L’histoire de la Pologne d’après-guerre a connu trois vagues massives d’émigration de citoyens polonais d’origine juive vers Israël : dans les années 1946-1949, 1956-1959, et 1968-1970. Cet article est consacré à la vague d’émigration relativement la moins connue et la moins bien décrite, celle des années 1956-1959

... Onze ans après la
fin de la guerre et l’instauration d’un nouveau régime politique, la Pologne a connu sa première vague importante de mouvements de protestations ouvrières. Les Polonais revendiquaient des changements, alors que s’achevait la difficile époque de la « terreur stalinienne ».

.... En octobre 1956, le Comité Central du Parti Ouvrier Unifié Polonais (POUP) a nommé Władysław Gomułka au poste de Premier Secrétaire du Parti. Débutait ainsi une période communément appelée « dégel », et qui s’est déclinée par une relative liberté intellectuelle, l’atténuation de la censure mais aussi, malheureusement, une recrudescence du climat antisémite dans la société. Les nouvelles autorités ont estimé d’autre part qu’il fallait assouplir les procédures d’émigration pour les citoyens polonais d’origine juive et leur permettre de partir en Israël.

Les personnes qui faisaient partie de la vague d’émigration des années 1956-59 (appelée officieusement « émigration gomułkowska » – du nom de Władysław Gomułka) n’y étaient pas contraintes, mais il n’en reste pas moins qu’elles devaient ressentir une pression en raison de l’antisémitisme croissant ou, tout simplement, se sentir déçues par la situation en Pologne. Les Juifs n’espéraient plus que le socialisme, une fois pour toutes, mît fin à toutes les formes de préjugés raciaux ou religieux ou garantît une égalité des droits à tous les citoyens de Pologne. La volonté de partir de Pologne était encore amplifiée par la mauvaise situation économique locale et par un sentiment de solitude croissante dans un pays que la majorité des Juifs était sur le point de quitter. Un autre élément décisif était l’appréhension que ressentaient pour leurs enfants les parents des familles athées et juives, face à la réintroduction prochaine et généralisée de l’enseignement de la religion catholique dans les écoles. Conformément à l’arrêté du ministre de l’Éducation du 8 décembre 1956, l’enseignement de la religion dans toutes les écoles a été introduit en tant que matière facultative (ce n’est que dans les établissements scolaires fonctionnant sous la tutelle de l’Association des Amis des Enfants [Towarzystwo Przyjaciół Dzieci] (TPD) qu’il n’y avait pas de leçons de religion car, depuis 1949, les statuts de cette institution prônaient le modèle laïque d’éducation). Aussi craignait-on la stigmatisation et d’autres formes de brimades.


 Une sorte de « psychose d’émigration » a influé sur la décision de partir de personnes qui n’étaient pourtant pas des sionistes et, qui plus est, s’opposaient au sionisme et à l’État d’Israël. Cependant, craignant pour leurs proches, et appréhendant la perspective de vivre en Pologne au sein d’une communauté juive très restreinte, ces personnes ont décidé de quitter leur pays. Rappelons aussi que, dans les années 1951-1955, les possibilités de quitter la Pologne étaient particulièrement limitées. Par ailleurs, tous ceux qui, pour diverses raisons, n’avaient pas réussi à partir immédiatement après la guerre, saisirent cette opportunité.


 La plupart des membres d’origine juive du POUP excluaient la possibilité d’émigrer. Pour beaucoup d’entre eux, il était inconcevable de quitter la Pologne, car cela équivalait à renier leurs convictions les plus profondes. « Je croyais en Staline et en la patrie comme mon père croyait au Messie » – m’a confié l’un de mes interlocuteurs, parce que la Pologne était leur patrie et qu’il n’était pas possible de la remplacer par une autre. Les Juifs qui quittaient le pays savaient qu’ils partaient en exil, alors même que de nombreux Polonais souhaitant partir ne le pouvaient pas. Ce fut d’ailleurs l’un des paradoxes de l’existence polono-juive dans le contexte de la Pologne communiste.


8 Sur le plan des motifs du départ, une distinction nette se dessine entre ceux de la vague d’émigration antérieure des années 1946-1949, profondément marquée par l’Holocauste et les pogromes de l’après-guerre, et les motifs énoncés par ceux qui faisaient partie de l’« Aliyah Gomułka ». Aucune des personnes interviewées n’a indiqué, comme cause de son départ, l’impossibilité d’habiter plus longtemps dans un pays où ses proches avaient trouvé la mort.

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Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem 22 | 2011 Varia

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