Le port de Césarée maritime, Sebaste, a été construit par Hérode entre 21 et 10 av. J.-C..
Il est subdivisé en trois parties, le port intérieur, aujourd’hui émergé ; le port central, aujourd’hui port de pêche/marina et le port extérieur, aujourd’hui submergé.
Les raisons de cette submersion font l'objet d'études régulières.
La hausse du niveau de la mer en 2000 ans n'est que de 50 cm. Elle ne peut donc l'expliquer à elle seule.
Les chercheurs ont donc évoqués plusieurs hypothèses liées à l'érosion, à la houle et un mouvement amplificateur de houle destructeur de brise-lames, aux tsunamis, aux séismes, au écoulement souterrains, à un phénomène de compaction .
C'est finalement la théorie d'une liquéfaction du sol due à la houle qui est retenue.
Un sol sableux saturé d’eau est susceptible de se liquéfier sous l’effet d’une sollicitation sismique. Sous cette contrainte, la structure granulaire se densifie. La vitesse de sollicitation est telle que l’eau, ne pouvant s’évacuer, accroît soudainement la pression interstitielle. Cette pression affaiblit les forces de contact entre particules de la structure dont la capacité portante chute instantanément. L’ensemble de la structure supportée par la pression de l’eau se conduit alors comme un liquide. (explication site du laboratoire du Lerm)
L'explication contenue dans l'article très technique de Arthur de Graauw et Gilles Brocard publié dans ArchOrient-Leblog est reproduite ci-dessous.
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Des chercheurs ont commencé par évoquer l’option tectonique selon laquelle une faille nord-sud située à la limite entre le port extérieur et le port central serait le plan de rupture d’un effondrement tectonique du port extérieur (Raban 2009:198), mais cette option est donc rejetée aujourd’hui par Galili (2021) et par les géologues (Sivan 2010), et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, un jeu de 6 m sur une faille impliquerait, d’après les lois d’élasticité de rupture des failles, la formation d’un escarpement de faille côtier de hauteur plurimétrique d’au moins 150 km de longueur dans les formations résistantes de kurkar (grès calcarénitique bioclastique) (ex. Wells et Coppersmith, 1994), or un tel escarpement n’est observé nulle part.
Deuxièmement, une telle faille n’en serait pas à son premier déplacement (rejeu) et ses déplacements (rejets) cumulés auraient produit, au fil de dizaines et centaines de milliers d’années d’activité, un escarpement dégradé de plusieurs dizaines à centaines de mètres de haut.
L’imbrication ininterrompue, à basse altitude, des rides de kurkar déposées depuis des centaines de milliers d’années durant les hauts niveaux marins entre la côte actuelle et jusqu’à plus de 5 km à l’intérieur des terres (Frenchen et al., 2002) permet d’exclure l’existence d’une faille active. Une telle faille nord-sud sur la côte n’aurait par ailleurs pas de raison d’être dans le contexte tectonique régional, dominé par les mouvements décrochants nord-sud sur la faille du Levant (mer Morte-lac de Tibériade) et des déplacements plus modérés sur des failles obliques qui se branchent vers le nord-ouest sur la faille du Levant (notamment la faille du mont Carmel, qui recoupe obliquement la côte plus au nord, ex. Sadeh 2012).
Quelles autres explications peut-on avancer ?
Fig. 2 : Section du brise-lame principal du port, vue vers le nord (adapté de Raban, 2009:96).On distingue à gauche (ouest) un premier brise-lame, puis le brise-lame principal avec des blocs de couronnement en béton marin, des tours et des entrepôts, puis, à droite, une plateforme avec un quai. Le tout posé sur des fonds de 8.5 m sous le niveau actuel de la mer.
Il faut commencer par distinguer la subsidence de la destruction pure et simple du brise-lame sous l’effet des tempêtes, car dans ce cas les blocs de couronnement de l’ouvrage auraient été emportés vers le bassin portuaire, ce qui n’est pas le cas, même s’ils ont visiblement été déplacés dans cette direction. Ensuite, il faut distinguer la subsidence due à l’érosion qui peut se produire au pied extérieur de l’ouvrage sous l’effet de la houle car, dans ce cas, des blocs seraient tombés vers le large, ce qui n’est pas le cas non plus.
Certains ont avancé l’hypothèse d’une liquéfaction due à la houle et il est exact qu’une grosse vague approchant du large vers l’ouvrage sera réfléchie en partie par celui-ci en doublant donc presque sa hauteur devant l’ouvrage. Une liquéfaction peut alors se produire localement par la présence d’un gradient hydraulique vertical dans le sol au pied de l’ouvrage qui met le sable en suspension sur le fond de la mer (Zen 1991). Comme l’érosion mentionnée ci-dessus, ce phénomène est clairement local et ne suffit pas à expliquer une subsidence généralisée de l’ouvrage.
Lorsqu’une grosse vague arrive sur la face extérieure du brise-lame, alors que le niveau de l’eau côté bassin portuaire est relativement stable, un gradient hydraulique horizontal cyclique est créé au sein de l’ouvrage. Ce dernier peut provoquer un fort écoulement souterrain, en particulier au niveau de l’interface entre l’ouvrage et le sable sur lequel il est posé. Afin d’éviter des problèmes de stabilité de fondation irréversibles, un filtre à granulats est installé sous les ouvrages modernes (de Graauw 1984). Ce problème ne se pose pas à Caesarea du fait de la présence d’une plateforme de sable sur une vingtaine de mètres entre le brise-lame principal et le quai (fig. 2), qui empêche ledit écoulement souterrain de se mettre en place. Notons au passage que les archéologues n’ont pas (encore) découvert de filtres à granulats sous les brise-lames jusqu’à présent, sauf peut-être dans le cas de Fos publié récemment (Fontaine 2021).
Certains ont parlé de l’effet dévastateur des tsunamis (Goodman-Tchernov 2015). Des tsunamis ont en effet abordé les côtes du Levant à au moins quatre reprises (115, 551, 749 et 881 ap. J-C.). Il faut sans doute ajouter celui de 365 ap. J.-C. (Wikipedia) et d’autres ont pu se produire sans laisser de traces dans la littérature antique. D’un point de vue structurel, on comprend aisément que les blocs de couronnement puissent être déplacés vers le bassin portuaire lors d’un tsunami comme pendant une simple tempête, mais on ne saurait expliquer une subsidence généralisée de l’ouvrage de cette façon.
Une explication plus plausible serait une compaction du sous-sol due à la surcharge de l’ouvrage sur les sables déposés jusqu’à une dizaine de mètres de profondeur d’eau par le transit littoral de sables nilotiques orienté vers le nord dans cette région (Zviely 2007). Si ces sables sont déposés de surcroît sur des couches argileuses, on doit prendre en compte également la consolidation progressive de ces dernières par évacuation lente des eaux interstitielles. A plus long terme, on pourrait même penser à un possible fluage horizontal du substrat sous-jacent et dans ce cas, un certain étalement horizontal de l’ouvrage devrait se produire. Il est néanmoins difficile d’imaginer un enfoncement de 5-6 m dû à ces phénomènes, mais nous manquons cruellement d’éléments géotechniques pour l’affirmer.
Une liquéfaction due à un séisme serait une explication très convenable puisqu’elle affecterait tout le brise-lame principal. Sans entrer ici dans les détails géotechniques (voir Idriss & Boulanger 2008 ; Hettler 2014), on peut considérer que les sables nilotiques peu compacts apportés par le transit littoral sont liquéfiables lors d’un séisme. Les ouvrages modernes ne sont jamais posés sur ce type de fond marin sans une amélioration notable ou un dragage complet (voir les récents ouvrages à Ashdod et Haïfa). La liquéfaction est un processus qui, sous l’effet vibratoire d’un séisme, tend à augmenter la compaction des grains de sable en réduisant la porosité de la formation sableuse. De l’eau doit donc être évacuée et cela peut prendre un peu de temps en fonction de la perméabilité des matériaux environnants. Pendant ce temps, l’ouvrage ‘flotte’ sur un matelas d’eau avant que les grains de sable ne se touchent à nouveau pour former une structure rigide. C’est à ce moment que l’ouvrage s’enfonce dans les ‘sables mouvants’ (voir Aachen University video).
Résultat
A l’issue de ce passage en revue, on voit que les phénomènes locaux (érosion en pied de talus, liquéfaction due à la houle, écoulements souterrains) et même les tsunamis ont pu déclencher des désordres locaux sur les ouvrages, mais pas une subsidence généralisée de l’ensemble des brise-lames. Seuls des phénomènes à grande échelle comme une subsidence tectonique ou une liquéfaction due à un séisme et une compaction/consolidation peuvent fournir une explication vraisemblable.
Fig. 3 : Options schématiques de subsidence du brise-lame principal de Caesarea Maritima (A. de Gaauw, 2021).
Si on admet une subsidence tectonique de 6 m, le port extérieur aurait été construit sur 2.5 m de fond et le brise-lame principal aurait eu 6 m de hauteur entre -2.5 m à sa base et +3.5 m à son couronnement. C’est donc l’ensemble des ruines qui serait au-dessus du fond marin aujourd’hui.
Si on admet une subsidence par liquéfaction de 6 m, le port extérieur aurait été construit sur 8.5 m de fond et le brise-lame principal aurait eu 12 m de hauteur entre -8.5 m à sa base et +3.5 m à son couronnement. Seul le sommet de l’ouvrage serait donc au-dessus du fond marin aujourd’hui. Cette deuxième option impliquerait un ouvrage d’une taille sans précédent à cette époque (le port de Claude près d’Ostie ne sera construit que 50 ans plus tard) correspondant mieux aux deux descriptions fournies par Josèphe Flavius vers 78 et vers 93-94 ap. J.-C. (Guerre des Juifs, 1.21 & Antiquités Juives, 2, 2 & 15, 9).
Finalement, l’option de liquéfaction due à un séisme, éventuellement combinée avec une consolidation sur le long terme, est la seule option qui permette d’expliquer l’état actuel des ruines sous-marines.
Des carottages pénétrant jusqu’à une dizaine de mètres sous les fonds marins actuels permettraient de vérifier cette hypothèse.