L’Histoire des Juifs en GRECE et en CRETE
(Simone Zaegel - Association Alsace-Crète - 2020)
Avant 1453
Nous ne savons pas quand les premiers Juifs arrivèrent en Grèce. Certainement vers 85 av. J.C. quand l ’historien et géographe grec Strabon écrivit que des Juifs peuvent être trouvés dans toutes les villes des régions situées à l’Est du Bassin Méditerranéen (Strabon VII 7,4).
Il s’agissait d’individus juifs et non de communautés juives, qui vivaient en Grèce depuis l’exil babylonien (586 – 530 av. J.C.)
Après les guerres des Macchabéens (en 170 et 161 avant J.C.), beaucoup de Juifs hellénisés ont fui la Judée et se sont établis dans le monde grec.
Pendant les guerres en Alexandrie entre Cléopâtre, la femme de Ptolémée Philomété et Phsycon, les Juifs d’Alexandrie semblent avoir trouvé refuge dans la ville de Salonique, nouvellement fondée (à peu près en 140 av. J.C.). Au 1er siècle avant notre ère, des communautés juives vivaient tout le long des côtes d’Asie Mineure, à Rhodes et dans de nombreuses îles égéennes.
Lorsque Paul de Tarse arriva en Grèce en 48 après J.C., il trouva de grandes et florissantes communautés juives dans les villes de Crète et à Athènes, Corinthe, Salonique, Veria et Philippi.
Lorsque le christianisme se développa et s’épanouit, les communautés juives se replièrent sur elles-mêmes. Et au 4ème siècle, quand le Christianisme devint la religion d’Etat de l’Empire Romain, les droits et les libertés des Juifs étaient protégés – au moins partiellement – par le droit romain. Toutefois, cette implication représentait un affront à la religion chrétienne, et ces droits furent donc réduits.
L’Est de l’Empire Romain s’orientalisa petit à petit à cause de la proximité de la nouvelle capitale de l’Empire Perse (Constantinople) et, plus tard, du Califat de Bagdad. Le résultat de cette orientalisation et des limites géographiques qu’imposaient à l’Empire Romain les invasions barbares à l’Ouest firent que cette partie des territoires fut bientôt reconnue comme Empire Byzantin.
Mais ses habitants étaient intensément marqués par leur civilisation romaine et se considéraient, eux-mêmes, comme des Romains. Les Juifs de l’Empire Byzantins furent reconnus comme « Romaniotes » et, sous ce nom, représentaient la partie la plus importante de la communauté juive au 15ème Siècle.
La communauté des Juifs « romaniotes » développa des coutumes et des rites mineurs (minhagim) qui étaient différents de ceux des autres communautés en Europe de l’Ouest et dans le Proche Orient.
Lorsque l’Empire Byzantin céda des territoires aux Arabes, Bulgares, Serbes et Turcs, beaucoup de ces Juifs « romaniotes », qui se retrouvèrent à vivre dans des régions séparées, continuèrent à partager une origine commune et des « minhag » (rites). Ainsi en Bulgarie, Serbie, en Sicile, en Asie Mineure, existaient de grandes et florissantes communautés de Juifs « romaniotes », parlant le grec et partageant un passé historique commun avec leurs frères qui restèrent dans l’Empire Byzantin.
Ce qui est spécialement désolant pour ces siècles est que nous n’avons pas la moindre information concernant ces Juifs, ni sur leur façon de vivre.
Leur vie ne devait pas toujours être facile comme le laissent deviner les attaques de plusieurs empereurs byzantins qui voulurent forcer les Juifs à se convertir au christianisme. Apparemment, du refus des Juifs d’obtempérer résulta la destruction de 230 communautés juives sous le règne de Basile II, le » Meurtrier Bulgare » en l’an 1000 après J.C.
Nos premiers récits sur les dispersions juives et les conditions de la vie juive furent trouvés dans le fameux récit « Les Voyages de Benjamin de Tudela » qui fit un voyage en Grèce au 12ème Siècle. Il visita beaucoup de communautés juives et mentionna Patras, Thèbes et Corinthe comme centres de la vie juive. Le commerce semble avoir été une source constante d’informations et a aidé, en partie, à maintenir des contacts avec des régions situées en dehors de l’Empire Byzantin. Dans certaines régions de Grèce, spécialement dans le Péloponnèse et, sur le continent, à Thèbes, il semble que les Juifs étaient profondément impliqués dans la production de la soie.
Beaucoup de producteurs de soie, juifs de Thèbes, furent » kidnappés » au 11ème Siècle par le Roi de Sicile Roger II.
Plus inusités furent les chemins suivis par les Juifs qui devinrent paysans et cultivèrent des terres en Crète et près du village de Krisa, proche de Delphes.
Après la conquête latine de Constantinople en 1204, les Croisés occupèrent de nombreuses régions de l’Empire Byzantin. Les Juifs furent alors divisés par une féodalisation imposée à la Grèce, d’après le modèle français. Les Juifs de Crète, de Chalcis et des îles ioniennes et Egéennes se retrouvèrent, eux, sous la domination vénitienne. Ceux-là eurent d’étroites relations avec les Juifs de Venise et subirent leur influence, ce qui donna un autre caractère à ces communautés juives, influences qui perdurèrent jusqu’ au 20ème Siècle.
Nous n’avons pratiquement pas d’idées sur les conditions de vie des Juifs en Grèce pendant la période chaotique qui suivit le ré-établissement du pouvoir byzantin vers la fin du 13ème Siècle, sous l’Empereur Michel VIII Paléologue (illustre famille byzantine qui a fourni plusieurs empereurs à l’Empire d’Orient, notamment Michel VIII et Andronic II et plus tard les Marquis de Montferrat et qui fut dispersée après la conquête turque).
Nous pouvons seulement assurer que les communautés juives maintenaient des liens étroits entre elles et crûrent ou déclinèrent au rythme de conditions de vie très instables.
On prit pour cibles les « perfides Juifs » pour les taxer et les déstabiliser ; ils durent avoir, de ce fait, une vie difficile. C’était, peut-être, à cause de telles pressions que les Juifs de Krisa se convertirent au christianisme. Les habitants du Magne, dans le Sud du Péloponnèse, soutiennent que les vrais Maniotes sont des Juifs qui, selon le cas, purent le rester.
En 1453, l’Empire Byzantin prit fin avec la conquête du Sultan Ottoman Mehmed II. Pendant un certain nombre d’années, les Ottomans occupèrent toute la Grèce, excepté quelques îles, notamment la Crète qui se trouvait entre les mains des Vénitiens.
Sous la loi islamique, qui fut appliquée par les Turcs ottomans, tous les non-musulmans qui croyaient en Dieu étaient « Peuple du Livre » et se trouvaient sur un pied d’égalité. Chrétiens et Juifs, subitement, se trouvèrent assujettis aux mêmes lois, restrictions, et, parfois, privilèges. Les Juifs étaient maintenant représentés par un Chef-Rabbin à Constantinople ; mais son autorité ne s’étendait certainement pas au-delà de l’Empire Ottoman.
Après 1453
Pendant que l’Empire Byzantin entrait dans la dernière période de son déclin qui se termine par la conquête ottomane, l’ Espagne témoigna d’une période de regain sous les monarques chrétiens qui essayèrent de créer un empire national homogène.
Cette homogénéité était démentie par le grand nombre de Musulmans et de Juifs qui habitaient la Péninsule Ibérique. Après une période de compromis religieux, basés sur la conversion au christianisme, aussi bien les Juifs convertis (Marranos) que les Juifs non convertis furent expulsés d’Espagne en 1492.
Quelques semaines après l’annonce faite de cette expulsion, le Sultan ottoman Beyazid II ouvrit les portes de l’Empire ottoman à ces exilés.
Il n’est pas connu combien y arrivèrent, mais Constantinople, Edirne (Handrianople), Izmir et, tout spécialement Salonique reçurent un grand nombre d’émigrants. Le Portugal fit une expulsion similaire en 1497. Ces Juifs d’Espagne et du Portugal sont connus comme Sépharades.
Les Juifs espagnols et portugais se différenciaient de leurs frères « Romaniotes » de bien des façons. D’un bout à l’autre du Moyen Age, ils jouirent d’une liberté et d’une avance culturelle que connurent peu de communautés juives à travers le monde. Sous le règne des Musulmans, dans la Péninsule Ibérique, ils avaient occupé des fonctions-clef dans la société et, même après la reconquête de l’Espagne par les rois chrétiens, beaucoup de Juifs, à la fois ceux qui conservèrent la religion de leurs aîeux, et ceux qui se convertirent, continuèrent à jouer un rôle important dans la vie et la culture espagnole et portugaise.
Leurs « Minhag » reflétèrent la forme du judaïsme exprimée dans ce qui est connu comme « Talmud Babylonien » en opposition aux « Minhag» des « Romaniotes » qui étaient plus près du « Talmud de Palestine ».
L’arrivée des « Sépharades » dans l’Empire Ottoman causa une grande quantité de tensions dans beaucoup de communautés juives, du fait que les Juifs « Romaniotes » se trouvèrent subitement confrontés à une culture très sophistiquée. A Salonique et à Edirne, beaucoup de communautés « Romaniotes » furent, en fin de compte, obligées d’accepter non seulement les « minhag » sépharades, mais également les coutumes castillanes – espagnoles.
Dans les cent ans qui suivirent, ces Espagnols développèrent certaines particularités et, avec l’intégration progressive d’un grand nombre de mots et expressions turques, grecs, arabes et même bulgares, eurent une langue bien distincte, connue sous le nom de « Ladino ».
L’implantation des communautés juives et les coutumes de la vie des Juifs grecs, « romaniotes » ou « sépharades », étaient bien établies au 16ème Siècle et restèrent inchangées pendant les 400 ans suivants.
A l’Est des Montagnes du Pinde, en Thrace, Macédoine et une grande partie de la Théssalie, la culture « séraphade » prédomina. Ceci fut également le cas de Rhodes, de la plupart des îles de la Mer Egée et de la Côte d’Asie Mineure.
A l’Ouest des Montagnes du Pinde, en Epire, dans les îles Ioniennes et, plus au Sud, dans le Péloponèse, les anciennes coutumes et anciens modes de vie des « Romaniotes » perdurèrent.
Ce furent donc des Juifs des « Pouilles » en Italie du Sud et de Sicile qui furent expulsés et trouvèrent refuge en Grèce. S’établissant à Corfou, Ionnina et Salonique, ils furent connus sous le nom de » Pouliotes « . A Salonique, ils avaient leur propre Synagogue.
Pendant les 300 premières années de l’Empire Ottoman, leur période de grandes migrations et expansions, les Juifs jouirent d’une liberté de mouvements et d’autodétermination importante, inconnue de leurs frères en Europe, ni nulle part ailleurs.
Les Lois sociales, religieuses et éthiques du Judaïsme suivaient étroitement celles de l’Islam et une commune tradition anti-iconique accentuait davantage ces parallèles. Pourtant, un facteur très important était que, les Juifs fuyant les persécutions dans la Péninsule Ibérique et en Italie au 15ème et au début du 16ème Siècle et l’Europe de l’Est pendant les 16èmes et 17èmes Siècles, vinrent, de plein gré, dans l’Empire Ottoman, lieu de refuge et de paix.
L’étroit contact entre les Ottomans et les Juifs est aisément reconnaissable par l’adoption de maints détails de l’habillement turc, spécialement chez les femmes, et l’influence des dessins et broderies turques. Dans un temps, où il n’y avait pas de téléphone et où beaucoup de femmes turques étaient confinées dans les harems, cela ne surprend pas que les femmes juives ne furent pas seulement les entremetteuses et les messagères, mais en plus furent une nécessité familiale en tant que journal et téléphone. Il existe des gravures, datant du 16ème ou 17ème Siècle qui montrent des femmes juives passant de longs après-midi avec des amies musulmanes dans leur « haramlik » (harem) ou dans les bains (hamam), partageant recettes, histoires, chants et commérages.
Par ces contacts, beaucoup de recettes de cuisine turques, surtout les sucreries, furent adoptées par les Juifs. Les versions grecques chrétiennes des plats turcs sont moins fidèles que les juives, car les contacts avec les Chrétiens grecs étaient moins intimes. En dépit de cette influence turque, ce qui est particulièrement important en se référant à la cuisine juive de Grèce, c’est que les deux cuisines – romaniotes et sépharades- reflètent les traditions médiévales grecques ou espagnoles, qui sont plus anciennes que les traditions ottomanes. Certaines de ces recettes remontent à l’Antiquité.
A la fin du 18ème Siècle, l’Empire Ottoman entra dans la dernière phase de son long déclin. La Révolution française fit trembler l’Europe et secoua dans leurs fondations beaucoup d’institutions ottomanes qui, d’ores et déjà, avaient montré une incapacité d’adaptation aux nouveaux développements politiques et philosophiques du Siècle des Lumières.
C’est une ironie que justement la plupart de ces institutions avaient été héritées de l’Empire Byzantin et avaient été la cause principale du déclin de cet Empire et de son effondrement.
L’Empire Ottoman avec sa multi – nationalité, pourtant plein d’expérience, vit s’accroître les demandes d’auto – détermination sous forme de révoltes de ses sujets et même beaucoup de Turcs firent pression pour obtenir des réformes.
Dans le Nord-Est de la Grèce, Ali Pascha tenta de se tailler un état séparé, pendant qu’en Egypte Mohamed Ali rompit avec l’Empire et menaça même d’attaquer la « PORTE ».
En 1821 les habitants du Péloponnèse explosèrent dans la révolte qui devint la « Guerre d’Indépendance Grecque ». Les Bulgares et les Serbes, pour mentionner seulement deux autres groupes nationaux, suivirent. Dans l’Empire, l’agitation était constante, fomentée par des Nations étrangères, qui reconnaissaient que l’homme européen était fatalement malade ; cependant, elles n’acceptaient pas de reconnaître que l’héritage de cet « homme malad » » pouvait les diviser.
Les Juifs étaient pris entre toutes ces luttes. N’ayant ni patrie ni une conscience nationale bien définie qui serait en accord avec les nouvelles idées de l’époque, ils eurent tendance à se replier dans un conservatisme qui en fit, plus ou moins, de tranquilles spectateurs, attendant la suite des événements qui détermineraient leur futur.
Vers le milieu du 19ème Siècle, les Juifs qui, pendant des siècles, étaient habitués à une unité établie en dedans des vastes frontières de l’Empire Ottoman, virent cette unité divisée en Etats nationaux revendiquant le principe d’un Peuple, d’une Nation, d’une Religion.
Les « Sépharades » eurent tendance à se replier dans les traditions et la culture de leur passé espagnol. Les « Romaniotes » ne surent quel chemin emprunter : faire ressortir leur passé grec ou pencher vers la Turquie ?
Pendant les années mouvementées de la guerre d’indépendance grecque, presque toutes les communautés juives du Péloponnèse furent détruites. Les quelques survivants migrèrent vers le Nord, en des villes comme Volos et Ionnina.
Les guerres des Balkans en 1912/13 amenèrent de vastes territoires, notamment Salonique, dans les frontières de la Grèce moderne. Les Juifs « Romaniotes » de l’Epire consentirent, finalement et définitivement, à l’hellénisation. Salonique et les autres communautés « sépharades » de Thrace et de Macédoine avaient de plus grandes difficultés ; spécialement depuis que certains des Juifs les plus cultivés de Salonique avaient joué des rôles actifs dans l’effort final pour moderniser l’Empire pendant la révolte des Jeunes Turcs en 1904.
Les Grecs, s’efforçant d’helléniser Salonique, se trouvèrent devant une ville dont la vie interne était manifestement juive et non espagnole. La plupart des activités de la ville s’arrêtaient le vendredi soir pour le « Sabbat », et le « Ladino » était le langage de la vie courante. 32 synagogues et beaucoup de petits oratoires étaient dispersés à travers la ville, plusieurs avec des noms rappelant leurs lointaines origines ; les Aragonais, les Castillans, les Catalans, les Pouliotes, les Romaniotes sans oublier les Askenazes.
Ainsi Salonique eut droit à une politique d’hellénisation concentrée et agressive.
En 1917, la Grèce entra dans la 1ère Guerre mondiale. En Août 1917, à Salonique, un grand incendie détruisit presque tous les quartiers juifs. Les Juifs commencèrent à émigrer : certains vers Athènes ou encore en France, Amérique du Sud ou U.S.A.
Dans les Années 1920, les populations échangées entre la Grèce et la Turquie amenèrent un grand nombre de réfugiés turcs à s’installer à Salonique et dans d’autres villes où il y avait déjà une population turque d’une certaine importance.
Cela offrit trois choix aux communautés « sépharades » : soit se replier complètement dans le conservatisme, soit la fuite, soit la complète hellénisation. Généralement ceci fut le choix de la plupart, mais ce fut le plus apparent à Salonique où les Juifs étaient quand même au nombre de 70.000 et beaucoup y vivaient une vie qui n’avait presque pas changé en 300 ans.
Dans les autres parties de la Grèce, la situation, face aux Juifs, était moins tendue du moins jusqu’à la 2ème Guerre mondiale.
Lorsque les troupes de Mussolini attaquèrent la Grèce, les Juifs montrèrent leur profonde loyauté en envoyant immédiatement 6.000 jeunes gens pour aider les Grecs à défendre les frontières. Les troupes de Mussolini furent arrêtées mais, en 1941, l’arrivée de Hitler ne le fut pas. Les troupes allemandes envahirent la Grèce le 6 Avril 1941 et occupèrent Athènes le 21. Jusqu’en 1945, approximativement 70.000 Juifs furent déportés, la plupart vers les camps d’extermination de Pologne.
La présence juive en Grèce fut approximativement réduite à 10.000 personnes, dont beaucoup émigrèrent par la suite.
La population juive actuelle de la Grèce se chiffre à peu près à 6.000 individus.
Simone Zaegel (Association Alsace - Crète)
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