Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les députés,
La France vit, aujourd'hui, un moment d'espérance.
Elle sort d'une campagne électorale longue et disputée qui a donné lieu, comme il est normal et nécessaire en démocratie, à la confrontation des opinions et des projets.
La France a choisi. Elle se tourne maintenant vers ceux qu'elle a chargés de conduire les affaires publiques. Elle attend d'eux qu'ils engagent sans tarder une vigoureuse action de renouveau, car elle se sent et se sait affaiblie. Nos concitoyens ont clairement conscience que, dans la course sans repos où le progrès entraîne les grandes nations, notre pays a cédé du terrain.
Ses forces économiques, en premier lieu, ont décliné.
Certes l'inflation, chez nous comme partout, a reculé, sous les effets conjugués du "contre-choc" pétrolier et monétaire et d'une politique de désindexation des salaires qui constitue, à coup sûr, un acquis positif.
Pourtant, notre économie n'a pas réussi le rétablissement qu'ont déjà opéré plusieurs de nos grands concurrents. Les comptes provisoires de l'année 1985 sont particulièrement décevants : l'an dernier, la croissance de notre production s'est ralentie par rapport à 1984 et n'a atteint que 1,3 % ; notre commerce extérieur est resté déficitaire de 24 milliards malgré la réduction de la facture énergétique; le taux d'épargne national a connu une nouvelle et grave baisse en tombant de 13,4 à 12 %.
Au fil des ans, notre industrie ne s'est pas réellement modernisée, faute d 'investissements. Des pans entiers, tels la sidérurgie, les charbonnages ou la construction navale sont sinistrés. Notre agriculture traverse une grave crise qui se manifeste, en particulier, par la baisse du revenu de nos paysans. La contrainte extérieure qui nous prend en tenailles n'a pas été vraiment desserrée, si bien que nous devons nous garder de toute relance intempestive de la consommation qui provoquerait une augmentation excessive de nos importations.
La conséquence la plus préoccupante de cette évolution, c'est hélas ! le chômage. Je n'entrerai pas ici dans une polémique stérile sur les chiffres. Ce qui est sûr, c'est que l'économie française perd massivement des emplois : 170.000 en 1984, près de 100.000 en 1985.En outre, le chômage présente en France des caractéristiques particulièrement inquiétantes : il est, d'abord, en moyenne, plus long qu'ailleurs; il frappe surtout plus d'un jeune Français sur quatre. ce qui est un triste record européen. L'impossibilité de trouver du travail est, à tout âge, un drame personnel et familial. Mais lors- qu'une société aussi développée que la nôtre n'est plus capable d'assurer à tant de jeunes un véritable statut d'adulte, alors le risque est grand de voir ébranler les bases mêmes de la cohésion nationale.
Je ne peux achever ce rapide tour d'horizon de la situation économique sans évoquer la détérioration des finances publiques. Afin d'y voir clair en ce domaine, et conformément à ce que nous avions annoncé, une personnalité indépendante et incontestée a été chargée de dresser un bilan précis des comptes publics. M. Renaud de La Genière, ancien gouverneur de la Banque de France, à qui le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation a confié cette mission, doit nous remettre son rapport dans les prochains jours. Nous pourrons ainsi donner au Parlement et à l' opinion publique les chiffres exacts de la dette interne et externe de la France, du déficit budgétaire et des comptes de la sécurité sociale.
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Les forces matérielles de la France ne sont pas les seules atteintes. Ses forces morales le sont également.
La montée de la délinquance et de l'insécurité est en train de dégrader cette qualité de la vie que tant d'étrangers enviaient à notre pays et de créer une véritable angoisse dans le cœur d 'un nombre croissant de nos concitoyens. Quant au terrorisme, ses plus récentes manifestations jettent un trouble de nature quasiment existentielle dans toutes les démocraties occidentales; la nôtre n'est hélas pas épargnée.
Plus profondément encore, la France s'interroge sur son avenir en tant que nation, unie dans l'amour de la même culture et dans la volonté de vivre ensemble. D'un côté, l'accroissement ininterrompu de la population étrangère sur son sol, malgré l'arrêt officiel mais non contrôlé de l'immigration; de l'autre côté, l'hiver démographique qui engourdit notre dynamisme et ne nous permet même plus de renouveler nos générations. Tous ces phénomènes, qui touchent à l'âme collective d'un peuple, contribuent à créer un climat complexe où se mêlent à la fois l'incertitude mais aussi l'attente et l'espérance.
Car les Français ne se résignent pas. Beaumarchais a bien exprimé cette faculté de nos compatriotes à se ressaisir devant. l'obstacle, faculté qui fait sans doute le trait le plus attachant du. génie français : La difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre. Oui, malgré ses épreuves, la France vit aujourd'hui un grand moment d'espérance.
Les Français attendent, ils espèrent un changement. Notre devoir est de répondre à cet espoir.
II faut y répondre en excluant - cela va de soi - tout esprit de revanche.
Nous exigerons certes la loyauté vis-à-vis des décisions prises par le gouvernement dont le peuple a voulu se doter. Mais nous jugerons chaque responsable à l'aune de sa compétence et de ses qualités professionnelles. Rien ne nous fera dévier de cette ligne, qui n'exclut naturellement ni l'autorité, ni la fermeté des ministres démocratiquement investis du pouvoir de commander l'administration.
Nous répondrons aussi à l'espérance des Français en recherchant de toutes nos forces l'union nationale, seul ferment efficace du renouveau.
La tâche qui est devant nous est immense; la division entre Français serait un handicap insurmontable.
Notre état d'esprit ne doit être ignoré de personne : nous ne sommes ni les représentants, ni les défenseurs de telle ou telle classe, groupe ou corporation. La politique que nous entendons mener n'exprime pas tel ou tel intérêt particulier mais vise l'intérêt général. Nous ne parlons pas à telle ou telle fraction du peuple mais au peuple de France tout entier.
Chacun a manifestement intérêt à ce que la machine économique redémarre, à ce que nos entreprises redeviennent créatrices d'emplois, à ce que l'insécurité recule, à ce que la démographie se redresse. Sur ces objectifs, et, j'en suis persuadé, sur les moyens de les atteindre, il existe aujourd'hui une possibilité d'accord national, de mobilisation des énergies, de rassemblement des volontés. Il faut faire taire les querelles. Donnons l'exemple d'un peuple qui se ressaisit et resserre les liens millénaires qui l'unissent !
Nous répondrons enfin à l'espérance des Français en leur assignant un but qui les conduise à se dépasser, en donnant un sens au combat que nous leur proposons de mener.
La politique nouvelle ne saurait être le simple énoncé de mesures techniques à inscrire dans des textes législatifs ou réglementaires. L'attente du renouveau va bien au-delà. Comme l'a écrit Albert Camus l'homme est un animal qui veut du sens. Notre tâche aujourd'hui, ce n'est rien moins que de donner un sens au renouveau. Notre ambition, c'est de trouver ce sens dans une véritable renaissance de l'humanisme.
Depuis des décennies -certains diront même des siècles - la tentation française par excellence a été celle du dirigisme d'État, Qu'il s'agisse de l'économie ou de l'éducation, de la culture ou de la recherche, des technologies nouvelles ou de la défense de l'environnement, c'est toujours vers l'État que s'est tourné le citoyen pour demander idées et subsides. Peu à peu s'est ainsi construite une société administrée, et même collectivisée, ou le pouvoir s'est concentré dans les mains d'experts formés à la gestion des grandes organisations. Ce système de gouvernement qui est, en même temps, un modèle social, n'est pas dénué de qualités : il flatte notre goût national pour l'égalité; il assure pérennité et stabilité au corps social; il se concilie parfaitement avec le besoin de sécurité Qui s'incarne dans l'État-providence.
Mais il présente deux défauts rédhibitoires : il se détruit lui-même, pas obésité; et surtout, il menace d'amoindrir ses libertés individuelles.
Les Français ont compris les dangers du dirigisme étatique et. n'en veulent plus. Par un de ces paradoxes dont l'histoire a le secret, c'est précisément au moment où la socialisation semblait triompher que le besoin d'autonomie personnelle, nourri par l'élévation du niveau de culture et d'éducation, s'exprime avec le plus de force. Voilà d'où naissent sans aucun doute les tensions qui travaillent notre société depuis des années : collectivisation accrue de la vie quotidienne mais, inversement, recherche d'un nouvel équilibre entre les exigences de la justice pour tous et l'aspiration à plus de liberté pour chacun.
Nous vivons une de ces époques privilégiées où le système de valeurs reverdit en plongeant ses racines dans la tradition culturelle de la Nation. Ainsi commencent toujours les renaissances.
Il est grand temps de tourner le dos aux idéologies fermées, aux systèmes construits pour substituer à l'autonomie défaillante de l'individu tel ou tel mode de prise en charge par la collectivité.
Il faut aller vers les valeurs qui nous ouvrent l'avenir, tout en nous rattachant, à la longue lignée de l'humanisme occidental. Ces valeurs s'appellent : liberté, création, responsabilité, dignité de la personne humaine.
Et qu'on ne vienne pas affirmer que sur ces bases s'édifierait un monde plus dur ou plus inégal.
Nous avons une vision résolument optimiste de l'homme.
Nous pensons que la collectivisation amoindrit l'esprit de solidarité parce qu'elle exacerbe les réactions et les égoïsmes individuels contre les machines et les organisations qui broient la personne.
Nous pensons au contraire que la liberté développe l'inclination naturelle de chacun d'entre nous à l'altruisme, à la générosité, à la fraternité.
C'est dans une société créatrice d'emplois que la dignité individuelle sera le mieux assurée.
C'est dans une société ou chacun pourra être davantage lui-même que la justice entre tous pourra le mieux progresser"
C'est dans une société respectueuse des valeurs et du sens que chacun veut donner à sa vie que l'œuvre commune pourra le mieux s'épanouir.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, l'idée qui donne cohérence et vigueur à nos différentes initiatives, l'ambition qui anime notre combat, la signification que nous voulons donner au renouveau.
Fort de la légitimité que lui a conférée le suffrage universel, le Gouvernement s'est immédiatement et dans cet esprit mis au travail.
Un mot d'abord sur la méthode : j'ai toujours été personnellement -et mon Gouvernement est tout entier -attaché à la concertation avec les corps intermédiaires qui représentent les activités économiques, sociales, intellectuelles et culturelles de notre pays. Vous l'avez, d'ailleurs constaté : les ministres compétents ont déjà ouvert le dialogue avec les organisations syndicales et professionnelles ; ce dialogue sera maintenu à toutes les étapes de l'élaboration des décisions gouvernementales.
Mais entendons-nous bien ! La concertation ne saurait être l'alibi de l'inaction ou du renoncement. Nous croyons profondément à la nécessité de certains changements dans la façon dont est gérée l'économie et organisée la société française. Nous l'avons dit et nous avons convaincu. Nous ne commettrons pas maintenant l'erreur qui consisterait à mettre en oeuvre une politique différente de celle qui nous a valu la confiance populaire. Nous sommes, au contraire, déterminés à traduire en actes, avec tout le réalisme qu'exige la complexité des problèmes, mais sans faiblesse ni ambiguïté, "plate-forme pour gouverner ensemble" qui doit rester le ciment de notre majorité.
Il fallait, avant toute chose, apurer le passé et tirer les conséquences du retard que la France avait pris, depuis 1983, par rapport à certains de ses partenaires européens et principalement par rapport à l'Allemagne.
Les produits français souffraient d'un retard de compétitivité qui pénalisait nos entreprises, tandis que les taux d'intérêt ne pouvaient baisser suffisamment. Tel est le sens du réajustement des parités qui a été décidé dimanche dernier, dans le cadre du système monétaire européen. Il a eu pour objet de constater, une fois dissipées les apparences, la vraie valeur de notre monnaie.
La situation étant ainsi assainie, nous pouvons maintenant assurer à l'économie française les bases d'un nouveau départ.
Les orientations du redressement sont claires : d'une part, les grands équilibres doivent être établis, de manière à conforter les résultats obtenus dans la lutte contre l'inflation ; à cette fin, la politique monétaire fera preuve de rigueur, les dépenses et les déficits publics seront sévèrement comprimés et la politique de désindexation salariale sera poursuivie.
D'autre part, l'économie française a besoin d'un supplément de liberté pour connaître un regain de dynamisme et créer de nouveaux emplois; trois libertés fondamentales pour le bon fonctionnement des entreprises leur seront rapidement garanties : liberté de fixer les prix, liberté de commercer avec l'étranger sans contrôle, plus grande liberté dans la gestion des effectifs en vue d'éliminer les entraves à l'emploi. Le renforcement de la compétitivité nationale suppose aussi un allégement des charges et des formalités de toutes sortes qui paralysent la production, ainsi que des mesures de confiance de nature à susciter l'initiative des entreprises et la motivation des salariés.
Les principes étant ainsi posés, je voudrais maintenant indiquer à votre assemblée le calendrier de mise en oeuvre de la politique gouvernementale.
Dès les prochains jours, le Parlement sera saisi de plusieurs projets de loi qui engageront le renouveau.
Le premier d ' entre eux sera le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances en vue de conduire le redressement économique et social. Trois séries de mesures y figureront. D'abord celles qui permettront de libéraliser la marche de l'économie, tant au profit des entreprises qu'à celui des salariés. Si le Parlement y consent, le Gouvernement sera, pour ce faire, habilité à abroger les ordonnances de 1945 sur la police des prix, à assouplir les dispositions législatives qui régissent le contrat de travail à durée déterminée, le travail temporaire et le travail à temps partiel et à adopter les mesures propres à développer la participation des salariés.
Le deuxième volet de la loi d'habilitation concernera l'emploi des jeunes. Pour débloquer une situation dont j'ai rappelé la gravité, des mesures ambitieuses s'imposent. Le plan que nous vous proposerons s'articulera autour de trois idées :
- la présence effective des jeunes dans l'entreprise, ce qui est la condition d'une insertion durable dans le monde du travail ;
- la poursuite de la formation et la prise en compte, dans le calcul de la rémunération, du temps qui lui est consacré ;
- enfin l'exonération d'une fraction significative des cotisations sociales dues par l'employeur.
Le troisième volet de la loi d'habilitation traitera de la privatisation : la liste des entreprises qui pourront être dénationalisées dans les cinq prochaines années sera clairement indiquée. Elle comportera toutes les entreprises du secteur concurrentiel, quelle que soit -cela va de soi -la date de leur nationalisation.
Le dispositif de redressement économique et social mis au point par le Gouvernement comportera ensuite le projet de loi de finances rectificative pour 1986. Ce texte permettra de compléter les dotations budgétaires qui s'avèrent insuffisantes compte tenu de l'état des lieux auquel nous procédons. Il traduira, en termes budgétaires, le plan d'urgence pour l'emploi des jeunes et prévoira, notamment, la prise en charge par l'Etat des cotisations sociales dont seront exonérées les entreprises. Il dégagera un train d'économies de l'ordre de 10 milliards de francs qui exigera, de la part des ministres, une extrême vigilance. Il amorcera enfin la remise en ordre de notre fiscalité de l'épargne pour stimuler les investissements et définira les conditions d'une amnistie propre à rétablir la confiance et à favoriser le retour des capitaux dans notre pays.
Les deux textes fondamentaux dont je viens de tracer les lignes générales seront suivis, dès la session de printemps, par plusieurs autres projets de loi. Je citerai notamment les projets qui auront pour but de rendre aux entreprises une plus grande liberté de gestion de leurs effectifs en s'attaquant aux effets pervers de l'autorisation administrative de licenciement ou en atténuant ceux que produit le franchissement de certains seuils. Il s'agira là d'une première étape dans la nécessaire simplification du statut des petites et moyennes entreprises. Je pense également à la relance de la politique contractuelle et à la rénovation du dialogue social, par une décentralisation plus poussée de la négociation collective.
Le Gouvernement déposera aussi le projet de loi de programme sur le redressement économique et social des départements d'outre-mer ainsi que les dispositions législatives de même nature intéressant les territoires d'outre-mer et notamment la Nouvelle-Calédonie.
Cet effort de solidarité en faveur de la France d'outre-mer est non seulement justifié par la nécessité d'y relancer l'activité et d'y créer des emplois mais aussi en raison de la place éminente qui lui revient dans la République. Nous sommes, en effet, déterminés à assurer à nos concitoyens d'outre-mer, qui en ont fait le choix, et dans des conditions d'ordre et de sécurité, leur avenir dans la France, une France qui, sans eux, serait loin d'être ce qu'elle est aujourd'hui.
Enfin, et pour ne retenir que l'essentiel, le Gouvernement proposera un projet de loi relatif au développement de l'investissement immobilier et de l'accession sociale à la propriété afin d'en- gager la relance indispensable du secteur sinistré du bâtiment et des travaux publics.
Nous nous doterons ainsi, avant l'été, des moyens d'atteindre le double objectif de la politique économique et sociale du Gouvernement : assainissement financier et libéralisation de l'économie.
Mais ne perdons pas de vue l'essentiel, c'est-à-dire les hommes.
La politique économique, dans la situation où nous nous trouvons, ne peut avoir d'autre finalité que le plein emploi des hommes et des femmes.
Toutes nos énergies -celles de l'Etat, mais aussi celles des collectivités locales, des entreprises, des syndicats, de chaque citoyen - doivent tendre vers ce but. Il n'y a pas d'inégalité plus insupportable que l'inégalité devant le travail.
Pour relever un tel défi, il faut d'abord faire preuve d'un authentique esprit de solidarité. Lorsque plus d 'un français actif sur dix et plus d 'un jeune sur quatre sont au chômage les revendications catégorielles passent au second rang. J'ai confiance dans l'intelligence et les qualités de cœur des Français ; ils voient bien aujourd'hui que l'effort de solidarité des uns peut et doit contribuer à créer les emplois des autres ; je suis sûr qu'ils sont prêts à consentir cet effort à l'exclusion de tout égoïsme.
Il nous faut aussi manifester un esprit de combativité et de compétitivité. L'expérience nous a montré que la reconquête du plein emploi ne peut résulter d 'une simple redistribution des heures de travail existantes. La pénurie s'entretient, par définition, elle-même. Il est impératif d'accroître la quantité de travail disponible. Pour y parvenir, il n'y a pas d'autre voie que celle de la compétitivité qui permet de marquer des points dans la bataille nationale et internationale. J'utilise à dessein le mot de bataille : vaincre le chômage, c'est retrouver l'esprit de pionnier, c'est conquérir des positions nouvelles, c'est déplacer une frontière. Oui, notre nouvelle frontière, ce doit être l'emploi.
Les Français au contact des réalités quotidiennes de l'entreprise le savent bien, et tout particulièrement les cadres et le personnel d'encadrement : rien n'est jamais donné une fois pour toutes. Seule la recherche permanente de l'excellence, une mentalité perpétuellement offensive, la volonté, toujours en éveil, d'innovation et de création, l'attention portée à chaque détail pour qu'en fin de compte le prix et la qualité des produits fabriqués soient à la hauteur de la concurrence, bref l'amour du travail bien fait, vertu si profondément française, seule cette attention de tous les instants assure la prospérité de l'entreprise. Et seules les entreprises prospères créent des emplois.
Voilà ce qu'implique, de la part de la Nation tout entière, la lutte pour l'emploi.
Toutes nos décisions seront dictées par le souci exclusif d'encourager, je dirais mieux, de porter cet élan de mobilisation et cette obsession de la compétitivité.
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L'urgence et la difficulté de ces questions ne doivent pas occulter d'autres problèmes qui, à juste titre, préoccupent les Français.
Il s'agit d'abord du bon fonctionnement de nos institutions. Nous avons pris, devant le pays, l'engagement solennel de rétablir sans délai le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Nos concitoyens ont bien compris que ce mode de scrutin était le seul véritablement conforme à l'esprit de nos institutions, parce qu'il est le plus apte à dégager des majorités solides et parce qu'il crée entre l'électeur et l'élu un lien plus direct et donc plus démocratique.
Le deuxième projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances qui vous sera soumis prochainement portera donc sur le rétablissement du scrutin majoritaire; il instituera des garanties de procédure pour que nul ne puisse contester de bonne foi le sérieux et l'équité de la délimitation des circonscriptions électorales.
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Le Gouvernement veut enfin promouvoir, dans la sécurité, une société de liberté.
Nous ferons voter avant l'été la loi sur la communication, dont la double ambition est de désengager l'Etat d'un secteur où il pèse trop lourd, et de donner à notre industrie des réseaux et des images le dynamisme nécessaire pour porter haut et loin le talent de nos créateurs.
Ce texte mettra en place une commission nationale de la communication et des libertés qui assurera la régulation globale de la communication, notamment en attribuant des licences aux opérateurs, qu'ils soient publics ou privés. Ainsi sera prolongé et amplifié le rôle qu'a joué la Haute autorité et qui, à bien des égards, doit être reconnu.
La loi devra aussi prévoir une clarification des financements de l'audiovisuel, afin que les ressources publicitaires soient exclusivement réservées aux entreprises du secteur concurrentiel. La privatisation d'une partie de l'actuel service public de l'audiovisuel découlera de cette clarification qui devra permettre à notre télévision de mieux se développer, en laissant place à un secteur public fort de qualité et de référence, mais également aux entreprises privées qui pourront ainsi devenir des groupes multimédias. Il sera procédé, avec les représentants de la presse écrite et avec les autres intéressés, à une concertation qui devra permettre d'éviter tout risque de déstabilisation de ces professions.
Enfin, s'agissant de la liberté de la presse, la loi du 23 octobre 1984 sera abrogée et remplacée par des dispositions qui garantissent véritablement la transparence et la pluralisme.
Mais il ne saurait y avoir de société de liberté sans sécurité. Le Gouvernement est déterminé à prendre des mesures d'une grande fermeté pour renforcer la sécurité des personnes et des biens, lutter contre le terrorisme et préserver l'identité de notre communauté nationale.
Le Parlement sera invité à examiner des projets de lois, instituant une peine incompressible de 30 ans en substitution de la peine de mort, renforçant la répression d'association de malfaiteurs afin de permettre à la police d'intervenir davantage avant la constatation du crime, modifiant les conditions d'octroi de sursis et rendant plus rigoureux le régime de la récidive, étendant enfin les contrôles d'identité, extension indispensable pour prévenir la délinquance. Dans le même temps, le Gouvernement mettra en place des documents d'identité infalsifiables.
La modification des lois pénales que nous soumettrons au Parlement s'accompagnera d'un aménagement de l'organisation et des missions de la police nationale. Le Gouvernement a décidé de créer un échelon de commandement régional de la police, de rétablir des unités spécialisées et de limiter les écoutes téléphoniques à celles qui sont décidées par l'autorité judiciaire ou exigées par la sécurité de l'Etat.
En outre, les corps de policiers doivent être gérés en vue d'assurer la promotion des meilleurs; pour ce faire, l'avancement au choix sera réhabilité et des passerelles seront instituées entre tous les corps de police.
Le Gouvernement relèvera le défi du terrorisme. Il vous proposera de renforcer la législation par la création dans le code pénal d'un crime de terrorisme, par l'allongement de la garde à vue à 4 jours, par la possibilité d'accorder des remises de peines aux personnes convaincues d'avoir commis des actes de terrorisme ou aidé les terroristes et qui acceptent de collaborer avec la justice, et enfin par la création, à la Cour d'appel de Paris, d'une chambre spécialisée qui centralisera les poursuites, l'information et le jugement des actes terroristes.
J'installerai auprès de moi un conseil de sécurité intérieure réunissant les ministres compétents, qui aura la responsabilité de concevoir et de coordonner la lutte contre le terrorisme. Les services de police seront regroupés pour une plus grande efficacité.
Le Parlement aura à débattre d'un projet instituant une procédure administrative pour reconduire à la frontière les étrangers en situation irrégulière et d'une modification du code de la nationalité tendant à soumettre l'acquisition de la nationalité française à un acte de volonté préalable. Dans le domaine réglementaire, le Gouvernement rétablira les visas pour l'entrée et le séjour des étrangers non originaires de la Communauté Economique Européenne, dans le cadre des négociations qui seront engagées avec les pays étrangers. De même nous engagerons des conversations avec les gouvernements concernés pour conclure des conventions au terme desquelles tout étranger condamné de droit commun par la justice française pourra être expulsé vers son pays d'origine afin d'y purger sa peine. Ainsi la France résoudra, dans la dignité de tous, les difficiles problèmes que l'immigration pose à nos sociétés industrialisées.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, le programme de travail que je vous soumets pour les prochains mois.
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L'horizon de l'action gouvernementale ne se borne naturellement pas à la mi-86. D'ores et déjà, nous avons entrepris la préparation d'un second train de projets qui pourraient venir devant vous à l'automne. Compte tenu de la difficulté des sujets traités, il importait que les travaux préalables soient lancés sans tarder. Dans cet esprit, j'ai donné cinq directives principales :
- D'abord, l'amélioration des rapports entre les citoyens et l'administration, notamment en matière fiscale et douanière. La semaine dernière, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation a fait adopter la création d'une commission chargée d'étudier toutes les mesures qui pourraient simplifier la vie quotidienne des citoyens et assurer un plus grand respect de leurs libertés fondamentales, par exemple en renversant la charge de la preuve en matière fiscale et douanière sans pour autant, cela va de soi, remettre en cause les efforts déployés pour lutter contre la fraude. Sur la base des conclusions de cette commission, je vous proposerai une réforme des procédures fiscales et douanières qui constituera une authentique charte du contribuable.
- En deuxième lieu, la réforme du droit de la concurrence. Les dispositions en vigueur dans ce domaine sont anciennes et hétérogènes. L'abrogation des ordonnances de 1945 rend nécessaire l'élaboration d'un droit nouveau, même si, pendant quelques mois et à titre transitoire, l'appareil législatif et réglementaire actuel doit être maintenu. Ici encore, un groupe d'experts sera nommé prochainement avec la mission d'élaborer une législation moderne, sanctionnant tous les abus et pratiques discriminatoires, sous le contrôle d'une commission de la concurrence rénovée.
- En troisième lieu, la mise en oeuvre, dans le projet de loi de finances initial pour 1987, de notre plan d'allègement des impôts, de diminution des dépenses publiques et de réduction du déficit budgétaire. Ce texte sera l'un des éléments essentiels de la stratégie économique du Gouvernement pour remettre l'économie française en situation de créer des emplois et de se battre à armes égales avec ses principaux partenaires. Nous aurons, bien sûr, l'occasion d'en débattre longuement.
Notre objectif prioritaire sera, je le confirme, l'abaissement des prélèvements obligatoires, seul moyen de desserrer les contraintes paralysantes et de retrouver le dynamisme propre à améliorer l'emploi.
- Ensuite, le dépôt d'une nouvelle loi de programmation sur l'équipement militaire. Nous savons que l'exécution de la loi de programmation déjà votée par le Parlement a pris du retard. Personne n'ignore que cette loi elle-même laissait non résolus des problèmes essentiels pour nos armées.
Voilà pour moi l'occasion de rappeler que la défense d'un grand pays, c'est d'abord l'esprit de défense, celui qui habite les hommes qui en sont chargés et les citoyens qui les entourent. Il importe qu'à tous les niveaux, des hommes compétents, disponibles et dynamiques se consacrent à la défense du pays. Une armée fière de ses traditions de valeur militaire, traditions illustrées hier encore au Levant et en Afrique, une armée moderne dans ses entreprises, doit disposer des moyens nécessaires à l'exercice de ses responsabilités afin d'être l'instrument sûr et in discuté de la volonté de paix et d'indépendance de notre pays. Prenant en charge notre jeunesse à un moment important de sa vie, elle doit être l'armée de la Nation qui lui accorde sa confiance et se reconnaît en elle.
Garantir la dissuasion nucléaire, clé de voûte de notre système de sécurité, est la première mission de notre défense. Le souci du Gouvernement est de s'assurer qu'elle demeure crédible, ce qui suppose que nous nous tenions prêts à développer, outre les sous-marins nucléaires, une nouvelle composante terrestre. Par ailleurs, face au renforcement de la défense terminale, il faudra augmenter, sans délai, les capacités de pénétration et de destruction de nos missiles stratégiques, ce qui exige la poursuite de nos expérimentations nucléaires.
Mais la dissuasion nucléaire n'est pas tout. A maintes reprises, la France a dû agir avec des unités conventionnelles là ou se développaient des tensions, voire des conflits, menaçant ses intérêts ou ceux de ses amis. Il importe que cette action, lorsqu'elle est jugée nécessaire, soit efficace et respecte l 'honneur de nos armes.
Enfin, nous n'oublions pas que nous faisons partie de l'Europe, géographiquement, culturellement, économiquement et, dans la limite des traités que nous avons conclus, politiquement. La défense de l'Europe est assurée dans le cadre de l'alliance atlantique à laquelle nous appartenons. La position d'indépendance qui est la nôtre ne nous permet pas d'intégrer à l'avance nos moyens dans un dispositif sur lequel nous ne pourrions exercer, le moment venu, notre décision souveraine. Mais ce qui se passe au-delà de nos frontières concerne non seulement nos alliés et ce que nous avons en commun avec eux, mais aussi notre propre sécurité. Nos forces armées doivent disposer de moyens suffisants, dotés d'un armement puissant, fournissant au Gouvernement, sur le théâtre centre-Europe, en cas de tension ou d'affaiblissement, un instrument disponible pour assurer la présence de la France et la défense de ses intérêts essentiels. Il n'y a pas de sécurité pour notre pays sans sécurité pour ses voisins. C'est pourquoi nous souhaitons voir se développer dans ce domaine aussi, la concertation et la coopération entre les pays européens.
Enfin le progrès technologique fait apparaître aujourd'hui des moyens de défense utilisant l'espace. Leur naissance ne bouleversera pas, pour de longues années encore, et ne bouleversera peut-être jamais les données fondamentales de la dissuasion nucléaire. Mais nos alliés américains travaillent activement à ce projet et des changements importants peuvent ainsi apparaître dans l'équilibre mondial, dans le dialogue entre les deux grandes puissances comme dans la défense de l'Europe. Notre devoir est de rester attentif à cette évolution, aux décalages technologiques qui pourraient en résulter, de veiller aux adaptations nécessaires et de ne pas laisser échapper les occasions de resserrer, dans ce domaine également, la solidarité européenne.
-Ma cinquième directive concerne les problèmes de nos compatriotes rapatriés d'outre-mer, et notamment ceux d'Algérie du Maroc et de Tunisie.
Plus que d'autres, ils ont eu à souffrir des cruautés de l'Histoire. Chrétiens, Israélites, Musulmans, ils ont été atteints dans leurs corps, ils ont perdu tout ou partie de leurs biens, ils ont quitté des terres qu'ils aimaient et qu'ils avaient fécondées. Justice doit leur être rendue. C'est le devoir d'un grand pays comme la France.
C'est pourquoi j'ai donné des instructions pour qu'en étroite concertation avec leurs différentes associations soient améliorés ou complétés les textes ou procédures concernant l'amnistie, l'aménagement des dettes, des retraites et l'indemnisation.
Nous devons également penser à tous ces Français d'Afrique du Nord tombés au champ d'honneur. Leur souvenir ne doit pas s'éteindre, leurs noms ne doivent pas disparaître. Un mémorial exceptionnel leur sera consacré. Il symbolisera le fervent hommage de la Nation.
* * *
Programme de travail du printemps, programme de l'automne ; le cap est nettement tracé.
Mais je voudrais aussi évoquer devant vous, Mesdames, Messieurs, quelques problèmes de fond qui conditionnent l'avenir de notre pays. Ils exigent que soit engagée sans tarder une action de longue haleine qui ne revêt pas toujours la forme de projets ou de propositions de loi.
Nous devons d'abord nous interroger tous ensemble sur l'avenir de notre système de protection sociale.
Depuis 1945, nous avons accompli une oeuvre exceptionnelle. Nous avons su concilier le respect des libertés individuelles - notamment l'exercice libéral de la médecine -et un très haut niveau de solidarité à la fois entre les milieux sociaux et les classes d'âge. Les Français tiennent à ce qui a été construit par le fruit de leur effort. Nous ayons, quant à nous, la volonté farouche de sauvegarder la Sécurité sociale, mais nous ne devons pas nous voiler collectivement la face : le système est aujourd'hui menacé et les déséquilibres financiers ne font que traduire de très inquiétantes évolutions de fond.
D'un côté, les dépenses continuent de s'accroître à un rythme soutenu, qu'il s'agisse des pensions de retraite, de l'indemnisation du chômage ou des frais médicaux. De l'autre, les recettes décrochent, tant à cause des difficultés conjoncturelles de l'économie française que de l'affaiblissement démographique de la Nation. Le risque de paupérisation des professions de santé est inacceptable. Par ailleurs, les nécessités du redressement économique nous interdisent une augmentation des prélèvements obligatoires qui pèsent sur la production. Enfin, certains efforts supplémentaires sont indispensables.
Il faut, en premier lieu, à ce titre, promouvoir une politique familiale plus hardie, parce que la famille est la meilleure chance de la France.
De la vigueur de l'institution familiale dépend le redressement démographique indispensable pour notre pays. Personne ne peut contester que, plus la famille est solide, mieux est accueilli l'enfant.
Mais la famille apporte encore plus à la Nation. C'est elle qui transmet les traditions et les valeurs qui tissent entre nous les liens d'appartenance à une même culture. C'est elle qui permet à chaque individu de trouver à la fois la sécurité et la stabilité dont il a besoin et de faire en même temps l'apprentissage de sa liberté.
Une civilisation millénaire comme la nôtre se construit pierre à pierre. Les familles sont en vérité les pierres de cet édifice.
Voilà pourquoi, s'il est un effort de solidarité et de sécurité sociale supplémentaire à consentir, c'est bien celui, et celui seul, de la politique familiale : dès que l'assainissement de la situation financière le permettra, nous instituerons, notamment, une allocation parentale d'éducation au profit des familles de trois enfants et plus.
L'équilibre financier nous pose un problème d'une extrême gravité qui exige une large concertation de toutes les parties prenantes. Il n'est pas douteux qu'une meilleure gestion du système peut induire des économies de fonctionnement substantielles. Il est certain que le recul du chômage apportera la contribution la plus décisive au rééquilibrage de l'ensemble du dispositif de protection sociale. Mais nous ne pouvons néanmoins retarder l'ouverture d'une large discussion, risque par risque et régime par régime, dont l'objectif devrait être de réintroduire, dans une organisation devenue de plus en plus bureaucratique, contrairement aux intentions de ses fondateurs, un supplément de liberté et de responsabilité. Le Gouvernement souhaite rencontrer sans tarder les partenaires sociaux pour examiner, avec eux, les mesures qui permettront de sauvegarder la protection sociale et de parvenir à un équilibre des comptes en 1987.
La politique d'éducation est le deuxième grand débat de société qui détermine l'avenir de notre pays. Il s'agit ici de gagner une nouvelle bataille : celle de la liberté et celle de la qualité.
Les initiatives nécessaires seront prises pour garantir à chaque famille le libre choix de l'école de ses enfants, aussi bien entre secteur public et secteur privé, qu'au sein même du secteur public grâce à la suppression progressive de la carte scolaire.
Quant à la bataille de la qualité, elle n'exige pas de nouvelle réforme d'ensemble qui traumatiserait à nouveau notre système éducatif. Qui dit qualité dit motivation des maîtres. Tout sera donc mis en oeuvre pour donner - ou redonner - à l'immense majorité des enseignants qu'anime l'amour de leur métier, des raisons de s'y dévouer comme ils le souhaitent; pour cela leur formation doit être profondément revue et modernisée; des dispositions de caractère incitatif doivent permettre de mieux tenir compte du mérite individuel.
Dans l'enseignement supérieur, le principe d'autonomie doit être définitivement concrétisé tant à l'entrée - au moment de la sélection des étudiants - qu'à la sortie - au moment de la délivrance des diplômes.
L 'autonomie doit aller de pair avec un allégement des structures universitaires, un décloisonnement du travail d'enseignement et de recherche, une mobilité accrue des hommes, un essor nouveau donné à l'innovation qui doit s'ouvrir sur le monde extérieur, sur l'industrie bien évidemment, mais aussi sur la coopération scientifique internationale.
Cette rénovation de l'Université suppose l'engagement sans réticences de tous les enseignants et chercheurs de l'enseignement supérieur ; elle passe par une abrogation rapide de la loi sur l'enseignement supérieur de 1984, quasi unanimement rejetée par les corps universitaires.
A la jonction de la politique éducative et de la politique culturelle, il est un projet qui me tient particulièrement à cœur, c'est la promotion des enseignements artistiques : il faut arrêter la dégradation continue de l'enseignement des disciplines artistiques à l'école. La responsabilité qui nous incombe aujourd'hui à ce titre est aussi exaltante que celle des fondateurs de notre système scolaire moderne : ce que Jules Ferry a fait, voici un siècle, dans le domaine des disciplines de la connaissance, nous devons aujourd'hui le faire pour les disciplines de la sensibilité en généralisant l'initiation et la pratique artistiques. On nous parle souvent, en termes théoriques, de lutte contre les inégalités. Eh bien ! Voilà un des domaines où nous pouvons très clairement concrétiser cette intention : l'acquisition des connaissances est aujourd'hui, c'est vrai, démocratisée; il n'en est pas de même de l'éveil de la sensibilité. Ce doit être l'une des ambitions prioritaires d'une politique culturelle digne de ce nom.
Education, culture, mais aussi sport. Je vous rappelle en effet les candidatures de Paris et de la Savoie aux Jeux olympiques de.1992 - année du centenaire de l'appel historique du baron Pierre de Coubertin - qui représentent pour la jeunesse française et le sport dans notre pays un défi enthousiasmant. Nous ferons tout ce qui est. en notre pouvoir pour présenter au Comité International olympique les dossiers les meilleurs possibles.
Troisième grand défi pour la collectivité nationale : celui de la contrainte extérieure.
Depuis qu'elle a ouvert son économie à la concurrence internationale, la France a fait un fantastique bond en avant. Aujourd'hui, toute politique de repli sur l'hexagone serait une politique de déclin et d'appauvrissement. Nous devons assumer toutes les disciplines de la liberté et de la compétition mondiale.
Il nous faut donc développer nos capacités d'exportation ce qui implique à la fois des progrès de productivité de la part de nos entreprises industrielles, un puissant effort de recherche qui renforce nos positions dans les technologies du futur et la promotion de secteurs plus traditionnels mais qui doivent contribuer fortement à l'équilibre de nos échanges.
Et je pense tout spécialement, bien sûr, à notre agriculture.
La France, première puissance agricole de la Communauté, deuxième exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires, détient, grâce à son agriculture et à ses industries agricoles et alimentaires, un atout majeur que le Gouvernement entend jouer pleinement pour mener à bien la bataille du redressement économique.
Pour conforter notre place en Europe et dans le monde, il nous faut tout à la fois assurer à nos agriculteurs les conditions d'un meilleur revenu et marquer sans ambiguïté notre volonté d'un renouveau de la politique agricole commune au sein des instances européennes.
Au dernier conseil des ministres à Bruxelles, le ministre de l'agriculture a indiqué, avec toute la fermeté nécessaire, que la France entendait - dans cette perspective - que l'on revienne à une stricte application des principes de base de la politique agricole commune.
Elargie à l'Espagne et au Portugal, confrontés à des problèmes budgétaires et à une difficile adéquation de l'offre et de la demande pour certains produits agricoles, engagée dans une vive compétition avec certains pays tiers et en particulier avec les Etats-Unis, la Communauté économique européenne ne doit pas perdre de vue son objectif premier : assurer aux agriculteurs européens un niveau de vie équitable.
Il faut recentrer la politique agricole commune sur l'essentiel en vue d'assurer une plus grande fluidité des échanges sur le marché intérieur et la vocation exportatrice de l'Europe sur les marchés - mondiaux.
Il s'agit là d'un enjeu capital pour la France car nos exportations agroalimentaires sont essentielles pour notre balance commerciale, pour l'équilibre de nos régions, pour le respect d'un certain nombre de nos valeurs et pour l'emploi.
Cette bataille ne peut être livrée si la Nation ignore ses agriculteurs et laisse se dégrader leurs revenus.
Le Gouvernement prendra en conséquence les mesures nécessaires. Dans cet esprit il a d'ores et déjà demandé un démantèlement rapide des montants compensatoires négatifs résultant du récent ajustement monétaire. Je dis, pour ceux qui ignorent les choses, que c'est cela l'essentiel !
Mais il conviendra d'aller plus loin pour restaurer la confiance de nos paysans et de leurs partenaires industriels.
Les réformes que nous soumettrons au Parlement en lui proposant une nouvelle loi d'orientation agricole que j'ai demandé au ministre de l'agriculture de préparer, comporteront entre autres dispositions, un volet social et un volet foncier qui renforceront la loi votée par le Parlement en juillet 1980 et faciliteront en particulier l'installation des jeunes agriculteurs.
D'ici là, nous engagerons une réforme des instances d'orientation et de gestion des marchés agricoles en privilégiant les filières de caractère interprofessionnel et la nécessaire coordination des politiques sectorielles que les offices par produits ont remis en cause.
Dans le secteur de l'agriculture et des industries agricoles et alimentaires qui doivent être fortifiées, le Gouvernement mettra l'accent, comme dans les autres secteurs de l'économie française, sur ces valeurs essentielles que sont l'initiative et la responsabilité des hommes, des entreprises et de leurs organisations.
* * *
Le desserrement de la contrainte extérieure implique aussi une bonne maîtrise de nos importations. La conjoncture exceptionnellement favorable du marché pétrolier ne doit pas endormir notre vigilance. La politique de réduction de la dépendance énergétique de la France vis-à-vis de l'extérieur, qui a été la grande réussite des années passées, ne doit pas être abandonnée.
Quant à la stimulation de l'activité intérieure, elle doit privilégier des secteurs qui, tout en étant créateurs potentiels d'emplois, ne sont pas fortement consommateurs de biens importés. Celui qui présente au plus haut point ces deux caractéristiques est, sans conteste, le secteur du bâtiment et des travaux publics. Pour faire face aux besoins considérables de la population française en logements et en équipements, le Gouvernement agira dans plusieurs. directions : libéralisation de la gestion des entreprises qui, dans ce secteur, bénéficieront tout particulièrement des mesures de redressement que j'ai annoncées; simplification et allégement des textes qui régissent la construction et l'urbanisme; élimination des dispositions législatives et réglementaires qui ont stérilisé l'investissement immobilier, et notamment la loi de 1982 sur les rapports entre les locataires et les propriétaires, ou l'impôt sur les grandes fortunes ; politique sociale d'accession à la propriété, y compris dans les H.L.M. ; réforme de la politique sociale du logement et de la gestion du parc social existant; enfin assouplissement des modes de financement de certains équipements nécessaires dans le domaine des travaux publics.
La France a tous les atouts requis pour occuper, dans la compétition mondiale, l'une des premières places. C'est affaire de techniques. C'est plus encore affaire de volonté et d'ambition.
Cela m'amène tout naturellement à aborder le dernier grand débat que je tiens à ouvrir devant vous aujourd'hui, au moment où mon Gouvernement présente son programme : c'est celui de la place de la France dans le monde.
En matière de politique étrangère nos principes sont clairs. Il s'agit d'abord et avant tout d'affirmer notre indépendance au sein de nos alliances librement choisies et fidèlement maintenues. Cette politique repose sur la décision prise par le général de Gaulle, appliquée au prix d'un effort scientifique et industriel qui a mobilisé les énergies et les talents, de construire une force nucléaire moderne intégrant au fur et à mesure tous les progrès techniques nécessaires pour relever les défis des autres puissances et pour garantir notre propre sécurité; nous veillerons, je l'ai dit, à la renforcer.
Notre sécurité ainsi garantie, les grandes orientations de la politique extérieure française restent liées à notre histoire. La France a été présente dans le monde. Elle l'est toujours. Elle entend le demeurer.
La pensée et la langue françaises jouissent d'une influence et d'un rayonnement beaucoup plus solides qu'on ne l'imagine - que ce soit en Amérique, comme en témoignent nos liens avec le Québec, ou en Asie, mais aussi au Proche-Orient, et surtout sur le continent africain, principalement avec les' Etats de l'Afrique francophone au sud du Sahara et les trois pays du Maghreb. Les liens de coopération politique, économique et culturelle avec ces Etats seront privilégiés, et mon prochain déplacement, samedi, chez le Président Félix Houphouët-Boigny, sera la première manifestation de cette priorité.
Au Moyen-Orient, nous sommes naturellement présents car nos affinités sont anciennes et profondes. Les mesures récentes que le réalisme imposait étant prises, nous sommes résolus à poursuivre -notre politique d'amitié traditionnelle avec le Liban, déchiré depuis de trop nombreuses années et qui, nous l'espérons ardemment, retrouvera un jour les chemins de la conciliation, dans le cadre de sa diversité, de son unité et de son intégrité territoriale.
Au Proche-Orient, la France appelle de ses vœux le retour de la paix, laquelle suppose que soient reconnus par toutes les parties le droit d'Israël à l'existence et à la sécurité ainsi que les droits légitimes du peuple palestinien. Nous joindrons nos efforts à tous ceux qui oeuvreront en faveur d'un règlement négocié du conflit entre l'Irak et l'Iran, si meurtrier pour ces Etats et si dangereux pour la stabilité régionale et l'avenir des pays amis de la péninsule arabique. Tout en maintenant les liens solides d'amitié et de coopération qui nous unissent à l'Irak, nous espérons rétablir le dialogue avec l'Iran, grand pays à l'égard duquel la France n'éprouve aucune hostilité.
Dans le débat entre les deux grandes puissances, la France et ses partenaires européens doivent faire entendre leurs voix et faire prévaloir leurs intérêts essentiels. C'est ainsi que les Etats européens occidentaux doivent veiller à maintenir l'équilibre nucléaire en Europe et dans le monde. La Grande- Bretagne et la France, dotées de forces autonomes, exercent à cet égard une responsabilité particulière.
C'est pourquoi nous participerons activement aux travaux de la Conférence sur le désarmement en Europe à Stockholm qui constitue l'un des compléments importants de cet équilibre européen. Compte tenu du dialogue soviéto-américain et de ses conséquences pour l'Europe, nous nous félicitons que la France ait, en juin 1984, renoué avec Moscou un dialogue indispensable. Que M. Gorbatchev, secrétaire général du comité central du parti communiste de l'Union soviétique, ait choisi notre pays pour son premier voyage à l'extérieur du monde socialiste, atteste que, sans entraîner des concessions sur des questions de fond - comme par exemple l' Afghanistan ou le respect des droits de l'homme - la politique inaugurée en 1966 par le général de Gaulle demeure une contribution à une paix raisonnée en Europe et dans le monde. Cette politique tient compte aussi de nos affinités avec les pays de l'Europe de l'Est qui impliquent le maintien d'un dialogue tant au niveau de nos Etats qu'au niveau de nos peuples.
Je voudrais, d'autre part, revivifier et donner plus de substance à nos relations avec les Etats de l'Amérique latine et de l' Asie. Dans certains pays, qui nous sont très proches, comme le Cambodge, j'espère voir restaurer la liberté et l'indépendance auxquelles leurs peuples aspirent.
La poursuite de la construction de l'Europe constitue aussi, - bien sûr. l'un de nos objectifs majeurs. Beaucoup a été fait; beaucoup reste à faire. Nous ne devons pas nous dissimuler les difficultés qui peuvent résulter de l'élargissement de la Communauté, de l'adaptation de la politique agricole commune et des réactions d'un ., certain nombre de pays tiers. Mais l'édification européenne, facilitée par des rapports de plus en plus étroits entre la France et la République fédérale d'Allemagne, dans la droite ligne du Traité de 1963, demeure une grande ambition pour laquelle, dans le respect de nos nations, nous saurons faire preuve de ténacité, mais aussi et surtout, de toute l'imagination nécessaire.
Ma première pensée en arrivant au Gouvernement a été naturellement pour les Français détenus au Liban. Le ministre des affaires étrangères a reçu la mission de tout mettre en oeuvre, dans la plus grande discrétion, pour essayer d'obtenir leur libération. Je ne puis faire aucun pronostic. Mais sachez que tous nos efforts et toute notre attention sont mobilisés vers cet objectif, comme d'ailleurs ce sera le cas chaque fois qu'il s'agira du sort de Français de l'étranger dont le rôle pour notre influence dans le monde est, chacun le sait, considérable.
Nos pensées vont aussi vers les deux officiers français détenus en Nouvelle-Zélande. Quelles qu'aient été les circonstances de leur arrestation et les motifs de leur condamnation, je ne veux pas imaginer qu'un règlement ne puisse intervenir avec ce pays qui a été notre frère d'armes durant les deux guerres mondiales.
Pour conclure sur la politique étrangère, je dirai que c'est parce qu'elle sera forte, digne et généreuse que la France occupera sa place dans le monde.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les grandes lignes de la politique que le Gouvernement à l'intention de conduire.
Je ne sous-estime ni l'ampleur ni la difficulté de la tâche.
Mais je suis convaincu que le redressement national est à notre portée et que, ensemble, nous allons le réussir. Résolution et courage ne manquent ni au gouvernement, ni à sa majorité.
Il importe donc que le bon fonctionnement des institutions soit assuré. Notre constitution présente toutes les qualités de souplesse requises pour s'adapter, sans crise, aux changements politiques. Elle repose, en effet. pour ce qui concerne les fonctions exécutive et législative, sur l'équilibre de trois centres de pouvoirs :
- le Président de la République qui incarne l'unité de la Nation et la continuité de l'Etat, et dispose pour cela de pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution :
- le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation, toute sa politique, et qui en est responsable devant l'Assemblée nationale ;
- le Parlement qui légifère. Il est exclu, bien entendu, d'amoindrir de quelque manière que ce soit les prérogatives essentielles de la représentation nationale. La procédure des ordonnances, pour normale et usuelle qu'elle soit, est justifiée par les circonstances économiques difficiles que nous vivons et par l'urgence de certaines mesures de redressement. Mais le recours aux ordonnances doit être et sera limité, je l'ai dit le jour même de ma nomination comme Premier ministre.
Pour l'essentiel, la loi doit se discuter et se décider ici. Le renouveau que nous appelons tous de nos vœux sera l'œuvre du Gouvernement et de sa majorité parlementaire étroitement solidaires ou ne sera pas.
Si chacun joue son rôle, dans le strict respect de la lettre et de l'esprit de la Constitution, il n'y aura ni contre-temps ni blocage. L'opinion publique y sera vigilante et sanctionnerait quiconque prétendrait transgresser cette règle du jeu démocratique.
* * *
La mission qui nous incombe, Mesdames et Messieurs les députés, et que nous devons réussir ensemble, requiert, cela va de soi, un climat de confiance.
C'est pourquoi, en application de l'article 49, alinéa premier, de la Constitution, j'engage la responsabilité de mon Gouvernement sur la présente déclaration de politique générale et je demande à l'Assemblée nationale de bien vouloir approuver cette déclaration.
Mais au-delà même du Parlement, représentant éminent de la Nation, c'est de la confiance de chacun des Français et des Françaises que tout dépend.
Nous savons tous que la confiance ne se décrète pas; elle se mérite parce qu'elle est un échange, un lien de réciprocité.
Pour accorder leur confiance, les Français doivent se sentir eux-mêmes en confiance, c'est-à-dire considérés comme des citoyens vraiment responsables.
Mieux assurés de leur responsabilité individuelle, les Français feront, à leur tour, confiance et - ce qui est l'essentiel - ils prendront ou reprendront confiance en eux-mêmes.
Il est à coup sûr nécessaire de parler le langage de la vérité : et de tracer un tableau sans complaisance des forces et des faiblesses de notre pays, Mais la lucidité ne doit pas tourner au pessimisme qui décourage et démotive.
Quelle que soit la difficulté des temps, nous devons avoir confiance en la France parce que la France a toutes les chances.
La France est riche: riche des efforts accumulés de ses ouvriers et de ses paysans, de tous ses travailleurs salariés et indépendants.
La France a son propre génie: ses écoles, ses collèges, ses lycées, ses universités, malgré leurs imperfections, comptent parmi les meilleurs du monde et attirent les candidats venus de tous les horizons de la planète.
La France est inventive: ses chercheurs, ses entrepreneurs, ses artistes et ses écrivains font la science et l'art de demain.
La France est généreuse: elle sait assumer toutes les conséquences de la solidarité envers ses propres enfants, mais aussi envers les pays pauvres et les hommes qui souffrent.
La France est harmonieuse parce qu'elle est un équilibre de paysages aux mille contrastes, d'innombrables monuments taillés par les mains habiles d'un peuple artisan, de vertus et de sagesse.
Cette France à laquelle nous sommes tous attachés, Mesdames et Messieurs les députés - ou presque tous - notre honneur à nous tous sera de nous donner corps et âme à son service.
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