L’opération Ezra et Néhémie est un épisode marquant de l’histoire juive moderne, qui a permis le rapatriement de la communauté juive d’Irak vers Israël au début des années 1950. Cette opération humanitaire et politique a été menée dans un contexte de tensions croissantes au Moyen-Orient, après la création de l’État d’Israël en 1948.

Contexte historique

La communauté juive d’Irak, l’une des plus anciennes de la diaspora, remonte à plus de 2 500 ans, depuis l’exil babylonien qui a suivi la destruction du Premier Temple de Jérusalem en 586 avant l’ère commune. Pendant des siècles, les Juifs d’Irak ont joué un rôle important dans la vie économique, culturelle et intellectuelle de la région.

Cependant, leur situation a commencé à se détériorer au XXe siècle, en particulier après la montée des nationalismes arabes et la création de l’État d’Israël en 1948.

En Irak, les Juifs étaient confrontés à des discriminations croissantes, des pogroms et des lois restrictives.

Le pogrom de Farhud en 1941, qui a fait des centaines de victimes juives, a marqué un tournant dans la perception de la sécurité de la communauté. Après 1948, la situation s’est encore aggravée : les Juifs étaient considérés comme des ennemis potentiels de l’État irakien en raison de leur lien supposé avec Israël. Des lois ont été promulguées pour confisquer leurs biens, les exclure de la fonction publique et restreindre leurs droits civiques.

 

L’opération Ezra et Néhémie

Face à cette situation, les autorités israéliennes, en collaboration avec des organisations juives internationales, ont décidé d’organiser une opération de sauvetage pour évacuer la communauté juive d’Irak. Cette opération, baptisée « Ezra et Néhémie » en référence aux figures bibliques qui ont ramené les Juifs de Babylone en Terre d’Israël, a été menée entre 1950 et 1952.

L’opération a nécessité une coordination complexe entre Israël, l’Irak et des pays tiers.

En mars 1950, le gouvernement irakien a adopté une loi permettant aux Juifs de quitter le pays à condition de renoncer à leur citoyenneté irakienne. Cette loi, bien que restrictive, a ouvert une fenêtre d’opportunité pour l’évacuation. Les autorités israéliennes ont rapidement mis en place un plan pour organiser le transport des Juifs irakiens vers Israël.

L’Agence juive, chargée de l’immigration juive en Israël, a joué un rôle central dans l’organisation de l’opération. Des représentants de l’Agence ont été envoyés en Irak pour coordonner les départs, souvent dans des conditions clandestines

L’opération Ezra et Néhémie s’est déroulée en plusieurs phases, marquées par des défis logistiques, politiques et humains. Voici un aperçu plus détaillé de son déroulement :

L’Agence juive et le Joint Distribution Committee (JDC) ont joué un rôle clé dans l’organisation de l’évacuation. Des représentants de l’Agence juive ont été envoyés en Irak pour encourager les Juifs à partir et pour organiser les départs. Des réseaux clandestins ont été mis en place pour faciliter le processus, souvent dans des conditions dangereuses en raison de la surveillance des autorités irakiennes.

L’évacuation a principalement été réalisée par avion, dans le cadre d’un pont aérien massif surnommé « Opération Ali Baba ». Des compagnies aériennes étrangères, comme la British Overseas Airways Corporation (BOAC) et la Near East Air Transport, ont été affrétées pour effectuer des centaines de vols entre Bagdad et Tel-Aviv. Les Juifs quittaient l’Irak avec peu de possessions, laissant derrière eux des biens et des propriétés confisqués par le gouvernement irakien.

À leur arrivée en Israël, les Juifs irakiens étaient souvent logés dans des camps de transit appelés « ma’abarot ». Ces camps, composés de tentes ou de baraquements précaires, étaient surpeuplés et manquaient d’infrastructures de base. Les conditions de vie étaient difficiles, et les nouveaux immigrants devaient faire face à des défis sanitaires, économiques et sociaux.

L’opération Ezra et Néhémie a été marquée par de nombreuses difficultés, tant pour les Juifs irakiens que pour les autorités israéliennes :

Les Juifs d’Irak étaient soumis à des pressions croissantes de la part du gouvernement et de la population locale. Des lois restrictives, des confiscations de biens et des actes de violence ont rendu leur situation intenable. Cependant, certains Juifs hésitaient à partir, craignant de perdre leur identité culturelle et leur patrimoine.

Le voyage vers Israël était souvent éprouvant. Les avions étaient surchargés, et les conditions de transport étaient précaires. De nombreux Juifs ont quitté l’Irak avec seulement quelques valises, abandonnant leurs maisons, leurs commerces et leurs biens.

À leur arrivée en Israël, les Juifs irakiens ont dû faire face à des défis d’intégration. Les différences culturelles et linguistiques entre les Juifs irakiens (mizrahim) et la population ashkénaze dominante ont créé des tensions. Les nouveaux immigrants étaient souvent perçus comme « arriérés » par les autorités israéliennes, ce qui a entraîné des discriminations et des difficultés économiques.

Les conditions dans les ma’abarot : Les camps de transit où étaient logés les nouveaux immigrants étaient surpeuplés et insalubres. Les conditions de vie difficiles ont exacerbé les frustrations et les tensions au sein de la communauté juive irakienne.

 

Bilan de l’opération

L’opération Ezra et Néhémie a permis l’évacuation de près de 120 000 Juifs irakiens vers Israël entre 1950 et 1952. Sur le plan humanitaire, elle a sauvé une communauté juive en danger et lui a offert une nouvelle vie en Israël. Cependant, l’opération a également eu des conséquences complexes et parfois controversées :

L’opération a marqué la fin de la présence juive millénaire en Irak. La communauté juive, autrefois prospère et influente, a pratiquement disparu. Aujourd’hui, il ne reste que quelques dizaines de Juifs en Irak.

Les Juifs irakiens ont dû abandonner leurs biens et leurs propriétés, qui ont été confisqués par le gouvernement irakien. Ces pertes matérielles ont eu un impact durable sur leur situation économique et sociale.

 

L’intégration des Juifs irakiens en Israël a été marquée par des difficultés économiques, sociales et culturelles. Les discriminations et les tensions entre les communautés mizrahim et ashkénazes ont persisté pendant des décennies.

 

Conséquences politiques

 

Pour Israël

L’arrivée des Juifs irakiens a contribué à renforcer la population d’Israël, alors un jeune État en pleine construction. Cette immigration a également enrichi la diversité culturelle du pays.

Les difficultés d’intégration des Juifs irakiens ont exacerbé les tensions sociales en Israël. Les discriminations et les inégalités entre les communautés mizrahim et ashkénazes ont alimenté des mouvements de protestation, comme celui des « Panthères noires » dans les années 1970.

 L’opération Ezra et Néhémie a renforcé la politique d’immigration d’Israël, qui visait à accueillir les Juifs du monde entier. Elle a également illustré l’engagement d’Israël à protéger les communautés juives en danger.

 

Pour l’Irak

L’exode des Juifs irakiens a privé l’Irak d’une communauté ancienne et influente. Cette perte a eu un impact culturel et économique durable.

L’opération s’est déroulée dans un contexte de tensions croissantes au Moyen-Orient, marqué par la création d’Israël et la montée des nationalismes arabes. Elle a exacerbé les tensions entre l’Irak et Israël, ainsi que les sentiments anti-juifs dans la région.

 Le gouvernement irakien a confisqué les biens des Juifs partis, ce qui a alimenté des controverses et des revendications ultérieures.

 

L’opération Ezra et Néhémie reste un épisode complexe et poignant de l’histoire juive moderne. Elle illustre à la fois la résilience des communautés juives en danger et les défis liés à leur intégration dans de nouveaux contextes. Pour Israël, elle a renforcé la diversité démographique et culturelle du pays, tout en révélant des tensions sociales persistantes. Pour l’Irak, elle a marqué la fin d’une présence juive millénaire et a eu des conséquences politiques et économiques durables. Aujourd’hui, l’héritage de cette opération continue d’être commémoré et étudié, témoignant de la complexité de l’histoire juive au XXe siècle.

 

Sources

Livres

« Les Juifs d’Irak : Histoire d’une communauté disparue » de Nissim Rejwan

 Cet ouvrage retrace l’histoire de la communauté juive d’Irak, depuis l’exil babylonien jusqu’à son exode au XXe siècle. Il aborde en détail l’opération Ezra et Néhémie et ses conséquences.

 

« L’Exode oublié : Juifs des pays arabes » de Moïse Rahmani

Ce livre explore l’exode des Juifs des pays arabes, y compris l’Irak, dans les années 1950. Il offre une perspective globale sur les causes et les conséquences de ces migrations forcées.

 

« Les Juifs en terre d’Islam : Le grand déracinement, 1850-1975 » de Georges Bensoussan

 Cet ouvrage analyse la situation des Juifs dans les pays arabes, y compris l’Irak, et leur exode massif après la création d’Israël.

 

« Bagdad, la ville qui n’existait plus » de Shmuel Moreh

   - Ce livre, écrit par un Juif irakien, raconte l’histoire de la communauté juive de Bagdad et son exode dans les années 1950.

 

Articles en ligne

« L’opération Ezra et Néhémie : l’exode des Juifs d’Irak » (Akadem) :    - Un article détaillé sur l’opération Ezra et Néhémie, avec des témoignages et des analyses historiques.  Lien : https://www.akadem.org

 

« Les Juifs d’Irak : une histoire millénaire effacée » (Le Monde) :  Cet article explore l’histoire de la communauté juive d’Irak et son exode au XXe siècle.  Lien : https://www.lemonde.fr

 

« L’exode des Juifs des pays arabes : une histoire méconnue » (The Times of Israel, édition française) :  Un article qui aborde l’exode des Juifs des pays arabes, y compris l’Irak, et ses conséquences pour Israël. - https://fr.timesofisrael.com

 

« L’opération Ezra et Néhémie : sauver les Juifs d’Irak » (Revue d’histoire juive) : Un article académique qui analyse les aspects politiques et humanitaires de l’opération.  Disponible sur des plateformes académiques comme Cairn ou Persée.

 

Documentaires et vidéos

« Les Juifs d’Irak : une histoire oubliée » (Arte) : Un documentaire qui retrace l’histoire de la communauté juive d’Irak et son exode dans les années 1950. -  https://www.arte.tv

 

« L’opération Ezra et Néhémie : témoignages » (YouTube) : Des témoignages de Juifs irakiens qui ont participé à l’opération, disponibles sur YouTube. - Rechercher : « Opération Ezra et Néhémie témoignages ».

 

Sites internet et ressources en ligne

Site de l’Association des Juifs originaires d’Irak (AJOI): Ce site propose des articles, des témoignages et des ressources sur l’histoire des Juifs d’Irak.

Lien : https://www.ajoi.fr)

 

Encyclopédie multimédia de la Shoah (United States Holocaust Memorial Museum) : Une section consacrée aux Juifs d’Irak et à leur exode après 1948.

Lien : https://encyclopedia.ushmm.org

 

Site du Joint Distribution Committee (JDC) :    - Des informations sur le rôle du JDC dans l’opération Ezra et Néhémie.

   - Lien : [https://www.jdc.org](https://www.jdc.org)

 

Revues académiques

« Les Juifs d’Irak : de l’exil à l’exode » (Revue d’histoire moderne et contemporaine)

 « L’opération Ezra et Néhémie : un tournant dans l’histoire des Juifs d’Irak » (Revue des études juives)