Quel est le regard et le ressenti des Français juifs et de la société française dans son ensemble concernant la prévalence et l’évolution de l’antisémitisme en France ?

L’objectif de cette étude menée par AJC Paris et la Fondation pour l’Innovation politique (Fondapol), administrée par l’IFOP, est d’observer le regard croisé des Français – Grand public – et des Français de confession ou de culture juive face à la question de l’antisémitisme.

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Les statistiques publiées chaque année par le ministère de l’Intérieur sont un indicateur fort du niveau de l’antisémitisme en France mais elles ne peuvent à elles seules apporter des réponses exhaustives aux questions posées par ce phénomène. En complément des chiffres de l’antisémitisme délivrés par le gouvernement, cette radiographie de l’antisémitisme apporte des données quantitatives et qualitatives nouvelles…

I. Pour les Français de confession et de culture juive comme pour le grand public, le sentiment que l’antisémitisme est présent et en augmentation prédomine.

L’opinion dominante autant chez les juifs qu’au sein du Grand public est qu’il y a beaucoup d’antisémitisme en France. Ces derniers sont ainsi 67% et 47% à estimer qu’il y en a beaucoup (contre 22% et 27% qui estiment qu’il n’y en a pas beaucoup et 11% et 26% qui ne se prononcent pas). Le phénomène est aussi vu comme étant en recrudescence : 77% des juifs et 53% du Grand public estiment qu’il est en augmentation (contre 12% et 18% en diminution et 11% et 29% qui ne se prononcent pas).

II .L’antisémitisme marque fortement la vie et le quotidien d’une majorité des Français de confession ou de culture juive.

Un tiers des Français de confession ou de culture juive se sent menacé en raison de son appartenance religieuse.  Seulement 42% des juifs déclarent ne jamais se sentir menacés dans leur vie quotidienne en raison de leur appartenance religieuse. Ils sont à l’inverse, 34% à indiquer se sentir souvent ou de temps en temps menacés. Cette proportion est bien supérieure à celle observée au sein de l’ensemble de la population française (8%).

Les Français juifs sont aussi plus nombreux à indi quer se sentir menacés du fait de leurs origines ethniques (19% contre 10% au sein de l’ensemble de la population française).

a . Les Français de confession ou de culture juive ne sont épargnés par aucune
forme de violences antisémites.

70% des Français de confession ou de culture juive déclarent avoir été victimes d’au moins un acte antisémite au cours de leur vie. Au-delà de cet indicateur global, l’enquête s’est attachée à évaluer le phénomène dans sa dimension protéiforme. Pour ce faire, les sondés on t été interrogés sur les différents actes antisémites auxquels ils pouvaient avoir été exposés (agression verbale, physique, vol ou dégradation...). Au total , près des deux tiers des sondés indiquent ainsi avoir subi au moins une fois une agression verbale antisémite (64%). Près d’un juif sur deux indique avoir été victime à plusieurs reprises de moqueries désobligeantes ou de propos vexants (44%) et ils sont au total 63% à y avoir été confrontés au moins une fois. Les sondés sont aussi un sur deux à indiquer avoir déjà été insultés car juif (48% dont 25% à plusieurs reprises). Enfin, 22% des Français de confession ou de culture juive déclarent avoir subi une menace d’agression du fait de leur appartenance à la communauté juive. Les Français juifs ne sont pas épargnés par la violence physique : 23% d’entre eux indiquent ainsi avoir été victime à au moins une reprise d’un acte de violence physique dont 10% déclarent y avoir été confrontés à plusieurs reprises.

b. Surexposition chez les jeunes et chez les juifs les plus pratiquants.

L’analyse détaillée du profil des victimes permet de mettre en évidence une surexposition de certains segments de la population sondée à la violence antisémite. C’est notamment le cas des jeunes qui apparaissent comme étant «en première ligne». Les 18-24 ans sont ainsi 84% à faire état d’au moins un acte antisémite subi (contre 70% pour l’ensemble des répondants), 79% à déclarer avoir été victime d’une agression verbale (contre 64%) et 39% à faire état d’une agression physique.

L’analyse du profil des victimes met aussi en lumière un phénomène majoré chez les juifs les plus pratiquants. Ces derniers sont ainsi 74% à déclarer avoir subi au moins une agression verbale antisémite (contre 64% pour l’ensemble des sondés). Les juifs les plus pratiquants sont aussi souvent ceux qui affichent un style vestimentaire exprimant leur appartenance au judaïsme et sont ainsi plus facilement «identifiables» comme étant juifs.

c. Espaces d’expression de la violence antisémite: aucun lieu ne semble échapper totalement à l’antisémitisme.

Deux espaces apparaissent comme étant les lieux privilégiés de l’exercice des violences antisémites : les espaces publics et les établissements scolaires. Plus d’un sondé sur deux faisant état d’une agression verbale indique ainsi avoir été insulté ou menacé dans la rue (55% dont 32% à plusieurs reprises). Par ailleurs, c’est dans la rue que se déroulent le plus largement les agressions physiques : 59% des victimes affirment avoir subi cette agression dans cet espace. Aussi , les violences antisémites se déroulent aussi dans les établissements scolaires :

54% des sondés ayant été victime d’une agression verbale expliquent avoir été insultés ou menacés dans un établissement scolaire ou lors d’activités périscolaires. L’école n’échappe pas non plus à la violence physique antisémite, avec 26% des victimes qui affirment avoir subi au moins un acte de ce type dans le cadre scolaire.


Par ailleurs, aucun lieu ne semble échapper totalement à l’antisémitisme.

L’environnement professionnel – en apparence plus policé – est par exemple cité par presque une victime sur deux de violence verbale (46%) comme étant un lieu d’agression.

d . L’antisémitisme modifie les modes et pro jets de vie des Français de confession ou de culture juive.

Face à l’antisémitisme, les Français de confession ou de culture juive appliquent des stratégies d’évitement et de dissimulation. Ce climat conduit une partie des Français de confession ou de culture juive à éviter certains territoires (43% pour l’ensemble des sondés et 55% pour ceux qui ont subi une agression antisémite) mais également à adopter une stratégie d’invisibilité. Ils sont ainsi un tiers à éviter d’afficher des symboles comme la mezouza exprimant leur appartenance au judaïsme (37% et 47% pour les victimes) ou à afficher un style vestimentaire exprimant leur appartenance à la culture juive (33% et 40%).

Par ailleurs, un quart des sondés (et un tiers des victimes) déclarent avoir déjà évité de révéler leur appartenance à la communauté juive sur leur lieu de travail. La crainte ou l’exposition aux violences antisémites conduit une partie des Français de confession ou de culture juive à envisager de changer de quartier (22% et 31% pour les victimes), voire dans une moindre mesure de ville (17% et 24%) ou de région (15% et 21%). Plus d’un Français de confession ou de culture juive sur deux a déjà envisagé de quitter la France. 52% des Français juifs ont envisagé de quitter la France dont 21% par craintes concernant l’avenir pour les juifs en France, 12% pour des raisons économiques, 13% par craintes pour l’avenir de la France et 6% pour des raisons culturelles.

III. L’antisémitisme est une réalité du quotidien pour l’ensemble des Français.

Plus d’un Français sur cinq a déjà entendu une personne de son entourage dire du mal des juifs.  Signe que l’antisémitisme n’est pas un phénomène marginal, 22% des Français indiquent avoir déjà entendu une personne de leur entourage dire du mal des juifs. Il s’agit d’une proportion stable par rapport à 2016 et 2014. Par ailleurs, 40% des Français déclarent avoir déjà assisté à des blagues et discussions véhiculant des préjugés ou mettant en cause les Juifs ou la Shoah Ces derniers sont également 16% et 9% à déclarer avoir déjà assisté à une agression verbale et à une agression physique commise à l’encontre d’une personne de confession juive en raison de son identité. Relevons que cette proportion est presque deux fois supérieure chez les Français se sentant « gilet jaune » (28% et 17%).


IV. L’antisémitisme est une préoccupation de la société française dans son ensemble.
Le Grand public et les Français de confession ou de culture juive s’accordent assez largement pour dire que l’antisémitisme est un problème pour tous et concerne la société dans son ensemble. Cette opinion est partagée à 73% par le Grand public et à 72% par les Français de confession ou de culture juive. À l’inverse, ces derniers ne sont que 21% à estimer qu’il s’agit seulement du problème des juifs. Cette opinion est encore moins marquée au sein du Grand public (8%).

Deux enseignements supplémentaires

.1 .L’opinion du grand public et des Français de confession ou de culture juive diverge concernant les causes de l’antisémitisme .

Les préjugés sur les juifs apparaissent aux yeux du grand public comme étant la principale cause de l’antisémitisme en France (58%) devant l’islamisme (36%) qui est revanche davantage cité par les Français de confession ou de culture juive (45%). Ces derniers placent les préjugés en seconde position (42%). Ils évoquent aussi presque au même niveau les idées d’extrême droite (26%) et les idées d’extrême gauche (23%). Sur ce point, nous observons une divergence importante avec le grand public qui identifie bien davantage les idées d’extrême droite que les idées d’extrême gauche comme cause de l’antisémitisme (30% contre 9%).

2. Une grande confiance est accordée aux organisations de la société civile pour lutter contre l’antisémitisme.

Sur la confiance accordée à différents acteurs pour lutter contre l’antisémitisme, les Français de confession ou de culture juive comme le grand public placent les associations juives en première place (77% et 66%), suivies par les forces de l’ordre en seconde place pour les Français juifs (60%) et troisième place pour le grand public (59%) après les associations antiracistes (61%). Viennent en troisième et quatrième positions les élus locaux (58% et 56%), bien devant le gouvernement (46% et 41%) et le président de la République ( 47% et 48%)