La vieille ville et l’esplanade des Mosquées cristallisent les tensions accumulées depuis des années. Il y a eu les émeutes catalysées par le creusement du tunnel reliant le mur des lamentations à la Via Dolorosa en 1996 (117 morts dont 17 Israéliens) , l’intifada Al-Aqsa suite à la visite de Sharon sur l’esplanade en 2000. C’est maintenant l’affaire des ’portiques’ installés à l’entrée de l’esplanade suite au meurtre de 2 policiers israéliens de la police des frontières qui dégénère. Le 18 juin, une policière de 23 ans avait déjà été tuée à l’entrée de la Porte de Damas.
Le 14 juillet : deux policiers israéliens d’origine druze, Kaamil Shanan, 22 ans et Hail Stawi, 30 ans sont assassinés à coup de feu à la porte des Lions par trois assaillants palestiniens. Un autre policier est légèrement blessé. Pris en chasse par la police israélienne, les terroristes sont abattus sur l’esplanade où ils se sont enfuis.
Mahmoud Abbas condamne l’attentat. Pour le Hamas, l’action est la réponse naturelle à la terreur israélienne et à la dégradation de la Mosquée Al-Aqsa
En réponse à l’agression, les Israéliens ferment l’accès à l’esplanade après l’avoir évacuée. Ils y trouvent un pistolet et deux armes automatiques. Ils bouclent aussi la vieille ville et empêchent l’accès à la mosquée Al-Aqsa pour la prière du vendredi soir qui réunit ordinairement environ 30 000 fidèles, ce qui n’était pas arrivé depuis l’incendie volontaire de 1969.
Le 16 juillet, les Israéliens acceptent de rouvrir l’esplanade mais installent des portiques détecteurs de métaux à toutes les entrées.1 Les Palestiniens décident alors de prier en dehors de l’esplanade. Pour le directeur jordanien du Waqf, l’autorité religieuse du site, ’c’est la pire agression [commise par les Israéliens] depuis 1967’, (...ce qui est finalement plutôt rassurant quant à la gravité des agressions commises depuis 50 ans par ces même israéliens).
Au-delà de la sécurité, motif mis en avant par les Israéliens, l’installation des portiques est la marque pour les Palestiniens de la domination de l’occupant, qui contrôle les entrées et sorties d’un lieu pourtant sous autorité jordanienne.
Les portiques permettent de détecter des armes mais aussi de contrôler les flux d’hommes et de femmes, dorénavant moins libre d’aller et venir, obligés de faire la queue, éventuellement fouillés comme aux zones de passage entre Israël et Gaza, par les forces de l’ordre israéliennes. Les portiques sont donc vécus comme un pas supplémentaire dans l’affirmation de la supériorité des Israéliens sur le terrain, y compris religieux, ou sacré, envers une population palestinienne sans horizons, qui n’a rien obtenu, que ce soit par la violence où la négociation depuis les accords de 1993, 24 ans auparavant (refus de Taba en 2001 compris) .
A la fin de la prière du soir, les Musulmans scandent devant la porte des Lions: "par notre âme et notre sang, nous nous sacrifierons pour toi Al-Aqsa" face à une haie de garde-frontières israéliens.
Pour Sheikh Muhammad Hussein, le Mufti de Jérusalem et de la Palestine,
Il faut enlever ces portiques. Nous n’acceptons aucune restriction à l’entrée de la sainte mosquée d’Al-Aqsa..
Tous les Palestiniens refusent ces portiques électroniques et ne veulent pas y avoir affaire, même si l’occupant [Israël] les invite à passer derrière
Celui qui passe dessous ou derrière concourt à l’application des dispositions que l’occupant souhaite imposer.2
Le même Mufti prêchait en 2010 en chaire à Al-Aqsa que l’islam est l’ennemi des Juifs. Il rappelait aussi en 2012 devant le Fatah la nécessité de tuer les Juifs, écrite dans un hadith connu3 :
l’heure de la résurrection ne viendra que si vous tuez les Juifs. Les Juifs se cacheront derrières les pierres ou les arbres. Ensuite, les pierres ou les arbres appelleront: "Oh Musulman, serviteur d’Allah, il y a un juif derrière moi, viens le tuer." …..
C’est de la Palestine dont nous parlons, Avec le début du Jihad et la continuation du Jihad, avec la lutte et la procession des martyrs.
Mahmoud Abbas suspend tout contact officiel avec Israël,
Au nom de la direction palestinienne, j’annonce (...) un gel de tous les contacts avec l’État d’occupation à tous les niveaux jusqu’à ce qu’Israël s’engage à annuler toutes les mesures contre notre peuple palestinien en général et à Jérusalem et dans la mosquée Al-Aqsa en particulier...Ils (les Israéliens) seront les grands perdants, car nous jouons un rôle important pour assurer notre sécurité et la leur. Si Israël souhaite la reprise de la coordination sécuritaire, il doit revenir sur ses décisions.
Quant au président turc Erdogan, très à cheval sur les droits en général, il déclare
Nous ne pouvons accepter les mesures israéliennes consistant à fermer Al-Aqsa pendant trois jours de suite depuis le 14 juillet, sous le prétexte d’un événement désolant que nous n’avons pas cautionné et qui a eu lieu à Jérusalem-Est, [ville] occupée depuis 1967.
Nous ne pouvons pas également accepter qu’il y ait de nouvelles restrictions sur l’entrée d’Al-Aqsa, y compris [celles] des portiques électroniques [installés par Israël].
En ma qualité de président tournant de l’OCI4, je dénonce l’insistance d’Israël à camper sur sa position en dépit de toutes les mises en garde. [Je dénonce] la non tenue de la prière du vendredi à Al-Aqsa, ainsi que le recours, par les forces [israéliennes], à la violence contre nos frères qui s’étaient rassemblés pour faire la prière.
En bon pyromane, il ajoute ,
Je voudrais lancer un appel à tous mes concitoyens et aux Musulmans du monde entier: que tous ceux qui en ont les moyens (...) effectuent une visite à Jérusalem, à la mosquée Al-Aqsa, venez protégeons tous ensemble Jérusalem.
Cette passion pour Jérusalem, l’esplanade et Al-Aqsa n’est pas nouvelle chez les dirigeants musulmans. Pourtant, durant les 19 ans d’occupation par la Jordanie, entre 1948 et 1967, aucun dirigeant arabo-musulman n’est venu visiter ou prier sur ce lieu, objet de toutes les attentions, mais qui n’était pourtant alors pas entretenu.
Finalement, suite à une semaine d’affrontements sporadiques, l’esplanade est interdite aux hommes de moins de 50 ans comme cela a déjà été le cas dans des situations de tension dans le passé. Mais cela ajoute à la violence ambiance.
18 juillet : Le parlement jordanien honore la mémoire des trois terroristes. Son président, Atef Tarawneh, prie pour qu’Allah accorde la miséricorde à nos martyrs.
Le président du parlement israélien, Yuli Edelstein réagit et
trouve impensable qu’une personne si haut placée dans un pays avec lequel nous avons un accord de paix ose encourager le meurtre de citoyens israéliens. Monsieur Tarawneh, une chose fondamentale qui vous était demandée, en tant que personnage public et en tant qu’être humain, était de condamner ce crime abominable. Vous étiez censé être l’un des premiers à dire: ’il est absolument interdit d’agir violemment où que ce soit et certainement pas de profaner les lieux saints !’
Et si vous ne pouviez pas condamner, il aurait été préférable que vous restiez silencieux !
Le président du Parlement jordanien a justifié l’attentat comme de la "résistance" contre "l’oppression et la tyrannie" et comme un acte contre ce qu’il a qualifié d’"occupation" d’Israël sur les sites saints de Jérusalem.
"Nous relèverons nos têtes grâce au sacrifice des jeunes palestiniens qui se battent encore au nom de la nation", a lancé Tarawneh.
21 juillet : 2 palestiniens sont tués près de l’Esplanade. Un autre est mort en Cisjordanie , en tentant d’envoyer sur la police le cocktail molotov qu’il lui a été fatal.
Le même soir dans la colonie israélienne de Halamish, près de Ramallah, Al-Jalil, un homme de 19 ans massacre un père de 60 ans , son fils et sa fille, tous deux dans la quarantaine d’autres membres de la famille sont blessés. Le terroriste est abattu. Il a laissé deux heures auparavant sur Facebook le post suivant :
J’ai beaucoup de rêves et d’aspirations. Je sais qu’avec Allah, mes rêves deviennent réalité. J’ai aimé la vie, faire sourire les gens, mais quel genre de vie est-ce ? Ils tuent nos femmes et nos jeunes, souillent notre Al-Aqsa pendant que nous dormons. Prenez vos armes et résistez … Je n’ai qu’un couteau et il répondra à l’appel d’Al-Aqsa. Vous commencez une guerre et Allah vous jugera pour cela. J’espère qu’après moi, des hommes vous battront avec un poing de fer. Je sais que je vais et que je ne reviendrai pas.
Comme souvent l’attaque est saluée comme ’héroïque’ par le Hamas.
23 juillet : Un menuisier jordanien de 17 ans attaque au tournevis un fonctionnaire israélien de l’ambassade d’Amman en Jordanie, dans l’appartement qu’il loue, dans l’enceinte de l’ambassade. Le fonctionnaire ouvre le feu et tue l’agresseur et la personne qui l’accompagne, peut-être le propriétaire. Les circonstances exactes de la fusillade ne sont pas totalement élucidées, le fonctionnaire israélien, couvert par son immunité diplomatique et Netanyahu, qui s’engage à le rapatrier, ne répondant pas aux demandes d’interrogation formulées par la Jordanie5. Le même jour, une roquette tirée de Gaza vers Ashkélon, explose en vol sans faire de dégâts.
24 juillet : A la demande urgente de la France, de la Suède et de l’Égypte, le conseil de sécurité se réunit.
25 juillet : Un groupe de juifs conduits par le Rav Ari Abramowitz se rend sur l’esplanade (où les visites sont autorisées mais où les prières non musulmanes sont interdites). Face aux policiers il s’adresse au groupe et annonce son intention de réciter « au nom de de tout le peuple d’Israël » le Kaddish6 en mémoire de Yossi, Haya et Elad Salomon assassinés la semaine précédente à Halamish. Les participants prononcent le Kaddish face au dôme du Rocher, avant que les policiers présents sur l’esplanade n’interviennent pour interrompre la cérémonie.
Finalement, Israël cède, démonte les portails et les remplace par un système de caméras à reconnaissance faciale et détection de métaux. Le fonctionnaire en place à Amman est rapatrié en Israël.
Le Mufti de Jérusalem, qui affirme sans complexes ne se décider qu’en fonction de ce que la rue demande annonce alors que les Musulmans ne retournent toujours pas sur l’esplanade.
Mais la crise touche à sa fin. Le 27 juillet, le gouvernement israélien, revient au statu quo ante bellum et enlève tout ce qui reste du dispositif de sécurité. Les autorités religieuses musulmanes appellent les fidèles à aller prier sur l’esplanade.
La crise des portiques a fait 8 morts. Dans une certaine mesure, elle a réuni les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, autour d’un dénominateur commun : Al-Aqsa. Pour Piotr Smolar, le correspondant du Monde,
évitable, lourde de dangers, la crise autour de l’esplanade des Mosquées a été circonscrite, mais laissera des traces profondes. 7
Pour l’éditorialiste du journal Al-Hayat8 à Londres,
La multiplication de colonies juives dans les Territoires occupés a semblé moins affecter les Palestiniens que l’installation d’un portique de sécurité sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem.9
1 Des sites religieux sensibles comme le mur des lamentations situé à quelques mètres, la Mosquée de La Mecque, la grande mosquée de Téhéran ou la mosquée bleue d’Istanbul en sont pourvus.
2 Agence de presse turque Anadolu, 21/06/2017, Abderraouf Arnaoût.
3 Hadith l’heure ne se lèvera Selon Abou Hourayra. Ce compagnon du prophète pendant quatre ans a rapporté 5374 hadiths.
4 Organisation de la conférence islamique
5 Cette affaire trouve son épilogue au début 2018. Israël s’est engagé à indemniser l’État jordanien à hauteur de 5 millions de dollars, incluant dedans une affaire datant de 2014.
6 Le Kaddish est la prière des morts.
7 Le Monde, 26 juillet 2017
8 Le quotidien al-Hayat, rédigé par des libanais et détenu par des Saoudiens est généralement assez proche des positions de la Ligue arabe.
9In courrier international, 08/09/2017.