Homme politique actif, brillant orateur et l'un des plus grands avocats de son temps, Crémieux fut avant tout un infatigable défenseur des libertés universelles, des droits des minorités et, surtout, de la cause juive. Il est à l'origine du fameux décret Crémieux no 136 qui attribue d'office en 1870 la citoyenneté française aux « Israélites indigènes » d'Algérie, c'est-à-dire aux 35 000 Juifs d'Algérie.
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Issu d'une modeste famille de marchands juifs, il devint, grâce à son talent et son dévouement exceptionnels, l'une des personnalités françaises les plus respectées de la fin du XIXe siècle.
Crémieux avait la capacité d'inspirer les autres par son enthousiasme. Avec son tempérament, « à la fois souple dans les mœurs et intransigeant dans les principes, il a su séduire, mobiliser et convaincre », comme l'écrivait à son sujet Narcisse Leven, son collaborateur préféré à la Cour et fidèle porte-parole de l'Alliance. Connu pour avoir un cœur en or, on disait en France que « son cœur avait trahi son esprit ».
Héritier de la tradition des juifs de Provence, dont il était fier, bien qu'étant, comme beaucoup d'autres de son époque, assez acculturé, Crémieux a toujours prétendu concilier parfaitement les valeurs juives avec les idées de démocratie et de liberté. Dans sa lutte pour défendre les droits de la personne et contre l'injustice sociale, Crémieux fait face à de nombreux défis : à l'époque, aucune législation ne protège les femmes, les enfants ou les travailleurs ; il n’y avait pas non plus de liberté de la presse. Sa performance a marqué une étape importante dans l’évolution du droit français et international.
Sa vie
Fils de Rachel Carcassone et David Crémieux, Adolphe Isaac Jacob est né en avril 1796 à Nîmes, dans le sud de la France. Son père était un marchand de soie qui, lors de la Révolution de 1789, s'était rallié à la cause républicaine.
Après des études dans une école juive, Adolphe fréquente le lycée bonapartiste de Nîmes puis entre au lycée impérial de Paris, où il est l'un des premiers juifs admis. Étudiant brillant, il poursuit ses études à l'Université d'Aix-en-Provence. En 1817, après avoir réussi l'examen du barreau de Nîmes, il débute sa carrière.
Son talent particulier pour gagner des affaires compliquées l'a rapidement fait remarquer. Une connaissance approfondie des lois combinée à une éloquence exubérante, un raisonnement rapide et une mémoire extraordinaire, qui lui permettaient de défendre ses causes sans aucune note, faisaient de lui un adversaire redoutable. En France à cette époque, l'art oratoire était considéré comme une arme absolue et Crémieux en était le grand maître.
Dès le début de sa carrière, il portait le drapeau juif.
Son premier grand combat fut d’obtenir l’abolition de plus judaïque, serment que les Juifs étaient obligés de prêter, depuis le Moyen Âge, dans les procédures judiciaires avec des non-Juifs. Le texte comme le rituel symbolique visaient à les humilier et à accentuer la méfiance à leur égard. Bien que l’égalité des droits ait été accordée en 1791 à tous les Juifs français, cette discrimination humiliante à saveur médiévale était toujours en vigueur. Crémieux s'était personnellement impliqué dans l'affaire lorsqu'en 1817, le juge qui présidait lui avait dit qu'en tant qu'avocat juif, il devait faire de même. plus juif. La réaction du jeune avocat de l’époque a été immédiate. Il a refusé et a demandé au juge : « Suis-je dans une synagogue ? Non, je suis au tribunal. Suis-je à Jérusalem par hasard ? Non, je suis à Nîmes, en France. Suis-je juste un juif ? Non, je suis aussi citoyen français.
En 1827, il défendit, devant la Cour royale de Nîmes, un autre juif, Jossias Vidal, qui avait également refusé de prêter serment. Dans son dernier discours devant la Cour, il a déclaré : « Épargnez les 40.000 citoyens de cette calomnie qui les présente comme de faux témoins privilégiés. Proclamer haut et fort les principes d'égalité devant la loi, de liberté de culte (...) ». L'appel de Crémieux a eu un effet. La Cour a statué que la seule forme de serment régie par la loi était « Je jure » et a ordonné à l'accusé de prêter uniquement le serment habituel. La victoire de Crémieux ne fut cependant pas totale, comme dans d'autres tribunaux français plus judaïquea continué à être appliqué. La lutte contre le serment humiliant dura vingt ans, puisque ce n'est qu'en 20 que la Cour de cassation l'abolit dans toute la France.
L'action de Crémieux en faveur des droits des Juifs le rendit célèbre dans tout le pays. Et, en 1828, il entre à la Collégiale des Notables du Consistoire de Marseille.
Il n'a pas seulement agi dans des affaires civiles. Toujours à Nîmes, il participe à plusieurs procès politiques, au cours desquels il exprime ouvertement ses sentiments libéraux et républicains. En 1819, il défendit trois jeunes accusés d'avoir chanté le chant de la Révolution de 1789 - La Marseillaise. Créé en 1795 comme hymne national, il avait été interdit, en raison de son caractère révolutionnaire, par Napoléon Bonaparte et par Louis XVIII, réintégré sur le trône de France après la défaite de Bonaparte. Durant le procès, après avoir ouvertement loué La Marseillaise, il commença à le réciter. En récitant le fameux verset «amour sacré de la Patrie» – « amour sacré de la Patrie », tous les jurés se sont levés et les trois accusés ont été acquittés.
Le renforcement, dans la société française, de l'aristocratie d'Ancien Régime provoque, en 1830, un soulèvement du peuple parisien et des républicains menés par la bourgeoisie libérale. La Révolution de 1830, dite Révolution de Juillet, a conduit à la chute du roi Charles. La Monarchie de Juillet, comme on appelle son règne, était favorable à la bourgeoisie au moment où la France entamait sa révolution industrielle.
Après la Révolution, Crémieux quitte Nîmes et s'installe à Paris, où il entre à la Cour d'appel, y restant près de sept ans, avant de retourner à la pratique privée du droit. A l’époque, il était déjà considéré comme l’un des meilleurs avocats français. Il est devenu célèbre pour avoir défendu tous ceux dont les droits et libertés étaient bafoués, qu'il s'agisse de journalistes victimes de persécutions politiques, de républicains accusés de subversion ou d'esclaves rebelles de la Martinique. En 1830, il devient membre du Consistoire central et quatre ans plus tard, il occupe le poste de vice-président.
L’« affaire de Damas »
Avec l'Affaire de Damas, la renommée de Crémieux dépasse les frontières des communautés juives françaises. (voir Morashá éd. 60, avril 2008). Alerté en février 1840 par James de Rothschild que 13 Juifs éminents avaient été arrêtés à Damas pour meurtre rituel, Crémieux prit publiquement position en faveur de ses coreligionnaires. Il savait qu’en agissant ainsi, il se retrouverait face à face avec le gouvernement français. Adolphe Thiers, alors Premier ministre, soutient la position du consul de France à Damas, Benoît Ratti-Menton, qui, après avoir « tranché » la culpabilité des Juifs, en fait la cible d'une cruauté unique. C'est en effet Ratti-Menton qui a diffusé un texte, en français et en arabe, sur « l'usage du sang chrétien par les juifs ». Crémieux tente d'intercéder auprès du roi Louis Philippe et de Thiers, mais est reçu froidement. La France est irréductible dans sa position, ne voulant pas discréditer son consul et encore moins être en désaccord avec l'Egypte qui, à l'époque, gouvernait la Syrie, acteur clé de la politique française au Moyen-Orient.
En Angleterre cependant, le baron Nathaniel de Rothschild et Sir Moses Montefiore obtiennent le soutien de la couronne britannique. Crémieux organise alors, avec Montefiore et l'orientaliste Salomão Munk, une délégation de juifs occidentaux en Égypte, pour une rencontre personnelle avec Muhammad Ali, Pachá égyptien. Le 4 octobre, ils sont reçus triomphalement par les Juifs d'Alexandrie. Après de longues négociations, Muhammad Ali obtint la libération des Juifs accusés. Il se rend ensuite au Caire, où il ouvre une école juive pour garçons et une pour filles. Pour Crémieux et Montefiore, l'Affaire ne s'arrête pas avec la libération des Juifs. Craignant que les accusations de meurtre rituel ne se reproduisent, ils se sont rendus à Istanbul. Là, ils réussirent à convaincre le sultan turc Abdul Megid de publier un édit déclarant que l'accusation portée contre les Juifs d'utiliser du sang chrétien dans leurs rituels n'était rien d'autre qu'un mensonge. En outre, le sultan s’engage à protéger les Juifs de l’Empire ottoman contre les calomnies ignobles.
Le succès de la mission était d'une grande importance. En plus de marquer l'émergence d'un sentiment renouvelé de solidarité entre juifs du monde entier, elle fut l'un des vecteurs qui conduisirent à la fondation, en 1860, de l'Alliance Israélite Universelle et à la définition de sa politique éducative.
En 1842, Crémieux entre en politique, est élu député et devient chef de l'opposition libérale à la Chambre. Il commença à défendre les intérêts juifs à la Chambre législative. Il a notamment dénoncé la nécessité de revoir le traité commercial avec la Suisse, car celui-ci contenait une clause secrète autorisant le gouvernement suisse à considérer les Juifs français non pas comme des Français, mais uniquement comme des Juifs. La clause a fini par être supprimée vingt ans plus tard.
Son action en faveur des causes juives le conduit, en 1843, à la présidence du Consistoire central des Juifs de France, poste dont il démissionne l'année suivante, pour raisons familiales. À son insu, sa femme s'était convertie au catholicisme et avait baptisé ses deux filles. Après ces événements dramatiques, Crémieux, très ébranlé, ne se sent pas en mesure de présider l'organisme qui représente les Juifs de France.
La Révolution de 1848
Avec l'industrialisation et la croissance urbaine, on assiste partout en France à un renforcement des tendances républicaines et à un mécontentement croissant parmi les classes populaires, dont la situation est de plus en plus difficile. Pour réprimer l’opposition, la monarchie de Juillet s’est durcie et est devenue impopulaire. La crise économique de 1846 précipita la Révolution de Février 1848.
Crémieux, qui bien que républicaine était très proche du roi Louis Philippe, se rendant compte que la violence était sur le point d'exploser, se rendit, le 24 février, au palais des Tuileries pour avertir la famille royale que le lieu serait attaqué et l'emmène au palais des Tuileries. la place de la Concorde, où il a aménagé une voiture pour les mettre en sécurité.
Après l'abdication du roi, les différents courants politiques de l'époque organisent un gouvernement provisoire, dite Seconde République. Le nouveau gouvernement, qui adopte la devise Liberté, Egalité, Fraternité (Liberté, Égalité, Fraternité), réaffirmera les droits et libertés individuels. Crémieux au ministère de la Justice. Il resta en poste jusqu'au 5 juillet de la même année 1848, date à laquelle, après une tentative de coup d'État socialiste, il démissionna et retourna à l'Assemblée constituante. En tant que ministre, Crémieux a aboli l'emprisonnement pour dettes, la dénonciation publique des condamnés, en plus de nombreux efforts en faveur de l'éducation des femmes et d'une législation pour la défense des droits des femmes. Il ne parvient cependant pas à obtenir d'indemnisation pour les communautés juives d'Alsace, victimes d'attaques paysannes cette année-là.
Une fois la nouvelle constitution républicaine approuvée, Louis Napoléon Bonaparte est élu président en décembre 1848. Bien que Crémieux soutienne sa candidature, il s'oppose au coup d'État de Bonaparte. En décembre 1851, Napoléon ferme l'Assemblée nationale et, l'année suivante, transforme à nouveau la France en un empire qu'il commence à gouverner sous le titre de Napoléon III. Contraire au coup d'État, Crémieux est arrêté le 2 décembre 1851. Libéré peu après, il refuse de prêter serment à l'Empereur, comme cela est exigé de tous les députés, et est contraint de quitter la Chambre. Il retourna au Parlement en 1869. Durant sa retraite forcée de la vie publique, il retourna au droit et se consacra corps et âme aux questions juives.
Devant le tribunal, il a défendu des républicains accusés de s'opposer ou de critiquer l'empire. Il a notamment défendu le journaliste Charles Hugo, fils de Victor Hugo, accusé d'avoir violé la loi en décrivant l'exécution d'un ouvrier guillotiné à Paris. Son retrait de la vie politique ne signifie cependant pas une perte de prestige, car il continue d’être l’une des personnalités les plus influentes de l’époque. Tout comme à Nîmes, les Crémieux étaient célèbres pour entretenir à Paris « un salon élaboré, où se réunissaient tous les personnages illustres des milieux artistiques, littéraires et politiques de leur temps ». C'est là qu'une grande partie des plans de fondation de l'Alliance furent élaborés et que le complot qui conduirait à la chute du Second Empire fut ourdi.
Alliance Israélite Universelle
Le nom de Crémieux n'apparaît pas parmi les 17 jeunes juifs qui fondèrent, en mai 1860, l'Alliance Israélite Universelle (AIU). Il est vrai que le Comité provisoire souhaitait le voir à la tête du comité, mais devant l'antagonisme de certains membres en raison de la conversion de l'épouse et des filles de Crémieux, ils cédèrent à la pression et il resta quelque temps en coulisses. Même s'il ne participe pas directement au Comité central, Crémieux est l'éminence grise de la nouvelle organisation. Quotidiennement, son disciple, Narcisse Leven, l'informait et lui demandait son avis sur les questions relatives à l'AIU naissante. Son implication dans l'institution devint publique lorsqu'en 1860 il lança un appel dans le journal Le Siècle en faveur des chrétiens maronites persécutés au Liban et en Syrie. Il commença à récolter des fonds en faveur des chrétiens, demandant notamment aux juifs de se mobiliser, au nom des persécutions dont ils étaient eux-mêmes victimes depuis des siècles.
En 1864, il assuma la présidence de l'organisation et, deux ans plus tard, quitta ce poste, conformément aux statuts, pour revenir en 1868, sans limite de mandat. C'est lui qui, pendant 20 ans, a fini par déterminer la politique adoptée par l'AIU. Depuis son accession à la présidence, il ne s'est jamais lassé d'encourager l'éducation des femmes, insistant sur la nécessité absolue de fonder des écoles non seulement pour les garçons, mais aussi pour les filles. A plusieurs reprises, il donne son aval à des initiatives qui apparaissent à certains membres du Comité central comme des « aventures ». Parmi celles-ci, citons la création d'une école d'agriculture en Israël, Mikvé Israël, par Charles Netter ; et l'expédition de Joseph Halevy en Abyssinie pour enquêter sur les Falashas.
Il se fit un devoir d'être présent à toutes les réunions du Comité central et à toutes les assemblées générales, où il prononça des discours vibrants qui furent ovationnés par les personnes présentes. Il terminait toujours ses messages en rappelant le rôle de l'AIU : lutter contre les préjugés, fonder des écoles et « faire entendre notre voix dans les cabinets des ministres et atteindre les oreilles des princes ».
C’est de Crémieux que l’AIU héritera de la position républicaine, de l’amitié et des relations aux hauts niveaux gouvernementaux, nationaux et internationaux. Après qu'il soit devenu président de l'organisation, le ministère français des Affaires étrangères et les autorités françaises des colonies et protectorats ont fréquemment collaboré avec l'AIU. Son expérience politique et son autorité ont été à l'origine de nombreuses mesures prises par l'Alliance pour aider les minorités juives opprimées.
À partir de 1866, Crémieux se mobilise en faveur des juifs marocains, roumains et russes. En 1866, il se rendit à Saint-Pétersbourg, où il obtint un « pardon » du tsar Alexandre II pour Iouchkevitcher, l'un des trois Juifs de Saratov accusés, en janvier 1853, d'avoir commis un meurtre rituel. Condamnés aux travaux forcés, malgré les preuves de leur innocence, deux d'entre eux n'ont pas supporté l'épreuve et ont fini par se suicider.
En 1869, la terrible situation des Juifs russes amène Crémieux à créer une délégation de l'AIU pour se rendre en Allemagne et, enfin, en Russie, dans le but d'étudier la meilleure manière d'aider le grand nombre de Juifs qui souhaitent quitter le pays.
Crémieux revient à la politique en 1869, étant élu député de Paris.
Avec la défaite de Napoléon III dans la guerre franco-prussienne, le Second Empire prend fin. Le 2 septembre 1870, Napoléon III capitule et, deux jours plus tard, à Paris, la Troisième République est proclamée. Crémieux, membre du gouvernement de la Défense nationale, revient occuper, jusqu'en février 1871, le poste de ministre de la Justice. De retour au gouvernement, il n'oubliera pas les juifs algériens.
En tant que ministre, il signa un décret qui deviendra plus tard connu sous le nom de décret Crémieux (1870), par lequel les 35 000 Juifs d'Algérie obtinrent la citoyenneté française. Le décret sera aboli sous le gouvernement de Vichy.
En 1875, il fut élu sénateur à vie et, malgré son âge avancé et ses crises de goutte, il continua à être actif au sein de l'Alliance en tant que président, assistant à toutes les réunions du Comité central. Il décède le 10 février 1880. Le Comité central de l'AIU décide d'organiser ses funérailles, mais comme il s'agit d'une personnalité marquante, la Chambre et le Sénat décident de les organiser et d'en couvrir les frais. Lors de son enterrement au cimetière du Montparnasse, les rabbins Lazar Isidor et Zadoc Kahn ont pris la parole. Pour honorer sa mémoire, l'AIU a placé son portrait dans la salle de réunion du Comité central, établissant que chaque année, le jour de sa mort, un service religieux aurait lieu à la synagogue portugaise de Paris.
Bibliographie
Kaspi, André, et Assan, Valérie, direction et coordination, Histoire de L'Alliance Israélite Universelle, de 1860 à nos jours, Ed. Armand Colin, Paris, 2010
Article du New York Times, Un homme d'État français mort, 11 février 1880
Iancu, Carol, Adolphe-Isaac Crémieux, Gerson Von Bleichroeder et la politique juive de « Shtadlanut » au XIXe siècle, www.euro.ubbcluj.ro