La commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, a travaillé sur le statut légal des territoires palestiniens.

Un court rapport intégralement reporté ci-dessous  rappelle les sources du droit pour ces territoires.

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Les Territoires autonomes palestiniens

Le régime juridique des Territoires autonomes palestiniens et sa mise en œuvre fait partie du processus de Paix entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine.

Depuis 1993, Israéliens et Palestiniens ont signé de nombreux accords, déclarations, lettres et protocoles qui octroient notamment à l’Autorité nationale palestinienne des pouvoirs et des responsabilités.

Plusieurs de ces textes constituent le fondement du régime juridique des Territoires, et même, certaines des dispositions réglementent la vie quotidienne des Palestiniens.

Il ne faut pas perdre de vue que le régime légal palestinien est particulièrement complexe puisqu’il a des origines très diverses.

Il inclut, outre les accords susmentionnés, la coutume (urf), la loi islamique (charia), le droit foncier Ottoman, les règles d’état d’urgence du Mandat britannique, le droit civil israélien pour Jérusalem-Est et les colonies juives, le droit civil jordanien pour la Cisjordanie, le droit civil égyptien pour Gaza, le droit militaire israélien et les lois et décrets élaborés par l’Autorité palestinienne.

Il existe deux principaux accords de Paix. Tout d’abord, en mai 1994, les Israéliens et les Palestiniens ont conclu l’Accord sur la Bande de Gaza et la région de Jéricho3 (Oslo I).

Une Autorité palestinienne fut ainsi créée avec des prérogatives sur toutes les matières qui tombent sous sa juridiction territoriale, fonctionnelle et personnelle, qui étaient avant administrées par les militaires israéliens. Ensuite, en septembre 1995, un second accord fut signé – l’Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza4 (Oslo II) – qui élargit la juridiction de l’Autorité palestinienne à d’autres régions de la Cisjordanie.

Cet accord spécifie, par exemple, la structure, les pouvoirs et responsabilités du Conseil, ses attributions législatives, l’organisation des institutions et les élections. Il divise aussi la région en trois régions à l’exception de Jérusalem-Est :

la région A, surtout les larges bandes urbaines de la Cisjordanie où l’Autorité assume la responsabilité pour l’ordre publique et la sécurité interne.

La région B, surtout les villages où l’Autorité se charge de l’ordre public et de la sécurité interne pour les Palestiniens; tandis que les Israéliens sont responsables de leurs nationaux et de la lutte contre le terrorisme.

Dans la région C, l’autorité civile, sous contrôle militaire israélien, devrait être graduellement concédée à l’Autorité palestinienne.

 

Les institutions

 

Les accords d’Oslo mettent sur pied un Conseil palestinien qui assume tous les droits, responsabilités et obligations de l’Autorité palestinienne. Les résidents palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie procèdent à l’élection des membres du Conseil et d’un Président de l’autorité exécutive du Conseil (« ra’ees »). Ces deux entités constituent l’Autorité autonome palestinienne intérimaire. Cet organe devait rassembler les pouvoirs législatifs et exécutifs.

Cependant, dans les faits, plutôt que de remplacer l’Autorité palestinienne, le Conseil, organe représentatif du peuple, est devenu organe législatif des Territoires autonomes et il est commun actuellement de s’y référer comme « Conseil législatif palestinien ».

Actuellement, le Conseil législatif palestinien est constitué de 88 membres élus au suffrage direct dans des circonscriptions de la Cisjordanie, de Jérusalem et de la Bande de Gaza. L’autorité exécutive palestinienne est exercée par le Président de l’autorité exécutive et par le Cabinet des ministres. Le Président a été élu au suffrage direct en janvier 1996. Il jouit d’une autorité importante sur la branche exécutive du gouvernement. Il nomme les membres du Cabinet des ministres, principalement mais pas exclusivement, parmi les membres du Conseil législatif palestinien qui doit ratifier les nominations. Généralement chacun des membres du Cabinet possède un ministère ou un département. Le Président est le commandant en chef des forces palestiniennes et possède également une fonction législative, car il doit en outre promulguer les lois adoptées par le Conseil législatif pour qu’elles entrent en vigueur. L’exécutif regroupe aussi des fonctionnaires et des militaires, pour un total d’environ 85 000 personnes.

 

Procédure électorale

 

La mise en place d’une élection démocratique libre et directe dans les Territoires de Gaza et de Cisjordanie remonte à l’article III de la Déclaration des principes5 et à son annexe I. Il est mentionné dans Oslo I, mais on devra attendre Oslo II, plus particulièrement l’Annexe II – Protocole concernant les Élections - pour voir apparaître ses bases et ses limites. Les premières élections ont eu lieu en janvier 1996 et selon le rapport de l’Assemblée parlementaire6, elles « ont respecté les règles démocratiques et le scrutin peut être considéré comme libre et honnête ». Néanmoins, il semble que les prochaines élections n’auront lieu qu’à la fin de la période transitoire. En effet, il était prévu à l’article III d’Oslo II, que le Conseil et le Président étaient élus pour une période n’excédant pas cinq ans à dater de la signature d’Oslo I, soit le 4 mai 1994 et depuis, plusieurs retards ont été enregistrés et les négociations de paix bouleversées.

 

Loi constitutionnelle fondamentale

 

Pendant les négociations des Accords de Paix, le Conseil législatif palestinien a rédigé la Loi constitutionnelle fondamentale, sensée servir de Constitution temporaire7. Ce document, finalisé en octobre 1997, se voulait une tentative par les parlementaires démocratiquement élus des Territoires autonomes de joindre la communauté des Nations possédant une Constitution démocratique. Cependant cette loi n’a pas encore été signée par le Président de l’Autorité palestinienne et n’est donc toujours pas en vigueur. Le Président de l’Autorité exerce donc ses pouvoirs dans le cadre d’un régime lacunaire et précaire. L’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle, qui établit un système de « checks and balances », aurait mis fin au vide constitutionnel et à la possibilité pour l’exécutif de gouverner sur la base de la Loi d’état d’urgence britannique8.

La Loi constitutionnelle enchâsse les principes fondamentaux des droits de l’homme universellement reconnus et permet à la communauté palestinienne d’élire ses propres représentants. De plus, elle fournit des standards pour la conduite de la police et des organes gouvernementaux et offre des garanties pour le contrôle de la légalité de leurs actes et pour l’examen des griefs d’abus d’autorité. Elle établit également le cadre légal pour le fonctionnement des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Aucune des autres lois actuellement en vigueur en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza ne constitue une alternative valable à la Loi constitutionnelle9, cette dernière étant, du reste, l’un des documents constitutionnels les plus libéraux du monde arabe10. Le fait que la Loi constitutionnelle n’est pas encore entrée en vigueur laisse à l’exécutif palestinien une très grande marge d’actions. En septembre 1996, lors de la 28e réunion plénière de la Commission de Venise, des observations ont été présentées sur le projet de loi constitutionnelle11. Ces observations portaient notamment sur la question de Jérusalem désignée comme « capitale de la Palestine », sur le fait que la charia islamique constitue l’une des principales sources de la législation et sur les garanties concernant la déclaration de l’état d’urgence. La Commission constate que, depuis, la Loi constitutionnelle a été modifiée dans le sens de certaines de ces observations.

 

Principes généraux

La Loi constitutionnelle stipule que le régime politique de la Palestine se fonde sur la démocratie parlementaire et le pluralisme politique. Le Président est directement élu par le peuple et le gouvernement est responsable devant le Président et le Conseil législatif. Le principe de l’État de droit est reconnu comme fondement de l’ordre juridique palestinien. On mentionne aussi que « toutes les autorités, tous les organes, toutes les assemblées, institutions et personnes sont soumis à la loi ». Cependant, il n’est pas clairement stipulé si la loi devait être soumise à la Constitution12. Il faudrait absolument que la Loi constitutionnelle prévoit que la loi soit soumise à cette dernière, car c’est la seule garantie du peuple contre l’arbitraire éventuel d’une majorité au Conseil.

Droits et Libertés publiques

La Loi constitutionnelle contient, dans le chapitre 2 - Droits et Libertés publiques - , un catalogue impressionnant de droits, libertés et garanties accordées à la population. On reconnaît notamment le principe de l’égalité devant la loi, la liberté individuelle, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, le droit à l’intégrité physique et celui de participer aux activités politiques, la liberté de conscience et de culte, la liberté d’expression et la liberté de la presse. On prévoit aussi les droits pour garantir un procès équitable, tel que : le droit d’accès aux tribunaux ; à la présomption d’innocence ;

d’être informé des raisons de sa détention ; à l’assistance d’un avocat et le principe nullem crimen, nulla poena sine lege. De même, on énonce également des droits économiques, par exemple, la liberté de commerce, le droit à l’enseignement et le droit de grève. Il y a lieu de noter que plusieurs de ces droits et libertés sont restreints par des formules : « en application des dispositions de la loi» ou « sujet à l’observation strict de la loi » ; ceci peut avoir pour effet de rendre ces garanties constitutionnelles dépendantes de législation ordinaire ; nous sommes néanmoins conscient que de nombreuses constitutions européennes contiennent des dispositions similaires. De plus, la peine de mort est un châtiment encore prévu et employé dans les Territoires.

A noter qu’en septembre 1993, le Président Arafat a crée la « Palestinian Independent Commission for Citizen’s Rights ». Cette Commission, établie par décret13, est un organisme quasi-gouvernemental chargé de surveiller l’activité de l’Autorité palestinienne et, plus particulièrement, de s’assurer de la conformité des décisions des institutions publiques avec les principes des Droits de l’Homme. La Loi constitutionnelle prévoit aussi la création d’une Commission indépendante pour les Droits de l’Homme14. Sa composition, ses fonctions et ses pouvoirs seront définis par une loi. Cette Commission soumettra ses rapports au Président de l’Autorité nationale et au Conseil législatif palestinien.

Les institutions étatiques

La Loi constitutionnelle affirme vouloir établir un gouvernement palestinien basé sur l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs. Le législatif, l’exécutif et le judiciaire sont conçus pour être des autorités séparées et indépendantes. Cependant, la Loi constitutionnelle ne semble nullement protégée, ni contre la loi ni contre des révisions successives. Même s’il s’agit d’une loi intérimaire, la prévision sur le mécanisme de révision est un élément essentiel de l’Etat de droit.

Selon la Loi constitutionnelle, le mandat du législatif s’achève à la fin de la période transitoire. Chaque membre de l’organe législatif a le droit de soumettre à l’exécutif toutes demandes qu’il juge nécessaires ou légitimes pour lui permettre d’exercer pleinement ses devoirs législatifs. Le corps législatif a aussi le droit de retirer sa confiance au Gouvernement ou à un membre du Cabinet des ministres selon la procédure prévue.

Pour l’exécutif, la Loi constitutionnelle prévoit notamment le pouvoir du Président de nommer le Cabinet. Elle énonce aussi la procédure de l’élection du Président tout en prévoyant que le mandat de Président élu ne prendra fin qu’à la fin de la période transitoire.

On prévoit également la procédure de vacance du Président, qui semble un sujet particulièrement sensible dans les Territoires. Enfin, la Loi Constitutionnelle accorde au Président des fonctions législatives.

Depuis les Accords de Paix d’Oslo, l’Autorité palestinienne a pleine compétence en matière civile et pénale15 dans la région A et dans certains cas dans la région B. Nous retrouvons dans les articles 88 à 97 de la Loi constitutionnelle l’incorporation des principes inclus dans la Déclaration de principes des Nations Unis sur l’indépendance de la justice. De plus, le Conseil a adopté une loi sur l’Autorité judiciaire, qui n’a toujours pas reçu la signature du Président, qui reprend sensiblement ce que l’on retrouve dans la Loi constitutionnelle. Cette loi énonce que l’Autorité judiciaire doit être indépendante et qu’aucune des autres autorités devraient intervenir dans les questions de justice. On ajoute même que les juges sont indépendants et ne devraient pas être sujets à des pressions de d’autres autorités que celles du droit.

Pouvoir d’urgence

La Loi constitutionnelle, permet au Président de déclarer l’état d’urgence sous certaines limites : la déclaration ne peut durer que 30 jours, ce délai peut être prorogé uniquement pour une durée identique, par l’approbation des deux tiers des membres du Conseil ; le décret doit clairement exprimer ses buts, les régions visées et sa durée, et le Conseil peut examiner les actions adoptées durant cette période.

 

Conclusion

 

La Commission réitère que son rapport se base strictement sur les textes législatifs.

Elle n’ignore certe pas l’écart entre les garanties consignées dans les textes et leur application dans la réalité. Elle relève cependant que les projets adoptés par le Conseil législatif palestinien, à savoir la Loi constitutionnelle provisoire de l’Autorité nationale palestinienne et la loi sur l’autorité judiciaire, peuvent constituer des instruments juridiques capables d’assurer la mise en place d’un Etat de droit et une protection importante des droits de l’homme. Certes, des améliorations sont possibles pour clarifier l’étendue des pouvoirs respectifs des institutions étatiques, les garanties de l’indépendance de la justice et de la protection efficace des droits fondamentaux et de l’ordre constitutionnel. La mise en place d’institutions indépendantes spéciales chargées de l’application des droits de l’Homme, envisagée par la Commission des Affaires juridiques et des Droits de l’Homme de l’Assemblée parlementaire, pourrait être sérieusement pensée. On pourrait notamment envisager l’instauration d’un Médiateur, institution qui, dans une société post-conflictuelle, apporte au système de protection des droits une dimension consensuelle et non conflictuelle, une autorité fondée d’avantage sur la morale et des procédures flexibles adaptables aux situations16.

Cependant, il semblerait opportun d’attendre un contexte politique et économique moins difficile avant d’analyser les possibilités réelles de mise en application des textes fondamentaux adoptés par le Conseil législatif, les garanties effectives offertes par celles-ci à la démocratie et les points de dysfonctionnement éventuel. La création d’institutions additionnelles ou supplémentaires doit être mesurée car leur prolifération risque d’être préjudiciable à la crédibilité et à l’efficacité des institutions politiques et judiciaires déjà envisagées.

La Commission reste à la disposition de la Commission des Affaires juridiques et des Droits de l’Homme de l’Assemblée parlementaire pour étudier davantage, au moment voulu, la question des améliorations possibles au régime constitutionnel des Territoires autonomes palestiniens.

 

1 La question originalement anglaise prévoyait que: “Does the existing legal framework provide sufficient protection of human rights and the rule of law in the Territories under the control of the Palestinian National Authority, and if not, which ameliorations are possible within the framework and to the framework itself?”

2 La question originalement anglaise prévoyait que : “In this context, should the Assembly encourage the setting-up of specific institutions charged with overseeing the day-to-day observance of human rights and the rule of law by Palestinian bodies of self-government, for example, an ombudsman’s office or a human rights commission?”

3 Accord sur la Bande de Gaza et la région de Jéricho, accord signé entre Israël et l’OLP, Caire, 4 mai 1994.

4 Israeli-Palestinian Interim Agreement on the West Bank and the Gaza Strip, Washington, 28 September 1995.

5 Declaration of Principles on Interim Self-Government Arrangements, 13 September 1993.

6Rapport d’information PAVLIDIS sur les élections en Palestine, Bureau de l’Assemblée et de la Commission Permanente, Assemblée parlementaire, 20 janvier 1996, FDDoc7560.ADI, Addendum I

7 A noter que le « Palestine Order-in Council » fut la dernière constitution du territoire, qui couvrait autant l’État d’Israël que la Palestine actuelle, datait du mandat britannique.

8 KATHERINE A., The Palestinian basic law: Embryonic constitutionalism, Case Western Reserve Journal Law, Cleveland, Spring 1999, p. 10.

9 BISHARAT G.E., Symposium: The Legal foundations of peace and prosperity in the Middle East: Peace and the political imperative of legal reform in Palestine, Case Western Reserve Journal Law, Cleveland, Spring

1999, p. 17.

10 BROWN N.J., Constituting Palestine: The effort to write a basic law for the Palestinian authority, The Middle East Journal, Washington, Winter 2000.

11 COMMISSION DE VENISE, Projet d’avis sur le projet de loi constitutionnelle provisoire de l’Autorité nationale palestinienne durant la période transitoire, 5 septembre 1996, CDL(1996)066f-restr.

12 KATHERINE A., The Palestinian basic law: Embryonic constitutionalism, Case Western Reserve Journal Law, Cleveland, Spring 1999.

13 Décret numéro 59, 1993, publié par la Gazette officielle et entré en vigueur depuis 1995.

14 Article 38.

15 Voir sur le sujet, Annex III – Protocol Concerning Civil Affairs & Annex IV - Protocol concerning Legal Affairs, Israeli-Palestinian Interim Agreement on the West Bank and the Gaza Strip, Washington, 28 September

1995.

16 Voir sur le sujet le Rapport du groupe de travail de la Commission de Venise et de la Direction des Droits de l’Homme sur les institutions de médiature en Bosnie et Herzégovine, CDL-INF (99) 10 Bil.

 

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