Rabaut Saint-Etienne, Robespierre et de Machault

La liberté de la presse


       

Sous l’Ancien Régime, toute publication était soumise à une sévère surveillance et  pouvait mener à l’emprisonnement des auteurs et imprimeurs. Néanmoins, ce contrôle et la censure se sont rapidement révélés inefficaces tant le nombre de publications augmentait. Le 24 août 1789, l’Assemblée nationale constituante ouvre un débat sur la liberté de la presse à laquelle une majorité de députés est favorable, à l’exception de quelques membres du clergé attachés à la censure, et dont Louis-Charles de Machault, évêque d’Amiens, fait partie.
Les députés révolutionnaires, parmi lesquels Rabaut Saint-Etienne, député de Nîmes, et Robespierre, député d’Arras, défendent le texte qui est adopté. Désormais : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté dans les cas prévus par la loi ».

           

M. Rabaut Saint-Etienne : C'est avec empressement que j'appuierai les divers projets des préopinants. Cependant il nous est impossible d'en conserver un aussi vague, aussi insignifiant que celui du sixième bureau.
Ce serait manquer à nos mandats que de ne pas assurer la liberté de la presse ; mais nos cahiers nous prescrivent encore un devoir, celui de consacrer à jamais l'inviolabilité du secret de la poste ; nos cahiers nous le recommandent, et l'article du sixième bureau n'en parle pas. Il y a lieu d'espérer que, réfléchissant sur la sainteté de nos devoirs et sur les dangers de remplir la déclaration des droits de détails insignifiants, nous nous empresserons de remplir nos mandats sur un objet aussi essentiel. Quant à la presse, il est inutile de vous en démontrer les avantages. À qui les annoncerions-nous ? Serait-ce au peuple ? Mais les ordres qu'il nous donne annoncent qu'il les connaît. Serait-ce à nous-mêmes ? Mais nos lumières sont dans nos cahiers.
 
Cependant, il faut le dire : la liberté de la presse n'est pas sans inconvénients. Mais faut-il aussi, pour cette rai-son, rétrécir une liberté que l'homme ne tient que de lui-même ? En faisant des lois, aurons-nous plutôt égard au droit en lui-même qu'à l'abus que l'on peut en faire ? Dans l'ouvrage le plus sage, le plus modéré, ne trouve-t-on pas toujours quelque chose susceptible d'une interprétation maligne ? Interprétation qui est bientôt devenue un art perfectionné par le despotisme et l'inquisition de la police.
 
Si l'on s'élève contre un homme en place, il s'écrie que l'ordre est troublé, que les lois sont violées, que le gouvernement est attaqué, parce qu'il s'identifie avec l'ordre, avec les lois et avec le gouvernement.
Placer à côté de la liberté de la presse les bornes que l'on voudrait y mettre, ce serait faire une déclaration des devoirs au lieu d'une déclaration des droits. Jamais article ne fut plus important. Si d'un mot mal combiné il en coûtait une larme, un soupir, nous en serions responsables. Si de quelque article rédigé dans le tumulte, il en résultait l'esclavage d'un seul, il en résulterait bientôt l'esclavage de tous ; la servitude est une contagion qui se communique avec rapidité.

M. Robespierre : Vous ne devez pas balancer de déclarer franchement la liberté de la presse. Il n'est jamais permis à des hommes libres de prononcer leurs droits d'une manière ambiguë ; toute modification doit être renvoyée dans la Constitution. Le despotisme seul a ima¬giné des restrictions : c'est ainsi qu'il est parvenu à atténuer tous les droits... Il n'y a pas de tyran sur la terre qui ne signât un article aussi modifié que celui qu'on vous propose. La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées. (Un curé du bailliage de Metz présente son cahier qui demande que tous les ouvrages soient soumis à la censure. On allait délibérer, lorsque M. l'évêque d'Amiens a demandé la parole, et l'on a cru devoir faire une exception au règlement pour entendre le prélat).

M. de Machault : Je satisfais à ma conscience qui me presse, ainsi qu'au mandat que j'ai reçu : il y a du danger pour la religion et les bonnes mœurs dans la liberté indéfinie de la presse. Combien la religion n'a-t-elle pas souf¬fert des attaques que la licence des écrits lui a portées ! Combien le repos de la société n'a-t-il pas été compromis ! Combien de pères de famille peuvent être alarmés pour leurs enfants des mau¬vais principes de certains ouvrages !... Je termine en proposant un amendement pour la conservation des mœurs et l'intégrité de la foi.

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