L'histoire des Juifs de Salonique, aujourd'hui Thessalonique en Grèce, s'étend sur des siècles, marquée par la résilience et la richesse culturelle.

Avant 1939, cette communauté juive était l'une des plus dynamiques de la région méditerranéenne, contribuant profondément à l'identité de la ville. Aujourd'hui il  ne reste que 1000 Juifs à Salonique, qui en a compté jusqu'à 50 000.

Dès l'Antiquité, Salonique abrite des Juifs, arrivés probablement avec les conquêtes d'Alexandre le Grand. Sous l'Empire byzantin, leur sort oscille entre tolérance et persécution, selon les caprices des politiques impériales.

 En 1492, l'expulsion des Juifs d'Espagne par les Rois Catholiques entraîne un afflux vers l'Empire ottoman. Le Sultan Bayezid II, conscient de leur valeur économique, les accueille chaleureusement. Salonique devient un centre sépharade majeur, où le ladino, la langue judéo-espagnole, et de riches traditions fleurissent.

 L'Âge d'Or Ottoman: Entre 1500 et 1600, Salonique est surnommée "la Jérusalem des Balkans". Les Juifs dominent le commerce et l'artisanat, formant souvent la majorité de la population. Les yeshivot, ou écoles talmudiques, prospèrent, attirant des figures influentes comme Joseph Caro et Samuel de Medina.

Rabbi Samuel de Medina, actif au XVIe siècle, influence la jurisprudence juive par ses responsa. En 1515, Salonique devient un pionnier de l'impression de textes juifs dans l'Empire ottoman, facilitant une large diffusion des savoirs.

 Le déclin de l'Empire ottoman au XVIIe siècle entraîne des conditions économiques et politiques difficiles. Les réformes Tanzimat (1839-1876) apportent des changements, mais aussi des tensions intercommunautaires.

 Au XIXe siècle, les idées européennes des Lumières et du nationalisme pénètrent Salonique. Des écoles modernes apparaissent, notamment celles de l'Alliance Israélite Universelle dès 1873, soutenues par des philanthropes comme Moïse Allatini.

 Vers 1900, Salonique est un foyer de modernité et de tensions, où s'épanouissent des mouvements sionistes, socialistes et nationalistes parmi les jeunes Juifs. Abraham Benaroya fonde un mouvement socialiste influent, la Fédération socialiste ouvrière, qui joue un rôle clé dans les luttes politiques.

Après la prise de Salonique par la Grèce en 1912, les Juifs perdent leur statut privilégié. L'incendie de 1917 détruit une grande partie de la ville, poussant beaucoup à émigrer.

En 1923, le traité de Lausanne et l'échange de populations compliquent la situation des Juifs, qui doivent s'adapter à un État-nation grec de plus en plus homogène. Les années 1930 voient monter le nationalisme grec et l'antisémitisme, exacerbés par la crise économique mondiale.

 David Florentin, à l'origine du quartier du même nom  à Tel-Aviv,  émerge comme un leader communautaire crucial, travaillant à maintenir la cohésion et la vitalité des Juifs de Salonique dans un contexte de pressions croissantes.

Né à Salonique, dans l'Empire ottoman (aujourd'hui Thessalonique, en Grèce), David Florentin fréquenta d'abord une école primaire juive traditionnelle avant d'intégrer l'Alliance israélite universelle de sa ville natale, dont il fut diplômé. En 1897, au lendemain de l'affaire Dreyfus, il fonda L'Avenir, un important journal ladino (d'abord hebdomadaire puis quotidien) qui déclarait allégeance à l'Empire ottoman tout en promouvant les idées pro-sionistes et en s'opposant à l'assimilation. En 1898, Florentin joua un rôle déterminant dans la création de l'association pro-sioniste salonique Kadima, qui devint plus tard un club politique influent. Florentin réécrivit de nombreux romans européens et traduisit des ouvrages de non-fiction, dont le Manifeste communiste (1914). Il siégea également au comité exécutif de l'Organisation sioniste mondiale et, de 1918 à 1933, dirigea la Fédération sioniste grecque. En 1920, Florentin acheta un terrain à des Arabes palestiniens pour développer le quartier de Tel-Aviv qui porte aujourd'hui son nom. Il émigra en Palestine en 1937.

 "En 1917, un incendie a détruit une grande partie de Salonique. Le quartier juif a été détruit et plus de 30 synagogues ont été réduites en cendres. Les noms des synagogues indiquent la richesse du tissu culturel du judaïsme de Salonique. Les synagogues portaient des noms tels que Ashkenaz (Allemagne), Majorque, Provence (France), Italie, Castille, Aragon, Catalogne, Lisbonne, Sicile, Portugal et Espagne. Chacune avait ses propres traditions et coutumes, et chacune bourdonnait de ses propres dialectes ou langues. Salonique était une mosaïque de judaïsme sépharade, chaque communauté représentant des vagues successives de réfugiés en quête d'une nouvelle vie."

Ainsi, l'histoire des Juifs de Salonique jusqu'à 1939 est une saga de contributions culturelles et économiques significatives, de défis surmontés et de continuité face à l'adversité, faisant de cette communauté une pierre angulaire du riche patrimoine méditerranéen.

 L'histoire des Juifs de Salonique entre 1939 et 1945 est tragiquement marquée par la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste.

En avril 1941 la Grèce est envahie par les forces de l'Axe. Salonique tombe rapidement sous le contrôle des Allemands, marquant le début d'une période de terreur pour ses habitants juifs. Les Allemands imposent rapidement des lois antisémites rigoureuses, inspirées de celles déjà en place en Allemagne nazie.

 

 

Mesures antisémites et déportations

En juillet 1942, les autorités allemandes convoquent tous les hommes juifs âgés de 18 à 45 ans pour des travaux forcés, les humiliant publiquement et les soumettant à des conditions inhumaines. En mars 1943, les premières déportations commencent vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Des milliers de Juifs sont entassés dans des trains à bestiaux dans des conditions épouvantables.

Mars-août 1943 : Environ 48 000 Juifs de Salonique, soit la quasi-totalité de la communauté, sont déportés. La majorité d'entre eux périssent à Auschwitz.

Malgré les conditions désespérées, des actes de résistance se produisent. Certains Juifs de Salonique, tels que les partisans d'ELAS (l'Armée populaire de libération nationale grecque), rejoignent la résistance grecque contre les nazis.  Quelques familles juives réussissent à échapper à la déportation grâce à l'aide de voisins grecs ou de réseaux de résistance. Des clercs orthodoxes et des personnalités locales prennent parfois des risques considérables pour cacher des Juifs ou aider à leur fuite. Le rabbin principal de Salonique, Rabbi Zvi Koretz, collabore sous la contrainte avec les nazis, dans l'espoir de protéger sa communauté, mais qui est finalement déporté et meurt à Bergen-Belsen.

 " Environ 52 000 Juifs vivaient à Salonique lorsque les nazis ont occupé la Grèce en 1941. À cette époque, il y avait 12 rabbins et quatre soferim (scribes) à Salonique. Les nazis, attirés par les histoires de trésors religieux, ont cherché à confisquer tous les objets de valeur. Une unité spéciale nazie appelée le Commando Rosenberg a été envoyée de Francfort, en Allemagne, en 1941. Elle a rassemblé des dizaines de milliers de manuscrits et de livres rares provenant de fonds privés et de bibliothèques, ainsi que des Torahs et autres rouleaux, des livres de prière et des objets rituels provenant des synagogues.

Les Juifs de Salonique ont été contraints de vivre dans trois ghettos. Les nazis ont construit un ghetto dit de transit à côté de la gare ferroviaire. Des convois ferroviaires expédiaient de 1 000 à 4 000 Juifs par transport directement de Salonique à Auschwitz et à d'autres camps de la mort. Chose incroyable, les passagers juifs étaient même obligés de payer leurs propres billets de train. Entre mars et août 1943, 19 transports ont envoyé 48 533 Juifs de Salonique vers leur tombe.

Lors de la libération des camps de la mort en 1945, seuls 2 000 Juifs de Salonique avaient survécu. Seuls les Juifs polonais ont subi une plus grande dévastation pendant l'Holocauste. Les archives de la communauté juive de Salonique se sont retrouvées à Moscou.

Les survivants sont retournés à Salonique dans l'espoir de retrouver leur famille et de reprendre leur vie en lambeaux. Malheureusement, leurs espoirs ont été anéantis ; il ne restait plus rien. Leurs maisons et leurs biens ont été confisqués ou détruits. Ils ne rencontrent auprès de la population qu'hostilité ou indifférence. La plupart ont fini par repartir en Israël, aux États-Unis, au Canada, en Australie ou en Amérique du Sud.

La synagogue Hechal Yehuda, communément appelée synagogue Recanati du nom de son fondateur, ou même synagogue des coquillages, a été fondée par des Juifs de Salonique à Tel-Aviv. Elle maintient les coutumes de Salonique dans la prière et la musique."

 

 Après guerre

Dans les années 1950,  des efforts sont faits pour relancer l'éducation juive et rétablir les pratiques religieuses. La synagogue Monastirioton, l'une des rares à avoir survécu à la guerre, devient un centre vital pour la vie communautaire. La communauté restante travaille à établir des mémoriaux et à commémorer les victimes de l'Holocauste. Des initiatives sont prises pour préserver la mémoire des disparus et éduquer les générations futures sur l'importance de la tolérance et de la diversité.

En 1948, la création de l'État d'Israël en 1948 offre une nouvelle destination pour de nombreux Juifs de Salonique, qui choisissent d'émigrer pour reconstruire leur vie dans un nouvel État juif. Cette émigration contribue à réduire encore la taille de la communauté locale. Certains choisissent également de partir pour d'autres pays, notamment les États-Unis, le Canada et l'Australie, où ils espèrent trouver de meilleures opportunités économiques et sociales.

Avec le temps, la reconnaissance du rôle central des Juifs dans l'histoire de Salonique grandit. Des efforts sont faits pour préserver et restaurer les sites historiques juifs, comme les cimetières et les synagogues. La communauté juive, bien que petite, continue d'être active, participant aux activités culturelles et interreligieuses de la ville. Il existe maintenant un renouveau d'intérêt pour le patrimoine sépharade et ladino.

Aujourd'hui, la communauté juive de Salonique, bien que réduite par rapport à son apogée d'avant la Seconde Guerre mondiale, continue de jouer un rôle important dans le tissu culturel et social de la ville. Voici un aperçu de l'état actuel de cette communauté et de ses activités :

 

Taille et Structure de la Communauté

La communauté juive de Salonique compte aujourd'hui environ 1 000 membres, bien loin des 50 000 qui vivaient dans la ville avant la Shoah. Malgré cette diminution, elle reste l'une des plus grandes communautés juives de Grèce.

 

Les synagogues de Salonique

 

Les synagogues de Salonique sont des témoins silencieux de la riche histoire et de la vibrante vie religieuse de la communauté juive qui a prospéré dans cette ville pendant des siècles. Avant la Seconde Guerre mondiale, Salonique comptait plus de 50 synagogues, reflet de la diversité de la communauté juive locale. Voici un aperçu des synagogues les plus notables et de leur histoire :

 

Synagogue Monastirioton

Érigée en 1927 par des Juifs originaires de Monastir (aujourd'hui Bitola, en Macédoine du Nord), la synagogue Monastirioton est l'une des rares à avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale.

Située dans le quartier de Yad Lezikaron, elle se distingue par son architecture traditionnelle et son intérieur richement décoré.

Après la guerre, elle est devenue un centre important pour les cérémonies religieuses et les commémorations de la communauté juive restante.

 

Synagogue Beth Saul

Construite en 1904, elle est connue pour son style architectural élégant et ses vitraux colorés.

Comme beaucoup d'autres, elle a été détruite pendant l'occupation allemande ou a servi à d'autres fins durant la période de guerre.

 

 Synagogue Talmud Torah

Cette synagogue faisait partie d'un complexe éducatif comprenant une école talmudique.

Avant la guerre, elle servait de centre d'éducation religieuse et d'apprentissage pour les jeunes de la communauté.

 

Synagogues disparues

 

Synagogue de la Calle de la Yuderia

Située dans l'ancien quartier juif, elle était l'une des plus anciennes synagogues de Salonique, datant de l'époque ottomane. Elle a été détruite dans le grand incendie de 1917, qui a ravagé une grande partie de la ville et de ses infrastructures juives.

 

Synagogue de la Rue Baron Hirsch

Cette synagogue était située dans un quartier qui portait le nom du célèbre philanthrope juif, le baron Maurice de Hirsch. C'était un centre d'activité sociale et religieuse avant sa destruction pendant la guerre.

 

Lire aussi :

Danon Abraham. La Communauté juive de Salonique au XVIe siècle. In: Revue des études juives, tome 40, n°80, avril-juin 1900. pp. 206-230.

 

 

 

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