Avant cette nouvelle législation, la lutte contre le terrorisme repose sur trois piliers légaux1 :

1. l’aptitude à déclarer l’« état d’urgence », ce dernier conditionnant l’entrée en vigueur de différents actes normatifs qui autorisent la prise de mesures préventives et répressives. La déclaration de l’état d’urgence confère aussi au gouvernement le pouvoir d’adopter des actes réglementaires qui dérogent à la législation ordinaire;

2. les Defense (Emergency) Regulations de 1939 et 1945, adoptées par le Haut commissaire britannique;

3. le Prevention of Terrorism Act 1948, adopté par le Conseil provisoire israélien, qui entre en vigueur chaque fois que l’état d’urgence est déclaré.

En outre, la Prohibition of Terror Financing Law a été adoptée en 2005 et différentes dispositions contenues dans divers textes, tels que le code pénal et la Police Ordinance, doivent être considérées comme parties intégrantes de la législation antiterroriste israélienne.

 

Pour Salzberger, professeur de Droit à l'université de Haïfa,  les caractéristiques principales de ces dispositions légales sont :

 

“ 1. Les composantes les plus importantes de la législation antiterroriste sont anciennes et datent de la législation élaborée durant le Mandat britannique ou durant les premiers jours de l’État d’Israël. Aucune modification significative n’a été apportée à cette législation, hormis la législation récente en matière de financement du terrorisme; à l’inverse, au fil du temps, certains pouvoirs draconiens ont été limités par des amendements législatifs, réduisant d’autant l’ampleur des atteintes susceptibles d’être portées aux droits de l’homme;

 

2. le cadre légal donne au gouvernement des pouvoirs drastiques pour combattre le terrorisme, mais le modèle adopté en Israël est un modèle parlementaire, et non exécutif, comme cela est, par exemple, le cas aux États- Unis d’Amérique;

 

3. depuis la création de l’État, la mise en œuvre des pouvoirs légaux a toujours fait l’objet d’un contrôle par les juridictions, qui se sont employées à en limiter les abus et à trouver un équilibre entre ces pouvoirs et la protection des droits de l’homme. Ainsi, la pratique de la loi se distingue, dans le cas israélien, de la lettre de la loi, comme il sera montré par la suite;

 

4. la législation antiterroriste en Israël est composée de dispositions répressives14 et de différentes mesures administratives qui permettent l’exercice d’actes préventifs spéciaux. La ligne de démarcation entre prévention et répression n’est pas toujours claire;

 

5. La mise en oeuvre d’une partie de la législation antiterroriste est conditionnée à une déclaration préalable de l’état d’urgence, tandis qu’une autre partie relève du système juridique ordinaire et s’applique de manière permanente.

 

Le nouveau texte entré en vigueur au 1er novembre 2016 constitue, toujours selon Salzberger, la contribution législative la plus importante depuis 1948. Ses premières conclusions inspirées par cette nouvelle loi sont les suivantes2 :

“ 1. La nouvelle loi abroge (et remplace) l’Ordonnance de prévention du terrorisme de 1948, la loi sur l’interdiction du financement du terrorisme de 2005 et certaines Règles de défense britannique. Elle s’appliquera indépendamment de toute déclaration de l’état d’urgence, et apparaît ainsi conforme à l’obligation contractée par le gouvernement auprès de la Cour suprême de mener une réforme qui permettra de sortir de l’état d’urgence permanent ;

 

2. D’une manière générale, la loi est moins draconienne que les textes qu’elle abroge tant dans ses dispositions pénales que dans celles relatives aux mesures administratives. Elle précise aussi 97 que ses dispositions doivent être mises en œuvre dans le respect du droit international relatif, d’une part, au terrorisme et, d’autre part, aux obligations d’Israël en matière de respect des droits de l’homme. Par ailleurs, elle considère comme connexes au terrorisme des activités accessoires, ce que ne faisaient pas les textes abrogés 98, et, ainsi qu’il a été indiqué antérieurement, elle est destinée à s’appliquer comme partie intégrante de l’ordre juridique ordinaire - dans les « temps normaux ».

 

3. La définition de l’organisation terroriste est étendue pour inclure aussi les organisations qui soutiennent, financièrement ou par un autre moyen, de manière significative et continue, une organisation déclarée terroriste. De la même manière, la définition de l’appartenance à une organisation terroriste a été étendue pour inclure aussi les individus qui ont exprimé leur consentement pour rejoindre une organisation terroriste, avant même qu’ils n’agissent effectivement en son sein99.

 

4. Un « acte de terrorisme » est défini comme une infraction perpétrée pour des motifs nationalistes, religieux ou idéologiques et qui est destinée à provoquer la peur ou la panique au sein de la population ou à chercher à contraindre le gouvernement ou une autre autorité à agir, ou à s’abstenir d’agir, d’une manière déterminée100. Par ce biais, outre les infractions spécifiques définies dans la loi antiterroriste elle-même101, toute infraction ordinaire peut être considérée comme un acte de terrorisme et les règles dérogatoires de procédure et de preuve trouveront à s’appliquer.

 

5. La loi contient des dispositions très détaillées relatives à la déclaration d’une organisation comme terroriste. Elle donne pouvoir au ministre de la défense pour y procéder, sur la recommandation du directeur du Service secret général, approuvée par le Attorney General. Une telle déclaration ne peut être effectuée qu’après qu’un avertissement a été adressé à l’organisation et qu’elle a néanmoins continué ses activités. Le ministre de la défense ou le Premier ministre peut déléguer la décision d’y procéder au Cabinet ou à un comité des ministres102. La loi donne aussi pouvoir au comité des ministres de donner effet en Israël à la déclaration d’une organisation comme terroriste opérée par les Nations unies ou une autre entité étrangère autorisée103. Les organisations déclarées terroristes peuvent faire appel de cette décision auprès d’un comité consultatif nommé par le ministre de la Justice, présidé par un juge retraité de la Cour suprême nommé après consultation du Président de cette juridiction, et deux autres membres − un juriste qualifié pour œuvrer au sein d’une District Court et un expert en sécurité nommé par le ministre de la défense104. L’appelant peut avoir accès à tout le matériel pertinent qui a servi de fondement à la décision, à l’exception des preuves dont la présentation pourrait porter atteinte à la sécurité de l’État et lorsque le dommage qui résulterait de la présentation dépasserait le bénéfice de découvrir la vérité et de rendre la justice105. Il peut être conclu que la loi, par comparaison avec l’ancienne Ordonnance de prévention du terrorisme, prévoit de meilleurs mécanismes de contrôle106, afin de prévenir la « politisation » ou l’abus de pouvoir lors de la déclaration d’une organisation comme terroriste.

 

6. La partie pénale de la loi (articles 20-40) contient différentes infractions: diriger une organisation terroriste (peine encourue: 25 ans de prison; si l’organisation est impliquée dans la commission de meurtres, prison à perpétuité), diriger les opérations d’une telle organisation (15 ans de prison encourus), appartenance à une organisation terroriste (5 ans de prison encourus ou 7 ans si l’organisation conserve une activité réelle), fourniture de services ou de fonds à une organisation terroriste (7 ans de prison encourus) et soutien public à une organisation terroriste (de 2 à 5 ans d’emprisonnement encourus en fonction des différents modes d’expression de ce soutien). Une décision préalable de l’Attorney General est requise pour mettre en accusation une personne sur le fondement de l’infraction de soutien public (afin de protéger la liberté d’expression et de trouver le juste équilibre avec la sécurité de l’Etat). Par ailleurs, la loi crée de nouvelles infractions, parmi lesquelles: s’abstenir de prévenir les autorités d’une attaque terroriste planifiée (3 ans d’emprisonnement encourus)107 ou entraîner les membres d’une organisation terroriste (9 ans de prison encourus) 108.

 

7. La loi contient aussi quelques « dérogations » aux règles ordinaires de procédure pénale et de preuve. Ainsi, certaines preuves peuvent ne pas être soumises au défendeur (la loi codifiant à droit constant le test élaboré par les juridictions, tel qu’il a été précédemment présenté). De la même manière, la Cour peut admettre des preuves par ouï-dire ou relatées (par opposition avec les procédures pénales ordinaires) lorsque la source à l’origine de cette preuve a quitté Israël pour un pays ennemi et ne peut être convoquée devant la juridiction109, tandis que le délai de prescription est étendu pour les infractions pour lesquelles la peine maximale encourue est supérieure à 20 ans 110. En outre, la durée maximale de garde à vue des suspects d’actes de terrorisme avant leur présentation devant un magistrat peut être étendue de 24 heures (durée ordinaire) à 48 ou 72 heures111.

 

8. La partie administrative de la loi 112 concerne principalement les biens et les fonds liés aux activités terroristes. Elle donne pouvoir au ministre de la défense de confisquer tout bien qui se rattache à la facilitation (ex ante) d’une activité terroriste ou qui est destiné à la récompenser (ex post). La décision est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de légalité devant une juridiction administrative113. Par ailleurs, les commandants de district de police sont investis du pouvoir d’interdire les activités d’une organisation terroriste 114 tandis que le Chef de police peut, après avoir procédé à une audition, ordonner des restrictions d’activité dans un lieu qui a été utilisé par une organisation terroriste lorsqu’il existe une suspicion raisonnable qu’il pourrait continuer à être utilisé à de telles fins 115. Ces décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire de légalité. Bien que ces nouvelles dispositions remplacent certains pouvoirs administratifs bien plus draconiens, contenus dans l’Ordonnance de prévention du terrorisme ou les Règles de défense, susceptibles de s’exercer contre les biens qui se rattachent au terrorisme et bien qu’elles suppriment aussi les dispositions des Règles de défense relatives aux exigences afférentes aux licences de presse116, la loi reste silencieuse − et laisse donc subsister la législation existante − sur les mesures administratives drastiques en matière de détention, de restrictions à la liberté de circuler et autres mesures similaires. La loi s’applique au territoire israélien et non dans les Territoires occupés dans lesquels les règles de défense britanniques restent en vigueur, autorisant aussi la démolition de maisons et les expulsions.

 

Pour conclure, la nouvelle législation fournit une définition homogène et actualisée de l’organisation terroriste et des actes de terrorisme, qui étaient définis différemment dans les lois antérieures. Elle intègre aussi les normes internationales et transnationales. Bien qu’elle ajoute de nouvelles infractions et mesures administratives, la loi n’emporte pas un changement de paradigme.

 

Le modèle israélien demeure un modèle parlementaire (par opposition à d’autres systèmes qui confèrent certaines prérogatives et pouvoirs indéfinis à l’exécutif), dans lequel des mesures sévères peuvent être mises en oeuvre, mais qui conserve un système complexe de mécanismes de contrôle (qui, peut-être, se renforce).

Certaines mesures administratives drastiques, qui sont prévues principalement dans les règles de défense, n’ont pas été modifiées. Il semble qu’il est plus facile pour le gouvernement israélien et le législateur de pouvoir continuer à imputer la « responsabilité » de ces mesures au législateur du Mandat britannique.

 


 

1 Toutes les citations sont extraites de « LA LEGISLATION ANTITERRORISTE ISRAELIENNE » par ELI M. SALZBERGER, Professeur à la Faculté de Droit de l’Université de Haifa.

2 Ibid

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