Communiqué de presse : 21 novembre 2024 Situation dans l’État de Palestine : la Chambre préliminaire I de la CPI rejette les objections de l’État d’Israël à la compétence de la Cour et délivre des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant
Aujourd’hui, le 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (la « Cour »), dans sa composition pour la situation dans l’État de Palestine, a rendu à l’unanimité deux décisions rejetant les objections de l’État d’Israël (l’« Israël ») au titre des articles 18 et 19 du Statut de Rome (le « Statut »).
Elle a également délivré des mandats d’arrêt contre M. Benjamin Netanyahu et M. Yoav Gallant. Décisions sur les demandes de l’État d’Israël
La Chambre s’est prononcée sur deux demandes présentées par Israël le 26 septembre 2024.
Dans la première demande, Israël contestait la compétence de la Cour sur la situation dans l’État de Palestine en général, et sur les ressortissants israéliens plus spécifiquement, sur la base de l’article 19(2) du Statut.
Dans la deuxième demande, Israël demandait à la Chambre d’ordonner à l’Accusation de fournir une nouvelle notification de l’ouverture d’une enquête à ses autorités en vertu de l’article 18(1) du Statut. Israël a également demandé à la Chambre de suspendre toute procédure devant la Cour dans la situation concernée, y compris l’examen des demandes de mandats d’arrêt contre M. Benjamin Netanyahu et M. Yoav Gallant, présentées par l’Accusation le 20 mai 2024.
En ce qui concerne la première contestation, la Chambre a noté que l’acceptation par Israël de la compétence de la Cour n’était pas requise, car la Cour peut exercer sa compétence sur la base de la compétence territoriale de la Palestine, telle que déterminée par la Chambre préliminaire I dans une composition précédente. En outre, la Chambre a estimé que, conformément à l’article 19(1) du Statut, les États ne sont pas en droit de contester la compétence de la Cour en vertu de l’article 19(2) avant la délivrance d’un mandat d’arrêt. La contestation d’Israël est donc prématurée. Cela est sans préjudice de toute contestation future éventuelle de la compétence de la Cour et/ou de la recevabilité d’une affaire particulière.
Décision sur la contestation par Israël de la compétence de la Cour en vertu de l’article 19(2) du Statut de Rome
La Chambre a également rejeté la demande d’Israël en vertu de l’article 18(1) du Statut. La Chambre a rappelé que l’Accusation avait notifié à Israël l’ouverture d’une enquête en 2021. À cette époque, malgré une demande de clarification de l’Accusation, Israël avait choisi de ne pas poursuivre toute demande de report de l’enquête. En outre, la Chambre a estimé que les paramètres de l’enquête dans la situation étaient restés les mêmes et, par conséquent, aucune nouvelle notification à l’État d’Israël n’était nécessaire. Compte tenu de ce qui précède, les juges ont estimé qu’il n’y avait aucune raison de suspendre l’examen des demandes de mandats d’arrêt.
Décision relative à la demande d’Israël d’ordonner à l’Accusation de donner un avis au titre de l’article 18(1)
Mandats d’arrêt
La Chambre a émis des mandats d’arrêt contre deux individus, M. Benjamin Netanyahu et M. Yoav Gallant, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis entre le 8 octobre 2023 au moins et le 20 mai 2024 au moins, jour où l’Accusation a déposé les demandes de mandats d’arrêt. Les mandats d’arrêt sont classés « secrets », afin de protéger les témoins et de garantir la conduite des enquêtes. Cependant, la Chambre a décidé de divulguer les informations ci-dessous car des comportements similaires à ceux visés par le mandat d’arrêt semblent se poursuivre. En outre, la Chambre considère qu’il est dans l’intérêt des victimes et de leurs familles qu’elles soient informées de l’existence des mandats.
La Chambre a d’emblée estimé que le comportement allégué de M. Netanyahu et de M. Gallant relevait de la compétence de la Cour. Elle a rappelé que, dans une précédente composition, elle avait déjà décidé que la compétence de la Cour dans cette situation s’étendait à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. En outre, la Chambre a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire proprio motu pour statuer sur la recevabilité des deux affaires à ce stade. Cela ne préjuge pas de toute décision ultérieure quant à la compétence et à la recevabilité des affaires.
En ce qui concerne les crimes, la Chambre a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Netanyahu, né le 21 octobre 1949, Premier ministre d’Israël au moment des faits reprochés, et M. Gallant, né le 8 novembre 1958, ministre de la Défense d’Israël au moment des faits reprochés, étaient tous deux pénalement responsables des crimes suivants en tant que coauteurs des actes commis conjointement avec d’autres : le crime de guerre consistant à affamer les civils comme méthode de guerre ; et les crimes contre l’humanité que sont le meurtre, la persécution et d’autres actes inhumains.
La Chambre a également estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Netanyahu et M. Gallant étaient tous deux pénalement responsables, en tant que supérieurs civils, du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement une attaque contre la population civile.
Crimes allégués
La Chambre a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que, pendant la période considérée, le droit international humanitaire relatif au conflit armé international entre Israël et la Palestine s’appliquait. En effet, ces deux pays sont deux Hautes Parties contractantes aux Conventions de Genève de 1949 et Israël occupe au moins une partie de la Palestine. La Chambre a également estimé que le droit relatif aux conflits armés non internationaux s’appliquait aux combats entre Israël et le Hamas. La Chambre a estimé que le comportement allégué de M. Netanyahu et de M. Gallant concernait les activités des organes gouvernementaux israéliens et des forces armées contre la population civile en Palestine, plus précisément les civils de Gaza. Il concernait donc la relation entre deux parties à un conflit armé international, ainsi que la relation entre une puissance occupante et la population d’un territoire occupé. Pour ces raisons, en ce qui concerne les crimes de guerre, la Chambre a jugé approprié de délivrer les mandats d’arrêt en vertu du droit des conflits armés internationaux. La Chambre a également conclu que les crimes contre l’humanité allégués faisaient partie d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile de Gaza.
La Chambre a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les deux individus avaient intentionnellement et sciemment privé la population civile de Gaza d’objets indispensables à sa survie, notamment de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d’électricité, du 8 octobre 2023 au 20 mai 2024 au moins. Cette conclusion se fonde sur le rôle de M. Netanyahu et de M. Gallant dans l’entrave à l’aide humanitaire en violation du droit international humanitaire et sur leur incapacité à faciliter les secours par tous les moyens à leur disposition. La Chambre a conclu que leur conduite avait conduit à la perturbation de la capacité des organisations humanitaires à fournir de la nourriture et d’autres biens essentiels à la population dans le besoin à Gaza. Les restrictions susmentionnées, ainsi que la coupure d’électricité et la réduction de l’approvisionnement en carburant, ont également eu de graves répercussions sur la disponibilité de l’eau à Gaza et sur la capacité des hôpitaux à fournir des soins médicaux.
La Chambre a également noté que les décisions autorisant ou augmentant l’aide humanitaire à Gaza étaient souvent conditionnelles. Ces mesures n’ont pas été prises pour remplir les obligations d’Israël en vertu du droit international humanitaire ou pour garantir que la population civile de Gaza serait correctement approvisionnée en biens dont elle avait besoin. En fait, elles ont été prises en réponse à la pression de la communauté internationale ou aux demandes des États-Unis d’Amérique. En tout état de cause, les augmentations de l’aide humanitaire n’ont pas été suffisantes pour améliorer l’accès de la population aux biens essentiels.
En outre, la Chambre a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’aucun besoin militaire clair ni aucune autre justification au regard du droit international humanitaire ne pouvaient être identifiés pour les restrictions imposées à l’accès des opérations de secours humanitaire. Malgré les avertissements et les appels lancés, entre autres, par le Conseil de sécurité de l’ONU, le Secrétaire général de l’ONU, les États et les organisations gouvernementales et de la société civile au sujet de la situation humanitaire à Gaza, seule une aide humanitaire minimale a été autorisée. À cet égard, la Chambre a pris en compte la période prolongée de privation et la déclaration de M. Netanyahou reliant l’arrêt des biens essentiels et de l’aide humanitaire aux objectifs de la guerre.
La Chambre a donc conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Netanyahou et M. Gallant étaient pénalement responsables du crime de guerre consistant à utiliser la famine comme méthode de guerre.
La Chambre a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le manque de nourriture, d’eau, d’électricité et de carburant, ainsi que de fournitures médicales spécifiques, a créé des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population civile à Gaza, ce qui a entraîné la mort de civils, y compris d’enfants, en raison de malnutrition et de déshydratation. Sur la base des éléments présentés par l’Accusation couvrant la période allant jusqu’au 20 mai 2024, la Chambre n’a pas pu déterminer que tous les éléments du crime contre l’humanité d’extermination étaient réunis. Cependant, la Chambre a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le crime contre l’humanité de meurtre avait été commis à l’égard de ces victimes.
En outre, en limitant ou en empêchant intentionnellement l’entrée de fournitures médicales et de médicaments à Gaza, en particulier d’anesthésiques et d’appareils d’anesthésie, les deux individus sont également responsables d’avoir infligé de grandes souffrances à des personnes ayant besoin de soins au moyen d’actes inhumains. Des médecins ont été contraints d’opérer des blessés et de procéder à des amputations, y compris sur des enfants, sans anesthésie, et/ou ont été contraints d’utiliser des moyens inadéquats et dangereux pour endormir des patients, causant à ces personnes une douleur et des souffrances extrêmes. Cela constitue un crime contre l’humanité d’autres actes inhumains.
La Chambre a également estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les actes susmentionnés avaient privé une partie importante de la population civile de Gaza de ses droits fondamentaux, notamment du droit à la vie et à la santé, et que la population avait été prise pour cible pour des raisons politiques et/ou nationales. Elle a donc conclu que le crime contre l’humanité de persécution avait été commis.
Enfin, la Chambre a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Netanyahu et M. Gallant étaient pénalement responsables en tant que supérieurs civils du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile de Gaza. À cet égard, la Chambre a conclu que les éléments fournis par l’Accusation ne lui permettaient de tirer des conclusions que sur deux incidents qualifiés d’attaques intentionnelles dirigées contre des civils. Il existe des motifs raisonnables de croire que M. Netanyahu et M. Gallant, bien qu’ils disposaient de mesures pour prévenir ou réprimer la commission de crimes ou pour garantir la soumission de l’affaire aux autorités compétentes, ne l’ont pas fait.
Contexte
- Le 1er janvier 2015, l’État de Palestine a déposé une déclaration en vertu de l’article 12(3) du Statut de Rome acceptant la compétence de la Cour depuis le 13 juin 2014.
- Le 2 janvier 2015, l’État de Palestine a adhéré au Statut de Rome en déposant son instrument d’adhésion auprès du Secrétaire général de l’ONU. Le Statut de Rome est entré en vigueur pour l’État de Palestine le 1er avril 2015.
- Le 22 mai 2018, conformément aux articles 13(a) et 14 du Statut de Rome, l’État de Palestine a déféré au Procureur la situation depuis le 13 juin 2014, sans date de fin.
- Le 3 mars 2021, le Procureur a annoncé l’ouverture de l’enquête sur la situation dans l’État de Palestine. Cette décision fait suite à la décision de la Chambre préliminaire I du 5 février 2021 selon laquelle la Cour pouvait exercer sa compétence pénale dans la situation et, à la majorité, que la portée territoriale de cette compétence s'étend à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
- Le 17 novembre 2023, le Bureau du Procureur a reçu un nouveau renvoi de la situation dans l'État de Palestine de la part de l'Afrique du Sud, du Bangladesh, de la Bolivie, des Comores et de Djibouti, et le 18 janvier 2024, la République du Chili et les États-Unis du Mexique ont également soumis un renvoi au Procureur concernant la situation dans l'État de Palestine.