Située sur la côte nord d’Israël, au carrefour des grandes civilisations de l’Antiquité et du Moyen Âge, Akko (ou Acre) est une ville fortifiée dont l’histoire est marquée par une succession de conquêtes et de sièges. Son importance stratégique en a fait un enjeu majeur pour les empires et les royaumes qui se sont disputé la région au fil des siècles.
1. Akko dans l’Antiquité : un port prospère sous influence égyptienne et phénicienne
Les premières traces d’occupation d’Akko remontent au IIIe millénaire avant J.-C., lorsque la ville s’impose comme un centre commercial clé du Levant. Les Égyptiens, sous le règne des pharaons du Nouvel Empire (vers le XVIe-XIe siècle av. J.-C.), exercent une influence considérable sur la ville, la mentionnant dans des inscriptions comme un poste avancé stratégique.
Vers le Xe siècle avant J.-C., Akko passe sous l’influence des Phéniciens, qui en font un port majeur pour le commerce maritime en Méditerranée orientale. La ville est mentionnée dans des textes assyriens et bibliques, notamment en relation avec les conquêtes du roi assyrien Sennachérib (VIIIe siècle avant J.-C.).
2. La domination perse et hellénistique : l’essor et les premiers sièges
Après la chute des empires assyrien et babylonien, Akko passe sous la domination perse (VIe-IVe siècle avant J.-C.), puis sous celle d’Alexandre le Grand en 332 av. J.-C. Après la mort d’Alexandre, ses généraux se disputent la ville, qui devient un enjeu entre les Ptolémées d’Égypte et les Séleucides de Syrie.
Les Séleucides, sous Antiochos III, en font une base militaire clé, mais la ville est attaquée à plusieurs reprises par les souverains hasmonéens juifs au IIe siècle av. J.-C. Les Romains finissent par établir leur contrôle sur Akko en 63 av. J.-C., sous le général Pompée, en l’intégrant à la province de Syrie.
3. L’époque romaine et byzantine : un port sous la Pax Romana
Durant l’époque romaine (Ier siècle av. J.-C. – IVe siècle apr. J.-C.), Akko, rebaptisée Ptolemaïs, prospère en tant que centre commercial et militaire. L’Empire byzantin, qui succède à Rome, y installe une garnison, mais la ville subit un premier grand siège en 638 lorsqu’elle tombe aux mains des armées musulmanes du calife Omar après la bataille du Yarmouk.
4. La conquête musulmane et les Croisades : Akko, un champ de bataille incessant
Avec l’arrivée des Arabes, Akko devient un important port du Califat omeyyade (661-750), puis abbasside (750-969). Elle est prise par les Fatimides en 969, mais en 1104, elle est conquise par les Croisés de Baudouin Ier de Jérusalem, marquant le début de sa transformation en une cité chrétienne fortifiée.
Siège de 1189-1191 : le tournant de la Troisième Croisade
L’un des sièges les plus marquants de l’histoire d’Akko survient en 1189-1191. Après la victoire de Saladin contre les Croisés à Hattin en 1187, la ville tombe sous contrôle ayyoubide. Mais les forces chrétiennes, menées par Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste, assiègent Akko pendant deux ans. Ce siège, caractérisé par des combats acharnés et des épidémies meurtrières, aboutit à la reconquête de la ville par les Croisés.
Akko devient alors la capitale du royaume croisé de Jérusalem, abritant les sièges des Ordres militaires, comme les Templiers et les Hospitaliers.
5. Le siège de 1291 : la fin de l’ère croisée
Akko reste aux mains des Croisés jusqu’en 1291, lorsqu’elle est attaquée par les forces mameloukes du sultan Al-Ashraf Khalil. Ce siège marque un tournant décisif :
Les Mamelouks bombardent les murs de la ville avec des trébuchets géants.
Les défenseurs croisés, en infériorité numérique, résistent héroïquement mais sont débordés.
Le massacre qui suit est l’un des plus sanglants des Croisades.
La prise d’Akko en 1291 met fin à la présence chrétienne en Terre Sainte. La ville est rasée par les Mamelouks et perd son importance pendant près de deux siècles.
6. Akko sous les Ottomans : renaissance et nouveau siège
Après une longue période de déclin, Akko retrouve une importance stratégique sous l’Empire ottoman (XVIe-XIXe siècle). Au XVIIIe siècle, le gouverneur Daher el-Omar la transforme en forteresse et modernise son port. Son successeur, Ahmed al-Jazzar, en fait l’un des bastions les mieux défendus de l’Empire.
Siège de 1799 : Napoléon face aux murailles d’Akko
En 1799, Napoléon Bonaparte, après sa campagne d’Égypte, tente de conquérir Akko pour ouvrir la route de Damas. Son siège est l’un des plus célèbres de l’époque moderne :
Avec une armée affaiblie par la peste, Napoléon bombarde la ville mais ne parvient pas à percer ses murailles.
L’aide britannique aux Ottomans, notamment via l’amiral Sidney Smith, renforce la défense de la cité.
Après plusieurs assauts infructueux, Napoléon lève le siège et bat en retraite, marquant son premier grand échec militaire.
À la veille du XXe siècle, Akko demeure un symbole des luttes de pouvoir en Méditerranée orientale. C'est une ville de taille moyenne, avec une population mixte composée de musulmans, de chrétiens, de juifs et d’une petite communauté bahá’íe. La ville est entourée de murailles impressionnantes datant de l’époque des Croisades, et son port, bien que moins actif qu’auparavant, reste un point stratégique pour le commerce régional.
La période ottomane (jusqu’en 1917)
Pendant les dernières décennies de l’Empire ottoman, Akko est une ville relativement marginalisée sur le plan économique, bien qu’elle conserve une importance symbolique et historique. La ville est administrée par des gouverneurs ottomans, et sa population vit principalement de l’agriculture, de la pêche et d’un commerce limité. Les infrastructures sont rudimentaires, et la modernisation est lente. La Première Guerre mondiale (1914-1918) affecte gravement la région, avec des pénuries alimentaires et des difficultés économiques. En 1917, les forces britanniques, dirigées par le général Edmund Allenby, prennent le contrôle d’Akko après la défaite ottomane.
La période du Mandat britannique (1917-1948)
Avec l’établissement du Mandat britannique sur la Palestine en 1920, Akko devient une ville sous administration britannique. Les Britanniques modernisent partiellement les infrastructures, mais la ville reste en retrait par rapport à des centres urbains comme Haïfa ou Tel Aviv. Akko est principalement connue pour sa prison, où les Britanniques emprisonnent de nombreux militants sionistes et arabes opposés à leur présence. Parmi les prisonniers célèbres figurent Zeev Jabotinsky, un leader sioniste, et des membres de groupes comme l’Irgoun et le Lehi. La prison d’Akko devient un symbole de la résistance contre le Mandat britannique.
Les tensions communautaires et les révoltes
Durant les années 1920 et 1930, Akko est touchée par les tensions croissantes entre les communautés juives et arabes en Palestine. La Grande Révolte arabe de 1936-1939 affecte la ville, avec des manifestations, des grèves et des violences intercommunautaires. Les Britanniques répriment sévèrement les révoltes, et Akko, en tant que centre administratif, est un lieu clé de ces événements. La population arabe de la ville est majoritaire, mais la présence juive augmente lentement, notamment avec l’arrivée de nouveaux immigrants sionistes.
La Seconde Guerre mondiale et ses conséquences
Pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Akko, comme le reste de la Palestine, est relativement épargnée par les combats directs, mais la guerre a des répercussions économiques et sociales. La région devient une base logistique pour les forces britanniques, et la population locale souffre de restrictions et de pénuries. Après la guerre, la pression pour l’immigration juive en Palestine s’intensifie, notamment en raison de la Shoah. Akko devient un point de débarquement pour certains survivants de l’Holocauste, bien que les Britanniques tentent de limiter cette immigration illégale.
La guerre de 1948 et la création de l’État d’Israël
En 1947, le plan de partage de l’ONU propose qu’Akko fasse partie de l’État arabe. Cependant, pendant la guerre de 1948, la ville est conquise par les forces israéliennes lors de l’opération Ben-Ami en mai 1948. La majorité de la population arabe fuit ou est expulsée, réduisant considérablement la communauté arabe d’Akko. La ville est intégrée à l’État d’Israël nouvellement créé, et sa population est progressivement remplacée par des immigrants juifs, principalement des réfugiés en provenance des pays arabes et d’Europe.
Akko sous administration israélienne
Après 1948, Akko devient une ville israélienne à majorité juive, bien qu’une petite communauté arabe reste présente. Le gouvernement israélien encourage l’immigration juive dans la ville pour renforcer sa présence dans les régions frontalières. Akko se développe économiquement, avec la construction de nouveaux quartiers résidentiels et l’expansion des infrastructures. Cependant, la vieille ville, avec ses bâtiments historiques, est négligée et tombe en décrépitude. La ville devient également un centre industriel, avec l’établissement d’usines et de zones portuaires.
Dans les années 1960, les autorités israéliennes commencent à reconnaître l’importance historique et touristique de la vieille ville d’Akko. Des efforts de restauration sont entrepris pour préserver les sites historiques, notamment les murailles, la citadelle et les souks. En 2001, la vieille ville d’Akko est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, reconnaissant sa valeur universelle exceptionnelle. Cette reconnaissance contribue à attirer des touristes et à revitaliser l’économie locale.
Tout au long du 20e siècle, Akko est un lieu de coexistence, mais aussi de tensions, entre les communautés juives et arabes. Après 1948, la minorité arabe restante en Israël, y compris à Akko, fait face à des défis liés à la discrimination et à la marginalisation. Cependant, Akko est également un exemple de coexistence relative, avec des initiatives visant à promouvoir le dialogue intercommunautaire. Les festivals culturels, comme le Festival d’Akko pour le théâtre alternatif, contribuent à renforcer les liens entre les différentes communautés.
Au cours du 20e siècle, Akko passe d’une ville marginalisée à un centre économique régional. Le port d’Akko, bien que moins important que celui de Haïfa, reste actif, et la ville devient un centre industriel, notamment dans les secteurs de la chimie et de la métallurgie. Le tourisme joue également un rôle croissant, grâce à la richesse historique de la ville. Cependant, le développement économique est inégal, et certains quartiers, en particulier ceux habités par la population arabe, restent défavorisés.
Akko est confrontée à des défis sociaux et politiques tout au long du 20e siècle. Les tensions intercommunautaires, les inégalités économiques et les problèmes de logement sont des problèmes récurrents. Dans les années 1980 et 1990, la ville connaît des vagues d’immigration en provenance de l’ex-Union soviétique, ce qui modifie encore sa composition démographique. Les nouveaux immigrants s’installent souvent dans des quartiers périphériques, contribuant à l’expansion urbaine.
À la fin du 20e siècle, Akko est une ville en transition, cherchant à concilier son riche patrimoine historique avec les défis de la modernisation et du développement économique. La vieille ville attire de plus en plus de touristes, tandis que les quartiers modernes continuent de s’étendre. Les relations intercommunautaires restent un enjeu important, mais des initiatives locales et nationales visent à promouvoir la coexistence et la coopération entre les différentes communautés. Akko, avec son mélange unique d’histoire, de culture et de diversité, reste un symbole de la complexité et de la richesse de la région.