- Les actions militaires successives, jusqu'à l'opération massive, récemment conduite contre les infrastructures de l'Autorité palestinienne et la personne même de son président, Yasser Arafat, ont redonné à ce dernier la force symbolique du combattant assiégé de la cause palestinienne, qui avait été la sienne en 1970 en Jordanie (Septembre Noir) ou en 1982 au Liban. S'il a été désigné comme « ennemi d'Israël » par le Premier ministre israélien, le président de l'Autorité palestinienne reste le seul interlocuteur légitime pour les principaux acteurs de la communauté internationale, États-Unis, ONU, Union européenne ou Russie.
Cette situation, à l'issue des opérations militaires israéliennes en cours risque fort de mener à une impasse majeure. L'actuel Premier ministre israélien et le président de l'Autorité palestinienne, forts d'un soutien intérieur renouvelé, seront à la fois des partenaires impossibles et des interlocuteurs obligés. Conjuguée à une coalition gouvernementale israélienne dont l'hétérogénéité empêche toute stratégie globale à long terme, cette situation interdit toute perspective et ferme l'horizon d'une reprise, plus urgente que jamais, des négociations sur un règlement final.
2. L'espoir détruit des accords d'Oslo
Les institutions palestiniennes que ces accords avaient mises en place sont moribondes et leurs infrastructures détruites. La somme des promesses et des engagements respectifs non tenus les ont discréditées parmi les opinions des deux parties.
Les accords d'Oslo avaient défini tout à la fois une méthode et un contenu. La méthode était celle d'un dialogue direct et continu entre Israéliens et Palestiniens, jugé seul à même d'aboutir à des solutions de compromis autour d'intérêts mutuellement reconnus. Le contenu, pour sa part, avait privilégié un dispositif intérimaire de nature à construire la confiance réciproque qui, le moment venu, aurait contribué à une entente sur les éléments du règlement final. L'espoir placé dans la méthode et le contenu est à présent évanoui : on sait ce qu'il est advenu et de l'une et de l'autre.
Restent malgré tout, les acquis des pourparlers de Taba, fondés sur les propositions du Président Clinton en décembre 2000. Leurs acquis informels ne sont plus aujourd'hui une option pour le Premier ministre israélien et la majorité de la coalition gouvernementale qu'il dirige. Ne pourraient-ils pas cependant constituer, le moment venu, les bases d'une proposition d'accord formulée par une tierce partie, dans le cadre d'une conférence internationale, une sorte de « Madrid bis » dont les États-Unis, l'ONU, l'Union européenne et la Russie assureraient le parrainage actif ?
3. La communauté internationale : au-delà de la fermeté des principes, quelle forme d'action possible ?
Depuis l'adoption des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité de l'ONU, qui ont fondé les acquis de la Conférence de Madrid -les territoires contre la paix- et dont les accords d'Oslo étaient directement issus, la communauté internationale était parvenue à initier un dialogue apparemment impossible. Avec les récentes résolutions 1397, 1402 et 1403 où les États-Unis ont joué un rôle moteur inédit, avec également la proposition de la Ligue arabe formulée à Beyrouth le 28 mars, la communauté internationale a précisé sa vision sur le futur de la région, en particulier quant à la perspective d'une cohabitation apaisée de deux États sur un territoire partagé.
Sur la base de ces principes, et toute reprise d'un dialogue direct semblant plus éloignée que jamais, il lui revient de prendre désormais une responsabilité active dans la gestion de la crise, pour dépasser un blocage dont les conséquences régionales pourraient s'avérer plus graves encore. Cette implication revêtirait deux aspects complémentaires.
Sur le modèle de la conférence de Madrid en 1991, la convocation d'une conférence internationale réunissant en plus des deux parties les pays et organisations membres du « quartet »12(*), les pays arabes modérés ainsi que le Liban et la Syrie, permettrait de négocier sur des bases politiques et des principes plus avancés qu'en 1991.
L'expérience retirée de l'échec de la phase intérimaire engagée en 1993 pourrait également conduire au déploiement, sur le terrain d'une présence internationale d'observation, d'interposition ou de sécurisation. Depuis la mise en place de simples observateurs du respect d'un cessez-le-feu à celle d'une force ad hoc, éventuellement « robuste » pour « accompagner » de premières mesures concrètes de redéploiement militaire israélien, voire un règlement politique, l'éventail est assez large. Il reviendrait surtout à un tel dispositif, où les États-Unis tiendraient un rôle prééminent, de combler tout vide sécuritaire et de se substituer provisoirement, dans les territoires, à une Autorité palestinienne désormais privée des moyens matériels et administratifs qui devaient lui permettre d'assurer les missions que les accords d'Oslo lui avaient confiées.
Une telle implication ne serait pas sans risques ni difficultés.
Une telle démarche, se plaçant en effet en rupture avec la méthode du dialogue direct, devra composer avec le refus traditionnel d'Israël de déléguer à quiconque le soin d'assurer sa sécurité et a fortiori de décider de son avenir.
Pour cette raison, le déploiement d'une force d'interposition internationale, qui suppose généralement un accord des deux parties, est loin d'être acquis. Rappelons que la seule force d'observation internationale jamais déployée en Cisjordanie, la Présence Internationale Temporaire à Hébron, (TIPH, quelque 150 observateurs), résulte d'un seul accord israélo-palestinien ; financée par la Norvège, cette force est totalement extérieure à l'ONU. Un tel schéma porté à une échelle plus ambitieuse, pourrait-il, s'il impliquait très largement les États-Unis, servir de modèle ?
L'implication nouvelle des États-Unis dans le conflit israélo-palestinien n'est pas non plus sans ambiguïté. N'est-elle pas seulement liée à la préparation d'une action contre l'Irak dans le cadre de la priorité politique accordée à la lutte contre le terrorisme ? En d'autres termes, répond-elle à un engagement tactique passager ou s'agit-il de renouer avec l'investissement personnel qui a caractérisé la démarche du Président Clinton à la fin de son mandat ? De quelle marge d'action pourrait, au surplus, bénéficier l'administration américaine face aux réticences traditionnelles du Congrès sur le dossier proche-oriental ?
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Les affrontements sans précédent qui opposent Israël à l'Autorité palestinienne, avec les tragédies humaines qu'ils ont provoquées, constituent-ils l'ultime et dramatique étape d'une phase intérimaire que les rancunes et la défiance croissantes ont peu à peu ruinée ?
Illustrent-ils à l'inverse, un simple et brutal retour en arrière, effaçant près de dix années d'efforts et d'espoirs nés de la reconnaissance mutuelle ?
Vos rapporteurs veulent croire en la première option. Le désir de paix de la majorité des populations israélienne et palestinienne, les bases juridiques et politiques nouvelles à la disposition de la communauté internationale -initiative saoudienne, évolutions américaines sur l'État palestinien...- peuvent laisser entrevoir, par-delà les violences endurées et les traces qu'elles laisseront dans les esprits, une évolution positive. Au sein de chaque camp, une fois la crise apaisée, les partisans du dialogue et de la paix pourront démontrer avec peut-être plus d'arguments qu'avant, la nécessité de certaines concessions de part et d'autre, au final moins douloureuses ou destructrices que les conséquences d'un combat sans fin.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 27 mars 2002.
A l'issue de l'exposé du président, un débat s'est ouvert entre les commissaires.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est dite en plein accord avec l'analyse de M. Xavier de Villepin, président. Elle a indiqué qu'aujourd'hui, se trouvaient face à face, d'un côté la réalisation d'un État-nation sur le modèle européen, et de l'autre, un peuple privé d'État depuis la domination ottomane, à laquelle avait succédé le mandat britannique, alors même que des pays voisins, notamment la Jordanie et l'Egypte, accédaient à l'indépendance. Reprenant l'analyse formulée par M. Dominique Moïsi lors d'une récente audition devant la commission, elle a estimé que les Palestiniens ne pouvaient que ressentir un sentiment profond d'injustice, ne s'estimant pas responsables des massacres de juifs commis sur le sol européen durant la deuxième guerre mondiale, qui avaient conduit, peu après, à la création de l'État d'Israël.
Elle a relevé, par ailleurs, que l'idéal sioniste avait été de permettre au peuple juif de jouir enfin de la sécurité dans le nouvel État. Or, aujourd'hui, la peur et l'insécurité sont omniprésentes. Il importait donc désormais d'ouvrir un nouvel horizon politique aux Palestiniens, souci que quelques Israéliens reconnaissaient comme indispensable.
Le désespoir palestinien nourrissait, a poursuivi Mme Monique Cerisier-ben Guiga, une révolte de plus en plus meurtrière, à laquelle les responsables israéliens entendaient répondre de la même manière.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a estimé que la dépossession engendrée par la politique de colonisation, les destructions d'habitations, les bouclages, venaient accroître l'humiliation d'une population palestinienne prisonnière. Elle s'est déclarée pessimiste pour l'avenir, d'autant que l'engagement des États-Unis semblait essentiellement dicté par le souci de préparer le champ à une éventuelle intervention en Irak.
Pour autant, Mme Monique Cerisier-ben Guiga a estimé que les deux peuples étaient aujourd'hui fatigués de cette violence et voulaient y mettre un terme. Dans ce contexte, elle a émis le voeu que l'initiative saoudienne puisse favoriser une évolution pacifique.
M. Michel Pelchat a estimé que les États-Unis devaient s'impliquer davantage dans le conflit actuel. Ils ne semblaient pas percevoir la réalité de la situation et il n'était pas exclu que les échéances intérieures pèsent sur leur analyse. Il a estimé que l'on pouvait fonder de grands espoirs sur l'initiative du prince Abdallah dont l'on pouvait espérer qu'elle soit approuvée par tous les États arabes. A cet égard, il a estimé que les conditions imposées par M. Ariel Sharon au Président de l'Autorité palestinienne pour qu'il puisse se rendre à la réunion de la Ligne arabe à Beyrouth étaient difficilement acceptables. Il était cependant à craindre que l'absence à ce sommet de plusieurs représentants arabes importants n'affaiblisse finalement l'intérêt de la proposition saoudienne.
M. Michel Pelchat a par ailleurs fait observer que les destructions, que la délégation avait constatées à Gaza, étaient moins le résultat de combats que celui d'actions punitives conduites par l'armée israélienne sans véritable raison militaire : arrachages d'oliviers, destructions de maisons, de commissariats de police, du port de Gaza etc.
Pour M. Michel Pelchat, la politique de sécurité conduite par le Premier ministre israélien ne pouvait pas fonctionner. Il convenait donc d'en avoir une approche plus globale, fondée en particulier sur une interposition internationale.
Mme Danielle Bidard-Reydet a relevé que jamais on n'a atteint le niveau de violence actuel. A la source des violences, il faut parler de l'occupation israélienne et de la politique d'implantations, qui n'avait, selon certains Israéliens, aucune justification, ni stratégique, ni économique. Cette politique pesait, au demeurant, lourdement sur le budget israélien. Cette politique répondait en fait, en partie, d'après elle, à des préoccupations idéologiques.
Mme Danielle Bidard-Reydet a estimé que le procédé du bouclage des Territoires palestiniens était également l'une des causes des violences. Ainsi, à Bethlehem, a-t-elle rappelé, 40 chars israéliens avaient récemment investi la ville, et durant 12 jours, les habitants n'avaient pu quitter leur habitation. Du fait de ces bouclages, les hôpitaux sont fréquemment privés d'eau et d'électricité, l'économie est sinistrée et le taux de chômage atteint désormais les 70 %.
Pour Mme Danielle Bidard-Reydet, l'armée israélienne ne se contente pas d'actions de riposte : elle conduit des initiatives répressives dans le cadre d'une politique de punition préventive.
Il importait, par ailleurs, pour Mme Danielle Bidard-Reydet, de préciser que le clivage ne se situait pas entre Israéliens et Palestiniens. Si certains Palestiniens, comme certains Israéliens, entendent poursuivre l'action militaire, la majorité de la population israélienne et de la population palestinienne est favorable à une solution politique. Parmi les personnalités politiques, comme Yasser Rabbo, chez les Palestiniens, et Yossi Beilin, chez les Israéliens, des responsables s'attachent à promouvoir une voie politique.
La proposition du prince Abdallah d'Arabie Saoudite, a poursuivi Mme Danielle Bidard-Reydet, en offrant à tous les États arabes de reconnaître Israël en échange du retrait des territoires occupés en 1967, est d'une haute tenue politique. A cet égard, a-t-elle estimé, les conditions posées au déplacement au Sommet de Beyrouth de M. Yasser Arafat par le Premier ministre israélien, ne grandissaient pas ce dernier. Il était par ailleurs regrettable que la Jordanie et l'Egypte soient absentes de cette réunion essentielle de la Ligue arabe.
Pour Mme Danielle Bidard-Reydet, une présence internationale est nécessaire, même si sa mise en oeuvre comporte des difficultés, comme en atteste l'assassinat de deux observateurs (suisse et turc) de la Présence internationale temporaire à Hebron (PITH), survenue près de cette ville de Cisjordanie.
En concluant, Mme Danielle Bidard-Reydet a estimé que la présence de la délégation sénatoriale sur le terrain avait constitué un acte politique positif. Il importait en effet, dans le climat de violence actuel, de tout faire pour soutenir ceux qui, dans chaque camp, s'efforcent de promouvoir la solution politique.
M. Daniel Goulet s'est également félicité de la présence, sur le terrain, d'une délégation de la commission, démontrant l'implication de cette dernière sur le dossier essentiel du conflit du Proche-Orient. Il a souligné l'inégalité du rapport de forces entre les parties en présence, estimant que les violences commises étaient inacceptables. La mission avait été l'occasion de percevoir à quel point les populations étaient désemparées. Tout devait donc être fait pour soutenir l'initiative de paix proposée par le prince Abdallah d'Arabie saoudite. Il convenait enfin, a conclu M. Daniel Goulet, que la commission suive attentivement les développements futurs de la situation au Proche-Orient.
M. Jean-Guy Branger s'est interrogé sur le processus qui avait permis une telle dégradation de la situation. Il a estimé que la reconnaissance de l'État palestinien était indissociable d'un accord sur les frontières de ce dernier, or cette question était sans cesse reportée. M. Jean-Guy Branger s'est dit frappé de la disproportion des moyens mis en oeuvre par chacune des parties, du fait de la supériorité militaire très nette de l'armée israélienne. Au surplus, le « mitage » des territoires lié à l'implantation des colonies, la multiplication des points de contrôle, entraînaient une situation économique et humaine catastrophique.
M. Jean-Guy Branger a souligné la qualité du travail conduit par l'UNRWA permettant notamment, dans les camps de réfugiés, le taux de scolarisation le plus élevé des pays arabes. Après avoir déploré que le président de l'autorité palestinienne n'ait pu se rendre au sommet de Beyrouth, M. Jean-Guy Branger a formulé l'espoir que les États-Unis, du fait de leur grande influence sur Israël, s'engagent de plus en plus.
M. Christian de La Malène a estimé que toute paix, ou début de paix, ne pourrait être qu'imposé ou « interposé ». Seuls, les États-Unis étaient en mesure d'agir à cette fin, à condition qu'ils décident de devenir enfin de véritables arbitres entre les deux parties en présence.
M. Robert Del Picchia s'est interrogé sur la disponibilité des pays à engager des contingents dans une force internationale d'interposition, dont l'action ne serait pas sans danger.
M. Michel Caldaguès a relevé qu'il était regrettable que les avertissements lancés par la France, il y a près de quarante ans, sur la situation au Proche-Orient, n'aient pas été alors mieux entendus. Il a estimé qu'une interposition internationale n'avait de vertus que si elle avait des objectifs ambitieux. Le fond de la question tenait aux garanties d'une paix future. C'est à bon droit que le Gouvernement israélien faisait de la sécurité sa première priorité pour laquelle Israël, instruit par l'histoire, ne comptait d'ailleurs que sur lui-même.
Par ailleurs, les États-Unis, invités à s'impliquer davantage, se voient parfois reprocher, ici et là, de le faire de façon excessive. Enfin, sans méconnaître les abus dont on pouvait constater les effets sur la population palestinienne, M. Michel Caldaguès a estimé qu'aucune paix ne serait possible sans qu'Israël soit sûr de bénéficier des garanties indispensables de sécurité.
M. Xavier de Villepin, président, a craintqu'on n'assiste, dans les semaines à venir, à une escalade de la violence. Il a par ailleurs estimé probable une détérioration, à plus ou moins longue échéance, des relations entre les États-Unis et le Premier ministre israélien.
Le déploiement d'une force internationale dans la région ne serait certes pas sans risque. Il convenait toutefois, a souligné M. Xavier de Villepin, président, d'avoir également présent à l'esprit les risques qu'entraînerait une aggravation de la situation au Proche-Orient, compte tenu certes de l'enjeu pétrolier, mais aussi des risques de déstabilisation de certains pays arabes qui pouvaient conduire à un éclatement régional.
M. Xavier de Villepin, président, s'est enfin déclaré fier de la position constante exprimée par la diplomatie française sur le dossier proche-oriental, position qui, en reconnaissant le droit inaliénable d'Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues, faisait aussi valoir la nécessité d'un État palestinien viable dans des frontières définitives.
La commission a donné acte à son président de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.