1Le 22 mai 1799 (3 prairial an VII) , le moniteur universel, le journal officiel de l'époque, publie ce communiqué, rubrique Politique-Turquie,

'Proclamation de Bonaparte aux héritiers légitimes de la Palestine,

Constantinople, le 28 Germinal.

Bonaparte a fait publier une proclamation dans laquelle il invite tous les Juifs de l'Asie et de l'Afrique à venir se ranger sous ses drapeaux pour rétablir l'ancienne Jérusalem. Il en a déjà armé un grand nombre et leurs bataillons menacent Alep...'

 

La fin de l'information étant manifestement fausse, on avait tout lieu d'en suspecter aussi le début, d'autant plus que parmi les masses de documents, proclamations, ordres du jour, etc. conservés même par les armées en campagne, on n'a pu découvrir quoi que ce soit qui ressemble ne serait-ce qu'à un fragment d'une telle proclamation.

Pourtant une espèce de tradition orale affirmait avec insistance que Bonaparte, en faisant ses plans de campagne du Moyen-Orient, avait projeté d'une manière précise de redonner la Palestine aux Juifs, rêve que l'échec de l'expédition avait automatiquement pulvérisé.

Les choses en étaient là quant à la suite de circonstances tout à fait fortuites, l'historien autrichien Franz Kobler, réfugié à Londres en 1940, eut connaissance de cette fameuse proclamation dans une version allemande qui lui fut montrée par hasard

Le texte de la proclamation serait :

"Quartier général, Jérusalem, 1er floréal an 7 de la République française (20 avril 1799).


Bonaparte, commandant en chef des armées de la République française d’Afrique et d’Asie, aux héritiers légitimes de la Palestine.


« Israélites, nation unique que, durant des millénaires, la soif de conquête et la tyrannie ont pu dépouiller uniquement de sa terre ancestrale mais non point de son nom ni de son existence nationale !

Des observateurs attentifs et impartiaux de la destinée des peuples, même sans être doués des dons de prophétie d’un Isaïe et d’un Joël, ont depuis longtemps ressenti, eux aussi, ce qu’avaient prédit ces hommes avec leur foi merveilleuse et stimulante, au moment où ils voyaient approcher la destruction de leur royaume et de leur patrie : « Les rachetés de l’Eternel reviendront et retourneront à Sion en chantant, et une joie éternelle sera sur leur tête. Ils retrouveront joie et bonheur, et tourments et soupirs disparaîtront (Isaïe 35 : 10) ».


Alors, debout dans la joie, vous les exilés ! Par une guerre sans exemple dans les annales de l’histoire, guerre engagée pour son auto-défense par une nation dont les territoires héréditaires étaient considérés par l’ennemi comme un butin à partager arbitrairement et selon leur bon plaisir sur un trait de plume des chancelleries, cette nation venge sa propre honte, ainsi que la honte des peuples les plus lointains, oubliés depuis longtemps sous le joug de l’esclavage ; elle venge aussi l’ignominie qui pèse sur vous depuis près de deux mille ans. Et tandis que le moment et les circonstances pourraient paraître les moins propices à revendiquer vos droits ou même simplement à les exprimer, et vous contraindre ainsi à y renoncer totalement, c’est à ce moment précis que, contre toute attente, cette nation vous offre le patrimoine d’Israël.


La jeune armée avec laquelle la providence m’a envoyé ici, guidé par la justice et escorté par la victoire, a fait de Jérusalem mon quartier général : sous peu il sera transféré à Damas, un voisinage qui n’a plus rien de terrifiant pour la cité de David.

Héritiers légitimes de David !


La grande nation qui ne fait pas de trafic d’hommes ni de territoires à la différence de ceux qui ont vendu vos ancêtres à tous les peuples (Joël 3 : 6) fait ici appel à vous, non pas, certes, pour que vous fassiez la conquête de votre patrimoine ; mais simplement pour que vous preniez possession de ce qui a été conquis, et qu’avec la garantie et l’aide de cette nation, vous en restiez les maîtres et le demeuriez contre tous ceux qui voudraient venir vous le prendre.

Debout ! Montrez que la puissance écrasante de vos anciens oppresseurs a pu tout au plus mettre en sourdine le courage de ces frères héroïques dont l’alliance fraternelle aurait fait honneur même à Sparte et à Rome (Maccabées 12 : 15) mais que ces deux mille ans d’esclavage n’ont pas réussi à l’étouffer.


Hâtez-vous ! Le moment est venu — et il peut ne pas se représenter avant des milliers d’années — de réclamer au sein des peuples de l’univers, la restauration de vos droits civiques dont vous avez été honteusement frustrés pendant des milliers d’années, votre existence politique de nation parmi les nations et le droit normal et sans restriction d’adorer Jéhovah selon votre foi, publiquement et probablement à tout jamais (Joël 3 : 20).

[télécharger /imprimer la proclamation ]

 

Pour les historiens (Laurens, Ayoun, Lemire) cette proclamation annoncée n'a jamais été prononcée.

Pour Robert Solé2,

" Le bruit courait (…) que Napoléon après la prise de d'Acre se rendrait à Jérusalem et qu'il voulait rétablir le temple de Salomon.

(…) Mais nulle allusion à une quelconque initiative en ce sens. Et aucune trace de proclamation dans les archives de l'époque. Un appel à la nation juive, daté du 20 avril 1799 et signé Bonaparte, a bien été retrouvé (…) Traduction en Allemand d'un texte Hébreu, il date vraisemblablement de la campagne de Syrie… mais tout indique que c'est un faux.

 

Ce texte sera néanmoins utilisé comme référence historique par Theodor Herzl et d'autres promoteurs du sionisme. Il figurera même parmi les documents présentés aux Nations unies en 1947 en vue de créer l’État d'Israël."

Patrice Bret en rappelle le contexte3 :

 

" La thèse de l’existence de ce projet d’État juif repose sur quelques articles de l’époque et sur deux documents dont des traductions ont été mises au jour en 1940 par un juif autrichien : une proclamation de Bonaparte, datée de Jérusalem (où les Français ne sont pas allés…), et une lettre du grand rabbin de la ville sainte à cette époque.

De fait, outre quelques vagues mentions dans Le Moniteur, un article de la Décade philosophique en avril 1798 (un mois avant l’embarquement à Toulon et un an avant la campagne de Syrie).

(…) Quant à la proclamation du général en chef et à la lettre du grand rabbin de Jérusalem appelant à combattre pour l’Éternel et pour Bonaparte, ce sont des faux, rédigés dans le milieu messianique juif frankiste, né autour de Jacob Frank4 (1726-1791) dans la région de Francfort, avec des ramifications en Bohême et jusqu’à Paris."

 

C'est Laurens qui conclut5,

" L'ironie de l'histoire a fait que Bonaparte, qui s'est voulu le défenseur de l'islam et de l'arabisme, est passé injustement à la postérité comme l'un des fondateurs du sionisme, ce qu'il n'a jamais été et ce qu'il n'a jamais prétendu être. "

 

- Lire aussi l'article de Rene  Reher-Bernheim  "Bonaparte au moyen-Orient"  paru dans l'Arche en 1969 et réédité sur le site http://www.israelvivra.com/

 

1 En ligne sur le site France-Diplomatie, archives : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/jpg/09-53.jpg

2Bonaparte à la conquête de l'Égypte.

3 Patrice Bret, «Orientales I. Autour de l’expédition d’Égypte», in Annales historiques de la Révolution française, Numéro 340, [En ligne], mis en ligne le : 20 avril 2006 http://ahrf.revues.org/document2025.html. Consulté le 19 août 2008.

4 Jacob Frank est un faux messie polonais dans la lignée de Sabbataï Zvi.

5 Henry Laurens, Le projet d’État juif en Palestine attribué à Bonaparte » (pp. 121-143)

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