Le président Égyptien, à la surprise générale a accepté de venir à Jérusalem à l'invitation du premier ministre israélien Menahem Begin. Il s'exprime devant la Knesset.

 

 

« Ein brera, on n'a pas le choix, dit-on en hébreu, il faut toujours espérer. Paix à tous sur la terre arabe, en Israël et partout dans ce vaste monde, un monde tourmenté par ses conflits sanglants, foisonnant de contradictions aiguës, menacé périodiquement par des guerres dévastatrices menées par l'homme pour détruire l'homme, son compagnon. A la fin de ces affrontements, parmi les ruines de ce qui avait été édifié et parmi les restes des victimes humaines, il ne peut y avoir ni vainqueur ni vaincu. L'éternel vaincu est l'homme, la suprême création de Dieu - l'être humain créé par Dieu, comme l'a dit Gandhi, l'apôtre de la paix, « pour marcher sur ses pieds, construire la vie et adorer Dieu ».

 

Je suis venu à vous aujourd'hui sur deux pieds assurés, afin que nous puissions construire une vie nouvelle, afin que nous puissions établir la paix pour nous tous sur cette terre, la terre de Dieu - nous tous, musulmans, chrétiens et juifs, de la même façon - et afin que nous puissions adorer Dieu, un dieu dont les enseignements et les commandements sont l'amour, la rectitude, la pureté et la paix.


Je peux trouver une excuse à quiconque à accueilli ma décision avec surprise et saisissement quand je l'ai annoncée au monde entier. Certains ont imaginé que la décision n'était rien de plus qu'une manoeuvre verbale destinée à l'opinion publique mondiale. D'autres y ont vu une tactique visant à camoufler mon intention de déclencher une nouvelle guerre. Un de mes adjoints dans les services de la présidence m'a appelé à une heure tardive, après mon retour du Conseil du peuple, pour me demander avec anxiété : « Et que feriez-vous, Monsieur le Président, si Israël vous lançait effectivement une invitation ? » J'ai répondu calmement : « Je l'accepterais sur-le-champ. » J'ai déclaré que j'irai jusqu'au bout de la Terre, que j'irai en Israël, parce que je veux exposer tous les faits devant le peuple d'Israël.

Personne n'imaginait que le chef d'Etat du plus grand pays arabe, sur les épaules de qui reposent la plus grande partie du fardeau et la responsabilité principale dans le problème de la guerre et de la paix au Proche-Orient, pourrait se déclarer disposé à aller sur la terre de l'adversaire alors que nous étions encore dans un état de guerre et que nous souffrons toujours des effets de quatre guerres en trente ans. [...]

Après y avoir mûrement réfléchi, je suis arrivé à la conviction que ma responsabilité devant Dieu et devant le peuple exigeait que j'aille jusqu'au bout de la Terre, que j'aille même à Jérusalem pour m'adresser aux membres de la Knesset, représentants du peuple israélien, afin de leur exposer tous les faits qui me sont présents à l'esprit. Je vous laisserai décider par vous-mêmes, et que la volonté de Dieu soit faite. [...]

Parlons franchement, en utilisant des mots directs et des idées claires sans quelque déformation que ce soit. [...] Le premier fait est qu'il ne peut y avoir de bonheur pour quiconque au prix du malheur d'autrui.

Le deuxième fait est que je n'ai jamais parlé et ne parlerai jamais un double langage : j'ai une seule politique, j'ai un seul visage.

Le troisième fait est que la confrontation directe, la ligne droite est la meilleure méthode, la plus fructueuse, pour atteindre un objectif clair.

Le quatrième fait est que l'appel à une paix permanente et juste, fondée sur le respect des résolutions des Nations Unies, est aujourd'hui devenu une expression non équivoque de la volonté internationale, que ce soit dans les capitales officielles ou au niveau de l'opinion publique mondiale - qui influe sur l'élaboration de la politique et sur la prise des décisions.

Le cinquième fait - peut-être le plus important - est que, dans la recherche d'une paix permanente et juste, la nation arabe ne part pas d'une position de faiblesse ou d'hésitation. Au contraire, elle bénéficie des atouts de la force et de la stabilité. Dans ces conditions, sa politique découle d'un désir authentique de paix, fondé sur la compréhension du fait que, pour éviter une véritable catastrophe - pour nous, pour vous et pour le monde entier - il n'y a pas d'alternative à l'établissement d'une paix permanente et juste, insensible aux vents dus aux doutes ou aux arrière-pensées.


Sur la base de ces faits, j'ai aussi l'honneur d'adresser en toute franchise une mise en garde contre certaines idées qui pourraient vous venir à l'esprit.

Premièrement : je ne suis pas venu chez vous pour conclure un accord séparé entre l'Egypte et Israël. Le problème n'est pas entre l'Egypte et Israël, et une paix séparée entre l'Egypte et Israël, ou entre un quelconque des Etats de la confrontation et Israël, n'apporterait pas une paix juste à la région tout entière. De plus, si la paix était établie entre tous les Etats de la confrontation et Israël, sans qu'intervienne une juste solution du problème palestinien, cela ne conduirait jamais à la paix permanente et juste sur laquelle le monde entier insiste aujourd'hui. Deuxièmement : je ne suis pas venu chez vous pour rechercher une paix partielle qui consisterait à mettre fin à l'état de belligérance à cette étape et repousser à une étape ultérieure le règlement de l'ensemble du problème. Cela n'est pas la solution de fond qui conduirait à une paix permanente.


En conséquence, je ne suis pas venu chez vous pour conclure un troisième accord de dégagement dans le Sinaï, ou dans le Sinaï et les hauteurs du Golan et sur la rive occidentale du Jourdain. Cela signifierait que nous reporterions la mise à feu de la fusée à une date ultérieure. Cela signifierait que nous n'aurions pas le courage de faire face à la paix, que nous serions trop faibles pour porter le poids et la responsabilité d'une paix permanente et juste.

Je suis venu chez vous pour qu'ensemble nous puissions construire une paix permanente et juste et éviter que soit versée une seule goutte de sang d'un seul Arabe ou d'un seul Israélien. [...]

Pourquoi laisserions-nous aux générations futures un héritage de sang et de mort, des orphelins, des veuves, des familles brisées et les gémissements des victimes ? Pourquoi n'imitons-nous pas la sagesse de notre Créateur, telle qu'elle est exprimée dans les sentences de Salomon : « La trahison est dans le coeur de ceux qui pensent au mal. Pour ceux qui recommandent la paix, la joie est leur partage. Un morceau de pain sec avec la paix est meilleur qu'une maison pleine de vivres mais avec des querelles. » [...]

Je vous dis, en vérité, que la paix ne sera réelle que si elle est fondée sur la justice et non sur l'occupation des terres d'autrui. Il n'est pas admissible que vous demandiez pour vous-mêmes ce que vous refusez aux autres. Franchement, dans l'esprit qui m'a poussé à venir aujourd'hui chez vous, je vous dis : vous devez abandonner une fois pour toutes vos rêves de conquêtes. Vous devez abandonner aussi la croyance que la force est la meilleure façon de traiter avec les Arabes. Vous devez comprendre les leçons de l'affrontement entre vous et nous. L'expansion ne vous apportera aucun bénéfice.

Pour parler clairement, notre terre n'est pas objet de compromis ou de marchandage. Notre sol national est, pour nous, aussi sacré que la vallée dans laquelle Dieu a parlé à Moïse. Aucun d'entre nous n'a le droit et aucun d'entre nous n'acceptera de céder un pouce de ce sol. Aucun d'entre nous n'acceptera le principe d'un marchandage ou d'un compromis sur ce point. [...]

Qu'est-ce que la paix pour Israël ? Vivre dans la région avec ses voisins arabes en sûreté et en sécurité. A cela, je dis oui. Vivre à l'intérieur de ses frontières, à l'abri de toute agression. A cela je dis oui. Obtenir toutes sortes de garanties qui sauvegarderaient ces deux points. A cette demande, je dis oui. [...]

Il y a de la terre arabe qu'Israël a occupée et qu'il continue à occuper par la force des armes. Nous insistons sur un retrait complet de ce territoire arabe, y compris Jérusalem arabe. Jérusalem où je suis venu comme dans une cité de paix, la cité qui a été et qui sera toujours l'incarnation vivante de la coexistence entre les fidèles des trois religions. Il est inacceptable que quiconque puisse penser à la position spéciale de Jérusalem en termes d'annexion ou d'expansion. Jérusalem doit être une ville libre, ouverte à tous les fidèles. Plus important que tout cela, la ville ne doit pas être coupée de ceux qui s'y sont rendus durant des siècles.

Plutôt que de réveiller des haines du type des croisades, nous devrions ressusciter l'esprit d'Omar el-Khattab et de Saladin, l'esprit de tolérance et de respect du droit. [...]

A chaque homme, à chaque femme et à chaque enfant d'Israël je dis : Encouragez vos dirigeants à lutter pour la paix. Faisons en sorte que tous les efforts soient canalisés vers la construction d'un édifice de paix, plutôt que vers celle de forteresses et des abris protégés par des fusées.
Présentons au monde entier l'image de l'homme nouveau de cette région de façon que nous puissions offrir un exemple pour l'homme contemporain, un homme de paix. Soyez des héros pour vos fils. Dites-leur que nous sommes prêts à un nouveau départ, au début d'une vie nouvelle d'amour, de justice, de liberté et de paix.

Vous mères qui pleurez, vous, femmes qui avez perdu votre mari, vous, qui avez perdu un frère ou un père, remplissez vos coeurs des espérances de la paix, faites que l'espoir devienne une réalité qui vive et s'épanouisse ; faites de l'espoir un code de conduite, car la volonté des peuples est issue de la volonté de Dieu. [...] Je suis venu ici pour transmettre un message. Et, Dieu m'en est témoin, j'ai transmis le message.

Je répète, avec Zacharie : « Amour, droit et paix. » Du Coran sacré, je tire le verset suivant: « Nous croyons en Dieu, en ce qui nous a été révélé et en ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus et dans les Livres donnés à Moïse, à Jésus et au Prophète par le Seigneur. Nous ne faisons aucune distinction entre eux et nous nous soumettons à la volonté de Dieu. »


Que la paix soit avec vous ! »

 

Voir aussi :

la réponse du premier ministre israélien Begin au président égyptien Sadate

La réponse de Golda Meïr (parti travailliste ) à Sadate