Il y a en Cisjordanie, à vingt kilomètres de Ramallah deux villages bien différents, mais pourtant très proches.

Nabi Saleh, compte environ 600 âmes sur une superficie de 284 ha si l’on compte les terres agricoles contestées. C’est un village arabe fondé au XVIe siècle. En 1596 il compte deux ménages . En 1870, l’explorateur Victor Guerin1 estime la population à 150 habitants. En 1922, il sont 105. Le village fait partie des territoires occupés par Israël2 suite à la guerre des six jours en 1967.

A 700 mètres de là, Halamish est une implantation israélienne créée le 16 octobre 1977 sous le nom initial de Newe Tzuf (l’oasis de nectar) par un groupe de juifs orthodoxes. Mais le nom de Newe Tzuf a été refusé par les autorités israéliennes qui ont imposé Halamish (silex, pierre ). l’implantation est installée sur les ruines d’un poste de police britannique à l’époque du Mandat. Initialement composée de quarante familles, sa population s’élève à 1 320 âmes en 2016. C’est à Halamish qu’un Palestinien avait tué le 20 juillet 2017 un père et ses deux enfants après s’être introduit chez eux.

 

Ahed Tamimi fait ses premières armes à 11 ans, devant les ojectifs

 

La propriété des terres sur lesquelles est établi Halamish est contestée par un groupe de Palestiniens du village voisin de Deir Nidham qui la revendiquent. Mais pour le tribunal, il s’agit de terres publiques et non privées.

l’accès à la source d’eau qui alimente les uns et les autres est à l’origine de l’affaire Ahed Tamimi.

En juillet 2008, les habitants d’Halamish commencent à utiliser la source Al-Qaws pour leurs loisirs. Ils la renomment source de Meïr, du nom de Meïr Segal, un des fondateurs d’Halamish. Ils aménagent le site de la source, endommageant arbres et biens selon les plaignants arabes.

Cette source est utilisée côté Nabi Saleh, notamment pour l’arrosage des terres. Elle appartenait à Bachir Tamimi, un oncle de Bassem Tamimi.3

En 2009, un groupe de femmes arabes décident de manifester chaque vendredi contre leurs voisins d’Halamish pour obtenir l’accès libre à la source et à leurs champs. Elle tentent donc chaque semaine de traverser la route qui mène à la source et sont invariablement arrêtées par l’armée postée sur la route. Les manifestations prennent de l’ampleur et contestent plus largement l’occupation israélienne contrevenant ainsi aux dispositions de l’ordonnance 1014

En 2010, la source est classée ’site antique’. l’accès est devenu interdit aux Palestiniens. Les colons continuent d’y accéder et malgré une interdiction de toute construction, aménagent le site. Une porte-parole de l’Administration civile a ainsi déclaré:

 

" Des ruines archéologiques ont été découvertes près de la source de Halamish, et par conséquent, tout travail susceptible de nuire à ce qui a été trouvé y est interdit. les canaux de coordination, l’entrée dans la région du printemps est autorisée - et dans les cas où cela était nécessaire, les Palestiniens ont reçu une escorte de Tsahal pour rendre cela possible. sera remplacé dans les prochains jours.

 

Nabi Saleh obtient à deux reprises de la justice israélienne le droit de revenir à la source mais cela ne dure pas.

 

Colonies juives, villages arabes et sources d’eau : un conflit récurrent

l’OCHA est un bureau de l’ONU chargé de la coordination des affaires humanitaires. En 2012 il publie les résultats d’une enquête sur sur l’accaparement de sources d’eau en Cisjordanie par des colonies et implantations juives. Il publie alors le communiqué suivant5 :

 

" Une enquête publiée lundi par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) montre que les Palestiniens sont de plus en plus coupés des sources d’eau en Cisjordanie parce que les colons israéliens prennent le contrôle des points d’eau à coup d’intimidations, de menaces et de violence.

Trente sources sont de cette façon entre les mains de colons israéliens, qui les utilisent de manière exclusive en empêchant l’accès des Palestiniens, selon cette enquête effectuée au cours de l’année dernière.

Selon l’enquête, 56 sources d’eau se trouvent à proximité de colonies israéliennes, dont une majorité sont situées dans la « zone C », qui couvre environ 60% de la Cisjordanie où Israël garde le contrôle sans partage en matière de planification et de construction, et sur des terres qui appartiennent à des personnes privées palestiniennes.

« Malgré une chute de leur débit, les sources d’eau restent la plus importante ressource en eau pour l’irrigation et une source importante pour l’abreuvage des animaux », a indiqué l’étude de l’OCHA. Les sources servent aussi pour couvrir les besoins des Palestiniens eux-mêmes.

l’étude montre que la perte d’accès aux sources et aux terres avoisinantes a réduit les revenus des agriculteurs affectés, qui sont soit obligés d’abandonner la culture de leurs terres soit de voir disparaître une partie considérable des récoltes. 

 

La famille Tamimi constitue le socle des habitants de Nabi Saleh. Le père, Bassem, né en 1967 est un activiste régulièrement arrêté par les autorités israéliennes. Il est condamné pour avoir lancé de pierres sur les militaires ou pour avoir organisé des manifestations non autorisées. Avec sa femme Nariman, ils ont quatre enfants dont Ahed Tamimi né en 2001.

Le 9 décembre 2011, alors qu’ils lançait des pierres sur une jeep de l’armée qui repartait, Mustafa Abderrazek al-Tamimi, un cousin d’Ahed a reçu une balle lacrymogène tirée depuis la Jeep située à une vingtaine de mètres. Il est grièvement blessé sous l’oeil. Transféré immédiatement en Israël, à l’hôpital Beilinson de Petah Tikvah, il est opéré dans la nuit mais décède le lendemain. Ses obsèques seront suivies par 2000 personnes.

 

 

Mustafa Tamimi, en blanc, lors du tir du projectile lacrymogène

En huit ans, il est la 20e personne tuée dans ce type de manifestations en Cisjordanie.6

 

Le jeune homme a été mis en terre, enveloppé d’un drapeau palestinien, accompagné par ses proches en larmes et la foule arborant des drapeaux Palestiniens et des drapeaux du Fatah, le parti du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.

Certains participants scandaient "Notre riposte viendra cette nuit", et "Personne ne nous arrêtera", menaçant de se venger sur la colonie juive voisine de Halamish.

Un parlementaire palestinien, Walid Assaf, a cependant appelé la foule à "poursuivre la lutte pacifique contre la colonisation et l’occupation", sans recourir à la violence.

A l’issue de l’enterrement, plusieurs centaines de jeunes Palestiniens ont caillassé les soldats israéliens présents qui ont riposté à coups de grenades lacrymogènes. Cinq protestataires ont été légèrement blessés par des gaz lacrymogènes et des balles caoutchoutées, et soignés sur place, selon des témoins.7

 

Selon Sarit Michaeli, la porte-parole de l’organisation non gouvernementale B’Tselem (Centre israélien d’information sur les droits de l’homme) , les soldats ont des consignes de ne pas tirer mais ne les respectent pas, au risque de tuer les manifestants. l’organisation écrit dans un communiqué :

 

 Depuis plusieurs années, B’Tselem avertit les autorités que les forces de sécurité lancent des bombes lacrymogènes directement sur les personnes lors des manifestations. l’organisation a exigé - tant lors des réunions avec les hauts responsables militaires que par lettre - que les commandants précisent aux soldats qui servent sur le terrain que le fait de tirer des bombes lacrymogènes directement sur une personne est illégal. Le gaz lacrymogène est censé servir de mesure de contrôle des foules non létale, et son utilisation comme substitut au tir réel est interdite. Par conséquent, le fait de tirer des bombes lacrymogènes directement sur des personnes enfreint les règles d’engagement.

 

Selon le porte-parole de Tsahal, ces manifestations n’ont pas de raison d’être :

 

 rien n’empêche les Palestiniens d’atteindre les terres entourant le village de Nabi Saleh, et les raisons de ces manifestations ne semblent pas claires. De plus, les perturbations et la violence dans la région se produisent souvent parallèlement au travail agricole.

 

l’ONG B’Tselem installée en Cisjordanie, comprenant le parti qu’elle pouvait tirer des personnalités et des actions de Nabi Saleh confie aux Tamimi des caméras afin de filmer en continu les actions de l’armée dans ce coin de la Cisjordanie. Bilal Tamimi, neveu de Bassem est chargé de filmer. Il fonde l’agence Tamimi press.

l’intrusion des caméras change les comportements. Quelques israéliens et des militants d’autres pays se joignent aux habitants. Les manifestants poussent plus loin les provocations tandis que l’armée semble tétanisée. On voit la petite Ahed, dès l’âge de 1ans, insulter les soldats en tête à tête ou brandir le poing.

 

 La première fois, elle n’est qu’une frêle petite fille de 11 ans quand elle lève le poing face à un soldat israélien. Elle menace, pleine d’aplomb, de lui « éclater la tête ».8

On la voit les mordre et les frapper. Elle a très vite conscience de la portée des images où elle figure.

L’armée israélienne sait comment contenir et répondre à la violence, mais ce cas de figure semble la dépasser. On peut penser qu’un soldat russe, turc ou algérien aurait trouvé une solution, même devant les caméras.

 

Ahed Tamimi attendant son procès

 

L’intifada « 2.0 » selon certains est commencée, chaque action étant diffusée et commentée sur les réseaux sociaux. Les Tamimi et l’armée jouent tous le rôle qu’attendent leurs partisans.

Les scènes se succèdent avec plus ou moins de diffusions et d’échos. Celle du 28 août 2015, ou toute la famille Tamimi bouscule et mord un soldat qui tente d’entraver le petit frère Tamimi au bras dans le plâtre devient célèbre. En 2012, Ahed avait été reçu par le président turc Erdogan qui la félicite pour ses actions.

Ahed Tamimi est l’auteur de déclarations non ambiguë sur Israël :

 

 Nous nous opposons au racisme, au sionisme, à tout le système d’occupation et pas seulement aux colonies. 

 

Mais c’est l’affaire de la gifle qui va provoquer l’arrestation de la jeune femme qui a maintenant 17 ans. Elle est arrêtée le 19 décembre 2017, 4 jours après avoir insulté et giflé un soldat devant ( ou dans, c’est selon) la courette de sa maison.

Elle est arrêtée à cause de l’incident du 15 décembre, « mais aussi pour des faits antérieurs dont elle est soupçonnée, comme des jets de pierres et des agressions contre les soldats », selon le juge qui a validé sa garde à vue.

Sur une vidéo que filme sa mère, juste après l’épisode de la gifle, Ahed Tamimi déclare :

 

 (…) que ce soient des attaques au couteau, des opérations de martyrs (c’est à dire des attentats-suicides à la bombe), des jets de pierres, tout le monde doit agir pour que nous puissions ainsi nous unir et permettre de faire passer notre message comme il convient, et atteindre l’objectif qui est la libération de la Palestine, si Allah le veut. 

 

La raison de sa colère ce jour là serait qu’un cousin à elle , Mohammed Al-Tamimi, 15 ans venait d’être blessé à la tête par des balles en caoutchouc israéliennes. La photo de ce dernier circule sur internet. En attente d’une reconstruction crânienne, il montre un visage déformé, assez impressionnant. l’armée israélienne affirme que c’est la suite d’une chute de vélo. Le jeune aurait été percuté en pleine tête par le guidon en tombant..

Ahed Tamimi encourt une peine de sept ans de prison suite aux douze chefs d’inculpation à son encontre. Finalement seuls quatre sont retenus.

Elle est jugée à huis clos à partir du 13 février, tandis que partout dans les mondes des comités Ahed suivent et médiatisent l’affaire. Des pétitions en ligne circulent aussi.

Finalement le verdict est rendu le 22 mars 2018. Ahed Tamimi est condamnée à 8 mois de prison. Elle a plaidé coupable pour éviter les fourches caudines de l’ordonnance 101. Compte tenu des quatre mois déjà écoulés en prison, sa sortie est attendue pour juillet.

 

“ Selon l’ONG palestinienne Addameer, 274 mineurs palestiniens ont été arrêtés depuis le début de l’année 2018, et attendent à leur tour d’être jugés par un tribunal militaire israélien, où le taux de condamnation dépasse les 99%. 9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du côté de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas vieillit, il a 83 ans. Marwan Barghouti est toujours en prison. Mohammad Dahlane, grand rival d’Abbas ou Saeb Erekat, ancien négociateur d’Oslo et secrétaire général de l’OLP peuvent peut-être prendre la relève. Mais il faudra certainement compter dans quelques années sur Ahed Tamimi dont les actions ont déjà montré quelle résonnance elles peuvent avoir chez les Palestiniens et leurs soutiens.

La famille Tamimi compte une personne qui s’est illustrée il y a quelques années en conduisant le 9 août 2001 le terroriste Izz al-din Shuheil al-Masri sur le site de la pizzeria bondée Sbarro dans un quartier animé de Jérusalem. Il se fait sauter faisant 15 morts et 130 blessés.10

Pour le journal Haaretz, pas vraiment favorable au pouvoir durant l’ère Nétanyahu, la famille Tamimi est moins pacifique qu’elle ne veut le faire croire.

 

“ Le père Bassem Tamimi a écrit en Octobre 2015 un article sur Facebook « alléguant que des Israéliens détenaient des enfants palestiniens pour leur voler leurs organes, et que les sionistes contrôlaient les médias pour supprimer cette information. Ce poste est d’autant plus remarquable que Bassem Tamimi encourage régulièrement ses propres enfants à affronter les soldats israéliens et a souvent préconisé la participation des enfants aux manifestations et aux manifestations.

Bassem Tamimi a également précisé qu’il appréciait le groupe terroriste libanais Hezbollah pour avoir combattu contre Israël, et il a récompensé un poste glorifiant les brigades du Hamas Al Qassam sur la page Facebook de sa fille avec un "Like"...

Nariman Tamimi - l’épouse de Bassems et la mère d’Ahed - ne manque presque jamais prendre parti sur Facebook, après une attaque terroriste pour féliciter l’agresseur comme un héros..

En juin 2016, [elle publie un ] post qui honore l’adolescente terroriste palestinienne qui venait de tuer Hallel Yaffa Ariel, 13 ans, dans son sommeil, après avoir fait irruption dans sa maison. ..

Alors que Nariman Tamimi publie habituellement en arabe sur Facebook, Manal Tamimi représente les Tamimis sur les réseaux sociaux en anglais depuis plusieurs années. Sa production sur Twitter, en particulier, reflète une intense haine des Juifs et un soutien indéfectible au terrorisme.

Pour Manal Tamimi, Yom Kippour est le jour où "le sioniste vampire célèbre en buvant du sang palestinien" - une pratique qui, elle l’espère, finira par s’avérer mortelle. Quand un tireur arabo-israélien a tué deux personnes et en a blessé sept dans un pub à Tel-Aviv le 1er janvier 2016, Manal Tamimi était en liesse: "#TelAviv sous le feu - Il n’y a aucun endroit sûr où ces sionistes peuvent se cacher". tweet orné d’une émoticone de victoire. 11

 

Le 10 avril, la jeune fille incarcérée accuse ses geoliers de maltraitance. Lors d’une conférence de presse tenue à Ramallah, son père accuse les Israéliens :

 

 Les séances d’interrogatoires ont eu lieu après différents types de pressions physiques et psychologiques… Elle a été privée de sommeil pour une longue période et subi son dernier interrogatoire alors qu’elle n’avait pas dormi depuis 34 heures.

 

L’avocat d’Ahed Tamimi a par ailleurs déposé une plainte pour « la conduite inappropriée d’un officier israélien ». Plainte que l’armée assure vouloir « examiner avec soin ».

Ahed Tamimi est libérée le 29 juillet 2018. Elle effectue alors une 'tournée' suite aux invitations qu'elle a reçue, en France (fête de l'humanité), en Turquie et en Tunisie. Lors d'une interview elle confirme son geste envers le soldat dans une interview à la radio

Ils ont occupé nos terres, ils ont tiré sur des enfants en bas âge et pris pour cible des maisons et des personnes, tout le monde devrait gifler les soldats.

Elle ajoute aussi vouloir « continuer sur la voie des martyrs » et s’est dite prête à mourir « pour la libération de la Palestine ». Elle appelle ensuite ,lors d'un interview à la télévision tunisienne, à « la libération de la Palestine dans son intégralité ».

Excepté le facteur religieux, elle semble ainsi rejoindre la philosophie (martyrs) et les buts du Hamas (disparition d'Israël)

 

1 Victor Guerin (1821-1890) a mené de nombreuses missions en Palestine (1852, 1854, 1863). Il en revient convaincu que « en Orient, presque toutes les questions politiques deviennent en même temps des questions religieuses » Il est l’auteur d’une « Description géographique et archéologique de la Palestine »

2 Pour mémoire, la Cisjordanie était alors occupée et annexée par la Transjordanie, transformée en Jordanie. C’est cette dernière qui a attaqué Israël le 5 juin, persuadée que l’Égypte volait de victoires en victoires, comme le répétaient les messages radios du Caire.

3Gideon Levy, Haaretz, 22/04/2010

4Cf infra

6 B’Tselem, cité par le Parisien et l’obs du 11 décembre 2011, Heurts en Cisjordanie lors des obsèques d’un manifestant palestinien.

7l’obs du 11 décembre 2011

8Le Parisien, 13 février 2008, R.K.

9 Libération, Guillaume Gendron, 21 mars 2018

10Cf supra 9 aout 2001

11Haaretz, Petra marquardt-bgiman, 05/01/2018

 

Voir aussi :

 - l'ordonnance 101 de 1967

 - l'incarcération des mineurs en Israël et chez ses voisins

 

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