Le siège d’Akko (ou Saint-Jean-d'Acre) en 1799 est l’un des moments décisifs de la campagne d’Égypte menée par Napoléon Bonaparte. Cette tentative infructueuse de s’emparer de la ville fortifiée marque un tournant dans son ambition de conquête en Orient et illustre les limites de sa stratégie face aux défenses ottomanes soutenues par les Britanniques.
À la fin du XVIIIe siècle, la France révolutionnaire cherche à affaiblir la puissance britannique en s’attaquant à ses routes commerciales vers l’Inde. Napoléon Bonaparte, alors général ambitieux, est chargé en 1798 d’une expédition en Égypte, censée perturber l’influence anglaise tout en ouvrant de nouvelles perspectives coloniales.
Après la conquête rapide de l’Égypte, dont la bataille des Pyramides (juillet 1798) et la prise du Caire, Bonaparte est confronté à un revers stratégique avec la destruction de sa flotte par l’amiral britannique Horatio Nelson à Aboukir (août 1798). Coupé de la France, il doit alors consolider ses positions en Égypte et repousser les Ottomans, alliés des Britanniques, qui préparent une contre-offensive pour reprendre le contrôle de la région.
En février 1799, Napoléon lance une audacieuse expédition en Syrie (actuel Israël, Palestine, Liban et Syrie) pour empêcher les Ottomans d’attaquer l’Égypte depuis cette zone. Après avoir conquis Gaza et Jaffa dans une campagne éclair marquée par des massacres et une gestion difficile des épidémies de peste dans les rangs français, Bonaparte arrive devant Akko en mars 1799, convaincu qu’une victoire rapide lui ouvrirait la route vers Damas et au-delà.
Une forteresse imprenable
La ville d’Akko est une position stratégique clé sur la côte levantine. Fortifiée par les Croisés au Moyen Âge, elle est désormais sous contrôle ottoman et gouvernée par Ahmed El-Djezzar, surnommé « Djezzar Pacha » ou « le Boucher », un gouverneur redouté pour sa cruauté et son autorité absolue.
Bien informé de l’avancée française, Djezzar Pacha a reçu l’appui crucial des Britanniques, notamment du commodore Sidney Smith, qui a envoyé des ingénieurs et des canons de marine pour renforcer les défenses de la ville. De plus, la flotte britannique contrôle la mer et empêche tout ravitaillement français, rendant le siège d’Akko encore plus périlleux pour Bonaparte.
Un affrontement acharné (19 mars – 20 mai 1799)
Le 19 mars 1799, l’armée française, affaiblie par les combats précédents et les maladies, mais encore déterminée, commence à assiéger Akko. Bonaparte ne dispose pas d’artillerie de siège efficace, car les canons qu’il espérait utiliser ont été capturés par les Britanniques en mer. Il doit donc improviser avec des pièces d’artillerie de campagne insuffisantes pour percer les solides remparts de la ville.
Les troupes françaises tentent plusieurs assauts violents contre la ville. Mais les défenses ottomanes, renforcées par les Britanniques, tiennent bon. Chaque brèche ouverte dans les murs est immédiatement réparée, et chaque attaque est repoussée avec des pertes importantes pour les assaillants. Djezzar Pacha, bien retranché, mène une défense implacable, tandis que les renforts ottomans et britanniques arrivent régulièrement.
Bonaparte tente de saper le moral des défenseurs par des bombardements incessants et en exploitant des rumeurs sur sa puissance. Mais les habitants et les soldats ottomans restent fidèles à Djezzar Pacha, galvanisés par la perspective de défendre l’Empire contre l’envahisseur.
Alors que le siège s’éternise, l’armée française souffre de conditions de plus en plus difficiles. Le manque de ravitaillement, la chaleur, le manque d’eau potable et surtout une épidémie de peste ravagent les rangs français. Napoléon tente de maintenir le moral de ses hommes, mais les désertions et les pertes s’accumulent.
Le 1er mai 1799, un nouvel assaut français échoue encore une fois, et les Ottomans, avec le soutien des Britanniques, lancent une contre-attaque qui met en péril le camp français. Les renforts ottomans arrivent depuis Damas, et Bonaparte comprend que la situation est devenue intenable.
La retraite et les conséquences
Le 20 mai 1799, après 62 jours de siège infructueux, Napoléon abandonne la prise d’Akko et ordonne la retraite vers l’Égypte. Cette décision marque un échec cinglant pour lui, car la ville aurait été une clé stratégique pour dominer le Levant.
La retraite est éprouvante : les troupes françaises harassées doivent parcourir des centaines de kilomètres à travers le désert, traquées par les forces ottomanes et affaiblies par la maladie. Napoléon fait preuve de fermeté en ordonnant de laisser derrière les blessés gravement atteints, ce qui suscite des controverses.
À son retour en Égypte, il tente de masquer sa défaite en proclamant une victoire stratégique et en minimisant l’échec du siège d’Akko. Cependant, cet épisode marque un tournant dans la campagne d’Égypte : Napoléon comprend qu’il ne pourra pas établir un empire en Orient et commence à préparer son retour en France.
Une défaite aux lourdes conséquences
Le siège d’Akko est l’un des premiers revers majeurs de Napoléon Bonaparte. Il démontre les limites de sa stratégie en dehors de l’Europe et souligne l’importance du contrôle naval, un domaine où les Britanniques dominent largement. Cet échec met un terme à ses ambitions orientales et accélère la fin de la campagne d’Égypte.
Djezzar Pacha, auréolé de gloire, devient un symbole de la résistance ottomane contre l’expansion française. Sidney Smith, quant à lui, renforce sa réputation en tant qu’adversaire clé de Napoléon.
Pour Napoléon, bien que cette défaite ne ternisse pas immédiatement son ascension politique en France, elle marque une leçon amère : il ne pourra jamais véritablement régner sur l’Orient. Cette expérience influencera ses futures campagnes militaires et sa vision de la guerre à grande échelle. Ainsi, le siège d’Akko en 1799 demeure une bataille emblématique des limites de l’expansion napoléonienne et du rôle crucial de la logistique, des alliances et du soutien naval dans la réussite des conquêtes.