Sabra et Chatila sont des camps de réfugiés, en fait des véritables petites villes fermées, abritant des Palestiniens et des Libanais au Sud Liban. Chatila abrite 18 000 personnes. Suite à l'assassinat de Bechir Gemayel, le phalangiste Elie Hobeika1, dont une partie de la famille ainsi que sa fiancée ont été tués en 1976 par une milice palestinienne, fait entrer ses troupes dans ces camps où elles se livrent à un véritable massacre. Il vient lui-même encourager ses troupes à n'épargner personne pour venger Bachir

Au total, entre 800 et 2 000 personnes sont exécutées ou disparaissent. Des femmes sont violées, des enfants et des vieillards abattus, des hommes emportés vers des destinations inconnues. Commencé le 16, le massacre est mené par des phalangistes chrétiens et des miliciens des Forces libanaises, alliés de l'armée israélienne depuis le début de son invasion du Liban, le 6 juin. 2

Le retentissement du massacre, qui s'inscrit dans la lignée des épisodes de Karantina, Damour, et Tar El-Zaatar en 1976, est énorme. Les responsables mis en accusation, hors Israël, sont finalement plus les soldats israéliens que les phalangistes, rapidement oubliés.

 


La presse se fait largement l'écho du massacre

En Israël, une manifestation monstre est organisée par le mouvement La paix maintenant, regroupant 400 000 personnes soit 10 % environ de la population du pays. une commission d'enquête, la commission Kahanne est nommée. Elle rend son rapport [ voir le rapport ] en 1983 Par contre le Liban ne mène pas d'enquête sur le massacre.

La commission conclut à la responsabilité directe des phalangistes et indirecte de plusieurs dirigeants israéliens dont Ariel Sharon pour n'avoir pas prévu la tragédie qui résulterait de l'entrée des phalangistes dans les camps. Ariel Sharon démissionne. La commission indépendante menée par Sean McBride , cofondateur d'Amnesty international considère Israël comme  directement responsable du massacre du fait de sa position d'occupant  et notamment du fait d'avoir permis aux phalanges d'entrer dans les camps pour une action prévisible et de leur avoir facilité la tâche en lançant des fusées éclairantes.

Le massacre est défini comme « un acte de génocide » par l'Assemblée Générale des Nations unies en décembre de la même année par 123 voix pour, 0 contre et 22 abstentions. Le Conseil de sécurité de l'ONU refuse toute enquête et le Liban proclame en 1991 l'amnistie générale.

Selon Alain Louyot, un des premiers journalistes à entrer dans les camps,

Les Israéliens, eux, ont été au minimum coupables de non-assistance à personne en danger. Ils étaient comme au balcon au dessus de l'horreur. Tsahal, l'armée israélienne, avait un QG de 6 étages qui dominait le camp; des checkpoints entouraient tout le secteur, et Tsahal éclairait le camp. S'ils avaient voulu, il leur aurait été facile d'arrêter cette boucherie qui a duré plus de 12h.3

Autre lieu, quelques années plus tard : en 1995, trois cents musulmans, des civils de Bosnie, pourchassés par les troupes bosno-serbes de Ratko Mladic, cherchaient refuge sur la base néerlandaise des soldats de la paix de l'Onu près de Srébenica. Les soldats de la force internationale les ont expulsés de la base. Ils furent massacrés, comme les 7300 autres musulmans de l'enclave. Les Pays-Bas n'ont pas été retenus par la presse, les politique ou l'opinion comme les principaux responsables du massacre dans cette guerre qui a fait près de deux fois plus de victimes4 et réfugiés que la totalité des conflits israélo-arabes depuis 1947. Le 27 juin 2017, la cour d'appel de la Haye a confirmé la responsabilité des Pays-Bas qui avaient facilité la séparation des hommes et des garçons musulmans et ne pouvaient ignorer qu'ils les envoyaient se faire massacrer.

Le massacre dans les camps de Sabra et Chatila a été justement dénoncé. Il n'est pourtant qu'une goutte d'eau sanglante dans le massacre de la population civile libanaise durant la guerre civile dans laquelle les Palestiniens civils et miliciens ont aussi payé le prix fort, puisque le nombre de morts palestiniens est sans doute compris entre 50 000 et 70 000.

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Liban : population et victimes palestiniennes

La population palestinienne se monte officiellement à 450 000 réfugiés en 2005 selon l’UNRWA (agence des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens), mais n’atteint probablement que 300 000 à 350 000 personnes en raison de l’émigration. En 1997, l’ACS5 a estimé la population palestinienne à 200 000 personnes.

La majeure partie de cette population est regroupée dans douze camps gérés par l’UNRWA, mais environ 44 % des réfugiés identifiés par cette agence ne sont pas enregistrés dans les camps. Les camps principaux sont ceux de Aïn el-Heloueh, à côté de Saïda, avec environ 30 000 personnes recensées, et ceux de Beddaoui et Nahr el-Bared au Nord, ainsi que ceux de la banlieue de Tyr. Dans la banlieue de Beyrouth, les camps accueillent aujourd’hui une population diverse. Aux Palestiniens se mêlent ouvriers syriens, égyptiens ou soudanais, domestiques sri-lankais ou philippins. Des regroupements informels, nombreux dans le Sud notamment, doivent être pris en compte.

La population palestinienne a durement subi la guerre. Les estimations vont de 50 000 à 75 000 morts pour les victimes palestiniennes, miliciens et civils. Plusieurs camps et regroupements informels ont été détruits ou leur population massacrée. Le massacre de Sabra et Chatila (1982) demeure le symbole de la violence endurée par les Palestiniens. Aujourd’hui encore, l’UNRWA continue d’identifier les originaires des camps de Dekouaneh, détruit en 1976 par les milices chrétiennes, et celui de Nabatieh, également détruit durant la guerre.

Les Palestiniens du Liban subissent jusqu’à aujourd’hui une situation d’exclusion sociale et économique sans pareille dans les autres pays arabes. Ils sont soumis à des restrictions dans l’accès au marché du travail. Jusqu’en 2005, ils étaient exclus de 72 professions, une mesure récemment adoucie. Leur accès à la propriété foncière et immobilière est également restreint. Or, parallèlement, les ressources qui finançaient les institutions scolaires ou médicales au service de la population palestinienne, qu’elles émanent de l’OLP ou de l’UNRWA, se tarissent et sont réorientées vers les Territoires palestiniens. Les Palestiniens du Liban vivent une situation sociale dramatique. La radicalisation politique islamique observée ces dernières années, notamment dans les camps du Sud, moins contrôlés par les services syriens et libanais, doit se comprendre dans ce contexte.6

 

1 Elie Hobeika sera nommé commandant en chef des forces libanaises en mai 1985, démis en 1986 puis ministre de 1990 à 1998. D'allié des israéliens, il était devenu l'allié des syriens. Il est tué dans un attentat à la voiture piégée le 24 janvier 2002 qui l'a projeté à une cinquantaine de mètres de son véhicule.

2 Le Monde – Sabra et Chatila – un massacre évitable 17/09/2012 par Sylvain Cypel.

3 Alain Louyot in l'Express , propros recueillis par Catherine Goueset publié le 18/09/2012.

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-Moyen-Orient/sabra-et-chatila-il-fallait-enjamber-les-cadavres-pour-avancer_1162299.html

4 La guerre de Bosnie a fait environ 100 000 morts et 2 millions de réfugiés en 3 ans (avril 1992- décembre 1995)

5Administration Centrale des Statistiques du Liban

6 Atlas du Liban, territoire et société , Eric Verdeil, Ghaleb Faour et Sébastien Velut, Presses de l'institut français du Proche-Orient, 2007, chapitre 3. 55

 

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