qui pourrait finalement signifier la domination juive sur les Arabes. 5
La realpolitik est passée par là.
Ben Gourion, Premier ministre (1948- 1954) et (1955- 1963) |
Côté arabe, la modération n'est non plus de mise. Le représentant libanais Hamid Frangié, ministre des affaires étrangères du Liban souhaite expulser dans un premier temps les 400 000 juifs entrés illégalement en Palestine (soit les deux tiers des immigrants, entrés pour beaucoup sous le régime restrictif du livre blanc et rescapés de la Shoah). Le délégué tchécoslovaque de la commission résume la position du ministre libanais comme ceci :
J'ai écouté vos revendications, et il me semble que votre vision du compromis est la suivante : nous voulons la satisfaction totale de toutes nos demandes, et le reste peut-être discuté.6
29 novembre 1947 - Résolution 181 de l'ONU - Plan de Partage
La Résolution 181 proposant le Plan de partage de la Palestine est votée à l'Assemblée générale de l'ONU par 33 pays, dont les USA, l'URSS et la France. La Grande-Bretagne s'abstient.
Réaction des habitants de Tel-Aviv suite au vote de l'Assemblée générale de l'ONU |
Le partage et la création des deux États (État juif, État arabe et zone de Jérusalem sous administration internationale), furent donc votés par 33 voix contre 13, et 10 abstentions.
Ont voté pour : États-Unis d’Amérique, Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, RSS de Biélorussie, Canada, Costa Rica, Danemark, République dominicaine, Équateur, France, Guatemala, Haïti, Islande, Liberia, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, Pologne, Suède, Tchécoslovaquie, RSS d’Ukraine, Union sud-africaine, URSS, Uruguay et Venezuela.
Ont voté contre : Afghanistan, Arabie saoudite, Cuba, Égypte, Grèce, Inde, Iran, Irak, Liban, Pakistan, Syrie, Turquie et Yémen.
Se sont abstenus : Argentine, Chili, Chine, Colombie, Salvador, Empire d'Éthiopie, Honduras, Mexique, Royaume-Uni, Yougoslavie.
Lire aussi 29 novembre 1947 resolution n°181 et le plan de partage (texte complet anglais / français)
La convergence Est-Ouest est unique. Il est vrai que Staline pense que le nouveau pays pourrait devenir communiste et que le partage force les Anglais à quitter ce rivage de la Méditerranée. L'URSS et l'occident n'auront plus l'occasion de voter de concert une résolution7 sur un problème international jusqu'en...1989. Andreï Gromyko, ambassadeur de l'URSS au conseil de sécurité des Nations unies évoque même :
les souffrances subies par les Juifs au cours de la dernière guerre doivent constituer un élément important dans la décision de l'Assemblée.Les Juifs luttent pour un État qui leur soient propre, et il serait injuste de leur refuser le droit d'atteindre cet objectif.
Venant d'un État dirigé par Staline, l'homme qui a créé la région autonome juive du Birobidjan (Sibérie) en 1928 pour y parquer les Juifs, puis qui a liquidé l'ensemble des organisations juives (dont celles du Birobidjan) et leurs dirigeants dès 1930 et finalement s'est allié à Hitler lors du pacte germano-soviétique, la position de Gromyko surprend. L'URSS reviendra vite à ses anciennes marottes, Staline déclarant en 1952 :
Chaque nationaliste juif est un agent potentiel des renseignements américains. Les nationalistes juifs pensent que leur nation a été sauvée par les États-Unis...parmi mes médecins il y a beaucoup de sionistes.8
Le statut de Jérusalem, est prévu pour une durée de 10 ans à moins que le Conseil de tutelle n'estime devoir procéder plus tôt à un examen de ces dispositions. Il prévoit la démilitarisation de la ville, un gouverneur désigné par les Nations unies, une véritable citoyenneté pour ses habitants et faire en sorte que l'ordre et la paix, et la paix religieuse surtout, règnent à Jérusalem, ce qui est revenir à la source de la définition d'un vœu pieux.
Le Statut élaboré par le Conseil de tutelle, d'après les principes énoncés plus haut, entrera en vigueur le 1er octobre 1948 au plus tard. Il sera tout d'abord en vigueur pendant une période de dix ans,.
À l'expiration de cette période, l'ensemble du Statut devra faire l'objet d'une révision de la part du Conseil de tutelle, à la lumière de l'expérience acquise au cours de cette première période de fonctionnement. Les personnes ayant leur résidence dans la Ville auront alors toute liberté de faire connaître, par voie de référendum, leurs suggestions relatives à d'éventuelles modifications au régime de la Ville.
Tous les pays arabo-musulmans et/ou situés autour de la Palestine votent contre la résolution , ainsi que l'Inde, la Grèce et Cuba. Les Juifs acceptent le plan, les Arabes le refusent, considérant qu'il revient à leur ôter une partie de leur pays, et convaincus qu'ils pourront conquérir la partie juive par les armes.
Pour Whalid Khalidi9,
le peuple indigène de Palestine, comme le peuple indigène de tous les autres pays du monde arabe, d'Asie, d'Amérique, d'Asie et d'Europe, refusait de partager en deux le pays avec une communauté de colons. 10
Le plan divise la Palestine mandataire (hors Transjordanie ôtée de la Palestine mandataire après San Remo) en deux pays comportant chacun plusieurs zones disjointes. Aucun des deux territoires n'est viable en l'état.
Une propriété foncière concentrée
Au début du XXe siècle, quelques 50 % des terres de Judée et 20 % seulement des terres de Galilée appartiennent encore aux paysans, résultat de la séparation, réaffirmée par le code foncier de 1858, entre les terres mülk, d'appropriation privée, les terres miri, terres de communauté concédées à l'exploitant. Ce n'est qu'en 1867 que les étrangers obtiennent le droit d'acheter des terres. En 1869, ouvre la possibilité de transformer une terre miri en une terre mülk.
A Gaza, une seule famille, les Shawwa, détient 100 000 dunums de terre (100 km2), soit près d'un tiers de la totalité de la future bande de Gaza ou quatre fois en superficie le lac d'Annecy. Les Husseini de Jerusalem possèdent 50 000 dunums, soit 50 km². Quant à Jaffa, trois familles se partagent 180 km², les al-Taji al -Faruqi (100), les Tayyan (40) et les Abou-Khadra (40).1
La concentration est telle que certains groupes familiaux interdisent le mariage hors du groupe.
1 Soit un total de 330 km² ( pour comparaison, la superficie de la totalité de la bande de Gaza s'élève à 360 km²) pour cinq familles
" Le partage est impraticable comptant huit portions, trois régimes, quarante frontières et dix corridors ! Ce découpage est de fait une balkanisation12. Pour le Haut comité arabe, les plans (il y avait aussi en lice un plan fédéral où un seul État serait co-dirigé par juifs et arabes) sont absurdes, impraticables, injustes."
- La Palestine arabe compte 11 500 Km2 (42,88%) pour une population de 725 000 arabes et 10 000 juifs.
- L'État juif de Palestine compte 14 000 km2 (dont 5600 km2 de désert) soit 55% du territoire 13 pour une population de 498 000 juifs et 407 000 arabes.
- La zone de Jérusalem fait 0,65% du territoire et abrite 105 000 arabes et 100 000 juifs.
En 1934, le bulletin de l'association des géographes français publie un article sur «le problème des terres en Palestine »1. L'auteur écrit :
“ Dans ce conflit, des deux côtés, les arguments échangés manquent de bonne foi, et l'on se refuse à envisager le fond réel du problème. Les Arabes se plaignent de se voir expulsés de leur propre pays: la colonisation juive aboutit à la dépression de la classe paysanne indigène, à la création d'un prolétariat rural de sans terre. Mais les enquêtes officielles n'ont jamais réussi qu'à trouver un nombre infime de fellah chassés de chez eux, fellah que le gouvernement s'est empressé, d'ailleurs, d'établir à nouveau sur des terres domaniales. Les Arabes exigent aussi une législation interdisant la vente des terres, et pourtant c'est eux-mêmes, tant fellahs que grands propriétaires, qui viennent offrir leur domaine aux riches organisations sionistes. Ils souhaitent individuellement ce que tous condamnent collectivement. Comment agir en pareille matière ?
Les Juifs, de leur côté, tendent à démontrer qu'ils ne font qu'enrichir le pays, indigènes compris. Partout où ils s'établissent, la population arabe, loin de diminuer, a tendance au contraire à augmenter. Ceci pour une raison bien simple :
l'Arabe ne vend qu'une partie de ses terres, avec le capital ainsi obtenu, il peut enfin 'mettre rationnellement en valeur la part qui lui reste. Ainsi se sont créées les riches orangeraies de la plaine côtière, pour moitié entre des mains arabes. Mais partout où il s'établit, le Juif s'installe en maître, et la différence de culture est trop grande pour permettre fusion ou même collaboration. C'est une question de primauté politique qui se pose : l'aristocratie musulmane ne peut se résoudre à voir lui échapper sa longue domination et derrière elle c'est tout l'Islam qui la soutient.
La querelle des terres s'élève aussitôt : elle devient un problème de souveraineté au premier chef. Plus même qu'un conflit entre Islam et Judaïsme, c'est, en fait, un conflit entre Orient et Occident. Le sionisme apparaît même ici comme un Super- Occident; Israël revient vers sa terre natale, chargé des dépouilles et des conquêtes de tous les pays qui accueillirent son exil :
l'argent des Rostchild s'y mêle à celui des mines d'or du Transvaal, et la kultur germanique à l'efïiciency anglo-saxone. Et c'est ce qui fait l'intérêt unique des conflits qui se livrent en Palestine autour du problème des terres.”
1 Weulersse Jacques. Le problème des terres en Palestine. In: Bulletin de l'Association de géographes français, N°82, novembre 1934. pp. 118-122; in Persee
En 1947, les Juifs possédaient 5% des terres et les Arabes environ 29%. La propriété foncière est pour ces derniers concentrée entre quelques familles. 14
L’Égypte menace ses propres ressortissants en prévenant que la communauté juive égyptienne sera tenue pour responsable en Égypte de la création d'un État juif. Ainsi Heykal Pasha, ministre des affaires étrangères de l’Égypte s’adressant au Comité des affaires politiques de l’Assemblée générale des Nations unies le 24 novembre 1947 :
L’organisation des Nations unies… ne doit pas perdre de vue que la solution proposée peut mettre en danger un million de juifs vivant dans les pays musulmans. Le partage de la Palestine peut créer au sein de ces pays un antisémitisme encore plus difficile à guérir que celui dont les alliés cherchent à guérir l’Allemagne… Si l’Organisation des Nations unies décidait de partager la Palestine, elle pourrait être responsable de troubles très graves et du massacre d’un grand nombre de juifs ...
Un million d’Israélites vivent en paix en Égypte et jouissent de tous les droits de citoyen. Ils ne désirent nullement émigrer vers la Palestine.
Cependant, si un État juif était créé, nul ne pourrait empêcher des troubles. Des émeutes éclateraient en Palestine, se répandraient à travers tous les États arabes et aboutiraient peut-être à une guerre entre deux races.
Bien qu'ils ne « désirent nullement émigrer vers la Palestine », en 20 ans, la totalité des 900 000 juifs de pays arabes quitteront leur pays, abandonnant leurs biens. Des pays comme l’Égypte iront jusqu'à faire signer un renoncement des expulsés à tout recours contre leur pays, on est jamais trop prudent.
Réfugiés juifs des Pays arabes. 900 000 juifs quitteront en 20 ans les pays arabes |
La résolution n°181 comporte un dernier paragraphe qui met un point final aux capitulations (cf. année 1740) :
Les États dont les ressortissants ont, dans le passé, bénéficié en Palestine des privilèges et immunités réservés aux étrangers, y compris les avantages de la juridiction et de la protection consulaires qui leur étaient conférés sous l'Empire ottoman en vertu des capitulations ou de la coutume sont invités à renoncer à tous leurs droits au rétablissement des dits privilèges et immunités dans l'État arabe et dans l'État juif dont la création est envisagée, ainsi que dans la Ville de Jérusalem.
Pour certains la résolution n°181, non contraignante car émanant de l'Assemblée générale, s'oppose à tort aux décisions San Remo reprise par la SDN, qui prévoyaient l'établissement du foyer juif sur la totalité de la Palestine. Ils s'appuient sur l'article 80 de la charte des Nations unies qui prévoit la reprise des dispositions antérieures non annulées. Cette clause est parfois appelée, « clause du peuple juif »
art. 80 de la charte des Nations unies
Aucune disposition du présent Chapitre ne sera interprétée comme modifiant directement ou indirectement en aucune manière les droits quelconques d'aucun Etat ou d'aucun peuple ou les dispositions d'actes internationaux en vigueur auxquels des Membres de l'Organisation peuvent être parties.
1Henry Laurens. La question de Palestine.
2 L'indépendance et la partition de l'Inde en août 1947 a été largement imposé par Gandhi et son mouvement non-violent. Cette partition a fait 12,5 millions de personnes déplacées et entre 100 000 à un million de morts.
3 David Ben Gourion 'le fils du lion' est né David Grün est né en Russie en 1886 est arrivé en Palestine en 1917, engagé dans les unités juives de l'armée britannique.
4In Palestine 1947, un partage avorté p.22
5idem p79
6idem p25
7 Entre 1946 et 1971, l'URSS va user près de 80 fois de son droit de veto, soit 8 fois plus que l'ensemble des autres membres permanents.
8 In Wikipedia. Enregistré par le vice-président du Sovmin Vyacheslav Malyshev. Source: journal Nezavissimaïa Gazeta, 29 septembre 1999
9 Auteur notamment de Nakba et de Palestine 1948-1950, actes sud
10 Whalid Khaldji in Revisitin the UNGA Partition resolution, journal of Palestine Studies n°105, automne 1997 cité par Ilan Pappé in le nettoyage ethnique de la Palestine, fayard, 2006 p60.
11 Soit un total de 330 km² ( pour comparaison, la superficie de la totalité de la bande de Gaza s'élève à 360 km²) pour cinq familles
12 Elias Sanbar in La Palestine expliquée à tout le monde, Seuil, 2013 p27
13 Sur le papier c'est plus de la moitié, mais si on ôte la zone desertique, il ne reste que 42 % du territoire partagé pour l’État juif.
14 Cf Nadine Picaudou, Les Palestiniens, un siècle d'histoire : le drame inachevé p.167