Extraits d'un article paru le 24 Juin 2004 dans "Le quotidien d'Oran". par Hubert Hannoun
Les Juifs sont présents au Maghreb dès le III° ou même II° siècle
Tous les historiens qui se sont penchés sur la question reconnaissent actuellement l'existence d'une vie juive au Maghreb peu de temps après la destruction du royaume de la Judée antique par les armées romaines, au II° siècle de l'ère chrétienne.
Après cette destruction, les Judéens s'éparpillent dans le monde méditerranéen y compris au Maghreb. Je me suis trouvé récemment à Constantine où j'ai pu observer au Musée de la ville trois dalles de pierres que sa directrice m'a assuré être des vestiges historiques de la région datant du III° siècle de l'ère chrétienne.
Sur l'une de ces pierres, je peux lire, très clairement gravées en caractères hébraïques, les mots laïla hazé, termes signifiant en hébreucette nuit. Et la directrice du musée, historienne de formation, de m'assurer que de telles découvertes ne sont pas rares dans la région voire dans toute l'Algérie.
Une pacifique cohabitation des Berbères et des Juifs
Les Juifs arrivant de Judée au Maghreb, n'y trouvent pas un pays désertique et inhabité. Des populations agricoles ou pastorales de culture païenne y sont déjà installées, les Berbères.
Les Juifs, apportant avec eux les connaissances et les savoir-faire de toutes les grandes civilisations du Moyen Orient, deviennent vite, dans leur nouveau pays, les moteurs de l'expansion économique, politique et culturelle des tribus qui le composent.
En leur sein, les conversions au judaïsme se font de plus en plus fréquentes. Si bien que, aux dires du grand historien arabe Ibn Khaldoun1, la Berbérie, au VII° siècle, devient un vaste territoire allant de Gabès à Tanger qui sera, un temps, unifié sous l'autorité d'un personnage hors du commun, relevant à la fois de l'histoire et de la légende, une femme surnommée la Kahena2berbère et juive à la fois.
En Berbérie, poussés par des besoins et des intérêts communs, Juifs et Berbères cohabitent ainsi pacifiquement et c'est une population soudée par leur entente à laquelle se heurtent les troupes arabes venues d'Orient au VIII° siècle pour établir une tête de pont à Kairouan, préparer la traversée des Aurès, vers l'ouest, et envahir le pays de la Kahena.
Entourée de son peuple, celle-ci résistera trois années durant aux troupes arabes pourtant grossies par d'importants renforts mais finit par être vaincue et tuée au combat. Les Arabes occupent alors la totalité du pays.
Les relations entre Juifs et Arabo-Berbères, en Algérie, avant l'occupation française
Quelle est la situation économique, politique et sociologique des Juifs et des Arabo-berbères dans le Maghreb sous domination arabe avant l'occupation française, en 1830 ?
Au fil des siècles, cette situation laisse apparaître certaines caractéristiques relativement stables. Si, au plan du vécu culturel, les cultes musulman et juif se séparent incontestablement les uns des autres4, au plan économique et social, les points de ressemblance sont nombreux. De part et d'autre, subsistent les mêmes clivages sociaux qui font se distinguer des classes de propriétaires, d'exploitants agricoles, de commerçants fortunés au dessus d'une masse populaire plus ou moins inculte et, qui, la plupart du temps, subsiste au jour le jour des maigres ressources d'un artisanat local, d'une agriculture archaïque et de besognes plus ou moins rémunératrices.
Lors du fameux coup de l'éventail qui a servi de prétexte à l'invasion de l'Algérie par les troupes françaises, ce sont de riches commerçants juifs qui sont concernés. Les grosses fortunes ne manquent donc pas, en cette période, parmi les Juifs. Chez les Arabo-Berbères, non plus.
Plus tard, on connaîtra, entre autres, chez eux de riches propriétaires tels que les Tamzali, négociants en huiles, Bentchicou qui fit fortune dans le tabac et bien d'autres grandes familles. Mais, de la même façon, durant le même temps, chez les Juifs comme chez les Arabo-Berbères, la misère étend ses méfaits parmi les masses populaires, dans leurs quartiers des grandes villes, très souvent jouxtés les uns aux autres et où les architectures misérables ne le disputent qu'au manque d'hygiène et de salubrité.
Au plan politique, et, plus précisément, à celui des relations des personnes avec les autorités, la règle est celle de tous les états régis par l'Islam : si les musulmans jouissent du maximum de droits que rend possible le régime politique en place, il n'en est pas de même des non Musulmans, y compris des Juifs.
Ceux-ci sont des dhimis, des individus qui, pour jouir de ces mêmes droits, doivent s'acquitter d'un impôt supplémentaire en sus de quelques restrictions mineures des droits telles que celui de monter à cheval, de porter certains types de vêtements, etc. Pourtant, en dépit de ces différences, la cohabitation entre les deux groupes, Arabo-Berbères et Juifs, ne présente pas de conflits majeurs.
Mieux encore on y constate une similitude voire une identité des us et coutumes hormis, bien sûr, celles relevant de la pratique du culte : on s'habille de la même façon (hormis le port du voile qu'ignorent les femmes juives) ; on mange souvent les mêmes plats préparés de la même façon, on parle la même langue, une sorte d'arabo-berbère où se mêlent parfois des termes hébraïques ou d'origine hébraïque, on se réjouit à répéter les aventures du même modèle populaire, Djeha, et, surtout, on apprécie le même genre musical avec, principalement, dans les régions de Constantine et de Tlemcen, le célèbre Malouf.
Les patronymes juifs et arabo-berbères sont souvent les mêmes ou dérivent souvent les uns des autres. Ainsi, avant le décret Crémieux de 1870 qui fera des Juifs algériens des citoyens français, mon grand père, né en 1868, n'est pas français mais sujet algérien au regard de la France et dhimi à celui des autorités musulmanes.
Ce qui ne l'empêchera pas d'entretenir avec son entourage français ou arabo-berbère les meilleures relations, la communauté de langue (concernant les seconds), d'humour et du même bleu du ciel parvenant à estomper souvent maintes différences.