Posen, 29 novembre 1806

À M. de Champagny

Monsieur Champagny, j’approuve que vous rendiez exécutoire la contribution sur les Juifs des départements, pour indemniser les rabbins et membres de l’assemblée de Paris. Moyennant cette indemnité, mon intention est qu’ils restent à Paris et que le sanhédrin soit convoqué dans le plus court délai.

Quant au projet d’organisation de la nation juive, il faut que le sanhédrin soit rassemblé. Convoquez-le pour une époque telle que je puisse lui renvoyer tout ce qui doit y être réglé.

Il faut ôter des lois de Moïse tout ce qui est intolérant; déclarer une portion de ces lois civiles et politiques, et ne laisser de religieux que ce qui est relatif à la morale et aux devoirs des citoyens français

§1

Pour marcher d’une manière régulière, il faudrait commencer par déclarer qu’il y a dans les Lois de Moyse des dispositions religieuses et des dispositions politiques;


Que les dispositions religieuses sont immuables; mais qu’il n’en est pas de même des dispositions politiques qui sont susceptibles de modifications;


Que c’est le Grand Sanhédrin qui seul peut établir cette distinction:


Que pendant tout le temps où les Israélites sont restés dans la Palestine et formaient corps de nation, les circonstances politiques étant les mêmes que du temps de Moïse, les Grands Sanhédrins n’ont point été dans le cas de faire cette distinction;


Que depuis que les Israélites ont quitté leur Patrie, il n’y a plus de Grand Sanhédrin.

Après la déclaration de ces principes, en viendra l’application.
– 1° La polygamie était permise; elle doit cesser de l’être aux Juifs qui se sont répandus dans l’occident, tandis qu’elle le peut être encore à ceux de l’orient, en considération de la situation particulière dans laquelle ils se trouvent.


– 2° Selon la loi de Moïse, les Juifs ne regardaient comme leurs frères que ceux qui professaient la même religion. Cela devrait être, lorsque le peuple juif était environné de peuple idolâtres qui avaient juré une haine commune aux enfants d’Israël. cela peut cesser d’être quand cette situation a changé et c’est ce que le sanhédrin établira en décidant qu’il doit considérer comme frères tous les hommes, quelque religion qu’ils professent, s’ils ne sont pas idolâtres, et si les Israélites jouissent au milieu d’eux des mêmes droits qu’eux-mêmes.


– 3° Cette fraternité étant établie, il en doit résulter l’obligation de défendre le pays où les Israélites jouissent des mêmes droits que les autres citoyens, de même que selon la loi de Moise, ils devraient défendre le temple de Jérusalem. Le sanhédrin doit en faire une loi positive.


– 4° De la doctrine qui établira que les Juifs doivent considérer les chrétiens comme frère, il résultera non seulement que les mariages entre Juifs et Chrétiens ne sont point anathème, mais la nécessité de les recommander parce qu’ils importent au salut de la nation.


– 5° et 6° La répudiation et le mariage doivent être assujetti à l’observation des formalités prescrites par le Code Napoléon.


– 7° et 8° Les explications sur le prêt à intérêt à peu près telles qu’elles sont établies dans le projet, dérivent également de la fraternité reconnue.


– 9° Les professions utiles. Ajouter aux dispositions de la décision proposée une invitation à devenir propriétaire.


– 10° Enfin une obligation de la propriété.
Toutes ces décisions appartiennent au Grand sanhédrin, et c’est seulement de cette partie dogmatique que le travail présenté par le Ministre fait mention.

§2
Des dispositions d’organisation et de discipline doivent aussi être prises, et elles paraissent appartenir à l’Assemblée générale.
Ainsi l’Assemblée générale déterminera :


– 1° L’organisation de Sanhédrin ou de Consistoires administratifs par arrondissements et par départements, et celle d’un sanhédrin ou Consistoire central et les attributions de ces institutions qui doivent exercer une police sévère sur les rabbins;


– 2° Le nombre des rabbins, la manière dont ils seront payés, leurs obligations et leurs attributions.


– 3° Les conditions nécessaires pour être autorisé à faire le commerce, et la manière dont cette autorisation sera donnée, sous l’approbation de l’autorité locale.


– 4° La prohibition de toute espèce de commerce du droit de tirer des lettres de change, de l’exercice du brocantage, de la faculté d’avoir boutique à tout individu qui ne sera pas pourvu de l’autorisation ci-dessus.


– 5° La prohibition pendant dix à tous les israélites qui ne prouveraient pas qu’ils possèdent en France des biens fonds, de la faculté de prêter sur hypothèque, et l’autorisation aux propriétaires de fonds, en limitant la faculté de prendre hypothèque à une somme égale à la valeur des fonds qu’ils possèdent.


– 6° L’obligation dans chaque département ou arrondissement de Sanhédrin ou Consistoire de n’autoriser sur trois mariages que deux mariages entre Juifs et Juives et un mariage mi-partie entre Juif et Chrétien;

Il est ajouté en marge :
Si cette disposition paraît d’une exécution trop difficile, il faut prendre des mesures d’invitation, d’instruction, d’encouragement, de commandement, qui puissent conduire à ce but.


– 7° L’obligation de fournir une quantité de Conscrits proportionnée à la population israélite, sans qu’il puisse y avoir de remplacement d’un israélite si ce n’est par un autre israélite.


D’autres dispositions pourraient être prescrites; mais elles viendront ensuite.

§3
Parmi celles établies ci-dessus, il en est plusieurs qui sont non seulement de discipline mais encore de législation et pour lesquelles le Concours du Conseil d’Etat est nécessaire.


Ainsi, le Grand Sanhédrin expliquant les dispositions politiques de la loi de Moïse, prescrirait comme dogme les objets qui se trouvent dans son ressort.
L’Assemblée générale des Israélites faisant une sorte de convention avec l’administration et, en considération des avantages que la Révolution a accordé aux Juifs, prescrirait les dispositions d’organisation et de discipline.


Enfin le Conseil d’Etat ferait les règlements nécessaires pour l’exécution des dispositions et des prohibitions indiquées ci-dessus.


Il y a dans tout ceci un mélange de dogmes, de discipline, de législation, d’où résulte la nécessité d’un grand Sanhédrin, d’une assemblée générale des israélites et d’un concours mutuel de l’autorité des Juifs entr’eux et de l’autorité publique.


Il faut beaucoup de réflexion et de discernement pour distinguer d’une manière précise ce qui doit appartenir dans ce plan au grand Sanhédrin, à l’assemblée générale et au Conseil d’Etat.


Si un sénatus Consulte était nécessaire on n’y verrait pas de difficulté; mais il ne serait pas possible de procéder au moyen d’une loi, attendu qu’il s’agit d’arriver par des dispositions civiles à des résultats politiques.

§4
Le principal but qu’on s’est proposé a été de protéger le peuple français, de venir au secoure des campagnes et d’arracher plusieurs départements à l’opprobre de se trouver vassaux des Juifs; car c’est un véritable vasselage que l’hypothèque d’une grande partie des terres d’un département à un peuple qui, par ses moeurs ou ses lois, formait une nation particulière dans la Nation. C’est ainsi que dans des terres fort rapprochées de nous, la main-morte menaçant de s’emparer du territoire, on fut obligé d’opposer des obstacles à son progrès. De même, la Suzeraineté des Juifs s’étendant sans cesse au moyen de l’usure et des hypothèques, il devient indispensable d’y mettre des bornes.


Le second objet est d’atténuer, sinon de guérir la tendance du peuple Juif à un si grand nombre de pratiques contraire à la civilisation et au bon ordre de la Société dans tous les pays du monde.


Il faut arrêter le mal en l’empêchant; il faut l’empêcher en changeant les Juifs.


L’ensemble des mesures proposées doit conduire à ces deux résultats.


Lorsque sur trois mariages il y en aura un entre Juif et Français, le sang des Juifs cessera d’avoir un caractère particulier.


Lorsqu’on les empêchera de se livrer exclusivement à l’usure et au brocantage, ils s’accoutumeront à exercer des métiers; la tendance à l’usure disparaître.
Lorsqu’ils ne pourront obtenir d’hypothèque qu’en possédant eux-même des propriétés, ils deviendront propriétaires.


Lorsqu’on exigera qu’une portion considérable de la Jeunesse aille aux armées, ils cesseront d’avoir exclusivement des intérêts et des sentiments Juifs; ils prendront des intérêts et des sentiments français.


Lorsqu’on les soumettra aux lois civiles, il ne leur restera plus comme Juifs que des dogmes, et ils sortiront de cet état où la religion est la seule loi civile, ainsi que cela existe chez les musulmans, et comme cela a toujours été dans l’enfance des Nations.


C’est en vain que l’on dirait qu’ils ne se sont avilis que parce qu’ils sont vexés en Pologne, où ils sont nécessaires pour remplacer la classe intermédiaire de la société, où ils sont considérés et puissants, ils n’en sont pas moins vils, mal-propres et portés à toutes les pratiques de la plus basse improbité.


Les spéculateurs proposeraient sans doute de se borner à introduire des améliorations dans leur législation; mais cela serait insuffisant. le bien se fait lentement et une masse de sang vicié ne s’améliore qu’avec lenteur. Cependant les peuples souffrent. Ils crient et l’intention de S. M. est de venir à leur secours.
Il faut user concurremment de deux moyens, dont l’un est d’arrêter l’incendie et l’autre de l’éteindre.


De-là la nécessité d’employer en même temps le Grand Sanhédrin, l’Assemblée générale des Juifs et les dispositions réglementaires qui seront délibérées par le Conseil d’Etat.


Le Grand Sanhédrin a pour lui les voeux et l’opinion de tout ce qu’il a d’éclairer parmi les Juifs de l’Europe. Avec cet appui, il est le maître de supprimer de la législation de Moïse les lois qui sont atroces et celles qui n’appartiennent qu’à la situation des Juifs dans la Palestine.


Source: Archives Nationales F/19/11004 et 11005