« Depuis l’avènement de la dynastie de Pagan au XIe siècle, l’histoire de la Birmanie est une succession de luttes dont l’objet est avant tout d’assurer l’hégémonie des Birmans dans la vallée de l’Irawadi et au-delà. La Birmanie d’aujourd’hui est un État multinational que des siècles n’ont pas suffi à unifier entièrement »1

 

1 La Birmanie, Jean Perrin in Asie du Sud-Est, sirey, 1970

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Georges Orwell (1903- 1950)

L’auteur de "1984" a aussi publié « une histoire birmane » en 1934.

Il savait de quoi il parlait car il a été de 1922 à 1928 chef adjoint de la police impériale britannique de Birmanie. Il a vécu à Katha, un village de 4000 habitants (près de 24 000 aujourd’hui) qui fournit le décor d'une histoire birmane .

 

Orwell

"y trace d'une plume aigre et sans pitié les contours d'une micro société anglaise constituée de coloniaux engoncés dans leurs préjugés racistes, vivant au milieu d'une population birmane généralement soumise, dont l'hostilité parfois sous-jacente sera finalement déclenchée par les manigances d'un fonctionnaire indigène retors et corrompu.

Tout le décor est resté planté, décati au possible, mais suffisamment présent pour évoquer la narration d'un Orwell réglant ses comptes avec le "British Raj" – le gouvernement des Indes britanniques – dans cet avant-poste perdu "des Indes".

Le club, c'était là où tout se passait pour les Blancs. Orwell le décrit comme "la citadelle spirituelle, le siège de la puissance anglaise, le nirvana où les fonctionnaires et les nababs indigènes rêvent en vain de pénétrer"… Dans les pièces empoussiérées de ce qui est aujourd’hui le bureau d’une coopérative d’État gérée par une vieille dame souriante disposant d'une simple machine à écrire soigneusement recouverte de sa housse de protection, on imagine encore la grande salle de jadis, son billard, sa maigre bibliothèque, et le murmure poli des serviteurs tamouls, visage couleur de suie et turbans blancs, prenant commande.

C'est peut-être ici, dans cette ville reculée, que George Orwell s'est forgé sa philosophie, sa haine du colonialisme, son dégoût des privilèges que les Blancs s'octroyaient ; peut-être même faut-il y voir les racines de sa prophétique parabole du futur totalitaire d'un monde surveillé par Big Brother…

Orwell fut policier malgré lui, et le regretta. Bien plus tard, rentré en Angleterre après en avoir terminé à Katha avec son dernier poste de flic tropical, il écrivit "avoir passé cinq années à exercer un métier pour lequel [il n'était] absolument pas fait – dans les rangs de la police impériale des Indes, en Birmanie". Il ajoutait : "Cela a contribué à exaspérer mon dégoût naturel de toute autorité et à m’ouvrir les yeux sur la condition faite aux classes laborieuses. Mon expérience birmane m’avait sans doute éclairé sur la véritable nature de l'impérialisme."1

 

1 Le Monde culture 11/08/2013 Bruno Philip

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1923 : Le state secret act

La loi sur les secrets d’État, inspirée par les Britanniques est toujours invoquée en 2014 pour condamner des personnes suite à des réelles ou prétendues violations de secret d’État.(cf infra)

 

1928 : Création d’une organisation communiste essentiellement composée de Chinois de Birmanie.

 

1929 : Le moine U Wisara entreprend une grève de la faim. Il exige de pouvoir porter la robe monacale le « thingan ». Il décède au bout de 166 jours déclenchant une immense émotion dans le pays. Sa statue est toujours érigée à Rangoun près de la pagode Shwedagon.

Gandhi se rend en Birmanie et prononce des discours consacrés à la lutte pour la liberté.

 

1930 : La crise économique est ressentie aussi en Birmanie et conduit à une révolte paysanne qui va durer deux ans. Son leader est Saya San. Elle conduira par ricochet à l’essor du mouvement nationaliste Dobhama Asiayone1 qui ne participe pas à la révolte mais gagne la confiance des paysans.

 

1 « Association de Nous les Birmans »

 

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Saya San (Maitre San), de son vrai nom U Ya Gyaw est un ancien moine, médecin qui s’est lancé dans la politique en créant l’association des Galons (l’oiseau symbole, équivalent du Garuda Indien qui terrasse le naga, serpent représentant l’occupant britannique).

Saya San, se sert comme point de départ d’un mouvement de protestation contre l’impôt lors de l’hiver 1927-1928 pour structurer un vaste mouvement nationaliste et religieux d’opposition à l’occupant.

Les britanniques envisageaient l’instauration d’un impôt par tête, une poll-tax.Le 28 octobre 1930,

Saya San se fait proclamer roi par ses fidèles et prend la tête d’une insurrection qui dure 30 mois.

Ses troupes mal armées font 39 morts parmi les forces du gouverneur Sir J.A. Maung Gyi. Mais les insurgés subissent des lourdes pertes : 3000 tués ou blessés, 9000 birmans arrêtés dont 350 sont condamnés et 128 pendus. Certains rebelles sont décapités et leur tête exposée en public.

Saya San, capturé le 20 août 1931 est jugé et condamné à mort pour actes de rebellions envers des collecteurs de taxes et pendu avec plusieurs de ses compagnons le 28 novembre de la même année.1

 

1 L’histoire du xxe siècle. L’Asie du Sud-Est, La Birmanie, Jean Perrin, Sirey

 

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Grève étudiante suite à l'exclusion de U Nu et Aung San

 

En 1936, U Nu, président de l’Union des Étudiants de l’Université de Rangoun prononce un discours critique envers les autorités universitaires. Le journal étudiant « Onway » présidé par Aung San publie dans le même temps un article critiquant le corps enseignant. Les deux présidents sont immédiatement exclus de l’université, ce qui déclenche immédiatement une grève, en pleine période d’examen, des sept cents étudiants, le 25 février. Cette grève dont les revendications prennent rapidement un tour nationaliste dure trois mois et s’étend à tout le pays. En Mai, U Nu et Aung San sont réintégrés et les dispositions critiquées de la loi universitaire sont révisées.

 

L’Union des Étudiants de Birmanie est créée à la suite de ce mouvement et son deuxième président en est Bogyoke Aung San (1937). L’union regroupe 35 organisations étudiantes sur tout le territoire birman et étend l’influence du groupe des Thakins.

 

1er Avril 1937 : La Birmanie devient une colonie britannique

 

Le 2 août 1935  le parlement britannique vote le « government of Burma Act », séparant après 50 ans la Birmanie de l’Inde. La Birmanie est détachée du Raj britannique et accède au rang de colonie, ce qui lui permet d’avoir une constitution propre. La nouvelle constitution prévoit une assemblée élue. Mais le maintien de l’ordre, la défense, les affaires étrangères et l’administration de certaines régions (celles où les minorités sont importantes) restent du ressort du gouverneur anglais. Ba Maw, ex-avocat de Saya San devient premier ministre jusqu’en 1939.

 

Chefs de gouvernement

Ba Maw

1937 – Février 1939

U Saw

1940 - 1942

 

 1937-1938 : Grèves. Chute du gouvernement Ba Maw

10 000 ouvriers travaillant sur les champs pétrolifères de la Burma Oil Company, l'Indo-Burma Petroleum et la British Burma Petroleum se mettent en grève. Les grévistes n’obtenant pas d'amélioration de leurs conditions de travail marchent sur Rangoun. Des arrestations provoquent des manifestations et in fine un mort, Aung Gyaw, étudiant. Les universités se joignent alors au mouvement. Les bonzes aussi. Le gouvernement Ba Maw finit par tomber mais les compagnies pétrolières n’ont rien lâché.

 

26 juillet 1938 : Pogrom anti indien.

Un millier de personnes est tué dont la plupart sont musulmanes. L'action trouve son origine dans des pamphlets considérés comme anti-islamiques pour l'un et anti-bouddhique pour l'autre. Mais c’est surtout la classe aisée Indienne, Musulmane ou Hindoue, qui est visée par les Birmans en colère.

 

1939 : Création du parti socialiste Birman et du parti communiste Birman dont l'éphémère premier secrétaire général en est Bogyoke Aung San. Il se consacre rapidement plus à Do bama Asiayone qu’au parti.

 

Octobre 1939 : Formation du bloc de la liberté, regroupant plusieurs entités politiques dont Bo dama Asiayone sous la présidence de Ba Maw. Aung San en est le secrétaire général.

Le bloc souhaite l'indépendance de la Birmanie, la convocation d'une assemblée constituante et le transfert des pouvoirs discrétionnaires du Gouverneur au cabinet.

 

Aung San est alors recherché par la police britannique qui a emprisonné tous les leaders indépendantistes, accusés de trahison et d'appel à la révolte. À la suite d'un discours portant sur la situation du peuple Chin en 1940 dans le village de Daung Gyi, un mandat d'arrêt est émis à l'encontre de Aung San.1

 

Recherché, il entreprit d'abord d'aller chercher de l'aide auprès du parti communiste chinois. Il part en octobre 1940 sur le Hai Lee, navire norvégien, pour l'enclave internationale de 'Amoy (Xiamen). C'est là qu'il est contacté par les Japonais.

 

Bien qu’opposés au socialisme des nationalistes Birmans, les Japonais cherchent à prendre le contrôle d'une voie de communication permettant de ravitailler le Kuomintang de Tchang Kaï-chek en reliant l’Inde à la Chine par le nord de la Birmanie.2

 

Un accord est trouvé à Tokyo entre le colonel Keiji Suzuki des services secrets japonais et les nationalistes Aung San et Hla Myaing à Tokyo. Les Japonais devront préparer les nationalistes pour l'indépendance.

 

En dépit des réticences du mouvement nationaliste, Aung San réussit à la convaincre que faire confiance aux Japonais était une stratégie pertinente3. Par la suite, Aung San se défendra de toute adhésion au régime Japonais.

 

Aung San revient donc du Japon en février 1941 avec armes, argent et offre d’entraînement militaire.

 

Naissance du groupe des trente camarades

 

A l'initiative de Aung San, un groupe de jeunes cadres (24 ans en moyenne) est constitué en 1941 afin de préparer l'indépendance de la Birmanie. Réunissant « trente camarade », pour la plupart Thakin, le groupe dispose du soutien des Japonais.

Pour sceller la naissance du groupe, les trente camarades mélangent à Bangkok, leur sang dans un bol d'argent et boivent chacun leur tour le breuvage. Ils prêtent un serment de loyauté éternelle en eux et envers la cause de l'indépendance birmane (cérémonie militaire traditionnelle birmane appelée thway thauk).

 

La cérémonie a lieu le 31 décembre 1941. Le Lendemain, Aung San annonce la création de la Burmese Indépendence Army (BIA) destinée à se battre aux cotés de Japonais.

 

Aung San avait prévu un entraînement militaire à Hainan pour ses trente camarades et une armée de quatre mille hommes prête à prendre le relais de l'autorité coloniale en cas d'invasion japonaise. L’entraînement a lieu à Taiwan sous la férule du Japon. Les camarades sont divisés en trois groupes dirigés notamment par Aung San et Ne Win. À Ne Win et à son équipe reviennent les actions de sabotage, tandis que Aung San devient en 1942 chef d’État major de la toute nouvelle BIA. Un troisième groupe doit fournir des chefs d'unité paramilitaires.4. Un quatrième groupe devait les rejoindre.5

 

1 Ce discours avait été d'autant moins apprécié que la police locale l'avait laissé le faire...à condition de ne pas évoquer la situation des Chin.

2 La route de Birmanie sera d'ailleurs construite par les Anglais mais reprise par les japonais en 1942.

3  Jesper Bengsston in Aung San Suu Kyi, Un pays, une femme, un destin, Ed. Prisma

Patrick Souty in La guerre du Pacifique,7 juillet 1937 – 2 septembre 1945  p. 96, PUF Lyon, conflits contemporains.

5 C'est un groupe de nationalistes de la faction fasciste dirigés par Tun Ok