[ article du site projetaladin.org ]
Le territoire actuel de l'Irak, état né au XXe siècle, correspond approximativement à la Mésopotamie, région de l'Asie occidentale entre le Tigre et l'Euphrate, dominée par le royaume de Babylone jusqu'au VIe siècle avant l'ère commune. L'histoire des Juifs qui ont habité ces terres remonte donc à l'exil de Babylone, narré dans la Bible, pour se terminer aux années 1950.
La présence juive sur ce territoire remonte à Abraham dont le récit biblique dit qu'il a quitté Ur pour Canaan, vers 1800 avant J.-C. Pourtant, l'arrivée massive des Juifs sur le territoire irakien procède, non d'une décision, mais de deux catastrophes.
Un premier contingent arriva dans la région après 722 av. J.-C., à la suite de la défaite du royaume d'Israël (Nord) face aux Assyriens. En 597 av. J.-C., le roi Nabuchodonosor, qui avait asservi le royaume de Juda (Sud), assiégea Jérusalem en réaction à la révolte du roi juif Joachin. Il dépouilla le Temple et déporta à Babylone le roi, sa cour, ainsi que des milliers d'hommes.
Onze ans plus tard, Sédécias, le roi placé par Nabuchodonosor sur le trône de Judée, se révolta à son tour. Un deuxième siège de Jérusalem commença, et durera dix-huit mois. Son terme fut marqué par la destruction du Premier Temple et de la ville entière en 587 av. J.-C. La population fut dispersée, une partie envoyée en captivité à Babylone. Avec le temps, toutefois, cette population de captifs acquit la liberté et le statut d'une communauté au sein de la population autochtone.
Lorsque Cyrus le Grand, le roi perse, conquit Babylone (539 av. J.-C.), il autorisa le retour en Judée des Juifs exilés et la reconstruction du Temple. Mais seuls 40.000 d'entre eux quittèrent le territoire, alors que 80.000 décidèrent de continuer à y vivre.
Assez rapidement après la conquête perse, la vie juive se développa; c'est en Babylonie qu'Ezra "le scribe" posa les bases de ce qui devint le mouvement pharisien et, plus tard, le judaïsme rabbinique. C'est de là que vint le sage Hillel qui, le premier, établit l'autorité de la michna, la loi orale.
C'est là encore que furent nées les académies renommées de Nehardea, Sura et Pumbedita. Durant cette période, la communauté juive de Babylonie (centre de l'Irak actuel) fut dirigée par un Exilarque, dont le titre était héréditaire, elle possédait ses tribunaux et collectait elle-même ses impôts, dont la moitié revenait à l'Empire. Jusqu'au XIIIe siècle, la diaspora babylonienne conserva et développa sa structure communautaire et sa relative indépendance.
La fin de l'Empire perse menaça cette situation. Pour contrer les Mazdakites qui mirent leur liberté religieuse en péril, les Juifs soutinrent la conquête de l'Irak par les musulmans. Sous la domination des califes de Bagdad, ils payaient une taxe individuelle, qui leur assurait la liberté religieuse et communautaire.
L'Irak, qui était tombé sous la domination de l'Empire ottoman en 1517, dut attendre jusqu'aux réformes, les Tanzimat, pour voir s'établir une administration centralisée. Ce mouvement réformiste eut une forte influence sur la communauté juive : il l'introduisit dans le monde moderne. Outre l'adoption du mode vestimentaire occidental, les Juifs eurent désormais accès à une éducation incluant l'apprentissage des langues étrangères et l'acquisition de compétences dans le monde des affaires.
Sous le régime ottoman, les Juifs étaient conseillers juridiques de gouverneurs, conseillers municipaux, et servaient dans les parlements ottomans. Sous le gouvernement des Jeunes-Turcs (1908), qui menèrent une politique d'unification, ils servirent dans l'armée, obligatoire pour tous. Ils combattaient dans les unités turques pendant la Première Guerre Mondiale ou y furent médecins ou traducteurs.
Pour beaucoup d'entre eux, cependant, ce conflit eut des conséquences désastreuses. Se voyant bientôt battus, les Ottomans jetèrent le blâme sur les Juifs, auxquels ils reprochaient trop faible participation à l'effort de guerre. Certains furent exécutés, beaucoup d'autres virent leurs biens confisqués.
L'Irak fut la création de la Société des Nations, qui marqua la fin de la Première Guerre Mondiale, ainsi que la défaite et le démantèlement de l'Empire ottoman. Après douze ans sous mandat britannique (1920- 1932), l'Irak devint un Etat indépendant en 1932.
Sa population consistait en une majorité musulmane chiite au sud et une minorité musulmane sunnite à Bagdad, qui domina la vie politique de l'Irak à l'époque moderne. D'autres petits groupes ethniques et religieux vécurent dans ce pays, notamment les Kurdes, les Yazidis, les chrétiens et les Juifs.
Sous le régime du roi Fayçal 1er, un monarque bienveillant soutenu par les Britanniques, les Juifs, comme toutes les autres minorités, furent invités à participer en tant que citoyens au nouvel Irak. Dans ce climat, les Juifs connurent une période faste, que des émeutes antisémites interrompirent après la mort de Fayçal (1933), sous un gouvernement nationaliste musulman.
En 1941, le coup d'Etat de Rashid Ali, ouvertement pronazis, provoqua un pogrom à Bagdad. Avec la complicité de la police et de l'armée, des Irakiens armés assassinèrent 180 Juifs et en maltraitèrent près d'un millier. Les années suivantes se ressemblèrent. L'hostilité grandissait, les actes antisémites se multipliaient.
A la création de l'Etat d'Israël, en 1948, le sionisme devint un crime capital pour la loi irakienne. La dégradation du climat s'intensifia. En 1950, les Juifs irakiens furent autorisés à émigrer, si toutefois ils renoncèrent à leur citoyenneté. De nouvelles restrictions économiques furent imposées à ceux qui restèrent dans le pays. En 1952, le ton changea : l'émigration fut interdite. Deux membres de la communauté juive, accusés d'avoir fomenté un attentat contre une institution américaine, furent pendus en public.
Durant les années 60, les autorités menèrent une politique de discrimination systématique. Les ventes immobilières furent interdites, les Juifs devaient posséder une carte d'identité jaune distinctive. Après la guerre des Six-Jours, les mesures se succédèrent : les Juifs perdirent le droit à la propriété, leurs comptes bancaires furent gelés, leurs commerces durent fermer, ils furent exclus de toutes les fonctions publiques. Les lignes téléphoniques furent coupées. Ils durent se regrouper dans les villes, où ils furent assignés à résidence.
Quand Saddam Hussein accéda au pouvoir en 1979, il restait moins de 400 Juifs en Irak. La communauté juive vécut donc sous surveillance constante. Toutefois, il semble que l'attitude de Saddam Hussein envers les Juifs irakiens ait été moins excessive qu'on pourrait le croire. D'après des témoignages recueillis par le journaliste Philippe Broussard pour le journal Le Monde (édition du 8 mai 2003), l'accession de Saddam au pouvoir a inauguré une accalmie pour les Juifs, le dirigeant aurait même supprimé la plupart des lois discriminatoires antijuives.
Aujourd'hui, seules la mémoire et l'histoire de la diaspora juive en terre d'Irak subsistent. Les Juifs irakiens, désormais citoyens d'autres pays, ont créé des instituts, des centres communautaires, des programmes de recherche historique et de préservation de leur culture. Leurs démarches témoignent de la richesse de l'histoire juive sur cette terre mais aussi, bien souvent, de leur nostalgie.