L'ONG produit début février 2022 un rapport qui dénonce l'apartheid dont seraient victimes les arabes en Israël. Il est intitulé 'L'Apartheid israélien envers le peuple palestinien. Un système cruel de domination et de crime contre l'humanité'.

 

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Résumé du rapport par Amnesty

 

VOLONTÉ D’OPPRIMER ET DE DOMINER LA POPULATION PALESTINIENNE


Depuis sa création en 1948, Israël mène une politique explicite visant à instituer et à entretenir une hégémonie démographique juive et à optimiser son contrôle sur le territoire au bénéfice des juifs et juives israéliens, tout en minimisant le nombre de Palestiniens et Palestiniennes, en restreignant leurs droits et en les empêchant de contester cette dépossession.

En 1967, Israël a étendu cette politique au-delà de la Ligne verte, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qu’il occupe depuis cette date.

Actuellement, tous les territoires contrôlés par Israël restent administrés en vue de favoriser les juifs et juives israéliens au détriment de la population palestinienne, tandis que les réfugié·e·s palestiniens demeurent exclus.


Depuis toujours, des considérations démographiques ont guidé l’élaboration des lois et des lignes de conduite d’Israël. La démographie du nouvel État devait être modifiée au bénéfice de la population juive israélienne, alors que les Palestinien·ne·s – en Israël ou, plus tard, dans les TPO – étaient vus comme une entrave à l’instauration et à la perpétuation d’une majorité juive, c’est pourquoi la population palestinienne devait être expulsée, fragmentée, ségréguée, contrôlée, dépossédée de ses biens fonciers et immobiliers, et privée de ses droits économiques et sociaux.


La population juive israélienne forme un groupe unifié grâce à un statut juridique préférentiel ancré dans le droit israélien, qui se manifeste par des protections et services publics quel que soit le lieu de résidence dans les territoires sous le contrôle effectif d’Israël. L’identité juive de l’État d’Israël a été définie dans ses lois et dans les usages de ses institutions officielles et nationales. Le droit israélien perçoit et considère l’identité juive comme, selon le contexte, une identité religieuse, fondée sur l’ascendance, et/ou une identité nationale ou ethnique.


Les Palestinien·ne·s sont traités différemment par l’État israélien car il leur confère un statut racisé arabe et non-juif, et, les considère en outre comme un groupe doté de caractéristiques spécifiques différentes d’autres groupes non-juifs. Concernant les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël, le ministère israélien des Affaires étrangères les qualifie officiellement de « citoyens arabes d’Israël », un terme qui englobe plusieurs groupes majoritairement arabophones, notamment les Arabes musulmans (ce qui comprend les Bédouins), les Arabes chrétiens, les Druzes et les Circassiens. Toutefois, dans les débats publics, les autorités et les médias israéliens ne comprennent bien souvent que les Arabes musulmans et les Arabes chrétiens (les deux groupes qui s’identifient généralement comme Palestinien·ne·s), lorsqu’ils parlent d’Arabes israéliens, et ils les associent aux Palestinien·ne·s vivant dans les TPO et ailleurs, tandis qu’ils utilisent les termes spécifiques de Druzes et de Circassiens pour désigner ces autres groupes non-juifs. Les autorités considèrent également de manière flagrante les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël comme faisant partie d’un groupe distinct des Druzes et des Circassiens, car ce groupe est le seul exempt du service militaire, « en raison de leurs affiliations familiales, religieuses et culturelles avec le monde arabe (qui a infligé de fréquentes attaques à Israël), ainsi qu’en raison de craintes liées à d’éventuelles doubles allégeances. »


En mai 1948, la déclaration portant création d’Israël a annoncé un État juif. Si le texte garantit « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens », ce droit n’a pas été inscrit dans les lois fondamentales, qui ont force de documents constitutionnels en l’absence de constitution écrite.


En plus d’établir Israël comme un État juif, la déclaration de 1948 a également appelé les personnes juives du monde entier à immigrer en Israël. En 1950, Israël a accordé à toute personne juive le droit d’immigrer en Israël au titre de la Loi sur le retour, avant de leur accorder le droit automatique à la citoyenneté israélienne par la loi de 1952 relative à la nationalité. Les autorités israéliennes ont en partie considéré qu’il s’agissait d’une mesure nécessaire pour empêcher toute nouvelle tentative d’extermination du peuple juif à la suite de la Shoah, et pour apporter un refuge aux juifs et aux juives subissant des persécutions ailleurs dans le monde. Parallèlement, des centaines de milliers de réfugié·e·s palestiniens déplacés pendant le conflit de 1947-1949 n’ont pas été autorisés à rentrer chez eux en raison de considérations démographiques. Le fondement de ce système d’oppression et de domination infligé à la population palestinienne a été ancré sans équivoque dans la Loi sur l’État-nation de 2018, qui a consacré le principe voulant que « l’État d’Israël est l’État-nation du peuple juif » et indiquant que le droit à l’autodétermination est réservé « au peuple juif ».
Les déclarations de grandes figures politiques israéliennes, ainsi que de hauts responsables civils et militaires, confirment par ailleurs au fil des ans qu’Israël a l’intention de perpétuer une majorité démographique juive, et d’opprimer et dominer la population palestinienne. Depuis 1948, quelles que soient leurs affiliations politiques, ces personnes ont publiquement souligné l’objectif fondamental de maintenir l’identité juive de l’État d’Israël, et elles ont affiché leur intention de réduire au maximum l’accès de la population palestinienne aux terres situées dans les zones sous le contrôle effectif d’Israël et leur jouissance de celles-ci. Elles ont mené cela à bien en procédant à la saisie des logements et biens de Palestinien·ne·s, et en les restreignant à vivre dans des enclaves au moyen de politiques discriminatoires d’urbanisme et de logement. L’intention discriminatoire de dominer les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël se manifeste aussi par des déclarations qui revendiquent un modèle de citoyenneté distinct et inégalitaire, et le rejet du droit des Palestinien·ne·s au regroupement familial comme outil de contrôle démographique.
L’intention de dominer et de contrôler la population palestinienne dans les TPO est tout aussi claire au vu des politiques discriminatoires en matière de foncier, d’aménagement du territoire et de logement, et au vu de l’entrave à toute forme de développement agricole ou industriel au profit de la population palestinienne. Depuis l’annexion de Jérusalem-Est en 1967, les gouvernements israéliens successifs ont défini des objectifs démographiques quant au ratio de personnes juives et de personnes palestiniennes à l’échelle de Jérusalem tout entière, et ils ont déclaré publiquement que priver de ses droits socio-économiques la population palestinienne de Jérusalem-Est visait délibérément à la chasser de la ville. Le démantèlement des colonies israéliennes dans la bande de Gaza, tout en conservant par ailleurs sa mainmise sur la population de ce territoire, a expressément été associé à des considérations démographiques et découle de l’admission qu’Israël ne parviendrait pas à une majorité juive là-bas. Enfin, des documents officiels rendus publics par le gouvernement israélien démontrent que sa politique d’opposition au retour de millions de réfugié·e·s palestiniens chez eux, en vigueur de longue date, est également motivée par des considérations démographiques.


FRAGMENTATION TERRITORIALE ET SÉGRÉGATION LÉGALE


Lorsqu’ils ont créé Israël en tant qu’État juif en 1948, ses dirigeants ont été responsables de l’expulsion de masse de centaines de milliers de Palestinien·ne·s et de la destruction de centaines de villages palestiniens pouvant être qualifiées de nettoyage ethnique. Ils ont choisi de contraindre la population palestinienne à vivre dans des enclaves au sein de l’État d’Israël et, à la suite de l’occupation militaire en 1967, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ils ont accaparé l’immense majorité des terres et des ressources naturelles des Palestinien·ne·s. Ils ont introduit des lois, des politiques et des pratiques qui instaurent des discriminations cruelles et systématiques à l’encontre de la population palestinienne, ce qui aboutit à une fragmentation géographique et politique des Palestinien·ne·s, qui vivent dans un état permanent de peur et d’insécurité, et souvent dans la pauvreté.


Pendant ce temps, les responsables d’Israël ont ancré dans le droit et la pratique le privilège systémique des citoyens juifs au moyen de l’affectation de terres et de ressources, ce qui leur permet de vivre dans une richesse et un bien-être relatifs aux dépens des Palestinien·ne·s. Ils ont régulièrement étendu les colonies dans les territoires palestiniens occupés, ce qui constitue une infraction du droit international.


En 1948, avant la création d’Israël, les Palestinien·ne·s constituaient environ 70 % de la population dans ce qui était la Palestine sous mandat britannique et possédaient environ 90 % des terres privées. Les juifs, qui pour beaucoup avaient émigré d’Europe, constituaient environ 30 % de la population et ils possédaient, avec des institutions juives, environ 6,5 % des terres.

Les autorités israéliennes ont fait en sorte d’inverser cette situation. Une partie des personnes qui ont fui pendant le conflit de 1947-1949 ont été déplacées de leurs villages et villes vers d’autres territoires qui sont ensuite devenus l’État d’Israël. D’autres ont fui vers des endroits qui étaient alors la Palestine sous mandat (dont 22 % sont tombés sous le contrôle de la Jordanie et de l’Égypte à l’issue du conflit, soit ce qui correspond aujourd’hui aux TPO). La majorité des autres Palestinien·ne·s ont fui dans les pays arabes voisins, c’est-à-dire en Jordanie, en Syrie et au Liban. Israël empêche ces réfugié·e·s palestiniens et leurs descendants, ainsi que les personnes déplacées au sein d’Israël, de retourner à leur ancien lieu de résidence.


La population palestinienne s’est trouvée encore fragmentée davantage après la guerre de juin 1967, qui a donné lieu à l’occupation militaire d’Israël en Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza, mais aussi à la création d’un régime juridique et administratif distinct visant à contrôler les territoires occupés, et à une nouvelle vague de Palestinien·ne·s déplacés.


Le nouveau régime militaire dans les TPO est venu se superposer au régime juridique existant, composé des lois ottomanes, britanniques, jordaniennes et égyptiennes, soit l’héritage des puissances ayant précédemment gouverné cette région.


En 1994, les accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont créé l’Autorité palestinienne et lui ont accordé la gestion limitée des affaires civiles palestiniennes dans les centres urbains. Les accords d’Oslo, qui n’ont pas mis fin à l’occupation, ont par ailleurs divisé la Cisjordanie en trois zones administratives prévoyant plusieurs niveaux de compétences militaires et civiles palestiniennes et israéliennes, ce qui a eu pour effet de fragmenter et de ségréguer d’autant plus la population palestinienne au profit d’Israël. Même si Israël a procédé au retrait des colons israéliens dans la bande de Gaza en 2005, il a conservé dans les faits le contrôle de ce territoire, une mainmise d’autant plus accentuée par un blocus aérien, maritime et terrestre illégal, et par une politique officielle séparant la bande de Gaza de la Cisjordanie, après que le Hamas s’est emparé de ce territoire deux ans plus tard. Par conséquent, l’intégralité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza demeurent sous occupation militaire israélienne : Israël y contrôle la population palestinienne, ses ressources naturelles, ses frontières terrestres et maritimes, à l’exception de la petite frontière de Gaza avec l’Égypte au sud, et son espace aérien. Deux cadres juridiques internationaux complémentaires restent applicables à la conduite d’Israël, puissance d’occupation exerçant un contrôle effectif sur les TPO : le droit international relatif aux droits humains et le droit international humanitaire.


Les Palestinien·ne·s des TPO qui sont soumis à ces juridictions distinctes doivent avoir un permis des autorités israéliennes pour aller de l’une à l’autre – entrer et sortir de la bande de Gaza, de Jérusalem-Est annexée et du reste de la Cisjordanie – et ils sont séparés des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël, à la fois géographiquement et administrativement. Parallèlement, des réfugié·e·s palestiniens déplacés pendant les conflits de 1947-1949 et de 1967 sont toujours isolés physiquement des Palestinien·ne·s qui vivent en Israël et dans les TPO, Israël continuant à leur dénier le droit de retourner dans leurs logements, villes et villages.
Les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël relèvent du droit civil israélien, qui, en général, leur accorde plus de libertés et de protections relatives aux droits humains que les Palestinien·ne·s qui vivent dans les TPO, mais qui les prive néanmoins de l’égalité des droits avec ls citoyen·ne·s juifs d’Israël (notamment en matière de participation politique) et institutionnalisent la discrimination à leur encontre. Les Palestinien·ne·s qui vivent dans Jérusalem-Est annexée relèvent aussi du droit civil israélien, mais ils ont un titre de résidence permanente et non la citoyenneté israélienne. À l’inverse, les Palestinien·ne·s du reste de la Cisjordanie restent soumis au régime militaire israélien et aux ordonnances militaires draconiennes adoptées depuis 1967. La vaste majorité de ces ordonnances ne sont plus mises en oeuvre dans la bande de Gaza depuis qu’Israël a mis fin à l’essentiel des caractéristiques de son régime militaire là-bas, avec le retrait des colons en 2005. Les Palestinien·ne·s en Cisjordanie et dans la bande de Gaza relèvent par ailleurs du droit palestinien.


Aujourd’hui, les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël et les Palestinien·ne·s ayant le statut de résident permanent en Israël représentent 19 % de la population d’Israël, soit environ 1,9 million de personnes. Environ 90 % des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël vivent dans 139 villes et villages densément peuplés en Galilée et dans le « triangle » dans le nord d’Israël, et dans le Néguev/Naqab au sud, en raison de politiques délibérées de ségrégation. Dans leur majorité, les 10 % restants vivent dans des « villes mixtes ».


En juillet 2021, 358 800 Palestinien·ne·s étaient recensés au sein de la municipalité de Jérusalem, soit 38 % de la population de la ville. Environ 150 000 d’entre eux vivent dans des quartiers séparés du reste de la ville par le mur/barrière et des postes de contrôle militaires. Environ 225 178 colons juifs israéliens vivent par ailleurs à Jérusalem-Est dans 13 colonies illégales bâties par les autorités israéliennes et dans des logements privés ayant été pris à des Palestinien·ne·s dans le cadre de procédés discriminatoires.

Environ 3 millions de Palestinien·ne·s vivent dans le reste de la Cisjordanie. Plus de 441 600 colons juifs sont installés dans 132 colonies officiellement implantées par le gouvernement israélien, ainsi que dans 140 avant-postes non autorisés qui ont été créés depuis les années 1990 sans l’autorisation du gouvernement et qui sont jugés illégaux au regard même du droit israélien. Environ 2 millions de Palestinien·ne·s vivent dans la bande de Gaza. Environ 1,4 million d’entre eux (plus de 70 % de la population) ont le statut de réfugié·e auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).

SÉGRÉGATION ET CONTRÔLE PAR LE DROIT


L’emprise d’Israël sur les TPO, au moyen des ordonnances militaires dans le contexte de son occupation, porte à croire, à tort, que le régime militaire dans les TPO est distinct du système civil qui est en vigueur à Jérusalem-Est annexée et en Israël. Cette perspective néglige le fait que de nombreuses caractéristiques du régime militaire répressif d’Israël dans les TPO sont issues des 18 ans de domination militaire d’Israël sur les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël et que la dépossession de la population palestinienne en Israël se poursuit encore aujourd’hui.
L’existence même de ces régimes juridiques distincts est toutefois l’un des principaux instruments grâce auxquels Israël fragmente la population palestinienne et impose son système d’oppression et de domination. Selon la Commission économique et sociale pour l'Asie occidentale (CESAO) de l’ONU, c’est ce qui permet « de dissimuler l’existence même du régime [israélien d’apartheid] ». En effet, les politiques israéliennes visent à fragmenter la population palestinienne en plusieurs sphères de contrôle géographiques et juridiques, non seulement pour qu’elle soit traitée différemment ou isolée de la population juive, mais aussi pour créer des différences de traitement au sein de la population palestinienne, afin d’affaiblir les liens entre les groupes de Palestinien·ne·s, d’éliminer toute forme de dissidence durable contre le système en place et de veiller à un contrôle politique et sécuritaire plus efficace des territoires et des personnes sur l’ensemble des zones concernées.

RECOURS AU POUVOIR MILITAIRE POUR CONTRÔLER ET DÉPOSSÉDER


Au fil des années, Israël a fait du pouvoir militaire un outil primordial dans l’établissement de son système d’oppression et de domination contre la population palestinienne des deux côtés de la Ligne verte, en l’appliquant à plusieurs groupes de Palestinien·ne·s en Israël et dans les TPO de manière quasi ininterrompue depuis 1948 – à l’exception d’un arrêt de sept mois en 1967 – pour développer des colonies juives dans des zones stratégiques et pour déposséder les Palestinien·ne·s de leurs biens fonciers et immobiliers sous prétexte de faire régner la sécurité.


Israël a placé ses citoyens palestiniens sous un régime militaire pendant les 18 premières années de son existence (1948-1966) et a recouru à cette période aux règlements d’exception en matière de défense datant du mandat britannique, qui lui accordaient toute latitude pour contrôler les déplacements des Palestinien·ne·s, confisquer leurs biens, évacuer des villages entiers pour en faire des zones militaires, démolir leurs logements et les juger dans des tribunaux militaires. Les Palestinien·ne·s avaient besoin d’une autorisation pour quitter leur zone de résidence, y compris pour se faire soigner et travailler. Les institutions de l’État d’Israël ont soumis les Palestinien·ne·s à un système de surveillance et de contrôle qui limitait délibérément leurs libertés politiques en interdisant les manifestations et en arrêtant les militant·e·s politiques en raison de leurs activités politiques.


Israël a fini par abolir en décembre 1966 son régime militaire imposé aux citoyen·ne·s palestiniens d’Israël, après avoir réussi à empêcher les Palestinien·ne·s déplacés à l’intérieur du pays de rentrer chez eux dans les villages vides, en détruisant lesdits villages et en reboisant leurs terres. Les restrictions de déplacement ont progressivement été levées et le respect des droits humains des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël s’est considérablement amélioré depuis la fin du régime militaire qui leur était imposé, mais plusieurs caractéristiques de ce régime perdurent. Les règlements d’exception n’ont jamais été abrogés et, à compter de 1967, leur champ d’application a été étendu à la Cisjordanie (sauf à Jérusalem-Est annexée) et à la bande de Gaza, afin d’y contrôler la population palestinienne, d’étouffer toute forme de dissidence, et de permettre à l’État israélien de déposséder les Palestinien·ne·s de leurs terres et ressources. Outre la seule question législative, l’expérience acquise par les autorités israéliennes pendant le régime militaire imposé aux citoyen·ne·s palestiniens d’Israël a inspiré l’administration militaire en vigueur dans les TPO.


Malgré la création de l’Autorité palestinienne, plus de 1 800 ordonnances militaires israéliennes continuent de contrôler et de restreindre toutes les facettes de la vie des Palestinien·ne·s en Cisjordanie : leurs moyens de subsistance, leur statut administratif, leurs déplacements, leur militantisme politique, leur détention et procès, et leur accès aux ressources naturelles. La législation militaire israélienne en Cisjordanie est appliquée par le système judiciaire militaire. Depuis 1967, les autorités israéliennes ont arrêté plus de 800 000 hommes, femmes et enfants palestiniens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza, et nombre d’entre eux ont été jugés dans des tribunaux militaires qui bafouent systématiquement les normes internationales relatives à l’équité des procès et où l’écrasante majorité des affaires aboutissent à une condamnation.


Les Palestinien·ne·s de la bande de Gaza étaient soumis au droit militaire israélien et jugés dans des tribunaux militaires jusqu’à ce qu’Israël y démantèle ses colonies en 2005. Depuis, certaines dispositions du droit militaire israélien restent applicables sur ce territoire, en ce qui concerne les entrées et sorties des personnes et marchandises dans la bande de Gaza, mais aussi l’accès aux eaux territoriales et à la « zone tampon » le long de la clôture qui sépare Israël et la bande de Gaza.
À l’inverse, les colons juifs ont été exemptés des ordonnances militaires qui régissent la vie des Palestinien·ne·s depuis la fin des années 1970, période à partir de laquelle Israël a étendu l’application de son droit civil extra-territorialement aux citoyens israéliens qui vivent ou circulent dans les TPO. Les colons juifs en Cisjordanie occupée sont par conséquent jugés devant des tribunaux civils israéliens.


PRIVATION DE NATIONALITÉ, DE LIEU DE RÉSIDENCE ET DE VIE FAMILIALE


Israël perpétue son système de fragmentation et de ségrégation au moyen de plusieurs régimes juridiques qui privent les Palestinien·ne·s de nationalité et de statut, qui enfreignent leur droit au regroupement familial et au retour dans leur pays et leur logement, et qui limitent considérablement leur droit de circuler librement en raison de leur statut juridique. L’ensemble de ces facteurs visent à contrôler la population palestinienne et à préserver une majorité juive israélienne dans certaines zones clés en Israël et dans les TPO.


S’ils bénéficient de la citoyenneté, les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël n’ont pas accès à la nationalité israélienne, ce qui les distingue juridiquement de la population juive israélienne. Ils sont par ailleurs privés de certaines prestations en raison de leur « exemption » du service militaire.


Les habitant·e·s palestiniens de Jérusalem-Est ne sont pas quant à eux des citoyen·ne·s israéliens. Ils ont à la place le statut précaire de résident permanent, qui les autorise à vivre et à travailler dans la ville, et à bénéficier de services sociaux fournis par la Caisse d’Assurance Nationale israélienne et par l’assurance maladie nationale. En vertu de lois et politiques discriminatoires, les autorités israéliennes ont toutefois révoqué le statut de milliers de Palestinien·ne·s, parfois rétroactivement, quand ils ne peuvent pas démontrer que Jérusalem est leur « principal lieu de vie ». Il en découle des conséquences catastrophiques en matière de droits humains. À l’inverse, les colons juifs israéliens qui vivent à Jérusalem-Est ont la citoyenneté israélienne et sont exemptés des lois et règlements imposés aux habitant·e·s palestiniens de Jérusalem-Est.


Parallèlement, Israël contrôle les services d’état civil en Cisjordanie et dans la bande de Gaza depuis 1967, et y impose des politiques, des restrictions et d’autres mesures pour contrôler la démographie sur ce territoire. Les Palestinien·ne·s qui vivent sur ces territoires n’ont aucune citoyenneté et sont considérés comme apatrides, à l’exception de ceux qui ont obtenu la citoyenneté d’un autre pays. L’armée israélienne leur fournit des papiers d’identité qui leur permettent de vivre et de travailler sur ce territoire sans limite de durée. La mainmise d’Israël sur les services d’état civil depuis 1967 a d’autant plus favorisé la fragmentation de la population palestinienne et limité son droit de circuler librement sur la base de son statut administratif et de son lieu de résidence.


Après le début de la deuxième Intifada (soulèvement) palestinienne à la fin de l’année 2000, l’Administration civile israélienne, une unité militaire qui supervise toutes les questions civiles pour les colons juifs israéliens et les habitant·e·s palestiniens en Cisjordanie, à l’exception de Jérusalem-Est, a gelé la majorité des modifications à l’état civil pour les Palestinien·ne·s, sans en avertir au préalable l’Autorité palestinienne. Ce blocage concernait aussi la suspension de toutes les procédures de « regroupement familial » pour les habitant·e·s palestiniens des TPO qui avaient épousé des ressortissants étrangers. Depuis, à deux occasions, Israël s’est engagé à accéder à quelques demandes de regroupement familial pour montrer sa bonne volonté diplomatique aux autorités palestiniennes de Ramallah, mais d’une manière générale, Israël refuse toujours d’accorder le statut de résident à des dizaines de milliers de ressortissants étrangers mariés à des Palestinien·ne·s de Cisjordanie ou de la bande de Gaza. Cette mesure est profondément discriminatoire. Les colons juifs qui habitent dans les colonies de Cisjordanie n’ont aucune difficulté à obtenir auprès des autorités israéliennes, pour leur conjoint·e, une autorisation d’entrer sur le territoire occupé et de s’y installer.

palestinienne des TPO de vivre normalement, notamment en raison des strictes restrictions de déplacements : les personnes qui vivent en Cisjordanie sans y être déclarées risquent à tout instant d’être expulsées, elles n’ont pas accès aux soins, à la scolarisation et aux services sociaux, elles ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire ou avoir un emploi formel, et elles sont concrètement prisonnières chez elles par crainte des contrôles d’identité aux postes de contrôle israéliens. Les Palestinien·ne·s sans papiers de la bande de Gaza sont également privés de leur droit de circuler librement, et de l’accès à la santé et à la scolarisation dans d’autres parties des TPO et à l’étranger. Dans l’ensemble, les restrictions au regroupement familial privent les Palestinien·ne·s de leur droit à la vie privée, à la vie de famille et au mariage, car leurs conjoint·e·s et enfants ne peuvent pas obtenir de statut de résident.


Israël interdit toujours aux réfugié·e·s palestiniens, déplacés pendant les conflits de 1947-1949 et de 1967, ainsi qu’à leurs descendants, d’obtenir la citoyenneté israélienne ou le statut de résident en Israël ou dans les TPO. Il les prive ainsi de leur droit à rentrer dans leur ancien lieu de résidence et leur ancien logement, un droit largement reconnu dans le droit international relatif aux droits humains.


BOULEVERSEMENT DE LA VIE FAMILIALE


Outre ces mesures qui séparent des familles à l’intérieur des TPO, Israël applique des lois et politiques discriminatoires qui perturbent la vie familiale des Palestinien·ne·s de l’autre côté de la Ligne verte, un exemple qui montre clairement en quoi Israël fragmente et ségrègue la population palestinienne au moyen d’un système global de domination. Comme d’autres mesures dont a fait état Amnesty International, celles-ci sont avant tout guidées par des considérations démographiques, et non sécuritaires, et elles visent à minimiser la présence palestinienne au sein de la Ligne verte pour préserver une majorité juive.


Depuis 2002, Israël a opté pour une politique qui interdit aux Palestinien·ne·s de Cisjordanie et de la bande de Gaza d’obtenir un statut en Israël ou à Jérusalem-Est par le mariage, empêchant ainsi le regroupement familial. La Loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël a entériné cette politique entre 2003 et sa date d’expiration, en juillet 2021. Ce texte interdisait à des milliers de Palestinien·ne·s en Israël et à Jérusalem-Est d’y vivre avec leurs conjoint·e·s palestiniens originaires de Cisjordanie et de la bande de Gaza. À l’époque, le ministre israélien de l’Intérieur avait déclaré que cette loi était nécessaire car « il paraissait que [le regroupement familial] serait exploité pour parvenir insidieusement à un droit au retour… ».


La loi de 2003 ne prévoyait pas que les conjoint·e·s venant de Cisjordanie ou de la bande de Gaza puissent obtenir la résidence permanente ou la citoyenneté israélienne. Les personnes qui voyaient leur dossier aboutir obtenaient des titres de séjour de six mois. L’adoption d’amendements au fil des années a permis d’étendre le champ d’application de cette loi de manière à restreindre et à entraver encore davantage le regroupement familial pour les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël.


Quand le gouvernement israélien a perdu le vote visant à proroger la loi en juillet 2021, il a indiqué son intention de maintenir la mesure quoi qu’il en soit. Le ministre de l’Intérieur a transmis des consignes demandant de rejeter les dossiers de regroupement familial des Palestinien·ne·s jusqu’à ce qu’une nouvelle loi ou un texte comparable soit adopté. Les autorités israéliennes affirment que cette mesure est nécessaire pour des « raisons de sécurité », mais elle est mise en oeuvre de manière généralisée et en l’absence d’éléments spécifiques retenus contre des personnes.


Au contraire, la loi de 2003 exemptait expressément de son champ d’application les habitant·e·s des colonies juives de Cisjordanie qui souhaitaient se marier et vivre avec leur conjoint·e en Israël, c’est pourquoi cette loi, et la politique qui la sous-tend, est manifestement discriminatoire.


RESTRICTIONS DES DÉPLACEMENTS


Depuis le milieu des années 1990, les autorités israéliennes imposent un blocus dans les TPO, et entre les TPO et Israël, ce qui a progressivement infligé à des millions de Palestinien·ne·s qui vivent en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza des restrictions de plus en plus strictes de leurs déplacements, sur la base de leur statut juridique. Ces restrictions sont un autre moyen par lequel Israël divise les Palestinien·ne·s en plusieurs enclaves séparées, les isole les uns des autres et du reste du monde, et, in fine, met en oeuvre sa domination.
Israël contrôle tous les points d’entrée et de sortie de Cisjordanie, et contrôle tous les déplacements entre la Cisjordanie et l’étranger. Israël contrôle par ailleurs toutes les entrées et sorties des personnes dans la bande de Gaza en direction des autres TPO et d’Israël par le poste-frontière d’Erez, point de passage des personnes de la bande de Gaza vers Israël. (Les autorités égyptiennes imposent aussi de strictes restrictions de leur côté du poste-frontière de Rafah entre la bande de Gaza et l’Égypte.) À l’exception des habitant·e·s de Jérusalem-Est, qui ont la résidence permanente en Israël, les Palestinien·ne·s des TPO ne peuvent pas se rendre à l’étranger en passant par les aéroports israéliens, à moins d’obtenir une autorisation spéciale, qui n’est accordée qu’à des hauts responsables d’entreprises et dans des cas humanitaires exceptionnels.


L’armée et les forces de sécurité israéliennes sont en mesure d’interdire aux Palestinien·ne·s de Cisjordanie d’aller à l’étranger, souvent en faisant valoir des « informations secrètes » que ces personnes ne peuvent consulter et donc contester. Ces interdictions ont concerné des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s qui se rendent à l’étranger pour défendre les droits de la population palestinienne.


Pour les Palestinien·ne·s de la bande de Gaza, se déplacer à l’étranger est quasiment impossible en raison du blocus illégal d’Israël et des strictes restrictions égyptiennes en vigueur au poste-frontière de Rafah. Pour sortir par le poste-frontière d’Erez, les habitant·e·s de la bande de Gaza doivent obtenir des autorisations officielles de l’Administration civile israélienne, qui les limite à de rares exceptions. De fait, les Palestinien·ne·s de la bande de Gaza sont séparés du reste des TPO, d’Israël et du reste du monde.


Les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël et les habitant·e·s palestiniens de Jérusalem-Est sont autorisés à se rendre à l’étranger par les mêmes postes-frontières et ports que les citoyen·ne·s juifs israéliens. Malgré tout, ils continuent de signaler des contrôles de sécurité et des interrogatoires distincts, discriminatoires et humiliants dans les aéroports d’Israël en raison de leur identité nationale, en dépit de certaines améliorations mises en place après un recours déposé en 2007 par une ONG israélienne de défense des droits humains. En outre, les autorités israéliennes interdisent toujours à des milliers de conjoint·e·s palestiniens des TPO, qui vivent en toute légalité en Israël au titre des « permis de séjour » militaires, de bénéficier du même droit.


Pour les Palestinien·ne·s, se déplacer à l’intérieur des TPO est difficile, chronophage et soumis aux considérations stratégiques israéliennes qui donnent priorité aux colonies juives et aux infrastructures correspondantes. En ce sens, cela entretient au quotidien, pour les Palestinien·ne·s, le sentiment d’être impuissant et dominé. Israël a imposé un blocus complet des déplacements de la population palestinienne en Cisjordanie à la suite de la deuxième intifada en 2000, blocus qui reste en vigueur sous diverses formes. Ce blocus prévoit un réseau de centaines de postes de contrôle militaires israéliens, des monticules de terre et des barrages routiers, en sus des routes bloquées et du mur/barrière sinueux.


Ce mur/barrière de 700 km, dont Israël poursuit la construction de façon illégale principalement sur des terres palestiniennes au sein de la Cisjordanie occupée, a isolé 38 localités palestiniennes en Cisjordanie qui composent 9,4 % de la superficie de la Cisjordanie, ce qui les a piégées dans des enclaves appelées « zones charnières », forçant leurs habitant·e·s à obtenir des autorisations spéciales pour entrer et sortir de chez eux, et à en obtenir d’autres pour accéder à leurs parcelles agricoles.


Israël autorise généralement les femmes âgées de plus de 50 ans et les hommes de plus de 55 ans venant de Cisjordanie à entrer dans Jérusalem ou Israël sans permis, mais uniquement s’ils n’ont à leur actif aucun casier ou interdiction pour raison de « sécurité ». Parallèlement, les Palestinien·ne·s de la bande de Gaza ne peuvent entrer en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, qu’en cas d’urgence médicale ou de problème engageant leur pronostic vital, pour des motifs professionnels essentiels et dans des cas humanitaires exceptionnels, au titre de la « politique de séparation » de l’armée israélienne entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Les Palestinien·ne·s doivent obtenir un permis de l’armée israélienne, ce qui est devenu quasi impossible, afin de se déplacer entre ces zones, sans qu’il existe de procédure claire pour déposer un dossier ou obtenir son traitement.


Ce régime des permis est une procédure militaire, bureaucratique et arbitraire qui s’applique uniquement aux Palestinien·ne·s de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Il n’est pas en vigueur pour les colons juifs, les citoyen·ne·s israéliens ou les ressortissant·e·s étrangers, qui peuvent généralement circuler librement en Cisjordanie, et entre la Cisjordanie et Israël.


RESTRICTIONS DU DROIT À LA PARTICIPATION POLITIQUE


Si les lois et les politiques israéliennes définissent l’État comme étant démocratique, la fragmentation du peuple palestinien fait que la version israélienne de la démocratie privilégie considérablement la participation politique des juifs et juives israéliens. De plus, la représentation des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël dans la prise de décisions, principalement au sein de la Knesset, a été limitée et sapée par un ensemble de lois et politiques israéliennes.


Et surtout, la loi fondamentale d’Israël empêche les citoyen·ne·s israéliens de contester la définition d’Israël en tant qu’État juif et par extension toute loi établissant cette identité. Les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël peuvent voter et se présenter aux élections nationales, mais leur droit à la participation politique est en pratique limité, et ils restent perçus comme les « ennemis de l’intérieur ».


Au titre de la loi fondamentale sur la Knesset de 1958, la Commission électorale centrale peut disqualifier un parti ou un·e candidat·e si leurs objectifs ou leurs actions ont pour but de remettre en cause la définition d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ; d’inciter au racisme ; de soutenir des luttes armées menées par un État hostile ou une organisation terroriste contre Israël. De plus, l’enregistrement d’un parti, si ses objectifs ou actions contestent directement ou indirectement « l’existence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique », est interdit au titre de la loi de 1992 relative aux partis politiques.


Au fil des années, la Cour suprême a généralement bloqué les tentatives de la Commission électorale centrale visant à interdire des partis palestiniens et à disqualifier des candidat·e·s palestiniens en raison de déclarations publiques jugées inacceptables par la majorité des membres de la Knesset. Ces dispositions empêchent néanmoins les parlementaires palestiniens de contester des lois qui codifient la domination juive israélienne sur la minorité palestinienne, limitent indûment leur liberté d'expression et, par conséquent, les empêchent de se faire les porte-parole des préoccupations de leurs administrés.


Les restrictions imposées au droit des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël à participer aux élections s’accompagnent d’autres atteintes à leurs droits civils et politiques qui limitent la portée de leur participation à la vie sociale et politique d’Israël. Il s’agit notamment d’un maintien de l’ordre racialisé lors des manifestations, d’arrestations arbitraires de masse et d’un recours illégal à la force à l’encontre de personnes participant à des manifestations contre la répression israélienne, à la fois en Israël et dans les TPO. Ce type de mesures, qui ciblent les manifestant·e·s pacifiques, visent à dissuader l’organisation de nouvelles manifestations et à étouffer la dissidence. En cas d’arrestation, les Palestinien·ne·s sont systématiquement placés en détention provisoire alors que les manifestant·e·s juifs sont généralement libérés sous caution. Cette différence témoigne d’un traitement discriminatoire des Palestinien·ne·s dans la justice pénale, qui semble considérer les Palestinien·ne·s comme « suspects » au lieu d’évaluer la menace qu’ils ou elles posent individuellement.


Israël limite strictement les droits civils et politiques des Palestinien·ne·s, notamment en Cisjordanie, où les ordonnances militaires restent en vigueur. Depuis 1967, les autorités israéliennes ont déclaré illégales plus de 400 organisations palestiniennes, notamment l’ensemble des grands partis politiques et plusieurs grandes organisations de la société civile largement reconnues pour les services vitaux qu’elles proposent, notamment l’aide juridique et les soins de santé, ainsi que pour la qualité de leurs enquêtes et plaidoyers en matière de droits humains, le plus récemment en octobre 2021. En outre, les autorités israéliennes traduisent souvent des Palestinien·ne·s en justice pour « adhésion et participation à une association illégale », un chef d’accusation qui vise souvent les militant·e·s qui luttent contre l’occupation. Au cours des années, elles ont arrêté de très nombreux parlementaires palestiniens, qui sont placés en détention administrative ou jugés dans des tribunaux militaires lors de procès qui ne sont pas conformes aux normes internationales. Parallèlement, l’ordonnance militaire n° 101 relative à l’interdiction de l’incitation et des actions hostiles de propagande sanctionne et criminalise les Palestinien·ne·s quand ils organisent et participent à un rassemblement de 10 personnes ou plus sans permis, sur un sujet « susceptible d’être interprété comme politique ». Cette ordonnance, qui ne définit pas ce qui est entendu par « politique », interdit de fait les manifestations, y compris les manifestations pacifiques, et prévoit jusqu’à 10 années d’emprisonnement et/ou de lourdes amendes en cas d’infraction.


Les Palestinien·ne·s de Jérusalem-Est, de leur côté, ne peuvent participer à la vie politique ni en Israël ni en Cisjordanie. Il leur est possible de voter et de se présenter aux élections municipales à Jérusalem, mais ils les ont traditionnellement boycottées pour contester l’occupation et l’annexion illégales de Jérusalem-Est par Israël, et ils restent exclus des élections nationales.


Par conséquent, les manifestations demeurent pour les Palestinien·ne·s le seul moyen d’influer sur le paysage politique israélien et de remettre en cause le système d’oppression et de domination dans les TPO. Les Palestinien·ne·s des TPO ont, au fil des ans, mobilisé et organisé une résistance populaire non-violente contre l’occupation militaire d’Israël et son expansion des colonies, ce qui a systématiquement suscité un recours à la force excessive et illégale, des arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires devant des tribunaux militaires, ainsi que des restrictions excessives du droit de circuler librement.

En dépit du « désengagement » de 2005, la population de la bande de Gaza subit toujours la répression israélienne dans le cadre de sa résistance populaire à l’occupation. Ces interventions se sont traduites par une utilisation excessive et souvent meurtrière de la force pendant les manifestations qui se tiennent près de la clôture entre la bande de Gaza et Israël.


DÉPOSSESSION DE TERRES ET DE BIENS


En 1948, les institutions et les particuliers juifs possédaient environ 6,5 % de la Palestine sous mandat britannique, et les Palestinien·ne·s y étaient propriétaires d’environ 90 % des terrains privés. En un peu plus de 70 ans, la situation a été inversée.


Depuis sa création, l’État israélien procède à des saisies massives et cruelles de terrains, pour déposséder les Palestinien·ne·s de leurs terres et des logements qui s’y trouvent. Si les Palestinien·ne·s en Israël et dans les TPO sont soumis à différents régimes juridiques et administratifs, Israël a fait appel à des mesures d’expropriation foncière comparables dans toutes les zones au titre de la politique de judaïsation, qui vise à optimiser la mainmise territoriale de la population juive tout en cantonnant de fait la population palestinienne à des enclaves distinctes et densément peuplées afin de minimiser sa présence. Cette politique est en vigueur en Israël depuis 1948 dans les zones stratégiques où la population palestinienne est nombreuse, notamment la Galilée et le Néguev/Naqab, et cette politique a été étendue aux TPO après l’occupation militaire israélienne en 1967. Actuellement, les actions israéliennes visant à déplacer par la contrainte la population palestinienne du Néguev/Naqab, de Jérusalem-Est et de la Zone C de Cisjordanie au titre de directives discriminatoires de planification et de construction, constituent les « nouvelles frontières de la dépossession » des Palestinien·ne·s, et témoignent de la stratégie de judaïsation et de contrôle territorial.


Le régime foncier établi peu après la création d’Israël, qui n’a jamais été abrogé, demeure un aspect crucial du système d’oppression et de domination contre la population palestinienne. Il reposait sur des textes législatifs, la réinterprétation de lois britanniques et ottomanes, des institutions foncières gouvernementales et semi-gouvernementales, et un pouvoir judiciaire complaisant qui a permis l’acquisition de terrains palestiniens et leur réaffectation discriminatoire sur tous les territoires qu’Israël contrôle.


Si l’essentiel des saisies foncières et immobilières palestiniennes, et la destruction de leurs villages en Israël, a eu lieu à la fin des années 1940 et dans les années 1950, des dépossessions de grande ampleur, motivées par des considérations raciales, se sont poursuivies jusque dans les années 1970. Leurs effets ont encore aujourd’hui de graves répercussions sur la population palestinienne. Les Palestinien·ne·s ont toujours interdiction d’accéder à des terres et biens qui appartenaient à eux ou à leurs familles en 1948, et d’en faire usage. Cette dépossession a aussi contribué à l’isolement et à l’exclusion des citoyen·ne·s palestiniens au sein de la société israélienne, car ces personnes sont désignées comme un groupe ayant perpétuellement des droits inférieurs et n’ayant pas le droit d’accéder à des terres et biens appartenant à leur famille depuis des générations.


Trois grands textes législatifs ont composé le régime foncier israélien et joué un rôle de premier plan dans ce processus : la Loi sur la propriété des absents de 1950 (transfert du droit de propriété) ; la Loi sur l’acquisition foncière de 1953, qui a rétroactivement « légalisé » l’expropriation de terres dont l’État, les nouvelles localités juives et l’armée israélienne s’étaient saisies en faisant valoir les règlements d’exception après le conflit de 1947-1949 ; et l’ordonnance britannique de 1943 relative au foncier (acquisition à des fins publiques), qui autorisait le ministre des Finances à exproprier des terres à toutes fins publiques. Ces lois, qui sont toujours en vigueur aujourd’hui, ont joué un rôle essentiel dans l’expropriation et l’acquisition de biens fonciers et immobiliers palestiniens, ce qui a permis à l’État israélien et aux institutions nationales juives d’en devenir au fil des ans les seuls propriétaires. Depuis l’annexion de Jérusalem-Est en 1967, le régime foncier israélien a été utilisé dans tous ses aspects à Jérusalem-Est pour exproprier des terrains palestiniens et généralement les nationaliser. Les autorités israéliennes ont également mis en place d’autres instruments juridiques et amendements législatifs qui concernent les terres des Palestinien·ne·s et leur droit au logement à Jérusalem-Est.


La Loi sur la propriété des absents a de fait transféré à l’État le contrôle de tous les biens qui appartenaient à des Palestinien·ne·s expulsés ou ayant fui leur logement, qu’ils aient ou non accédé au statut de réfugié·e en dehors du pays, ou qu’ils aient été déplacés de leur village et habitation pour se réinstaller en Israël, généralement non loin dans des villages palestiniens. Ces personnes ont été déclarées « absentes » même quand elles n’avaient pas franchi de frontière internationale et se trouvaient souvent à quelques kilomètres de leur logement et de leur parcelle.

La destruction du village palestinien d’Ikrit, près d’Acre dans le nord d’Israël, est un exemple manifeste de la mise en oeuvre cruelle de cette politique. En 1948, l’armée israélienne a exigé qu’environ 600 habitants d’Ikrit partent de chez eux « provisoirement ». Ces personnes n’ont jamais été autorisées à y retourner. Elles ont intenté une action auprès de la Cour suprême d’Israël en vue d’obtenir un droit de retour et elles ont gagné. Toutefois, le ministère israélien de la Défense a refusé d’appliquer la décision, craignant qu’elle fasse jurisprudence et permette le retour d’autres Palestinien·ne·s expulsés de leurs villages. Pour cette raison, le ministère a détruit le village en 1951 à l’exception de l’église et du cimetière. La communauté palestinienne d’Ikrit compte aujourd’hui environ 1 500 personnes qui, pour l’essentiel, vivent à 20 km de là, à Al Rameh. Elles continuent de défendre leur droit à retrouver leurs logements et terrains à Ikrit.


Parallèlement à l’expropriation foncière directe par le gouvernement israélien, tous les biens qui appartenaient à des personnes juives avant 1948, à Jérusalem-Est annexée, et qui étaient détenus par le Bureau jordanien des séquestres des biens ennemis, ont été transférés au gardien israélien des biens en vertu d’un amendement de la Loi sur les affaires juridiques et administratives de 1970. Cette loi a autorisé le propriétaire juif d’origine, ou ses héritiers légitimes, à solliciter auprès du gardien israélien des biens que ces biens leurs soient rendus. Cela ne s’applique qu’aux propriétaires juifs et non aux Palestinien·ne·s dont les biens à Jérusalem-Ouest ont été confisqués après 1948, et il s’agit là manifestement d’un programme discriminatoire d’indemnisation.


Selon une estimation, Israël a exproprié plus de 10 000 commerces, 25 000 bâtiments et près de 60 % des terres fertiles appartenant à des réfugié·e·s palestiniens en Israël et à Jérusalem-Est, au titre de cette Loi sur la propriété des absents.


Outre le fait qu’Israël réaffecte des terres palestiniennes confisquées pour faire progresser la colonisation juive à Jérusalem, des organismes de colons juifs comme Ateret Cohanim et Elad s’appuient sur la Loi sur la propriété des absents de 1950 et sur la Loi relative aux affaires juridiques et administratives de 1970 pour concevoir un mode légal d’expulsion contre les Palestinien·ne·s et les déposséder de leurs biens, permettre à des colons juifs de s’installer dans des quartiers à majorité palestinienne, et poursuivre l’expansion des colonies juives. Selon des estimations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU réalisées en 2019, 199 familles palestiniennes, soit 877 personnes, risquaient l’expulsion, principalement dans la vieille ville et dans les quartiers de Cheikh Jarrah et Silwan. Les saisies foncières et immobilières réalisées par des organisations de colons se déroulent avec l’aide des institutions publiques, notamment le gardien des biens, le Fonds national juif et la justice.


Israël s’est servi de législations d’exception et de lois militaires, dont certaines reflètent le droit civil israélien, pour confisquer des terrains palestiniens dans le reste de la Cisjordanie et, jusqu’à son retrait unilatéral en 2005, dans la bande de Gaza, en vue d’instaurer et de perpétuer son contrôle sur le territoire en construisant et développant des colonies et leurs infrastructures correspondantes, en créant des parcs nationaux, des sites archéologiques et des « zones de tir » militaires. Pendant les dix premières années de l’occupation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les autorités israéliennes ont confisqué des terrains privés palestiniens, généralement au moyen d’ordres de réquisition à des fins supposées militaires, en sus des ordonnances relatives à l’expropriation, de celles relatives à la propriété des absents et de celles de l’armée déclarant des zones spécifiques comme des « zones militaires fermées ». Ces mesures ont été légitimées par la Cour suprême d’Israël, qui, en dernier lieu, a décidé que la légalité des colonies ne relevait pas de sa compétence.


Outre les textes législatifs, Israël recourt à l’inscription sélective des droits de propriété, à l’affectation discriminatoire des terrains palestiniens expropriés pour des colonies juives, et à un dispositif discriminatoire de planification et d’affectation de l’occupation des sols afin d’expulser les Palestinien·ne·s de leurs biens fonciers et immobiliers. Il en découle l’appauvrissement délibéré de la population palestinienne aussi bien en Israël que dans les TPO.


Le processus d’établissement des titres fonciers, lancé pendant le mandat britannique avant 1948, est devenu un autre instrument permettant à Israël de déposséder les Palestinien·ne·s dans toutes les sphères territoriales et, in fine, a permis aux autorités israéliennes de transférer des millions de dunams (soit des centaines de milliers d’hectares) de terrains publics pour créer des colonies juives. Les autorités israéliennes ont mis en oeuvre cette politique agressivement dans les TPO à la suite d’une décision de la Cour suprême en 1979, selon laquelle la colonie d’Elon Moreh, près de Naplouse en Cisjordanie, était illégale car sa visée n’était pas militaire, ce qui a forcé les autorités à réduire radicalement le recours aux ordonnances de réquisition.


Parallèlement, le gouvernement israélien a permis aux localités et colonies juives de s’implanter sur les terres expropriées. En Israël et à Jérusalem-Est, ce mécanisme a transféré des terrains de l’État à des organisations et institutions nationales juives, dont beaucoup sont au service exclusif de la population juive, tout en laissant le titre foncier au nom de l’État. Dans le reste des TPO, le gouvernement israélien a adopté des lignes de conduite qui autorisent l’affectation de terrains appartenant à l’État quasi exclusivement aux organisations et institutions publiques juives, aux entreprises publiques et privées, au bénéfice des colons juifs israéliens.


Les terres appartenant à l’État, en Israël, servent en grande partie à implanter des villes et localités juives ; les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël sont concrètement dans l’impossibilité de signer des baux sur 80 % de ces terrains publics. Les entités nationales juives ne louent généralement pas de terrains à des personnes non-juives et ne les acceptent pas dans les logements et/ou quartiers qu’elles ont construits sur des terrains publics spécifiquement pour les nouveaux immigrés juifs. Environ 13 % des terres appartenant à l’État en Israël, soit plus de 2,5 millions de dunams, sont exclusivement la propriété du Fonds national juif, qui en a la gestion pour le seul usage des juifs et des juives.


L’implantation et la promotion de colonies israéliennes dans les TPO, qui sont illégales au regard du droit international, pour ensuite les peupler de civil·e·s juifs israéliens, est une politique mise en oeuvre par le gouvernement israélien depuis 1967. À ce jour, environ 38 % des terrains à Jérusalem-Est ont été confisqués à des Palestinien·ne·s, correspondant le plus souvent à des propriétés privées. Les autorités israéliennes se sont appuyées sur ces expropriations foncières de grande ampleur pour construire 13 colonies juives israéliennes à des emplacements stratégiques pour encercler des quartiers palestiniens et, par conséquent, entraver la contiguïté géographique et le développement urbain des Palestinien·ne·s.


Ailleurs en Cisjordanie, entre 1967 et 2009, Israël a accru la superficie totale des terres appartenant à l’État de 530 000 dunams à 1,4 million de dunams, dont la vaste majorité se trouve dans la Zone C, et en a affecté près de la moitié à des usages civils. La répartition de ces terres publiques a bénéficié à 99,76 % (soit 674 459 dunams) aux seules colonies israéliennes, selon l’information fournie par l’armée israélienne en 2018 à l’ONG israélienne Peace Now. Actuellement, les colonies israéliennes recouvrent près de 10 % de la Cisjordanie, et leurs conseils régionaux sont compétents sur environ 63 % de la Zone C (soit 40 % de la Cisjordanie), où vivent la majorité des colons. Fin 2020, il existait 272 colonies et avant-postes en Cisjordanie (sans compter Jérusalem-Est), où vivaient plus de 441 600 colons juifs israéliens. En juillet 2021, 225 178 autres colons juifs israéliens habitaient à Jérusalem-Est, où vivaient 358 800 Palestinien·ne·s.


Les colonies israéliennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, sont conçues pour être des lieux de résidence ou d’activité économique permanents pour la population juive israélienne, et elles sont construites pour répondre à leurs besoins uniquement. Les autorités israéliennes accordent des subventions et des incitations fiscales, et fournissent des services publics et des ressources à bas coût pour encourager des juifs et juives israéliens à s’installer dans les colonies et à renforcer leur économie.
Israël ne saisit plus de logements et de terrains palestiniens dans la bande de Gaza, mais fait appel à la force meurtrière illégale pour contrôler et limiter les déplacements des Palestinien·ne·s dans la « zone tampon » qui sépare ce territoire et Israël et dans une zone maritime à l’accès tout aussi restreint le long du littoral de la bande de Gaza. Selon des organisations de défense des droits humains, la « zone tampon » couvre une distance de 300 m à 1 500 m autour de la clôture, soit environ 62 km2 ou 17 % de la superficie totale de la bande de Gaza. Cela correspond à plus de 35 % des terres agricoles dans la bande de Gaza. La zone maritime dont l’accès est restreint correspond à 85 % des zones de pêche.


POLITIQUES DISCRIMINATOIRES EN MATIÈRE D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET D’OCCUPATION DES SOLS


En association avec le régime de propriété et d’affectation foncière, les politiques relatives à l’aménagement et à l'affectation de l’occupation des sols sont un aspect fondamental de l’action d’Israël visant à établir la mainmise juive tout en marginalisant les populations palestiniennes à la fois en Israël et dans les TPO. Les plans d’aménagement du territoire ont servi à étendre la présence israélienne dans des lieux stratégiques ; à construire des villes et colonies juives ; à bloquer l’expansion géographique des villes et centres de population palestiniens ; et à réglementer l’occupation des sols et l’accès des Palestinien·ne·s aux terrains constructibles en les désignant comme des réserves naturelles et des zones industrielles ou militaires. Cette forme de planification a notamment été utilisée pour encercler des localités palestiniennes ou effacer de la carte des villages palestiniens qui avaient été démolis après 1948, en leur donnant la qualification de zone militaire ou parc national.
Dans toutes les zones où Israël exerce un plein contrôle (en Israël, à Jérusalem-Est et dans la Zone C de Cisjordanie), un plan local d’aménagement définit la politique en matière d’occupation des sols, qui sont affectés au logement, à l’industrie ou aux espaces verts. Ce plan est le cadre légal qui détermine l’attribution de permis de construire et le principal instrument grâce auquel le gouvernement central gère le développement local. En Israël et à Jérusalem-Est, un plan local d’ensemble ne peut être élaboré que par une autorité gouvernementale officielle en vertu de la Loi sur la planification et la construction de 1965. Toutefois, les urbanistes de l’État ne prévoient pas de plans adaptés aux besoins des habitants des localités palestiniennes.


De la même manière, dans la Zone C en Cisjordanie, l’Administration civile israélienne ne prévoit pas la représentation ou une réelle participation des Palestinien·ne·s dans le cadre de son plan d’urbanisme. Par conséquent, ce dernier ne tient pas compte des besoins de la population palestinienne et privilégie systématiquement les intérêts des colons israéliens. Parallèlement, l’administration civile israélienne s’appuie sur une interprétation sélective du droit jordanien pour soutenir que l’aménagement du territoire doit respecter des plans anciens datant du mandat britannique, et refuse très régulièrement des permis de construire pour ce motif.
Ces mesures discriminatoires entraînent des constructions non autorisées puis leur démolition, à la fois en Israël et dans les TPO.


Il en résulte l’absence totale de nouvelles constructions de quartiers palestiniens. Depuis 1948, l’État a créé plus de 700 localités juives en Israël, alors qu’aucune nouvelle localité n’a été implantée pour la population palestinienne outre celles construites par les pouvoirs publics dans le Néguev/Naqab pour mettre en oeuvre l’urbanisation forcée des Bédouins.


Selon une estimation réalisée en 2019 par l’ONG Mossawa Center, il y avait environ 50 000 structures bâties sans permis de construire par des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël. Au titre de la Loi sur la planification et la construction de 1965, toute construction ou promotion immobilière réalisée sans permis peut être « démolie, démantelée ou éliminée » par les autorités israéliennes habilitées, et leur propriétaire doit prendre en charge le coût de la démolition et risque une amende et/ou une peine d’emprisonnement. Entre 2012 et 2014, 97 % des ordres de démolition administrative concernaient ce que les autorités israéliennes désignent le milieu arabe, soit principalement des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël mais aussi la petite minorité des Druzes.


Le Néguev/Naqab illustre parfaitement en quoi les politiques d’aménagement et de construction d’Israël sont conçues pour optimiser les terres et les ressources au bénéfice des juifs et juives israéliens aux dépens des droits de la population palestinienne en matière de foncier et de logement. Dans le Néguev/Naqab, au lieu de qualifier les villages bédouins palestiniens de zones résidentielles, les autorités israéliennes attribuent depuis les années 1970 l’affectation de ces villages et des terres alentour en tant que terrains militaires, industriels ou publics. Au fil des ans, Israël a reconnu 11 de ces villages, mais 35 d’entre eux restent « non reconnus » et leurs habitants y vivent illégalement selon les autorités israéliennes ; ils ne peuvent pas solliciter de permis de construire pour donner une existence légale à leurs logements anciens ou nouveaux, car les parcelles n’ont pas la qualification de zone résidentielle. Par conséquent, les constructions de communautés entières ont été démolies à de multiples reprises. À l’inverse, les tribunaux israéliens ont rétroactivement autorisé des quartiers juifs qui, dans la même zone, avaient été bâtis sans plan d’ensemble et sans permis de construire. L’absence d’existence légale signifie aussi que les autorités israéliennes ne fournissent à ces villages aucune infrastructure essentielle et aucun service de base, notamment en matière de santé et de scolarisation, et les habitants ne sont pas représentés dans les instances publiques locales car ils ne peuvent pas s’inscrire sur les listes électorales ou se présenter aux élections municipales.


De la même manière, le refus délibéré d’approuver des plans d’urbanisme dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est a un effet désastreux sur ces populations et entrave leur développement, notamment la construction d’espaces publics, d’écoles et de zones commerciales permettant de créer des emplois. Les Palestinien·ne·s vivent dans des zones sous-développées et densément peuplées à Jérusalem-Est, ils sont confrontés à une grave pénurie de logement et des quartiers entiers risquent la démolition car ils existent sans autorisation.


Les Palestinien·ne·s représentent 60 % de la population à Jérusalem-Est actuellement, mais seule 15 % de la superficie est affectée par les autorités israéliennes chargées de l’urbanisme aux zones résidentielles palestiniennes, dont 2,6 % est attribuée à des bâtiments publics. Selon des données de Peace Now sur la période allant de 1991 à 2018, seuls 16,5 % des permis de construire validés à Jérusalem l’ont été pour des Palestinien·ne·s de Jérusalem-Est, contre 37,8 % pour des colonies juives à Jérusalem-Est. Le reste des dossiers acceptés concernait Jérusalem-Ouest.


Dans la Zone C de Cisjordanie, le système profondément discriminatoire d’urbanisme et d’affectation des sols signifie qu’en pratique, les Palestinien·ne·s ne peuvent construire que sur 0,5 % (soit environ 1 800 hectares) de la Zone C, un périmètre déjà bâti pour l’essentiel. Parallèlement, les autorités israéliennes ont affecté 70 % du foncier de la Zone C à des colonies. En juillet 2019, le comité ministériel israélien chargé de la sécurité s’est engagé à accorder des permis de construire pour 715 logements à destination de Palestinien·ne·s. À titre de comparaison, il a promis des permis de construire pour 6 000 logements à l’intention de colons juifs. À la fin juin 2020, seul un permis de construire avait été accordé pour des Palestinien·ne·s. En revanche, 1 094 permis de construire avaient été validés pour des colonies juives entre juillet 2019 et mars 2020.


ÉTOUFFEMENT DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN DES PALESTINIEN·NE·S


À la suite de discriminations délibérées pendant des décennies dans toutes les zones sous le contrôle d’Israël, la population palestinienne se trouve marginalisée et victime d’un désavantage socio-économique généralisé et systématique, car elle est privée d’un accès équitable aux ressources naturelles et financières, à l’emploi, aux soins de santé et à la scolarisation. Le traitement et l’attribution des ressources discriminatoires par les autorités israéliennes, au profit de la population juive israélienne en Israël et des colons israéliens dans les TPO, aggravent ces inégalités sur le terrain.


Ainsi, des millions de Palestinien·ne·s en Israël et dans les TPO vivent dans des zones à forte densité de population qui sont généralement sous-développées et manquent de services essentiels adéquats, notamment en ce qui concerne le ramassage des ordures, l’électricité, les transports en commun et les infrastructures d’approvisionnement en eau et d’assainissement. Dans les zones sous le contrôle total d’Israël, comme le Néguev/Naqab, Jérusalem-Est et la Zone C de Cisjordanie, l’absence de services essentiels est inséparable des politiques discriminatoires en matière d’aménagement du territoire, ce qui a pour but de créer des conditions invivables et de forcer les Palestinien·ne·s à partir pour faire place à l’expansion des colonies juives. En outre, les politiques israéliennes d’exclusion, de ségrégation et de stricte limitation des déplacements partout en Cisjordanie et dans la bande de Gaza entravent l’accès de la population palestinienne à la santé, y compris à des soins vitaux, et à la scolarisation, alors même qu’Israël est responsable de fournir ces services au titre du droit international, non seulement pour sa population, mais aussi pour les Palestinien·ne·s qui vivent sous son régime d’occupation militaire. Quand les Palestinien·ne·s ont accès à ces services, ils sont généralement de qualité inférieure à ceux proposés aux citoyens israéliens juifs. Ces politiques ont de graves répercussions sur les droits socio-économiques des Palestinien·ne·s et elles les empêchent d’accomplir leur potentiel humain.


Les Palestinien·ne·s qui vivent en Israël et dans les TPO sont, de manière univoque, désavantagés au regard de tous les indicateurs relatifs au bien-être pour lesquels il existe des mesures. Ils sont confrontés à des taux plus élevés de pauvreté, et à une moindre intégration au marché du travail, à un niveau d’étude inférieur et à une moins bonne santé que les juifs et juives israéliens, y compris les colons installés en Cisjordanie occupée. Si la population palestinienne ne peut accéder à un éventail de ses droits socio-économiques, c’est le résultat direct non seulement de sa ségrégation d’avec les juifs et juives israéliens, mais aussi de sa fragmentation, issues des strictes limitations de déplacements et de la subordination du développement humain palestinien aux intérêts socio-économiques de la population juive israélienne. Israël entretient la domination juive sur l’économie palestinienne par l’exclusion et la négligence délibérée des populations palestiniennes en Israël, et par la création d’une dépendance économique dans les TPO dans le contexte d’une occupation militaire prolongée.


Les écarts socio-économiques entre les citoyen·ne·s palestiniens et les citoyen·ne·s juifs d’Israël découlent de politiques discriminatoires qui durent depuis des décennies. Historiquement, Israël a empêché les citoyen·ne·s palestiniens de subvenir à leurs besoins dans le cadre de son régime militaire en place pendant 18 ans, et s’est servi d’eux, à plusieurs occasions, comme main-d’oeuvre bon marché afin de préserver les intérêts de la majorité juive. Outre les cruelles saisies foncières, d’autres mesures discriminatoires ont fait sombrer les Palestinien·ne·s dans la privation socio-économique : l’exclusion des localités palestiniennes des zones prioritaires de développement, la répartition discriminatoire des terres et de l’eau pour l’agriculture, la planification et l’affectation discriminatoires des terres, et l’absence de grands projets d’infrastructure dans les quartiers palestiniens.


En l’absence de plans d’occupation des sols, les communautés palestiniennes ne peuvent attribuer des terrains aux usages résidentiel ou industriel, ou créer les infrastructures nécessaires au développement économique. Actuellement, 2 % seulement des zones industrielles en Israël, dont sont issues une part importante des revenus fiscaux, sont situées dans des localités palestiniennes, qui sont mal reliées aux autres régions d’Israël par les transports en commun ou les grands axes routiers. Par conséquent, les populations palestiniennes en Israël ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour mettre en oeuvre leur développement économique, ce qui les force à chercher du travail dans des entreprises juives, où elles subissent des discriminations institutionnelles dans l’accès aux emplois.
Les Palestinien·ne·s sont aussi confrontés à des discriminations en ce qui concerne la répartition des ressources publiques, dont l’essentiel est affecté aux localités juives. Par exemple, les recettes fiscales des autorités locales palestiniennes sont plus faibles, principalement à cause des écarts en matière d’impôts sur les sociétés et d’autres impôts locaux, qui sont le résultat de politiques israéliennes discriminatoires. Les localités palestiniennes perçoivent aussi moins de subventions du gouvernement central allouées à des dépenses particulières, notamment la scolarisation, les allocations sociales, la santé et les services culturels. Selon une enquête réalisée en 2018 par le Bureau israélien de la statistique, les dépenses mensuelles publiques par habitant pour l’école et la culture dans la société juive correspondaient à près du triple de celles de la société arabe (principalement palestinienne).


Dans les TPO, les politiques israéliennes de fragmentation territoriale et de ségrégation, appliquées dans le contexte d’une occupation militaire prolongée, ont un effet catastrophique sur l’économie palestinienne, qui est isolée, peu performante et dépendante des objectifs géo-démographiques israéliens, et qui n’est pas en mesure de mettre en oeuvre un développement durable et juste pour la population palestinienne. Si la situation dans les TPO s’est améliorée ces dernières décennies en ce qui concerne certains droits sociaux, notamment la mortalité maternelle, le taux d’alphabétisation, la scolarisation et les taux de vaccination, le niveau de vie dans son ensemble stagne ou se détériore, tout particulièrement pour ce qui est de l’accès aux soins, à l’emploi, à l’école et au logement.


Le protocole de Paris, signé en 1994 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a ancré la dépendance de l’économie palestinienne à Israël au moyen d’une union douanière qui ne laisse aucune place à des politiques économiques palestiniennes indépendantes, et qui rattache les TPO aux politiques d’Israël en matière de commerce international, de tarifs douaniers et de TVA. Depuis 1999, le produit intérieur brut (PIB) palestinien dans les TPO n’a pour ainsi dire pas évolué. L’économie palestinienne souffre des nombreuses restrictions imposées par Israël sur le commerce international, ce qui se répercute sur la production de marchandises d’exportation et sur l’importation de marchandises. Quasiment toutes les importations et exportations palestiniennes passent par des ports et postes-frontières contrôlés par Israël, où les retards et les mesures de sécurité augmentent les coûts de 538 dollars des États-Unis en moyenne par cargaison, ce qui entraîne un déficit commercial considérable et persistant.


De plus, Israël a instauré en 2007 une politique sur les « biens à double usage », qui bloque l’entrée sur le territoire de toute marchandise susceptible d’avoir des usages militaires aussi bien que civils, ce qui comprend des produits chimiques et du matériel technologique. La liste des 117 articles concernés est vague et comprend notamment des catégories telles que « le matériel de communication, qui aide à la communication ou qui a une fonction de communication », susceptible de correspondre à des objets du quotidien comme des appareils électroménagers et des équipements médicaux. Cette politique n’est en vigueur que pour les importateurs palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et non pour leurs homologues israéliens ou même les colons israéliens des TPO. Elle a des répercussions désastreuses sur l’économie dans son ensemble et en particulier sur l’agriculture, les nouvelles technologies de communication et la production industrielle, et ces effets sont d’autant plus catastrophiques dans la bande de Gaza.


Dans le même temps, en séparant physiquement Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie depuis la deuxième Intifada, les autorités israéliennes empêchent les Palestinien·ne·s d’accéder à des moyens de subsistance et réduisent considérablement le rôle de la ville comme principal siège commercial de la Cisjordanie. Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), l’économie palestinienne à Jérusalem-Est s’est contractée d’environ 50 % entre 1993 et 2013, et le mur/barrière a provoqué plus d’un milliard de pertes directes en dollars des États-Unis pour la population palestinienne de Jérusalem-Est pendant les dix années suivant le début de sa construction. Ailleurs en Cisjordanie, selon le Bureau palestinien de la statistique, les restrictions de déplacements imposées par Israël se soldent par la perte annuelle de 60 millions d’heures de travail (soit l’équivalent de 274 millions de dollars des États-Unis).


Le blocus et les nombreuses offensives militaires d’Israël pèsent lourdement sur les infrastructures essentielles de la bande de Gaza et affaiblissent d’autant plus son système de santé et son économie, ce qui plonge cette région dans une crise humanitaire perpétuelle. En effet, les sanctions collectives imposées par Israël à la population civile de la bande de Gaza, dont la majorité sont des enfants, ont créé des conditions hostiles à la vie humaine en raison de la pénurie de logements, d’eau potable et d’électricité, et des difficultés d’accès à des médicaments et soins vitaux, ainsi qu’à de la nourriture, du matériel pédagogique et des matériaux de construction.

Selon la CNUCED, entre 2007 et 2018, la part de la bande de Gaza dans l’économie palestinienne est passée de 31 % à 18 % en raison du blocus israélien. Par conséquent, plus d’un million de personnes ont été poussées sous le seuil de pauvreté, et le taux de pauvreté est passé de 40 % en 2007 à 56 % en 2017. Cette situation a renforcé la dépendance de plus de 80 % de la population à l’aide internationale.


L’effondrement de l’économie dans la bande de Gaza, provoqué par le blocus, a été exacerbé par quatre offensives militaires menées en 13 ans, qui se sont soldées par des destructions de grande ampleur des biens civils et des infrastructures essentielles, notamment les installations électriques, les canalisations d’eaux et d’eaux usées, et les stations d’épuration, en sus du bilan humain : au moins 2 700 civil·e·s palestiniens sont morts, et des dizaines de milliers ont été blessés et déplacés. Pendant cette période, des groupes armés palestiniens ont effectué des milliers de tirs aveugles de roquettes sur des villes israéliennes, entraînant des dizaines de morts et blessés parmi la population civile. En 2019, la CNUCED a estimé que le coût de trois opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza entre 2008 et 2014 correspondait au moins à trois fois le PIB de la bande de Gaza.


Les restrictions draconiennes du droit à circuler librement ont des conséquences particulièrement néfastes sur l’agriculture. Avant 1967, le secteur agricole employait environ un quart de la main-d’oeuvre en Cisjordanie et contribuait à hauteur d’environ un tiers à son PIB et à ses exportations. À la suite de l’occupation, les autorités israéliennes ont privé les Palestinien·ne·s et leur économie de 63 % des terres les plus fertiles et propices à l’élevage dans la Zone C par la construction de colonies et du mur/barrière, et par la limitation stricte des déplacements des Palestinien·ne·s, les empêchant ainsi d’accéder à leurs terres.


Ce mur/barrière a isolé plus de 10 % de cette zone de la Cisjordanie, ce qui touche directement 219 localités palestiniennes et empêche environ 80 % des agriculteurs et agricultrices palestiniens qui ont des parcelles dans la « zone charnière » entre le mur/barrière et la Ligne verte d’accéder à leurs terres. Les agriculteurs souhaitant accéder à leurs terres agricoles dans la « zone charnière » doivent obtenir des autorisations militaires, qui doivent être fréquemment renouvelées. Pour les personnes qui parviennent à obtenir ces autorisations, l’accès n’est possible qu’à pied et en passant par les portails agricoles spécifiés sur les autorisations.


En outre, Israël fait en sorte que plus de 35 % des terres agricoles dans la bande de Gaza et 85 % des zones de pêche au large de ce territoire soient interdites aux Palestinien·ne·s, une mesure appliquée au titre de la « zone tampon » et de la zone maritime réglementée. Environ 178 000 personnes, dont 113 000 agriculteurs et agricultrices, n’ont plus accès aux parcelles agricoles situées dans la « zone tampon ». Depuis 2014, l’armée israélienne pulvérise des herbicides par avion sur les cultures palestiniennes le long de la clôture entre la bande de Gaza et Israël, ce qui a provoqué la perte de moyens de subsistance pour les agriculteurs de Gaza et de nombreux effets sur leur santé. Israël affirme que ces pulvérisations visent à « permettre des opérations optimales et continues de sécurité », mais aucun élément de preuve n’a été fourni pour étayer cette affirmation.


Depuis la découverte de gisements pétroliers et gaziers au large de la bande de Gaza, Israël a plusieurs fois changé la démarcation de la zone côtière maritime de Gaza, parfois réduite à 3 miles marins. L’accès insuffisant aux zones de pêche a des répercussions pour environ 65 000 habitant·e·s de la bande de Gaza et a appauvri près de 90 % des personnes qui vivent de la pêche. De plus, la marine israélienne utilise la force meurtrière contre les pêcheurs de Gaza qui travaillent au large de ce territoire, et elle fait couler et saisit leurs bateaux.


Les autorités israéliennes, qui privent la population palestinienne d’accès aux moyens de subsistance en limitant strictement les déplacements, s’approprient par ailleurs systématiquement et illégalement les ressources naturelles des Palestinien·ne·s au profit économique de ses citoyens en Israël et dans les colonies, ce qui est contraire au droit international. En exploitant les ressources naturelles des Palestinien·ne·s, soit les terres agricoles fertiles, l’eau, le pétrole, le gaz naturel, la pierre et les minéraux de la Mer morte, Israël prive cette population d’un accès équitable à ses propres ressources, et de la possibilité de les gérer, de les développer et d’en bénéficier. Cet état de fait entrave gravement leur accès aux moyens de subsistance et à leurs droits socio-économiques tels que le droit à l'alimentation et le droit à un niveau de vie suffisant.


La mainmise d’Israël sur les ressources hydriques et les infrastructures correspondantes dans les TPO entraîne des inégalités criantes entre les Palestinien·ne·s et les colons juifs. Les autorités israéliennes limitent l’accès à l’eau des Palestinien·ne·s en Cisjordanie au moyen d’ordonnances militaires, qui les empêchent de construire de nouvelles installations sans autorisation préalable de l’armée israélienne. Ils ne peuvent pas creuser de nouveaux puits, installer des pompes ou agrandir des puits existants, et n’ont pas accès au Jourdain et aux sources d’eau douce. Israël contrôle même la collecte d’eau de pluie dans la plus grande partie de la Cisjordanie, et les citernes servant aux communautés palestiniennes à recueillir cette eau sont souvent détruites par l’armée israélienne. Pendant ce temps, dans la bande de Gaza, la nappe aquifère côtière a été vidée en raison de la surexploitation israélienne et contaminée par les eaux usées et l’infiltration d’eau de mer, ce qui rend 95 % de son eau impropre à la consommation.


En raison de ces politiques, la consommation moyenne d’eau des Palestinien·ne·s dans les TPO est d’environ 70 litres par jour et par personne, dont environ 420 000 personnes en Cisjordanie qui consomment 50 litres par jour, soit moins d’un quart de la consommation israélienne moyenne, qui est d’environ 300 litres par personne. Pour les colons israéliens installés dans des colonies israéliennes, la consommation moyenne d’eau par jour est de 369 litres, soit environ six fois plus que les Palestinien·ne·s. Selon les Nations unies, 90 % des foyers dans la bande de Gaza, qui vivent déjà dans la pauvreté, doivent acheter de l’eau auprès des usines de dessalement ou de purification, ce qui coûte 10 à 30 fois plus cher que l’eau courante.


Le gouvernement israélien répartit de manière discriminatoire les fonds affectés au système de santé des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël, alors même qu’ils sont en moins bonne santé que leurs homologues juifs israéliens, et le gouvernement israélien ne met à disposition aucune infrastructure de santé pour les Bédouins palestiniens qui vivent dans les villages non reconnus du Néguev/Naqab, ce qui les contraint à parcourir de longues distances pour se faire soigner. En témoignent les importantes disparités en matière de santé entre les populations juives d’une part et arabes (en majorité palestiniennes) d’autre part ; ce dernier groupe s’en sort moins bien sur l’ensemble des indicateurs, selon les statistiques officielles. Par exemple, en 2019, la mortalité infantile chez les citoyen·ne·s arabes d’Israël (5,4 pour 1 000 naissances) était plus de deux fois supérieure à celle des juifs israéliens (2,4).


En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l’occupation militaire d’Israël qui dure depuis 50 ans ne touche pas seulement l’état de santé des Palestinien·ne·s, mais aussi leur possibilité d’accéder aux soins et traitements nécessaires, en particulier les traitements spécialisés liés à des maladies graves, qui n’existent souvent qu’à Jérusalem-Est, en Israël ou à l’étranger. Les personnes ayant besoin de soins médicaux à Jérusalem-Est ou en Israël doivent solliciter une autorisation auprès de l’armée israélienne pour un motif humanitaire. Ces autorisations sont difficiles à obtenir, elles sont souvent accordées tardivement ou rejetées. Ce régime a des répercussions dramatiques sur la santé des Palestinien·ne·s dans la bande de Gaza, où le blocus, associé à la crise énergétique chronique, a mis à mal la disponibilité et la qualité des services de santé, et poussé le système au bord du gouffre.


Enfin, Israël pratique la discrimination contre les étudiant·e·s palestiniens en Israël et à Jérusalem-Est, qui reçoivent moins de financements que leurs homologues juifs à tous les niveaux de scolarisation et d’étude. Selon une analyse réalisée par le Mossawa Center sur le budget 2016 du ministère israélien de l’Éducation, les élèves arabes (en majorité palestiniens) de milieux défavorisés recevaient 30 % de financement en moins par heure d’apprentissage pour l’enseignement au niveau élémentaire, 50 % en moins au niveau intermédiaire et 75 % de moins au secondaire, par rapport aux élèves juifs du même milieu socio-économique.


UN SYSTÈME D’APARTHEID


Israël a créé et entretient un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques contre la population palestinienne, régime imposé en Israël et dans les TPO au moyen de lois, politiques et pratiques discriminatoires qui se cumulent. Vu dans sa totalité, ce régime contrôle pour ainsi dire tous les aspects de la vie des Palestinien·ne·s et enfreint constamment leurs droits humains.


Ce système d’apartheid a été bâti et entretenu sur plusieurs décennies par les gouvernements israéliens successifs sur tous les territoires qu’ils contrôlent, quel que soit le parti politique au pouvoir. Israël a soumis plusieurs groupes de Palestinien·ne·s à la discrimination et à l’exclusion sous la forme de diverses lois, politiques et pratiques, à différentes périodes, en fonction des avancées territoriales réalisées d’abord en 1948 puis en 1967, lorsqu’il a annexé Jérusalem-Est et occupé le reste de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Au fil des décennies, des considérations démographiques et géopolitiques israéliennes ont influencé les politiques imposées à la population palestinienne dans chacune de ces sphères territoriales.


Si l’apartheid d’Israël prend diverses formes dans les différentes zones sous le contrôle effectif de ce pays, ce système a toujours le même objectif, c’est-à-dire dominer et opprimer la population palestinienne au profit des juifs et juives israéliens, qui sont privilégiés dans le droit civil israélien quel que soit leur lieu de résidence. Ce système est conçu de manière à ce qu’une écrasante majorité juive conserve l’accès à un maximum de territoires et de terrains, qu’ils soient acquis ou contrôlés, et qu’elle puisse en tirer des bénéfices, tout en limitant la capacité de la population palestinienne à contester la confiscation de ses biens fonciers et immobiliers. Ce système est en vigueur partout où Israël exerce un contrôle de fait sur les territoires et les terrains ou sur l’exercice des droits des Palestinien·ne·s. Il est mis en oeuvre par des lois, des politiques et des pratiques, et il transparaît dans le discours de l’État de sa création à nos jours.


Le droit international s’applique distinctement aux situations en Israël et dans les TPO, mais cet état de fait n’excuse pas les actes illicites de discrimination perpétrés contre la population palestinienne dans n’importe quelle zone sous le contrôle d’Israël. Le traitement des Palestinien·ne·s par Israël en Israël est régi par le droit international relatif aux droits humains, à l’exclusion du droit international humanitaire. Dans les TPO, Israël doit répondre des règles établies par le droit international humanitaire au sujet de l’occupation militaire (droit relatif à l’occupation) et de ses obligations en vertu du droit international relatif aux droits humains. Le droit relatif à l’occupation permet, et parfois requiert, un traitement différencié entre les ressortissant·e·s de la puissance occupante et la population du territoire occupé. Néanmoins, le droit n’autorise pas de traitement différencié quand la puissance occupante cherche à instaurer ou à perpétuer un régime d’oppression et de domination raciales systématiques.


Le déplacement forcé et prolongé d’une majorité de la population palestinienne chassée de ses terres et biens en 1947-1949 puis en 1967 ; les expulsions et transferts forcés, les restrictions arbitraires de leur droit de circuler librement ; le refus du droit à une nationalité et du droit de retour ; la dépossession discriminatoire et racialisée de leurs biens fonciers et immobiliers ; puis la répartition et l’accès discriminatoires aux ressources nationales (dont la terre, le logement et l’eau) sont autant de facteurs cumulés qui privent la population palestinienne de ses droits, notamment l’accès à des moyens de subsistance, à l’emploi, à la santé, à la sécurité alimentaire, à l’eau et des installations sanitaires, à la scolarisation. Mais ces facteurs font aussi que les Palestinien·ne·s, individuellement et collectivement, ne peuvent être sur un pied d’égalité avec la population juive israélienne en Israël, dans les TPO, et dans d’autres situations où Israël contrôle l’exercice des droits des Palestinien·ne·s, notamment le droit de retour.


La discrimination et la ségrégation raciales à l’encontre de la population palestinienne découlent d’une politique d’État délibérée. Les atteintes régulières aux droits des Palestinien·ne·s ne sont pas des infractions qui se répètent de façon fortuite, elles s’inscrivent au contraire dans un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques.


CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ


Israël et les personnes qui agissent en son nom commettent systématiquement, en créant et perpétuant un système de domination et d’oppression à l’encontre de la population palestinienne, des actes inhumains interdits respectivement par la Convention sur l’apartheid et le Statut de Rome.
Amnesty International a plus précisément examiné les actes inhumains que sont les transferts forcés, la détention administrative et la torture, les homicides illégaux et les blessures graves, et la privation de libertés fondamentales ou les persécutions commises contre la population palestinienne en Israël et dans les TPO, qui sont associés au système de lois, politiques et pratiques discriminatoires décrit plus haut, et le constituent. L’organisation a conclu que la répétition des actes illicites commis par Israël en Israël et dans les TPO constitue une attaque systématique et généralisée à l’encontre de la population palestinienne, et que les actes inhumains perpétrés dans le contexte de cette attaque l’ont été avec l’intention d’entretenir ce système et constituent ainsi le crime contre l’humanité d’apartheid au titre de la Convention sur l’apartheid et du Statut de Rome.

TRANSFERTS FORCÉS


Israël applique de nombreuses lois et politiques pour isoler la population palestinienne dans de petites enclaves en Israël et dans les TPO ou pour la forcer à quitter complètement ces territoires. Dans le Néguev/Naqab en Israël, à Jérusalem-Est et dans la Zone C en Cisjordanie, qui sont sous le contrôle total d’Israël, les autorités israéliennes imposent des régimes comparables de planification et de construction à l’encontre de la population palestinienne, ce qui se solde par un ensemble généralisé et comparable de démolitions de biens et logements, notamment des bâtiments directement liés aux moyens de subsistance, au motif qu’ils n’auraient pas de permis de construire. Dans ces zones, les populations sont privées de services essentiels et, dans le cas des TPO, rien n’est fait contre les agressions violentes des colons israéliens. Prises dans leur ensemble, ces politiques créent un environnement coercitif dont le but est de forcer les Palestinien·ne·s à abandonner leurs logements.

Les Palestinien·ne·s sont dans une situation sans issue. Israël leur demande d’obtenir un permis pour construire ou juste ériger une structure comme une tente, mais ne leur octroie que rarement de permis. Par conséquent, pour avoir un toit ou développer leurs communautés, les Palestinien·ne·s doivent construire sans permis. Les forces israéliennes démolissent ensuite ces structures au motif qu’elles ont été bâties sans permis. À l’inverse, les autorités israéliennes admettent facilement que des plans soient modifiés pour encourager le développement dans les nouvelles villes juives en Israël ou dans les colonies israéliennes dans les TPO.


Depuis 1948, Israël a démoli des dizaines de milliers de logements et biens palestiniens dans toutes les zones sous sa juridiction et son contrôle effectif. Il faut notamment citer la destruction de plus de 500 villages palestiniens dans ce qui est devenu l’État d’Israël à l’issue du conflit de 1947-1949. Les personnes touchées sont parmi les plus pauvres et marginalisées au sein des sociétés israélienne et palestinienne, ce sont souvent des réfugié·e·s ou des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, qui sont contraintes de compter sur leur famille et les services humanitaires pour se loger et trouver un moyen de subsistance.


De la même manière, la révocation par Israël de la résidence permanente de milliers de Palestinien·ne·s à Jérusalem-Est s’est soldée par des transferts forcés.


De plus, Israël a délibérément détruit des logements et déplacé des civils pendant ses opérations militaires, avec pour conséquence des dizaines de milliers de Palestinien·ne·s déplacés et sans domicile. Les éléments de preuve portent à croire que la majorité des destructions n’étaient pas indispensables du point de vue militaire et constituent des violations du droit international humanitaire. Replacées dans le contexte du système d’oppression et de domination, ces violations contribuent à perpétuer ce système d’apartheid.


Les politiques, réglementations et pratiques discriminatoires d’Israël contre la population palestinienne, en Israël et dans les TPO, ont entraîné le crime contre l’humanité de déportation ou transfert forcé, au titre du Statut de Rome et de la Convention sur l’apartheid.


DÉTENTION ADMINISTRATIVE, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS


Depuis le début de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967, les autorités israéliennes ont généralisé le recours à la détention administrative pour emprisonner des milliers de Palestiniens et de Palestiniennes, y compris des enfants, sans chef d’accusation ou de procès dans le cadre d’ordres renouvelables de placement en détention. Le système judiciaire militaire dans les TPO s’est servi de ces ordres pour incarcérer des milliers de Palestinien·ne·s, dont des enfants, pendant des mois voire des années. Israël impose régulièrement des détentions administratives aux opposants politiques de l’occupation. À l’inverse, la détention administrative est rarement employée pour placer en détention des citoyen·ne·s juives d’Israël.


La détention administrative peut être légale dans certaines circonstances, mais l’usage systématique qu’en fait Israël contre la population palestinienne indique que l’État s’en sert pour la persécuter et non comme une mesure de sécurité extraordinaire et sélective. Par conséquent, Amnesty International estime que nombre de personnes en détention administrative sont des prisonniers et prisonnières d’opinion, incarcérés pour punir leur contestation des politiques relatives à l’occupation.
Par ailleurs, depuis des décennies, l’Agence israélienne de sécurité, le Service israélien pénitentiaire et l’armée israélienne ont infligé des actes de tortures et d’autres mauvais traitements à des personnes palestiniennes détenues, y compris à des enfants, pendant leur arrestation, leur transfert et leurs interrogatoires. L’Agence israélienne de sécurité recourt à des méthodes particulièrement brutales pour extorquer des informations et des « confessions ». Parmi les méthodes régulièrement signalées par les détenu·e·s palestiniens, il faut citer les entraves et attaches douloureuses, l’immobilisation dans des positions inconfortables, la privation de sommeil, les menaces, le harcèlement sexuel, la détention prolongée à l’isolement et les insultes.


Les tribunaux israéliens ont jugé admissibles des éléments de preuve obtenus par la torture de Palestinien·ne·s, en acceptant la justification qui faisait valoir une « nécessité ». Il est extrêmement rare que les autorités israéliennes n’ouvrent des enquêtes immédiates, approfondies et impartiales lorsque des Palestinien·ne·s dénoncent des actes de torture, ce qui revient à donner l’aval de l’État au crime de torture.


Le recours généralisé et systématique d’Israël aux arrestations arbitraires, à la détention administrative et à la torture à grande échelle contre la population palestinienne, en infraction flagrante des règles fondamentales et des normes impératives du droit international, s’inscrit dans le cadre de la politique publique de domination et de contrôle infligée à la population palestinienne. Cela fait partie de l’attaque généralisée et systématique de l’État contre la population palestinienne et constitue le crime contre l’humanité d’« emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique » et de « torture » au titre du Statut de Rome et de la Convention sur l’apartheid.


HOMICIDES ILLÉGAUX ET BLESSURES GRAVES


Les forces israéliennes ont tué et blessé des milliers de civils palestiniens dans les TPO depuis 1967, souvent dans des circonstances indiquant que les homicides étaient systématiques, illégaux et arbitraires, et dans une impunité quasi totale. Ces homicides et blessures ont été commis en dehors du contexte de conflit armé et pendant des opérations israéliennes de maintien de l’ordre dans les TPO, en particulier dans le cadre de la répression de manifestations, de raids d’arrestations, durant des contrôles visant à faire appliquer les restrictions aux déplacements et aux voyages, et lors d’opérations de fouilles.
Dans certains cas, les forces israéliennes semblent avoir délibérément ciblé des soignant·e·s, des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains pendant des manifestations.
En dépit du volume considérable de preuves attestant d’homicides illégaux, Amnesty International n’a pas connaissance de cas où un membre d’une quelconque force de sécurité israélienne aurait été déclaré coupable d’avoir intentionnellement provoqué la mort d’une personne palestinienne dans les TPO depuis 1987. D’une manière générale, les poursuites judiciaires sont extrêmement rares. Quand des condamnations ont été prononcées, les soldats ont été déclarés coupables d’homicide involontaire ou d’infractions moins graves.


Des informations font également état d’homicides de citoyen·ne·s palestiniens d’Israël par des forces et agents de sécurité israéliens, notamment dans le contexte de manifestations contre des politiques et mesures discriminatoires israéliennes, dans des circonstances indiquant que ces homicides étaient illégaux.


Les pratiques récurrentes de recours à une force excessive contre la population palestinienne lors d’opérations de maintien de l’ordre, les informations relatives aux « règles d'engagement » de l’armée israélienne, ainsi que des déclarations de responsables israéliens à la suite de ces opérations, en particulier des manifestations, révèlent une politique planifiée et persistante qui consiste à tirer pour tuer ou mutiler des Palestinien·ne·s. Ces actes correspondent à la qualification des actes inhumains de « meurtre » et d’« autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » ou « en portant gravement atteinte à l'intégrité physique ou mentale […] d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux », en vertu du Statut de Rome et de la Convention sur l’apartheid.


PRIVATION DE DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX, ET PERSÉCUTION


La privation systématique du droit à une nationalité par Israël, ainsi que les restrictions draconiennes sur les déplacements et les lieux de résidence imposées par cet État, notamment le droit de quitter son pays et d’y revenir, outrepassent ce qui peut être justifié au titre du droit international. Leur application généralisée cible la population palestinienne de manière discriminatoire sur la base de son identité racialisée de Palestinien·ne·s, ce qui a des répercussions sur leur participation à la vie politique, sociale, économique et culturelle en Israël et dans les TPO, et les empêche délibérément de se développer pleinement en tant que groupe. Ces restrictions les privent par ailleurs d’un ensemble de droits et libertés fondamentaux, notamment les droits à la liberté d’opinion et d’expression, à la liberté de rassemblement pacifique et d’association, aux moyens de subsistance, à l’emploi, à la santé, à la nourriture et à la scolarisation.


Les autorités israéliennes ont privé la population palestinienne de droits humains fondamentaux à force d’années de politiques et de déclarations officielles délibérément sources de discrimination et d’exclusion, qui se sont également traduites dans les pratiques. Ainsi elles ont commis le crime contre l’humanité de « persécution », tel que défini par le Statut de Rome, ou d’autres actes inhumains s’y apparentant ; et, au titre de la Convention sur l’apartheid elles se sont rendues responsables de la privation de droits humains fondamentaux « destiné[e] à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés ».

CONSIDÉRATIONS RELATIVES À LA SÉCURITÉ ET VOLONTÉ D’OPPRIMER ET DE DOMINER


Israël a l’obligation, au titre du droit international, de protéger des violences toutes les personnes sous sa juridiction et son contrôle. Dans le contexte d’un conflit armé international et d’une occupation militaire, il est possible que, dans certaines circonstances, le fait de traiter plusieurs groupes différemment s’appuie sur des motifs légaux, sans empiéter sur l’interdiction de la discrimination. Si des préoccupations légitimes en matière de sécurité sont susceptibles d’autoriser un traitement différencié de la population palestinienne, les politiques relatives à la sécurité doivent être conformes au droit international et veiller à ce que les restrictions des droits soient nécessaires et proportionnées au regard des menaces considérées. Amnesty International a toutefois montré que les autorités israéliennes avaient mis en oeuvre des politiques qui entraînent délibérément des discriminations contre la population palestinienne pendant une période prolongée et de manière particulièrement cruelle, par des méthodes qui ne sauraient être fondées sur des questions de sécurité ou de « défense ». Par exemple, la privation prolongée, cruelle et discriminatoire de l’accès des Palestinien·ne·s à leurs terres et biens, saisis de manière violente et discriminatoire, n’a aucune justification liée à la sécurité. Aucun motif lié à la sécurité ne justifie la ségrégation de facto des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël au moyen de lois discriminatoires relatives à l’aménagement du territoire et à l’accès au logement, ou par la privation de leur droit à revendiquer leurs biens fonciers et immobiliers saisis au titre de lois racistes. De la même manière, l’ingérence arbitraire et discriminatoire dans les droits des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël à se marier, et à étendre le droit de résidence à leurs conjoint·e·s et enfants, en l’absence d’éléments tangibles indiquant que des individus présentent une menace, ne peut être justifiée par des raisons de sécurité.


Dans le contexte de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël, certaines limitations des droits humains sont susceptibles d’être admises en vertu du droit international humanitaire, si elles sont appliquées de bonne foi. Toutefois, la justification du traitement différencié ne peut être étendue à l’implantation de colons juifs israéliens dans les territoires occupés. Elle ne peut pas non plus être étendue aux meurtres, aux homicides ciblés, à la torture, à l’expulsion et aux transferts forcés de populations qui ont été perpétrés dans les TPO depuis des années.


Amnesty International a démontré que d’autres politiques motivées selon Israël par des raisons de sécurité ont été systématiquement appliquées de manière gravement disproportionnée et discriminatoire, ce qui a entraîné des violations systématiques et massives des droits humains de la population palestinienne. Il s’agit notamment des politiques israéliennes de restrictions généralisées, draconiennes et prolongées du droit de circuler librement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.


CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS


L’ensemble du régime de lois, politiques et pratiques décrites par Amnesty International démontre qu’Israël a instauré et perpétué un régime institutionnalisé d’oppression et de domination contre la population palestinienne, mis en oeuvre au profit de la population juive israélienne – un système d’apartheid – sur tous les territoires où le pays exerce un contrôle sur la vie des Palestinien·ne·s depuis 1948. Amnesty International conclut que l’État d’Israël considère et traite la population palestinienne comme un groupe racial « non juif » inférieur. La ségrégation est mise en oeuvre de manière systématique et fortement institutionnalisée, au moyen de lois, politiques et pratiques, dont l’ensemble vise à empêcher la population palestinienne de revendiquer les mêmes droits que les juives et juifs israéliens, et d’en bénéficier, en Israël et dans les TPO ; autant de mesures dont l’objet est par conséquent d’opprimer et de dominer le peuple palestinien. Ce système découle d’un régime juridique qui contrôle les droits des réfugié·e·s palestiniens qui vivent en dehors d’Israël et des TPO de rentrer chez eux, et les en prive.


Démanteler ce cruel système d’apartheid est essentiel pour les millions de Palestinien·ne·s qui vivent aujourd’hui en Israël et dans les TPO, ainsi que pour le retour des réfugié·e·s palestiniens qui sont toujours déplacés dans les pays voisins, souvent à une centaine de kilomètres de leur lieu d’origine, afin que ces personnes puissent jouir de leurs droits humains sans subir de discrimination. Entre autres recommandations plus spécifiques, Amnesty International appelle Israël à supprimer toutes les mesures de discrimination, ségrégation et oppression actuellement en vigueur contre la population palestinienne, et à amorcer un examen de toutes les lois, réglementations, politiques et pratiques qui entraînent des discriminations raciales, ethniques ou religieuses en vue de les abroger ou de les amender, afin qu’elles soient mises en conformité avec le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière.


Israël doit accorder à tous les Palestinien·ne·s l’ensemble des droits fondamentaux et l’égalité en matière de droits humains, en Israël et dans les TPO, conformément aux principes du droit international relatif aux droits humains et sans discrimination, tout en veillant au respect des protections garanties à la population palestinienne des TPO au titre du droit international humanitaire. Le pays doit aussi reconnaître le droit des réfugié·e·s palestiniens, ainsi que de leurs descendant·e·s, à rentrer sur les lieux qu’eux ou leurs familles occupaient autrefois en Israël ou dans les TPO. De plus, Israël doit prévoir des réparations complètes pour les victimes d’atteintes aux droits humains, de crimes contre l’humanité et de graves violations du droit international humanitaire, ainsi que pour leurs familles. Cela comprend la restitution et l’indemnisation relatives à tous les biens acquis sur une base raciale.


L’ampleur et la gravité des violations recensées dans le rapport d'Amnesty International exigent que la communauté internationale change radicalement et de toute urgence sa position vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, et reconnaissent la pleine mesure des crimes qu’Israël commet contre le peuple palestinien. En effet, depuis plus de 70 ans, la communauté internationale reste passive pendant qu’Israël a obtenu toute latitude pour déposséder, ségréguer, contrôler, opprimer et dominer la population palestinienne. Les nombreuses résolutions adoptées au fil des ans par le Conseil de sécurité de l’ONU n’ont pas été appliquées et Israël ne fait face à aucune répercussion pour des actions qui ont enfreint le droit international, outre des condamnations génériques. Parallèlement, remédier aux violations israéliennes contre les Palestinien·ne·s en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza, au seul regard du droit international humanitaire, et distinctement des violations commises contre les Palestinien·ne·s en Israël, ne s’en est pas pris aux racines du conflit et n’a pas permis d’apporter aux victimes une quelconque forme d’obligation de rendre des comptes ou de justice.


En l’absence d’action concrète devant tenir Israël responsable de ses violations et crimes systématiques et généralisés au regard du droit international à l’encontre de la population palestinienne, la communauté internationale a contribué à saper l’ordre juridique international et a encouragé Israël à poursuivre ses actes criminels en toute impunité. De fait, certains États ont activement appuyé les violations d’Israël en lui livrant des armes, des équipements et d’autres outils qui servent à commettre des crimes au titre du droit international et en fournissant une protection diplomatique, y compris au Conseil de sécurité de l’ONU, pour lui éviter toute obligation de rendre des comptes. Ce faisant, ils ont complètement abandonné le peuple palestinien et n’ont fait qu’exacerber le vécu des Palestinien·ne·s, en tant que peuple ayant des droits et un statut inférieurs à la population juive israélienne.


En fin de compte, le changement ne peut être amorcé qu’au sein d’Israël, mais la communauté internationale peut agir concrètement en faisant pression sur Israël, afin qu’il démantèle son système d’apartheid. Le crime contre l’humanité d’apartheid implique la responsabilité pénale internationale individuelle, qui concerne les particuliers, les membres d’organisations et les représentant·e·s de l’État qui participent à ce crime. Par conséquent, l’État d’Israël lui-même, les autorités palestiniennes, la communauté internationale et la Cour pénale internationale (CPI) doivent tous enquêter sur la perpétration du crime d’apartheid au titre du droit international.


Tous les États peuvent exercer la compétence universelle quand des personnes sont raisonnablement soupçonnées de commettre le crime d’apartheid, et les États signataires de la Convention sur l’apartheid ont l’obligation de le faire, notamment en poursuivant, en traduisant en justice et en sanctionnant les responsables présumés de ce crime. Autrement dit, les États doivent mettre en oeuvre des enquêtes judiciaires rapides, efficaces et impartiales lorsqu’ils disposent d’éléments indiquant raisonnablement qu’une personne sur leur territoire ou sous leur contrôle est raisonnablement soupçonnée de responsabilité pénale, ou extrader les suspect·e·s vers une juridiction qui pourra le faire.


Près de six ans après que la procureure générale de la CPI a annoncé l’ouverture d’un examen préliminaire de « la situation en Palestine », la chambre préliminaire a conclu en février 2021 que « la compétence territoriale de la Cour dans le cadre de la Situation en Palestine s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est », ce qui ouvre la voie à une enquête sur les crimes commis dans les TPO depuis le 13 juin 2014. Le 3 mars 2021, le procureur a annoncé que son cabinet s’employait à ouvrir une enquête sur les crimes relevant du Statut de Rome commis dans les TPO. Amnesty International appelle par conséquent le Bureau du procureur de la CPI à considérer la qualification de crime contre l’humanité d’apartheid dans le cadre de son enquête officielle actuelle.


La CPI a décidé qu’elle était compétente en ce qui concerne les crimes relevant du Statut de Rome commis dans les TPO, mais elle n’est pas compétente pour ce qui est des crimes perpétrés sur le territoire de l’État d’Israël. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit par conséquent veiller à ce que les responsables du crime contre l’humanité d’apartheid, et d’autres crimes relevant du droit international, en Israël et dans les TPO, soient traduits en justice en renvoyant la situation dans sa globalité vers la CPI ou en créant un tribunal international afin de juger les responsables présumés. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit aussi imposer des sanctions ciblées, telles que des gels d’avoirs, contre les responsables israéliens les plus impliqués dans le crime d’apartheid, et imposer un embargo complet sur les armes à destination d’Israël.


Parallèlement, l’Assemblée générale de l’ONU doit rétablir le Comité spécial contre l’apartheid, qui avait été instauré en novembre 1962, afin de traiter toutes les situations, y compris celle d’Israël et des TPO, où la grave atteinte aux droits humains et le crime contre l’humanité d’apartheid sont commis, et pour faire pression sur les responsables en vue de démanteler ces systèmes d’oppression et de domination.


Tous les gouvernements et les acteurs régionaux, notamment ceux qui entretiennent des relations diplomatiques étroites avec Israël, comme les États-Unis et l’Union européennes, mais aussi les États qui renforcent leurs liens avec Israël, comme certains pays arabes et africains, doivent s’abstenir de soutenir le système d’apartheid ou d’apporter aide ou assistance en vue de perpétuer ce régime, et enfin coopérer pour mettre un terme à cette situation illégale. Ils doivent dans un premier temps reconnaître qu’Israël commet le crime d’apartheid et d’autres crimes internationaux, et faire usage de tous les outils politiques et diplomatiques pour faire en sorte que les autorités israéliennes appliquent les recommandations listées dans le présent rapport. Ils doivent par ailleurs examiner toute coopération et activité menées avec Israël afin de veiller à ce qu’elles ne contribuent pas à perpétuer le système d’apartheid. Amnesty International réitère de plus son appel récurrent à tous les États afin qu’ils suspendent sans délai la livraison, la vente ou le transfert – directs ou indirects – de toutes armes, munitions et tous équipements militaires et de sécurité, y compris l’entraînement et d’autres formes d’aides militaires et de sécurité. Enfin, l’organisation appelle les États à instaurer et à appliquer une interdiction des produits ayant pour origine les colonies israéliennes.


Les autorités palestiniennes, de leur côté, doivent aussi veiller à ce que leurs échanges avec Israël, principalement pour la coordination en matière de sécurité, ne contribuent pas à perpétuer le système d’apartheid contre la population palestinienne dans les TPO. Elles doivent aussi, si besoin et conformément aux normes internationales, recenser les impacts discriminatoires de l’apartheid d’Israël sur la population palestinienne des TPO, afin de remettre les éléments de preuve relatifs à ces impacts aux tribunaux internationaux et aux autres instances concernées.


Les entreprises ont également la responsabilité d’évaluer leurs activités en Israël et dans les TPO, et de veiller à ne pas contribuer ou profiter du système d’apartheid, et doivent remédier à cet impact le cas échéant ou interrompre les activités concernées si nécessaire. Enfin, les organisations nationales et internationales humanitaires et de développement doivent renforcer leur travail de plaidoyer, à la fois public et privé, avec le gouvernement israélien, pour mettre un terme à la discrimination et à la ségrégation dans le droit, les politiques et les pratiques que subit la population palestinienne en Israël et dans les TPO, y compris par un plaidoyer avec les donateurs. Elles doivent par ailleurs mener des évaluations rigoureuses et récurrentes de tous les projets et aides à destination des Palestinien·ne·s pour veiller à ce qu’ils ne contribuent pas à aggraver, appuyer ou perpétuer la discrimination et la ségrégation de la population palestinienne.