Je suis convaincu que la tâche essentielle est avant tout de libérer le peuple juif, mais surtout de le libérer des entraves intérieures. Avant de donner un sol à un peuple, il faut faire de ce peuple un peuple libre.
Le jour où j’ai vu au congrès de Bâle le troupeau des rabbins galiciens, j’ai compris que le sionisme herzliste ne donnerait pas encore aux Juifs l’essentielle liberté.
Conduire un troupeau d’esclaves en Palestine n’est pas une solution de la question.
La seule façon dont ce troupeau accepte dès aujourd’hui de se laisser guider par un état-major gouvernemental qui use de toutes les tromperies des gouvernements et des états-majors prouve que l’œuvre à faire est une œuvre d’éducation.
Il faut apprendre aux Juifs à penser, il faut les arracher aux superstitions ritualistes et talmudiques, il faut renouer pour eux la chaîne des penseurs rationalistes que le judaïsme a produits, il faut leur montrer que le fond même du judaïsme est la pensée rationnelle. Il faut extirper de leur cerveau toute la fausse croyance juive plus les préjugés chrétiens dont se sont encombrés ceux d’entre eux qui ont échappé au rabbinisme déprimant.
Pour faire une tâche pareille point n’est besoin de Congrès. Ce ne sont plus des réunions où l’on parle qui sont nécessaires mais des groupements où l’on agira et c’est dans les centres juifs, en Galicie et en Russie que ces groupements doivent se former et ce n’est surtout pas un étroit sentiment nationaliste qui doit les guider.
Israël cosmopolite a souffert en tout temps de l’exclusivisme, du protectionnisme et du nationalisme ; il doit s’en garder et aider s’il le peut le monde à se débarrasser de ce fléau. Culture juive ne doit donc pas signifier culture propre à développer ou à exaspérer des sentiments de chauvinisme, bien au contraire, cela doit signifier culture propre à développer des tendances juives qui sont des tendances humaines dans le plus haut sens de ce mot.
Que partout donc où je le dis, de pareils groupes s’organisent et que partout où il existe soit organisé le prolétariat juif en tant que prolétariat autonome.
C’est là me semble-t-il bien imparfaitement indiquée l’œuvre que les « jeunes sionistes » devraient entreprendre. Ils ne l’entreprendront utilement qu’en rompant avec le sionisme politico-diplomatique, capitaliste et bourgeois qui occupe la scène et fera des Juifs la risée de tous s’il ne les conduit pas à la catastrophe.
Lettre du 24 juin 1901.