Source : observatoire des inégalités

La situation financière des Français les plus modestes s’améliore légèrement

La troisième édition du rapport de l’Observatoire des inégalités souligne que la situation sur le front de l’emploi demeure critique. En France, la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 13,6 %, l’un des taux les plus bas d’Europe.

Par Isabelle Rey-Lefebvre et Audrey Tonnelier Publié hier à 18h26, mis à jour à 07h02

 

 

Plus de six mois après le début du mouvement des « gilets jaunes », le thème est plus d’actualité que jamais. La troisième édition du rapport de l’Observatoire des inégalités (publié tous les deux ans), parue le 4 juin, dresse pourtant un état des lieux nuancé des inégalités de revenu, d’éducation, d’emploi ou de modes de vie.

Bien qu’elle n’ait jamais retrouvé son niveau d’avant 2008, la situation financière des 10 % des ménages les plus modestes s’améliore légèrement et l’écart avec les 10 % des ménages les plus riches se stabilise selon des données de 2016. Ces derniers gagnent, en moyenne, 48 000 euros de plus par an, impôts déduits et prestations sociales incluses, une différence qui a augmenté de 10 000 euros en vingt ans mais qui stagne depuis 2012. Il y a par ailleurs 160 000 demandeurs d’emplois en moins entre 2015 et 2018 et moins d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA, – 5 %, 95 000 personnes).

« Les mesures prises depuis l’élection d’Emmanuel Macron, en mai 2017, ne sont pas prises en compte dans cette étude, mais la revalorisation des allocations de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) et aux adultes handicapés, comme celle de la prime d’activité, conforte ce progrès. Les plus riches ont, en revanche, bénéficié, depuis 2017, de considérables allègements fiscaux, et l’écart avec les plus pauvres pourrait bien se creuser à nouveau », craint Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités et auteur de ce rapport.

Un ménage disposant de 400 000 euros de revenus financiers annuels – dividendes, intérêts sur l’épargne, cessions d’actions – engrange, depuis l’instauration, au 1er janvier 2018, du prélèvement forfaitaire unique de 30 %, un cadeau fiscal de 100 000 euros.

 

La précarité pour 12 % des salariés

« Mais le système de redistribution à la française fonctionne », affirme M. Maurin. Ainsi, les 10 % des personnes les plus pauvres perçoivent 281 euros par mois avant prestations sociales mais 821 euros après. La proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (60 % du revenu médian, soit 1 026 euros par unité de consommation et par mois) atteint 13,6 % en France. C’est l’un des taux les plus bas en Europe, derrière les Pays-Bas (12,7 %), la Norvège (12,2 %), le Danemark (11,9 %) ou encore la Finlande (11,6 %), mais loin devant le Royaume-Uni (15,2 %) et l’Allemagne (16,5 %).

La persistance de la pauvreté est également moins forte en France ; 2,4 % des Français ont connu cet état durant deux ans au cours des trois années précédentes (chiffre de 2015), contre 5,7 % de moyenne en Europe, 5,5 % en Allemagne et 3,9 % au Royaume-Uni. Seuls la Norvège, la Finlande (1,9 %) et le Danemark (0,6 %) font mieux.

Autre bonne nouvelle, la précarité énergétique, c’est-à-dire la part des ménages qui consacrent plus de 8 % de leur budget à l’énergie (chauffage, éclairage…), a diminué entre 2013 et 2017, de deux points, passant de 13,8 % à 11,9 %. Mais cette amélioration pourrait être de courte durée. En cause : le coût de l’énergie, qui a augmenté de 13,5 % entre l’été 2017 et la fin 2018, alors que les tarifs étaient restés sages entre 2013 et 2017.

Si les ménages sont un peu plus à l’aise sur le plan financier, c’est sur le front de l’emploi que la situation est critique. « Plus de 8 millions de personnes sont en situation de mal-emploi, dont 2 millions de travailleurs pauvres, c’est-à-dire avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté », précise le rapport. En 2014, 12 % des salariés avaient un statut précaire, alors que cette part a grimpé à 13,4 % en 2017. Ces salariés travaillent dans des services flexibilisés au maximum, où l’on vous adresse vos horaires de travail par SMS la veille au soir ou le matin même. Ils sont les bataillons de la grande distribution, de la restauration collective, de la sécurité, le personnel soignant, de ménage ou encore celui des services à la personne.

 

 

Le point noir des inégalités à l’école

Plus précaires avec un travail plus pénible, ou contraints à des rythmes aléatoires, en 2016 28 % des ouvriers non qualifiés ne connaissent pas à l’avance leurs horaires, contre 23 % en 2013. « Un actif sur quatre subit une insécurité sociale. C’est l’une des fractures majeures de la société française, car ne pas savoir de quoi le lendemain sera fait est anxiogène », insiste M. Maurin.

Au-delà des inégalités de revenus, l’ascenseur social reste en panne depuis dix ans. La part des enfants d’ouvriers qui font des études supérieures reste désespérément stable à 14 %, dix points en dessous de leur poids dans la population.

Et les inégalités à l’école demeurent toujours un point noir du système français, rappelle le rapport. « Le système scolaire français reste formaté pour la réussite des enfants des classes sociales favorisées (…) notamment les 18 % de la population qui possèdent un diplôme de niveau licence ou plus », rappellent ses auteurs.


La part des enfants d’ouvriers se réduit au fur et à mesure de la scolarité. S’ils représentent un quart des élèves, reflet de leur part dans la population française au collège, ils ne sont plus que 7 % dans les classes préparatoires aux grandes écoles, et seulement 3 % dans les écoles normales supérieures.

L’origine sociale des étudiants de BTS est, elle, fidèle à la composition de la population. « Grâce à cette filière notamment, les enfants de milieux populaires réussissent à atteindre un bon niveau d’études. Il s’agit bien d’une voie de promotion sociale pour eux », note le rapport.

Et si, en vingt-cinq ans, l’enseignement supérieur s’est ouvert aux catégories populaires, la part de diplômés a aussi augmenté chez les cadres supérieurs et professions intermédiaires, de sorte que l’écart de diplôme ne se réduit que légèrement : les 45-49 ans sont 2,1 fois plus nombreux à être diplômés du supérieur chez les plus favorisés que chez les plus modestes, contre 1,6 fois dans la tranche 20-24 ans

« Les inégalités liées à l’école sont au moins autant une question de redistribution des moyens [entre les filières] que de moyens en général », estime M. Maurin. A cette aune, le directeur de l’Observatoire juge les mesures prises par le chef de l’Etat peu adaptées : « Le dédoublement de certaines classes ou la suppression de l’ENA ne sont pas à la hauteur des enjeux. Rien n’est réellement fait pour lutter contre les inégalités de destin, très liées au milieu de naissance. »

Les ménages français aisés sont parmi les plus riches d’Europe

Le rapport de l’Observatoire des inégalités rappelle que les 1 % des Français les plus riches le sont non seulement de France mais aussi d’Europe, hormis la Suisse. Ils atteignent un niveau de vie de 6 977 euros par mois et par personne, sous les 8 918 euros des Suisses mais devant les 6 116 euros des Allemands et les 5 811 euros des Anglais. « Ces données sont mesurées après impôts et invalident la thèse d’une fuite des super riches sous l’effet de la pression fiscale, observe Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire. La France est le pays d’Europe où les plus aisés gagnent le plus d’argent. »

 

 

 

 

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