Suites aux émeutes du pélérinage de Nabi Moussa, la commission dirigée par le colonel Païlin est chargée d'enquêter et de rédiger un rapport. Les émeutes ont fait plusieurs morts et la situation à Jérusalem est très tendue.

Le rapport, qui ne sera jamais publié, comprend une première partie qui s'attache plus à dénigrer le mouvement sioniste, trop pressé selon le rapporteur d'arriver à ses fins, même si elles sont légitimes. Il analyse dans une deuxième partie les évènements intervenus, faisant porter le poids de l'émeute essentiellement sur les Arabes. Il juge enfin que les Anglais ont agi par excès de confiance et n'étaient pas préparé à une flambée de violence de cette ampleur.

 

Extraits du rapport PALIN

 

SECRET
RAPPORT DE LA COUR D'ENQUÊTE CONVOQUÉE PAR ORDONNANCE DE S.E. LE HAUT-COMMISSAIRE ET COMMANDANT EN CHEF, EN DATE DU 12 AVRIL 1920.

« Rapport de la commission PALIN »


La traduction et les notes ont été ajoutées par monbalagan.com

 

NOTE INTRODUCTIVE.

...la Palestine et la Syrie occupent une place particulière aux yeux des Arabes , étant les premières conquêtes étrangères des envahisseurs arabes, et la Palestine plus particulièrement du fait que le Harem el Sherif de Jérusalem est le troisième lieu saint du monde musulman, l'un des quatre " Sanctuaires " (Haram), les trois autres étant La Mecque, Médina et Hébron.

...les Arabes en échange de subventions, de munitions, d'armes, de nourriture, etc., acceptant d'attaquer les Turcs, en échange de quoi certaines régions spécifiques du monde arabe devaient être reconnues comme indépendantes. Il s'agissait de certaines parties de la Syrie - Damas, Homs, Hama et Alep, mais pas le littoral. La Palestine n'a pas été incluse.1

... Quoi qu'on puisse dire des droits des Arabes de tirer une telle conclusion de la politique du ministère de la Guerre pendant la guerre, il ne fait guère de doute que la politique déclarée des Alliés en faveur de l'autodétermination des petites nations a encouragé les Palestiniens à penser que s'ils devaient être autorisés à s'unir au grand État arabe[p8] formant leur frontière ou non, ils seraient au moins autorisés, sous le mandat d'une des grandes puissances, à élaborer leur propre salut et être maîtres dans leur propre maison.

Ils n'ont fait aucun effort pour concilier la contradiction apparente entre cette politique solennellement déclarée des Alliés et la Déclaration Balfour : si la Déclaration Balfour n'était pas d'accord avec la promesse sacrée de l'autodétermination, tant pis pour la Déclaration Balfour. Des arguments aussi raffinés que la théorie du capitaine Samuel selon laquelle " la majorité de la population palestinienne potentielle se trouve à l'extérieur du pays " ou la théorie du Dr Eder sur la reconstitution d'une nation ne leur ont jamais traversé l'esprit, et si de telles théories leur avaient été avancées, elles ne leur auraient même pas semblé compréhensibles.

 

Lire aussi 1920 - 4 et 7 avril : pogrom de Jérusalem - émeutes de Nabi Moussa

 

Le titre juif fondé sur la mémoire historique tenace de la race et sur un profond sentiment religieux qui séduit tant les peuples européens et américains qui ont absorbé le récit et les prophéties de l'Ancien Testament avec leurs premiers essais dans leur langue maternelle, signifie moins que rien pour un peuple qui se voit menacé de privations par une race qu'il avait jusqu'alors tenue en aversion et mépris.

Pour autant que la revendication soit historique, ils ne voient dans les Juifs qu'un peuple qui, après une histoire indépendante de moins de trois cents ans, a été expulsé à deux reprises de leur territoire, par les Grands Empires, comme une menace permanente pour la paix et l'ordre impérial.

1 Ce paragraphe fait référence à la correspondance MacMahon – Hussein et ses interprétations arabes et anglaises.

 

La Déclaration Balfour a été publiée le 2 novembre 1917...Il s'agit d'un document rédigé avec beaucoup de soin et, sans la phrase quelque peu vague "Un foyer national pour le peuple juif", on peut considérer qu'il est suffisamment désarmant, car il offre de vastes garanties pour les droits civils et religieux des communautés non-juives existantes.

Mais l'imprécision de l'expression citée a causé des problèmes depuis le début

...il faut garder à l'esprit qu'au fond de tout, il y a une crainte profonde du Juif, à la fois comme dirigeant possible et comme concurrent économique. Ils craignent, à tort ou à raison, le Juif comme souverain, considérant sa race comme l'une des plus intolérantes de l'histoire

...les derniers immigrants d'Europe de l'Est sont des hommes d'un type très différent, imprégnés de toutes les nuances des opinions politiques qui ont plongé la Russie dans l'anarchie, le terrorisme et la misère au cours des dernières années :

...c'est en tant que concurrent économique que le Juif inspire vraiment l'inquiétude la plus profonde dans l'esprit des autochtones. Ce dernier n'a aucune illusion sur ses propres pouvoirs de concurrencer le juif, que ce soit en tant que marchand, agriculteur ou administrateur. Avant la guerre, le progrès du sionisme n'était guère suffisant pour exciter son anxiété et, bien que la colonisation réelle ait causé quelques inquiétudes, elle n'était suffisante ni en quantité ni en succès pour le réveiller sérieusement. Néanmoins, il a pu constater que là où le juif devenait propriétaire foncier, le propriétaire paysan arabe et chrétien fellah était réduit à la condition de travailleur salarié.

La perspective d'une immigration juive massive le remplit d'une peur panique, peut-être exagérée, mais néanmoins réelle. Il voit la race la plus noble du monde intellectuellement, anciens maîtres dans tous les arts de l'éviction des concurrents, que ce soit sur le marché, à la ferme ou dans les bureaux bureaucratiques, soutenus[p14] par des fonds apparemment inépuisables donnés par leurs compatriotes dans tous les pays et possédant une influence puissante dans les Conseils des nations, prêt à s'inscrire sur les listes contre lui dans chacune de ses occupations normales, soutenu par la seule chose qui voulait les rendre irrésistibles, la force physique d'une grande puissance impériale, et il se sent dépassé et vaincu avant le début  de la compétition.

 ...A tort ou à raison, ils pensent qu'on ne peut faire de place au juif dans leur pays que par leur propre soumission ou expulsion, et ce sentiment est si fort à l'étranger que beaucoup de ceux parmi les moins forts d'entre eux seraient en train d'envisager l'émigration.

...Le nombre de décès enregistrés dans les cinq grandes villes de Jérusalem, Jaffa, Haïfa, Hébron et Gaza, avec une population estimée à 115 360 âmes, donne pour l'année 1918 un ratio par mille de 31,23 : pour 1919 le ratio est de 18,17. Le taux de natalité pour les mêmes années s'établit respectivement à 14,18 pour mille en 1918 et 29,63 pour mille en 1919.

 

 

Lire aussi le Rapport intérimaire de l'UNISPAL sur l'Administration civile de Palestine (Samuel, 1921, rapport)

 

 

Si l'on prend les chiffres plus précis obtenus dans le cadre du nouveau système pour les six mois se terminant le 31 mars 1920, le taux de mortalité estimé pour l'année s'établit à 16,24 pour mille et le taux de natalité à 29,20 pour mille. Ces chiffres sur une population estimée de l'ensemble du O.E.T.A. (S) de 647.250 personnes correspondent à une augmentation estimée de 8621 personnes en un an.

 ...Dès le début, les extrémistes parmi les sionistes, tant dans leurs écrits que dans leurs discours, ont adopté une seule interprétation de la Déclaration Balfour. Il n'était pas question d'une colonisation modérée ou d'un foyer national, mais d'une déclaration de la Palestine en tant qu'État juif, "aussi juif que l'Angleterre est anglaise

... M. Leon Simon a écrit un article dans la Revue sioniste qui, malgré l'apparente modération de sa conclusion, n'était guère calculé pour pacifier un peuple affolé par la panique. Il commence par une référence à la population arabe : "Il y aura", dit-il, "un Etat de Palestine contenant un certain nombre d'habitants arabes, etc." On pourrait presque imaginer qu'il se réfère à une poignée de nomades gitans comme ceux qui infestent les friches d'Alexandrie plutôt qu'à la grande majorité de la population d'un pays.

Plus tard, il poursuit en disant : "Il y a en théorie au moins trois politiques possibles, que les sionistes pourraient préconiser maintenant et s'efforcer de mettre en œuvre dès que leur influence dans l'État de Palestine sera suffisamment forte. Il s'agit (1) d'expulser les Arabes du pays par la force s'ils n'y allaient pas de leur plein gré ; (2) de laisser les Arabes dans le pays, mais de les mettre dans une position inférieure à celle des Juifs ; et (3) de les laisser dans le pays et de les inviter à prendre autant de part que possible à son développement[p22], sans faire de distinction entre juifs et arabes du point de vue des droits politiques ou économiques ".

Il n'est guère important que M. Simon ait finalement accepté la troisième option. L'effet de la simple déclaration de ces propositions monstrueuses sur un peuple fier qui se considère à juste titre maître du sol peut être plus facile à imaginer qu'à décrire. Le simple fait que M. Simon ait été poussé à écrire un tel article en réprobation des excès de ses compagnons sionistes pourrait bien pardonner les craintes les plus folles de la population existante.

Les dirigeants sionistes ont très tôt pris conscience de l'immense troubles dus aux prétentions extravagantes de leurs coreligionnaires et se sont mis à tenter une réconciliation avec la population autochtone.

L'un des objectifs de la Commission sioniste envoyée par le gouvernement britannique en Palestine en 1918 était " d'aider à établir des relations amicales avec les Arabes et autres communautés non-juives ". M. Weizmann, Président de la Commission, a fait le tour du pays et, par sa modération, a sans aucun doute eu un certain effet.

 

... Dans le numéro de la Chronique juive précité, les objectifs de la Commission sont énoncés comme suit:-)

"La Commission devrait représenter l'organisation sioniste. Il devrait agir en tant qu'organe consultatif auprès des autorités britanniques en Palestine pour toutes les questions relatives aux Juifs ou susceptibles d'entraîner la création en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, conformément à la Déclaration du Gouvernement de Sa Majesté. Les objectifs de la Commission devraient être:-)

Former un lien entre les autorités britanniques et la population juive de Palestine.

Coordonner le travail de secours en Palestine et aider au rapatriement des personnes exilées et évacuées et des réfugiés. [p24]

Aider à la restauration et au développement des colonies et à l'organisation de la population juive en général.

Aider l'organisation et les institutions juives en Palestine à reprendre leurs activités.

Aider à établir des relations amicales avec les Arabes et d'autres communautés non-juives.

Recueillir des informations et faire rapport sur les possibilités de développement futur de la colonie juive et du pays en général.

Enquêter sur la possibilité d'un projet de création d'une université juive.

 

... il est curieux de noter que la Commission semble être en mesure de définir sa propre mission

...Il est difficile de résister à la conclusion d'un examen calme de la preuve devant la Cour que l'attitude des sionistes justifie la description de l'un des témoins, le Dr Paterson, un vieux résident d'Hébron, comme arrogant, insolent et provocateur. Pour les autochtones, ils semblent avoir adopté une attitude d'abord méprisante et péremptoire, et plus tard, lorsqu'ils ont pris conscience du sentiment croissant suscité par leur attitude, un ressentiment qui ne se mélange pas à la peur.

... A l'égard de l'Administration, ils ont adopté l'attitude "Nous voulons l'Etat juif et nous n'attendrons pas", et ils n'ont pas hésité à user de tous les moyens à leur disposition dans ce pays et à l'étranger pour imposer ; la main d'une Administration tenue de respecter le "statu quo" et de l'engager, et donc des administrations futures, à une politique non envisagée dans la Déclaration Balfour ? Il ne faut pas s'étonner que la population arabe se soit plainte de la partialité de l'administration en faveur des Juifs.

...Le Mur des Lamentations est en réalité le Mur Occidental du Haram, le fond étant constitué d'énormes blocs datant certainement de l'époque du Temple Juif, bien que celui d'Hérode ou de Salomon ne soit pas clair. Ce mur que les Juifs revendiquent comme leur possession, mais il est presque certain qu'ils n'ont aucune revendication en droit, le mur avec le reste du Haram étant la propriété du Sultan de Turquie en sa qualité souveraine.

...Le rabbin Kook, dans sa lettre du 30 mai, déclare que l'enceinte du Temple et l'ensemble de la montagne sont " liés à la fin pour nous revenir " et demande au gouvernement de confier le Mur des Lamentations " aux soins et au contrôle des représentants de la communauté juive ; et toute réparation qui sera nécessaire, nous l'exécuterons nous-mêmes. Dans leur lettre au colonel Storrs du 16 mai 1920, la Commission sioniste déclare que l'acte de réparation du mur par les musulmans est un " sacrilège ", et le Conseil des rabbins écrit au colonel Storrs le 2 juin 1920 : " Le Mur sacré, le Mur des lamentations appartient à Israël jusqu'au ciel et aucune autre personne ou personne ne peut y toucher. ....

...En même temps, nous implorons de déclarer notre droit de reconnaître le caractère sacré de toute la zone du Mont Moriah et du Temple ; nous sommes sûrs que le jour viendra [p36] et que Dieu délivrera son peuple ; et notre Saint Temple sera reconstruit dans sa gloire comme aux jours d'autrefois........".

....Les musulmans, cependant, seront enclins à se tourner vers les activités pratiques de la Commission sioniste et à soupçonner que les moins spirituels d'entre eux pourraient être tentés de hâter l'accomplissement de la prophétie

... Nous sommes alors arrivés à une situation où la population indigène, déçue de ses espoirs, paniquée quant à son avenir, exaspérée au-delà de l'endurance par l'attitude agressive des sionistes, et désespérée d'obtenir réparation de la part d'une administration qui lui semble impuissante devant l'organisation sioniste, est une proie facile pour toute agitation hostile au gouvernement britannique et aux Juifs

... Le bolchevisme russe travaille indubitablement sous la surface, à la fois vers le sud, du Caucase à Damas, et en Palestine même, au cœur même [p. 40] du sionisme

 

Le cas des Juifs

il est maintenant nécessaire de passer rapidement en revue l'affaire contre l'administration telle que présentée par les Sionistes. ... Ils persistent à décrire les événements de ces jours comme un "pogrom", un mot qui impute clairement la connivence à l'Administration : Le Dr de Sola Pool a donné comme définition du mot " attaque contre les Juifs de la ville par les éléments inférieurs sans foi ni loi qui ont été laissés à eux-mêmes par la non-ingérence de la police et ceux chargés du maintien de l'ordre ". Pas nécessairement avec la connivence du gouvernement, mais presque invariablement des fonctionnaires de police inférieurs."

Les Sionistes allèguent également que l'Administration et ses fonctionnaires ont été constamment biaisés contre les Sionistes et[p41] déloyaux à la politique énoncée dans la Déclaration Balfour : qu'ils ont encouragé les Arabes à penser qu'un massacre des Juifs ferait plaisir à l'Administration en manifestant ce parti pris ; qu'ils n'ont pas fait les préparations adéquates pour répondre à une attaque préméditée malgré des avertissements répétés ; que par leur connivence avec les Husseini et l’Émir Fayçal ils ont provoqué la catastrophe.

...Les négociations de paix prolongées ont toutefois nécessité la prolongation de cette forme d'administration temporaire pendant plusieurs années et il est devenu de plus en plus difficile de suivre la règle stricte et de maintenir le statu quo. Ces difficultés ont été causées principalement par les instructions émanant du ministère des Affaires étrangères en faveur des sionistes et ont abouti à certaines proclamations telles que l'introduction de la langue hébraïque, clairement en contradiction avec le statu quo.

...On se souviendra que la Commission sioniste, tout en faisant des demandes constantes qui constituaient des violations du statu quo, n'a pas hésité à se rabattre sur le statu quo quand cela convenait à son but

...les accusations des sionistes de partialité se profilent à peu près à trois titres. (1) Remarques indiscrètes de divers fonctionnaires montrant des préjugés personnels contre les Juifs ; (2) actes précis montrant des préjugés de la part de l'Administration et de ses fonctionnaires ; (3) relations avec l’Émir Fayçal indiquant une déloyauté envers la politique définie par le gouvernement britannique.

CIRCONSTANCES QUI ONT DONNÉ LIEU AUX TROUBLES QUI ONT EU LIEU À JÉRUSALEM ET DANS SES ENVIRONS À L'OCCASION DU PÈLERINAGE NEBI MUSA LE 4 AVRIL ET LES JOURS SUIVANTS.

Nous en sommes maintenant arrivés à un stade où nous sommes en mesure d'apprécier l'état des choses au cours des semaines qui précèdent immédiatement Pâques 1920. Toute la population indigène, arabe et chrétienne, était dans un état d'hostilité active envers les sionistes et l'administration britannique, leurs sentiments étaient enflammés par le sentiment de leurs propres torts, leurs craintes pour l'avenir et la propagande active de divers éléments anti-britanniques et antisionistes travaillant librement en leur sein.

Les signes et les avertissements n'avaient échappé ni aux sionistes ni à l'administration. Les sionistes étaient sérieusement alarmés et renvoyés à plusieurs reprises à l'administration. L'Administration a reçu de leurs agents des informations complètes, tant sur les activités étrangères que sur la propagande menée par les différents clubs. Le général Bols ne nie pas que lui et ses fonctionnaires aient été avertis à maintes reprises du danger extrême qui menaçait et bien que le colonel Storrs ait tendance à considérer que le danger réel au festival Nebi Musa lui-même était plus grand l'année précédente, ... Il semble évident pour tous[p54] qu'une tempête se levait et pouvait éclater à tout moment.

 ...L'inadéquation de la force de police a été une difficulté plus importante à laquelle l'Administration a été confrontée. Dès juin 1919, le colonel Bramley, administrateur adjoint de la sécurité publique, avait déjà attiré l'attention sur le caractère improvisé de la force existante et sur la nécessité impérieuse d'une réorganisation rapide et complète d'une force de police permanente, compte tenu notamment de la réduction prévue de la garnison.

...Le colonel Bramley a continué à insister sur la question et à souligner les dangers d'une force inadéquate et à moitié entraînée. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails des chiffres du colonel Bramley, tous les détails du plan étant présentés en annexe, mais il suffit de dire que l'effectif minimum absolu pour le district de Jérusalem est fixé à quatorze officiers et trois cent soixante-dix autres grades, d'après le mémorandum figurant dans les pièces du colonel Storrs. Les effectifs disponibles au moment des émeutes étaient de huit officiers et cent quatre-vingt-trois autres grades, dont cinq hommes détachés du quartier général. Ce nombre, lieutenant Howes, anciennement O.C. Jerusalem Police, déclare, et il n'a pas été contredit, est totalement inadéquat même pour la police[p55] de Jérusalem en temps normal.

Quant au matériel de la police, il semble avoir des possibilités, mais au moment des émeutes, il souffrait d'un manque de formation et de contrôle ; en outre, il n'était pas considéré comme fiable dans les cas où leurs sentiments patriotiques ou religieux pourraient être en cause. C'est ce qui ressort clairement du plan de défense qui exprime le point de vue du G.O.C. où il est dit que "dans le cas de troubles internes universels, les trois mille policiers doivent être considérés comme un facteur potentiellement hostile".

...Le 27 février 1920 eut lieu la première des deux grandes manifestations politiques qui précédèrent les événements de la semaine de Pâques. Elle s'est tenue avec la connaissance et l'autorisation des autorités. Les sionistes étaient alarmés et deux jours avant la date fixée, le Dr Eder a vu le général Bols et a suggéré l'inopportunité de permettre une manifestation en raison de la tension dans le pays. Le général Bols était d'avis que les processions organisées de ce genre pouvaient être contrôlées et qu'elles servaient de soupape de sécurité. La manifestation, à laquelle ont assisté entre deux et trois mille personnes, s'est déroulée discrètement et la police a maintenu le peuple bien en main, en dépit d'un incident provocateur des Juifs qui ont lancé la Hatikva, l'hymne national juif alors que le cortège passait devant l'école juive pour aveugles.

La deuxième manifestation a été fixée au 8 mars. Les craintes des sionistes étaient alors aggravées par un raid des Arabes et des Bédouins qui venait d'avoir lieu dans une colonie juive de la zone française. Le Dr Eder a de nouveau attendu l'administrateur en chef et a demandé instamment l'interdiction de la manifestation. A cette occasion, il a fait une déclaration importante :

"Je ne pourrais pas être responsable de retenir les jeunes juifs s'ils échappaient à notre contrôle". L'administrateur en chef a maintenu son point de vue quant à la politique d'autorisation de ces manifestations et la manifestation a eu lieu.

il n'est que juste de dire que le lieutenant-colonel Popham, A.A. pour Jérusalem, a exprimé son appréciation pour le comportement exemplaire des communautés juives en évitant toute forme de provocation..... A la suite de ces incidents, le Dr Eder a écrit le 9 mars pour protester officiellement contre la politique d'autorisation de ces manifestations et souligner leur danger pour la communauté juive. L'administrateur en chef était convaincu que le temps était venu d'y mettre fin et a émis l'interdiction en date du 11 mars 1920.

 L'approche de la semaine pascale avec ses inévitables désordres religieux et la coïncidence des fêtes chrétiennes et juives avec le pèlerinage musulman Nabi Moussa a été une source de grave inquiétude tant pour la communauté juive que pour l'administration. Il y a certainement des preuves qu'il existait un pressentiment indéfini parmi le peuple qu'une attaque pourrait être faite contre les Juifs à un moment donné pendant ce festival. Des menaces ont été proférées et des avertissements ont été donnés à des Juifs à Jérusalem et dans le pays. Il faut cependant observer ici qu'il n'est pas rare pour la population musulmane de l'Est, lorsque les relations sont tendues, de se livrer à de vagues menaces de ce type et que le rassemblement imminent de musulmans à Jérusalem serait naturellement une occasion appropriée pour leur exécution.

...Il n'y a cependant aucune preuve d'un plan précis de la part d'un corps organisé d'émeutiers et toute l'affaire a l'apparence de la spontanéité.

 Le pèlerinage Nebi Musa [Nabi Moussa] aurait été ordonné par le sultan Salah el Deen [Saladin ]. Ce n'est pas une fête de l'année musulmane, mais elle est fixée pour coïncider avec la Pâque juive et la Pâque chrétienne. Il est probable qu'elle ait un rapport similaire avec ces deux fêtes à celui d'une ancienne fête printanière.... D'autre part, on dit que ce sultan, observant les foules de juifs et de chrétiens qui affluaient à Jérusalem à cette époque de l'année, désirait, pour des raisons politiques, attirer une grande force de musulmans dans la ville, sur laquelle on pourrait compter pour contrer toute tentative des pèlerins rivaux de s'emparer de cette ville.

...Les travaux se déroulent sous la direction du Grand Mufti de Jérusalem. Une certaine turbulence a toujours caractérisé les pèlerins et le gouvernement turc s'est excusé des troupes de cérémonie prévues pour prendre des précautions élaborées afin de prévenir le désordre.

...Rien ne semble avoir été sérieusement anticipé le dimanche. L'arrivée des pèlerins d'Hébron n'est pas spécialement notée dans le tableau des tâches de police établi pour la quinzaine de Pâques, ni dans la note du Colonel Storrs sur la procédure à suivre le vendredi 2 et au retour des pèlerins le jeudi 8. Les pèlerins d'Hébron sont partis d'Hébron le samedi, à l'étroit à l'extérieur de Jérusalem et y ont marché le dimanche matin 4 avril. Il ne semble pas y avoir eu d'excitation inhabituelle et, de l'avis du Dr Paterson, un vieil habitant d'Hébron, qui a vu de nombreux pèlerinages, il n'y avait rien qui puisse suggérer quoi que ce soit comme un plan pour causer du trouble. Le chemin ordinaire suivi par les pèlerins à leur arrivée à Jérusalem semble être la route de Jaffa vers la Porte de Damas et de là vers le Haram. Par cette route, ils traversent presque entièrement le quartier musulman de la ville fortifiée. A cette occasion, la procession s'est arrêtée sur la route de Jaffa à l'extérieur de la Porte de Jaffa pour entendre des discours prononcés par un Cheikh nommé Aref el Aref. Ils se sont également arrêtés plus haut sur la route pour entendre d'autres discours prononcés depuis les balcons de la municipalité et du Club Nadi el Araby par le maire et d'autres personnalités musulmanes.

....les discours ont été d'un caractère politique flagrant, culminant dans l'exposition du portrait de l’Émir Fayçal, qui a été accueilli comme "Roi de Syrie et de Palestine". Le portrait a ensuite été porté en procession avec les drapeaux. La foule s'est peu à peu transformée en un état hautement inflammatoire et il est fort probable que des agents provocateurs se sont mêlés à eux dans l'attente d'une occasion.

 ...Il a été suggéré qu'il y avait une profonde intention de la part de la police dans ce changement de route afin de faire passer la foule par le quartier juif. La police affirme cependant que le changement a été apporté en raison du retard causé par les discours et qu'il n'y a pas de raison suffisante de supposer que ce n'est pas vrai. ...

 C'est alors que la première moitié du cortège passait par la Porte de Jaffa que l'explosion s'est produite à un point situé à l'extérieur de la porte, quelque part entre la pharmacie Christaki's et la Banque du Crédit Lyonnais. L'incident exact qui a causé l'explosion n'a pas été clairement établi - il y en a peut-être eu plus d'un....Il est tout à fait évident, cependant, que dans l'état excité dans lequel les pèlerins autour du Nadi el Araby Club avaient été entraînés par les discours des orateurs politiques et l'exposition du portrait de l’Émir Fayçal, l'incident le plus banal serait suffisant pour provoquer une émeute.

...La conséquence immédiate de l'explosion a été une volée de pierres dirigées contre les magasins à proximité de la pharmacie Christaki's Pharmacy, un incident qui indique le véritable "locus" de la cause de l'excitation dans ce quartier. Certains de ces magasins ont immédiatement été pillés et un certain nombre de personnes ont été battues et frappées avec des pierres. L'excitation s'est immédiatement transmise à la partie de la procession qui était déjà entrée dans la Porte de Jaffa, et devant le Grand Hôtel Neri plusieurs Juifs ont été battus et au moins un a été poignardé. On dit que les Juifs se sont vengés du toit de l'hôtel d'Androusky avec des volées de pierres, mais les preuves à ce sujet ne sont pas concluantes. La foule est ensuite descendue dans la ville en pillant les magasins juifs et en attaquant les Juifs, et un Juif au moins a été abattu à ce moment.

.... La question des représailles des Juifs est importante parce qu'elle semble avoir impressionné les militaires[p65] et les a amenés à imaginer que les Juifs étaient dans une certaine mesure responsables de cette flambée. Il y a des preuves qui montrent que quelques Juifs ont été armés et ont parfois riposté en tirant sur la foule. ... Il y a également eu quelques incidents au cours desquels des groupes de Juifs ont attaqué la police et des pillards arabes. Mais il est tout à fait clair qu'à ces quelques exceptions près, les Juifs ont été les victimes et, de plus, les victimes d'une attaque particulièrement brutale et lâche, la majorité des victimes étant des hommes, des femmes et des enfants âgés. Il y a des raisons de croire que le sentiment que les Juifs menaient une guérilla à partir des maisons a été activement encouragée par des agents arabes...

La présence d'un certain nombre d'agents et d'officiers shérifiens dans la ville à cette époque, parmi lesquels Hadj Amin al-Husseini, est également extrêmement suspecte et conduit la Cour à soupçonner que les agitateurs ont pris des mesures immédiates pour tirer le meilleur parti des troubles quand ils se sont produits, même si la foule n'était pas complice du complot.

Il est un peu surprenant que les discours n'aient pas été arrêtés par l'officier en charge de la police en raison de leur caractère incendiaire. Bien que les manifestations aient été interrompues, il ne semble pas que le gouverneur militaire ait donné d'ordres précis quant aux discours et les officiers sur place ont manifestement estimé qu'il valait mieux, en l'absence d'instructions précises, ne pas intervenir.

...Le rapport du colonel Bramley donne l'heure à laquelle il a reçu le message que tout était calme et la situation en main, à 15h10.

La conduite de la police au début des troubles semble avoir été raisonnablement satisfaisante. Ils ont fait de leur mieux pour faire face à ce qui, en raison de leur faible nombre, était la tâche plutôt désespérée de contrôler la foule. Il est évident, cependant, qu'ils se sont rapidement retrouvés dans un état d'impuissance qui a été décrit par un témoin comme pouvant être également attribué à la peur, à l'incompétence ou à la sympathie. Il y a certainement des preuves qu'ils sont parfois allés au-delà d'une simple indifférence passive et n'ont pas hésité à écouter les appels à leur sympathie raciale ou même à apporter une aide active aux pillards. Il est évident qu'après une heure tôt le dimanche matin, ils avaient pratiquement cessé d'avoir de la valeur en tant que force.

1Régiment de husssards.

 

Les diverses allégations faites contre la force par les Juifs, telles que celle d'être au courant du plan et de donner un signal pour le déclenchement et de retirer la police juive de l'intérieur de la ville, ne sont certainement pas établies et ne semblent pas du tout probables. Ce qui est cependant peu satisfaisant, c'est le fait que plusieurs des Arabes arrêtés pendant les émeutes pour des infractions et des policiers arabes accusés de mauvaise conduite semblent s'être échappés sans poursuites....

Un incident singulier fait suite à l'offre de Jabotinsky et Ruthenberg de mettre à la disposition des autorités locales les bandes de volontaires qui avaient été récemment levées par ces deux messieurs en prévision d'une catastrophe comme celle de ce jour-là.

...Ruthenberg et Jabotinsky ont approuvé, mais ont insisté pour que la police arabe - contre laquelle de nombreuses plaintes avaient déjà été déposées - soit désarmée et que les jeunes juifs soient armés sous leur responsabilité si l'administration le jugeait nécessaire.

... Un certain nombre de tirs de représailles ont eu lieu ce jour-là et il existe des preuves d'attaques et d'arrestations par des Juifs de fellahs arabes soupçonnés d'avoir commis des pillages. .... Plusieurs meurtres et agressions violentes d'hommes, de femmes et d'enfants juifs ont été signalés. Divers cas de pillage se sont produits, le plus important étant le pillage du Collège talmudique, un bâtiment qui a été incendié d'une manière ou d'une autre et qui n'a pas été définitivement établi le jour suivant. La loi martiale a été proclamée à 15 heures ce jour-là et la police, contre laquelle un certain nombre d'accusations graves avaient été portées, a ensuite été retirée.

... Le major Hedog-Jones déclare qu'"en l'absence de la police et des soldats, l'ouverture des magasins dans le Nouveau Bazar et le pillage ont été totalement débridés". Deux cas de viol ont été signalés - une jeune fille musulmane a été tuée par un coup de feu accidentel et des Juifs ont tiré dans les maisons. .... Dans le marché musulman près de New Street, la foule arabe devait être la cible de tirs des troupes avant que la patrouille puisse se rendre à la maison où les cas de viol se sont produits. Dans la soirée de ce jour, la situation semble[p75] avoir été maîtrisée.

... Il est quelque peu remarquable que tant de pillages aient été perpétrés même après la proclamation de la loi martiale. C'est sans doute dû en grande partie à la complexité des rues de la vieille ville et à la difficulté de patrouiller efficacement ce qui est vraiment une espèce de labyrinthe.

Le nombre total de victimes signalées s'élève à 251, dont 9 sont mortes, 22 ont été grièvement blessées et 220 légèrement blessées.

Les plus grandes victimes furent les Juifs qui subirent les pertes suivantes:-

5 tués, 18 dangereusement blessés, 193 blessés, ce qui représente

un total de 216. Sur les cinq personnes tuées, deux l'ont été par les troupes dans des circonstances précédemment liées. Les blessures de deux autres étaient également dues à des balles. Les autres ont été victimes de l'attaque arabe avec des couteaux, des bâtons et des pierres. [p76]

Les musulmans ont subi les pertes suivantes:-

4 tués, tous par armes à feu, 1 dangereusement blessé, 20 autres blessés,

ce qui fait un total de 25. Parmi les quatre personnes tuées se trouvait la jeune musulmane, qui semble avoir été victime d'un coup de feu tiré au hasard.

En plus des pertes susmentionnées, 5 chrétiens (deux blessés par armes à feu) et 7 soldats sont blessés - tous apparemment aux mains de la populace arabe.

Il ressort clairement de ces chiffres que l'attaque a été perpétrée contre les Juifs et que l'attaque contre eux a été perpétrée de la manière habituelle de la foule avec des bâtons, des pierres et des couteaux. Toutes les preuves montrent que ces attaques étaient d'une description lâche et traître, surtout contre des hommes, des femmes et des enfants âgés et souvent dans le dos. L'ensemble des efforts de représailles des Juifs et des autorités militaires n'a fait que 25 victimes.

On dit qu'un certain nombre de fellahs souffrant de légères blessures ont pu s'échapper dans le pays, mais le petit nombre de victimes enregistrées contre la foule est significatif.

...Il est intéressant d'ajouter qu'aucune attaque n'a été faite à aucun moment contre les officiers et les hommes du régiment britannique, et que les officiers britanniques n'ont pas été molestés si l'on excepte une ou deux tentatives de sauvetage de prisonniers : l'attaque était entièrement dirigée contre les Juifs.

...Pratiquement toutes les pertes ont été subies par la communauté juive : seulement quatre musulmans et un chrétien ont présenté des demandes d'indemnisation,

 

L'ÉTENDUE DES SENTIMENTS RACIAUX EN PALESTINE

D'autre part, nous avons les sionistes, dont l'impatience d'atteindre leur but ultime et l'indiscrétion sont en grande partie responsables de cet état de malaise, maintenant amèrement hostile à l'administration britannique et souffrant sous un sentiment de blessures infligées, qui, à leur avis, auraient dû être prévues et évitées. Ils sont prêts à user de leur puissante influence étrangère et nationale pour forcer la main de cette administration ou de toute autre administration future.

 

 CONCLUSIONS.

Les avis suivants sont les opinions considérées soumises à la Cour :-

Que les causes de l'aliénation et de l'exaspération des sentiments de la population palestinienne sont les suivantes:-

Déception devant le non-respect des promesses qui leur ont été faites par la propagande britannique.

Incapacité de concilier la politique d'autodétermination déclarée des Alliés avec la Déclaration Balfour, ce qui donne lieu à un sentiment de trahison et à une anxiété intense pour leur avenir.

Mauvaise interprétation du sens véritable de la Déclaration Balfour et oubli des garanties qui y sont énoncées, en raison de la rhétorique lâche des politiciens et des déclarations et écrits exagérés des personnes intéressées, principalement des sionistes.

Peur de la concurrence et de la domination juives, justifiée par l'expérience et le contrôle apparent exercé par les sionistes sur l'administration.

L'indiscrétion et l'agression sioniste, depuis la Déclaration Balfour qui a aggravé ces craintes.

Propagande antibritannique et antisioniste travaillant sur la population déjà enflammée par les sources d'irritation précitées. [p81]

Que la Commission sioniste et les sionistes officiels par leur impatience, leur indiscrétion et leurs tentatives de forcer les mains de l'Administration, sont largement responsables de la crise actuelle.

Que, dans l'ensemble, l'administration avant les émeutes a maintenu dans des circonstances difficiles une attitude d'égale justice envers toutes les parties et que les allégations de partialité avancées par les deux parties, arabe et sioniste, sont sans fondement.

...

Que le Gouvernorat militaire de Jérusalem n'a pas fait les préparatifs nécessaires en vue d'une éventuelle perturbation du pèlerinage des Nebi Musa malgré les avertissements reçus et une connaissance approfondie de la situation, un tel échec étant probablement dû à une confiance excessive induite par le succès des autorités de police dans la gestion des manifestations précédentes.

Qu'en dépit de l'interdiction des manifestations politiques, le Gouvernorat militaire n'a pas donné d'instructions précises à la police pour empêcher que des discours incendiaires ne soient prononcés à l'occasion du pèlerinage des Nebi Musa.

Que la décision de retirer les troupes de l'intérieur[p82] de la ville à 6 heures du matin le lundi 5 avril, quel qu'en soit le responsable, était une erreur de jugement.

Que les militaires ont été lents à obtenir le plein contrôle de la ville après la proclamation de la loi martiale.

Que la situation qui prévaut actuellement en Palestine est extrêmement dangereuse et exige une gestion ferme et patiente si l'on veut éviter une catastrophe grave.

(Signé) P.C. Palin, général de division, président. G.H. Wildblood, général de brigade, membre C. Vaughan Edwards, lieutenant-colonel, membre A.L. McBarnet, juge aux cours d'appel, Égypte, conseiller juridique.

Port Saïd. 1er juillet 1920.

Le plan de défense préparé par ses troupes du G.O.C. envisageait en fait une attaque contre la population juive.

 

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