Les prémices

L’histoire de Tel Aviv commence en 1820, quand un Juif turc, nommé Ishay Adjiman, s'enfuit d’Istambul pour avoir déplu au Sultan. Arrivé à Yaffo après un périple rocambolesque, il découvre un lieu désolé. Yaffo a été presque entièrement dépeuplée par l’attaque des troupes de Napoléon suivie d’une épidémie de peste (épisode des pestiférés de Jaffa)

Ishay Adjiman, homme entreprenant, y construit une auberge pour accueillir les visiteurs juifs. Une poignée de Juifs marocains guidés  par le rabbin Aboutboul s’installent dans l’auberge qui est un immense caravansérail. Il y a non seulement un hôtel mais aussi une cour pour les montures, une synagogue et un mikvé.

Les immigrants marocains sont rejoints en 1837 par les survivants du grand tremblement de terre qui a ravagé Tsfat et Tiberiade.

Les Arabes de Yaffo ne font aucune difficulté pour vendre des terrains à tous ces nouveaux arrivants qui ne rechignent pas à s’installer sur des dunes de sables sans valeur.

En 1904, arrive un autre groupe d’immigrants, cette fois originaire d’Algérie avec à sa tête le rabbin Chlouch. Ces juifs ont quitté Oran à la suite de violents pogroms avec la bénédiction des nouvelles autorités françaises en Algérie. Ils feront partie des « 196 familles nombreuses, 9 orphelins, 75 veuves ainsi que des malades, en provenance principalement du Maroc et d’Algérie et arrivés en Palestine entre 1836 et 1840 ». Tous ces nouveaux venus ne s’installent pas à Yaffo mais 102 décident d’y rester, rejoints par des juifs de l’empire ottoman et du Yemen. Comme les Turcs ne cessent de leur extorquer de l’argent en les menaçant de déportation, certains obtiennent la protection de la France, de la Grande Bretagne ou de l’Autriche en achetant des postes de consuls qui les mettent à l’abri, eux et leurs familles.

En 1882, arrivent des jeunes gens. Ils ont fondé en Russie les "Hoveve Tsion" (Amants de Sion), et déclarent être cultivateurs. Ils seront conduits directement à l’école Mikve Israel.

A partir de cette date, suite aux premiers "Amants de Sion" arrivent des Moscovites, comme on va bientôt les appeler, fuyant les pogroms, dont un certain Meir Dizengoff, futur premier Maire de la ville.

Ces "moscovites" font scandale parmi les juifs de Yaffo. Ils ne sont pas pratiquants, ils ont rasé leur barbe. Les femmes sortent la tête découverte, sont vêtues de robes légères et ont les jambes nues!

Le vice consul de Grande Bretagne, sujet anglais né à Gibraltar s’appelle Hayim Amzallag. Avec Le rabbin Chlouch il est passé maître dans l’art de transformer des immigrants juifs en honorables touristes anglais, parfois suisses ou même allemands leur permettant ainsi d’échapper à la nouvelle loi turque de 1882 qui limite drastiquement l’arrivée des Juifs en Palestine. Le neveu du rabbin Chlouch veut un village juif en dehors de Yaffo.

Haïm Amzallag, fils du philanthrope Joseph Amzallag,  participera avec son neveu Joseph Navon la construction de la ligne de chemin de fer à Petah Tikva et Rishon le Zion.

 

En  1887 est posée la première pierre d’un village juif, en dehors des murailles de Yaffo.

En 1890, Zera’h Barnet construit le quartier de Neve Shalom (le Havre de paix) puis les quartier de Shabazi (du nom de Shalom Sabazi, célèbre poète juif yéménite du 17 ème siècle) et le (Kerem Hateimanim) ou Vignoble des Yéménites, et enfin le quartier de Neve Tsedek (le Havre de justice). Ce ne sont pas vraiment des quartiers mais quelques dizaines de maisons qui se sont montées sur le sable au nord de la ville de Yaffo. En 1892, s’ouvrent à Yaffo, deux écoles de l’Alliance Israélite Universelle et la voie ferrée reliant Jerusalem à Yaffo est inaugurée. (d'après Bokertovyerushlayim 27/02/2015)

 

Mais en 1909, Tel-Aviv n'existe pas.

Il y a ces petits quartiers et surtout une dune et du sable. A côté, dans la cité arabe de Jaffa vivent 5000 Juifs. Un entrepreneur nommé Akiva Arieh Weiss projette à cette époque de construire une véritable ville sur ce sable.

Le 11 avril 1909, quelques habitants juifs de la ville de Jaffa, sont réunis en une association, afin de créer une ville nouvelle à partir de rien, sur ces dunes de sables1  situées à quelques kilomètres au Nord-Est de Jaffa.Cette ville absorbera ces constructions.

C'est la première ville juive au monde. C'est aussi la première ville créée sans bourgade historique sur le territoire, depuis l'an 717, date à laquelle le Calife Omeyade Soliman Abd-El Malik créait Ramleh.

Le nom originel de Tel-Aviv est Akhouzat Bayit. C'est plus précisément le nom de l'association qu'ont décidé des fonder les frère Roka'h, Deutsch, Moyal et Amzallag pour fonder une ville sur le modèle utopique britannique du Garden City Movement qui essayait de créer un environnement salubre pour les populations démunies de Grande Bretagne à la fin du 19e siècle

"Les règles imposées sont strictes: « Chaque bâtiment ne pourra couvrir que le tiers du terrain, le reste étant réservé à un jardinet, lequel sera planté par les soins du propriétaire… Le jardinet sera délimité côté rue par un muret en alignement avec le trottoir, muret dont la hauteur sera fixée pour l’ensemble des bâtiments de la même rue… » (in Le sionisme politique avant 1914, Bokertovyerushlayim 27/02/2015)

Sous l’impulsion d’Akiva Arieh Weiss, arrivé en Palestine en 1906, un petit groupe de 66 familles se réunirent sur les dunes pour tirer au sort les lots qui deviendraient les leurs pour construire leurs futures maisons.

"Weiss prit 66 coquillages blancs pour les familles et 66 gris pour les numéros de parcelles,  désigna un petit garçon d’un côté, une petite fille de l’autre, chargés de les assortir au hasard. Au fil du tirage au sort, l'association des coquillages blancs et gris désigne les futurs propriétaires des parcelles.

Le moment fut immortalisé par hasard par le photographe Avraham Soskin.2 Il publiera en 1926 un album de photos intitulé "Tel Aviv, avant et maintenant" dans lequel se trouve cette photo, devenue iconique, des familles réunies sur la dune avant la construction de la ville.

...son projet [à Weiss ] muri deux ans plus tôt: créer une ville nouvelle, moderne, équipée d’électricité, d’eau courante, d’une école juive où l’enseignement se ferait en hébreu.

(…) Certes, Moïse Montefiore avait déjà oeuvré dans ce sens en créant les quartiers de Mishkenot Sha’ananim et Yemin Moshe à Jerusalem, mais Weiss voyait plus grand, plus moderne.

Nahum Sokolow, un des leaders sionistes, auteur, traducteur et un des pionniers du journalisme hébreu fit la proposition suivante: il prit le livre de Herzl « Altneuland » qui veut dire en gros « vieux nouveau pays » et le modifia pour en faire Tel Aviv.

« Tel » représentait l’ancien, les accumulations de civilisations les unes après les autres pour en faire des trésors pour les archéologues (Tel Meggido, Tel Hazor, etc) et Aviv représentait le renouveau, la naissance, le « printemps » en hébreu...... la ville était dotée d’un château d’eau, le premier."

(Della Meyers in The Times of Israël 11 avril 2016)

 

" Parvenir à cette journée du 11 avril 1909 n’avait pas été aisé. Il avait fallu surmonter les réticences de ceux qui désiraient seulement une petite maison pour se reposer des tracas de Jaffa encombrée et les engager dans un projet urbanistique de grande ampleur.

Pour cela il avait fallu racheter à ses divers propriétaires, une vaste région de dunes qui portait le nom de Keren Djebali, utiliser des prête-noms turcs ou non juifs et obtenir pour l’achat, la viabilisation et  les constructions, des sommes  en dehors de  portée des participants.

Pour cela le rôle de Arthur Ruppin, le représentant de l’Organisation Sioniste Mondiale, qui venait de s’installer à Jaffa, a été capital.

Tel Aviv fut son seul projet urbain, et l’année même de sa création, il achetait sur la rive sud du lac de Tibériade des terres incultes qui deviendraient Degania, le premier kibboutz.

Arthur Ruppin est un des grands acteurs des premières années du sionisme." (Richard Prasquier, Amif, Tel-Aviv, une ville d'histoire, 10 octobre 2024)

Les trois premières rue sont tracées :  Herzl, Aha Haam , Halevi, Lilienblum et Rotschild et les maisons construites

Le nom de Tel Avivest décidé le 21 mai 1910. Ce nom est aussi mentionné dans la Bible (Ezechiel, III : 15). Il s'agissait d'une ville en Babylonie qui accueillait les exilés. D'autres noms ont été proposés : La nouvelle Jaffa, Aviva, Yefefiya (la Splendide) et même Herzliya en l'honneur de Herlz. Ce dernier nom échouera à une autre ville nouvelle, fondée en 1924 au nord de Tel-Aviv.

...Le premier maire de Tel-Aviv était Meir Dizengoff. Comme par hasard, il tira le gros lot et eu le privilège de construire sa maison sur le boulevard Rothschild, un des endroits les plus convoités, déjà à cette époque, le lieu même du tirage au sort.… Meïr Dizengoff est resté maire de la ville jusqu’au début des années 30 quand il céda sa maison à la ville pour en faire le premier musée d’art juif.

C'est dans cette maison que Ben Gourion déclara l'indépendance le 14 mai 1948"4.

" Le projet est de construire des maisons entourées de jardins, ce dont manque tant la ville de Jaffa, autour d’une artère principale du Nord au Sud, la rue Herzl, rue au bout de laquelle sera construite, non pas une synagogue, mais une école, le gymnase Herzliya. Dans la notice de présentation il est écrit que Ahouzat Bayit (propriété de maison), c’est le nom du projet, deviendra avec le temps «le New York de la Terre d’Israël".

...Aujourd’hui, de toute cette Tel Aviv primitive, il ne reste que la maison restaurée  de Akiva Weiss, avec ses murs de briques et ses incrustations de coquillage, rappelant le fameux tirage au sort.  Devant elle a été inauguré en 1965 le Migdal Shalom, d’après son concepteur Shalom Meir, le premier gratte ciel de Tel Aviv qui avec ses 142 mètres de hauteur était alors le plus haut immeuble du Moyen Orient, très largement dépassé depuis. Pour le construire on n’a pas hésité à détruire l’historique gymnase Herzliya, point focal de Ahouzat Bayit, plus tard symbole éducatif de la Tel Aviv des premières années, où deux générations d’Israéliens apprendront une langue presque nouvelle, l’hébreu moderne. » (Amif)

 

En 1914, Tel Avi a failli disparaitre :

"Au mois d’août 1914, l’auberge de Yaffo qui fonctionne toujours comme centre d’accueil des immigrants devient le quartier général des forces turques. Une première vague d’arrestations a lieu dès le mois de novembre. Le port est fermé sauf aux Turcs, l’hébreu est interdit sur les enseignes, les plaques des rues, dans le bureau de poste. Il est interdit de l’enseigner ou de le parler en public. Plusieurs dizaines d’élèves du Gymnasia sont raflés pendant les cours et incorporés de force dans l’armée turque. Les shomerim (gardiens) sont exécutés. Les Juifs ne peuvent plus se protéger et sont la proie des Turcs et des pillards arabes. Tout contact est coupé avec l’étranger, les aides ne parviennent plus…
Le jeudi 17 decembre 1914, les Juifs  sont en train de célébrer ‘Hanouka, quand les policiers turcs font irruption dans les maisons. Ils ont pour ordre d’arrêter « le plus de sionistes possible ». Environ 700 personnes, hommes femmes et enfants sont emmenés au port et déportés en Egypte.
Les Turcs et Arabes pillent et détruisent tout ce qu’il peuvent de la nouvelle ville de Tel Aviv symbole du sionisme. Ils brûleront tout ce qui peut brûler plutôt que s’y installer tant leur haine des Juifs est féroce." in Bokertoyerushalayim

En 1925, les autorités, déplorant le caractère anarchique du développement de la ville, font appel à un urbaniste écossais, Patrick Geddes5 (1854 – 1932). C'est à sa suite que des architectes de renom, venus notamment d'Allemagne et fuyant le nazisme viendront tester les théories du Bahaus sur l'architecture et l'urbanisme.

Tel-Aviv dépasse en 2021 les 475 000 habitants, soit avec l'agglomération, plus 3 millions de personnes.

 

 

 

1 « et un terrain appelé Keren Djébali (les vignes de Djébali), où pourrissaient des vignes sans fruits » (Tel-Aviv, carnets de route, ed. Marcus et Guysen)

2 Cette photo mythique n'est peut-être pas celle de la cérémonie et a peut-être été modifiée ultérieurement pour l'historien Yaaco Shavit (Tel-Aviv,carnets de routes p.11)

3 Ce qui signifie « Le Domaine ».

4 Della Meyers (guide) in tribunejuive.info du 14 avril 2016

5 Patrick Geddes, biologiste de formation, était aussi un pionnier de l'écologie, prônant notamment l'établissement de « ceintures vertes », maraichères et d'agrément autour des villes.